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1. Introduction

Le débat actuel sur l’orientation des politiques pénales en matière de justice juvénile à la lumière des droits de l’enfant[1] est souvent limité à une lecture superficielle de tendances conjoncturelles : l’augmentation du sentiment d’insécurité au profit d’une justice plus répressive, et les nombreuses défaillances de la justice quand il s’agit de faire face à une population qui, bien que criminogène, se doit d’être protégée.

Ce débat soulève cependant des enjeux fondamentaux qui ne reçoivent pas toujours la considération qu’ils devraient. Les droits de l’enfant, comme les droits de l’homme, sont pourtant des éléments fondamentaux de l’état de droit, et l’orientation des politiques pénales en matière de réponse à la délinquance juvénile en constitue un indicateur majeur.

Or, la justice est un des éléments centraux du contrat social, puisqu’elle établit les règles entre les détenteurs de l’autorité de juger et individus objets de cette justice que sont ici les enfants en conflit avec la loi. Il faut remonter à la genèse des États-nations pour s’en convaincre et notamment à la délégation par le peuple souverain du rôle de maintien de l’ordre et de résolution des conflits de nature pénale aux détenteurs du pouvoir.

Cet article s’intéresse aux avantages de l’inclusion de l’approche restauratrice[2] dans la justice juvénile qui, par l’augmentation de la participation des enfants dans le cadre de la résolution des conflits, permettrait à la fois l’exercice et la protection de leurs droits, mais contribuerait également à la réalisation de l’objectif de responsabilisation de la justice juvénile tel que le préconise la Convention relative aux droits de l’enfant[3].

Il propose ainsi de recentrer le débat autour des intérêts supérieurs de l’enfant[4], notion qui si elle n’est apparue qu’avec cette Convention, est aujourd’hui centrale dans le discours sur les droits de l’enfant (Zermatten, 2010). Une lecture historique de la construction de la justice juvénile, à la confluence de la justice pénale et de la protection de l’enfance, explore la façon dont ces intérêts de l’enfant en conflit avec la loi pénale[5] ont été négligés dans cette genèse et comment un antagonisme de fait s’est construit entre l’enfant en conflit avec la loi et les représentants de la justice. Plus récemment, l’apport de la Convention des droits de l’enfant, qui ambitionnait de résoudre ce problème par l’édiction de droits garantis, semble être ébranlé par des politiques pénales fluctuantes.

L’article étudiera comment la justice restauratrice en tant que modèle de justice juvénile, en permettant la manifestation de l’intérêt de l’enfant à travers sa participation, peut atteindre cet objectif de responsabilisation. Cette participation est essentielle, puisqu’en plus d’être un droit, elle permet la réalisation de l’enfant en tant qu’agent de son propre développement.

2. De la construction d’un pouvoir judiciaire étatique à l’émergence de systèmes de justice différenciés

2.1. La justice en tant que monopole étatique

Thomas Hobbes, en 1651 dans son Léviathan, affirme l’idée selon laquelle le souverain a le monopole pour ériger des infractions à la loi, et donc pour définir les interdits. Il ajoute qu’en l’absence de souverain, il ne peut y avoir d’infraction - mis à part le péché qui selon lui, est défini par la loi divine. Il reconnaît également le monopole de la puissance publique pour établir une sanction selon le principe suivant : « le châtiment est un mal infligé par l'autorité publique à celui qui a fait ou omis ce qui est jugé par cette autorité être une transgression de la loi, afin que la volonté des hommes soit par-là mieux disposée à l’obéissance » (Hobbes, 1651, p. 120). Une punition de dissuasion en somme. Ce pouvoir, dont dispose le souverain, de punir pour mieux faire respecter les règles, lui est tacitement conféré par ses sujets. Il s’agit bien d’un élément fondamental de ce que Rousseau appellera en 1762 le « contrat social », dans lequel le peuple transmet à l’État - en tant que représentant du bien commun - la responsabilité de la sécurité et donc le monopole de l’utilisation des moyens de coercition. Même si ce droit était déjà inscrit dans les constitutions de certains empires dès le 12e siècle (Gschwend, 2010), l’utilisation de la force devient alors légitime, par le biais de ce contrat établi entre les différents membres de la communauté, permettant d’instaurer un ordre social qui garantirait la liberté et l’égalité de tous, et ce dans l’intérêt général.

Ainsi théorisé, ce monopole de l’État sur la justice met en concurrence les détenteurs du pouvoir et les individus protagonistes de ces conflits, dans leur résolution. De nombreux autres éléments de l’histoire de la construction des États-nations pourraient également apporter des éclairages quant à la situation actuelle de nos systèmes de justice. Ils ne sont cependant pas le propos du présent article. Il semblait néanmoins important de porter attention à ces événements afin de mieux comprendre les développements suivants.

2.2. La naissance d’une justice juvénile hésitante

Parallèlement à l’émergence d’une justice pénale étatique, des systèmes de protection de l’enfance voient le jour. Au 17e siècle apparaissent les premiers services offerts par l’Etat, puis les premières institutions de protection de l’enfance. Des exemples s’observent en Angleterre et aux Pays-Bas avec la prise en charge des enfants dans les hospices et plus tard l’apparition des orphelinats. A l’époque, le concours de l’Etat dans la vie des enfants se justifie surtout par l’intérêt de contrôler un nombre grandissant d’enfants errant à travers le pays, plutôt que par une réelle volonté de protection (Hanson, 2014).

L’éducation à l’époque n’est pas une priorité et les enfants des classes populaires doivent travailler pour survivre. Ils font partie des forces vives de la société, mais, livrés à eux-mêmes, ils sont aussi plus impliqués dans des cas de déviance ou de petite délinquance. La justice pénale de l’époque ne peut ignorer le phénomène. Elle se confond avec celle des adultes, mais ne leur est pourtant pas totalement indifférente. En effet, alors même que les sanctions à leur égard sont parfois très violentes[6], des documents montrent que certaines juridictions appliquent des peines moindres comme la mise aux fers (Junger-Tas, 2002). C’est au cours du Siècle des Lumières que l’idée que les enfants sont des êtres à part entière se construit, mais dans les faits, les mentalités n’évoluent que lentement. Les châtiments corporels disparaissent alors progressivement puisqu’ils ne se justifient pas pour aboutir au changement de comportement recherché, et que leur spectacle est passablement insupportable[7] (Junger-Tas, 2002).

La nécessité d’un traitement différencié dans la justice pénale pour les enfants par rapport aux adultes émerge ainsi graduellement. La justice juvénile, en tant que système distinct, voit le ainsi jour à la fin du 19e siècle en particulier pour répondre à l’augmentation de la criminalité de la jeunesse qui accompagne l’industrialisation. Le rôle de l’État dans la fourniture de services est également en expansion. Il s’agit alors d’une justice des adultes qui se protègent des enfants, selon le principe « sauver les enfants pour nous sauver nous-mêmes[8] » (Hanson, 2014, p. 202). Cette justice juvénile faillit cependant dans son rôle premier qui est d’assurer un traitement différentiel dans l’intérêt de l’enfant, mais aussi dans son rôle de protection face à un système parfois violent à son encontre.

Il apparaît de cette évolution une polarisation d’intérêts divergents et un déséquilibre entre un monde d’adultes dépositaires du pouvoir de juger et un monde d’enfants stigmatisés et dépossédés de leur droit d’agir. Certains traits de cette justice juvénile n’ont pas disparu aujourd’hui.

2.3. Le droit international et ses limites

Les premières tentatives de codification de droits pour les enfants au niveau international, qui ne sont en fait que des pseudo-droits puisque ceux-ci n’ont au départ pas de valeur juridique (Virally, 1990), nous démontrent encore le manque de reconnaissance que peuvent avoir les enfants en conflit avec la loi et leurs intérêts. En effet, ni la Déclaration de Genève de 1924 adoptée par la Société des Nations, ni la Déclaration des Droits de l’Enfant de 1959 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, ne font référence à des situations directement en lien avec les besoins de l’enfant en conflit avec la loi, alors que de nombreuses provisions invitent à le protéger contre l’exploitation, la faim, l’absence d’éducation, etc. La participation des enfants à la justice pénale ou à d’autres aspects de leurs vies n’était alors pas considérée comme un besoin fondamental.

On aurait pu espérer que la promulgation de la Convention relative aux droits de l’enfant en 1989 (ci-après la Convention) viendrait à bout de cette tension entre enfants en conflit avec la loi et système de justice. Les articles 37 et 40 protègent en effet les droits de l’enfant en lui apportant des garanties procédurales et posent le principe de différenciation de la justice pénale pour les enfants. Ce principe repose sur l’hypothèse que les enfants n’ayant pas atteint un niveau de maturité suffisant, ils ne peuvent pas être tenus pour responsables des actes qu’ils commettent (Caufman et Steinberg, 2000), contrairement aux adultes. Les autres provisions prévues par ces articles sont principalement des garanties procédurales et ne s’accompagnent pas de recommandations précises sur l’orientation des politiques pénales qui encadrent la justice juvénile.

Le commentaire général n°10 du Comité des droits de l’enfant de 2007, qui a pour vocation d’apporter un éclairage sur l’interprétation de la Convention, tente de pallier ce manque en proposant des principes directeurs, fondés sur l’interprétation des « piliers » de la Convention[9]. Il émet en particulier l’idée selon laquelle :

La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant signifie […] que les objectifs traditionnels de la justice pénale, comme la répression/rétribution, doivent céder la place à des objectifs de réadaptation et de justice [restauratrice] dans le traitement des enfants délinquants. Cela est conciliable avec le souci d’efficacité dans le domaine de la sécurité publique.

Comité des droits de l’enfant, 2007, §10

Force est cependant de constater que l’autorité de ces recommandations n’atteint pas son but de façon universelle. Cet écueil se constate dans de nombreux pays et indépendamment de leur situation économique. Les pays les plus développés sont donc également touchés comme le constate, par exemple, le Conseil de l’Europe dans la Résolution 2010 de l’Assemblée parlementaire :

En outre, malgré l’arsenal de normes internationales et régionales offrant un cadre bien établi pour régir la justice pénale des mineurs, une importante dissonance persiste entre le discours relatif aux droits de la personne et la réalité des mesures prises à l’égard de nombreux enfants dans le cadre de la justice pénale des mineurs, en particulier de leur détention.

Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 2014, §3

Plus grave encore, on constate que de nombreux mouvements politiques soutiennent des initiatives de réforme de la justice juvénile parfois en totale contradiction avec les principes défendus par la Convention. Sous l’influence de faits divers mis en avant par certains médias, des partis politiques populistes ou mal informés sur les principes de la justice juvénile mettent à mal ses fondements en se fondant sur l’argument que si des enfants peuvent commettre des infractions d’adultes, alors ils devraient être jugés comme tels.

Bien qu’il manque des études comparatives sérieuses sur l’évolution des politiques pénales en matière de justice juvénile, des tendances peuvent s’observer de façon internationale, et des auteurs tels que John Muncie évoquent l’apparition d’une mondialisation de la justice pénale des mineurs (Muncie, 2005). Le phénomène en cause est décrit par certains auteurs comme un « tournant punitif » de la justice pénale (Downes, 2011 ou Muncie, 2008). Plusieurs exemples récents peuvent servir à illustrer cette tendance et mettent en lumière la rupture avec le principe fondamental de différenciation de la justice. On peut citer le Brésil qui en 2015 a lancé une initiative législative pour abaisser l’âge de la majorité pénale de 18 ans à 16 ans. En Inde, un tel abaissement a été consacré par la réforme de la justice juvénile de 2015[10]. La France avait déjà promu en 2007 une telle loi pour les mineurs de 16 ans récidivistes[11] (Ponseille, 2008), qui a heureusement depuis été abrogée[12] (Beddiar, 2016). Le gouvernement philippin tente actuellement[13] de faire abaisser l’âge minimum de la responsabilité pénale de 16 ans à 9 ans. On ne peut que craindre que cette tendance ait de beaux jours devant elle, en particulier avec l’apparition de l’extrémisme violent qui exacerbe les tensions existantes.

Nous sommes donc dans une situation où les droits de l’enfant, tels qu’ils sont définis dans les instruments internationaux - y compris ceux qui sont contraignants, sont interprétés au regard de politiques nationales pour le moins fluctuantes, et parfois diamétralement contraires à leurs principes. Cela est d’autant plus condamnable que les pays concernés n’avaient pas émis de réserves lors de la signature de la Convention[14]. D’autres pays[15] paraissent être encore plus éloignés de ces principes promus par la Convention puisque la peine de mort y est encore prononcée à l’égard des enfants, même si pour certains d’entre eux, de réels efforts de réforme sont en cours (Human Rights Watch, 2010).

Alors que les droits de l’enfant sont remis en cause par les gouvernements des États qui ont pourtant adhéré à leurs principes, la question du monopole de l’État sur la justice pénale semble donc davantage liée à des processus de gouvernance. De plus, dans beaucoup de pays en voie de développement, la présence parfois écrasante d’une justice traditionnelle parallèle à celle de l’État[16], régie par des valeurs collectives telles que la cohésion intercommunautaire, met en doute la validité de ce monopole[17]. Et s’il ne faut pas idéaliser la justice traditionnelle qui peut parfois altérer l’état de droit et le respect des droits de l’homme et de l’enfant, elle démontre au moins que d’autres formes de justice sont possibles (Isser, 2011).

3. De la construction d’un pouvoir judiciaire étatique à l’émergence de systèmes de justice différenciés

La justice restauratrice est une approche de la justice juvénile parmi d’autres, telle que les approches punitive, protectionniste ou actuarialiste (McAra, 2010). Nous verrons dans les développements suivants qu’elle a la particularité de vouloir redonner aux protagonistes du conflit – plutôt qu’à l’autorité judiciaire – le rôle de réparer les torts occasionnés. C’est en cela que nous pensons qu’elle s’avère pertinente pour des politiques pénales en matière de justice juvénile plus efficientes et plus respectueuses des intérêts des individus et de la société.

3.1. Une approche de la justice qui s’étend au-delà de la commission d’infractions

En 1977, dans son article Conflicts as property, Nils Christie dénonce ce qu’il qualifie de l’usurpation par l’Etat des conflits entre les individus (Christie, 1977). L’État qui détient le monopole de la résolution des différends entre les individus se réapproprie le fruit de leur réparation à travers la sanction pénale, et en dépossède par là même les victimes. Victimes comme auteurs ne deviennent alors que des témoins passifs d’un procès auxquels ils ne participent qu’en donnant procuration à leurs avocats. La justice ainsi rendue n’est donc pas nécessairement vécue comme « juste » par ceux concernés par le dommage.

Le mouvement de la justice restauratrice s’inscrit dans une recherche de renforcement du lien social et porte le projet ambitieux de « transformer le regard que portent les sociétés contemporaines sur la criminalité et les formes apparentées de comportements criminels[18] » (Johnstone et Van Ness, 2007, p. 5). Certains de ses partisans vont beaucoup plus loin et y voient même une philosophie de vie invitant chacun à mieux comprendre l’autre afin de mieux interagir les uns avec les autres (Walgrave, 2007). Sans aller aussi loin, il est légitime de se demander quelle place elle devrait avoir dans la société pour envisager ce qui motive ses partisans à vouloir l’intégrer dans les systèmes de justice pénale en général, et dans les systèmes de justice juvénile en particulier.

Nombreux sont les auteurs qui voient dans la justice restauratrice une révolution, un changement complet de paradigme en matière de justice pénale, mettant en cause le monopole de la justice étatique sur les conflits entre individus. Le propos de cet article contribue à cette vision puisqu’il défend l’idée que la justice restauratrice permettrait d’assurer la participation des enfants dans les systèmes de justice, participation qui contribuerait à la fois à leur responsabilisation, mais aussi à la prévention de la récidive.

3.2. Application à la justice juvénile

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de définir la justice juvénile restauratrice. Nous retiendrons la définition adoptée lors du Congrès mondial sur la justice juvénile, tenu à Genève en janvier 2015 :

Les participants au Congrès mondial ont défini la justice juvénile restauratrice comme un moyen de traiter les enfants en conflit avec la loi dans le but de réparer les dommages individuels, relationnels et sociaux causés par le délit commis, et qui contribue à la réadaptation et à la réinsertion de l'enfant dans la société. Cela implique un processus dans lequel le mineur délinquant, la victime (uniquement avec son consentement) et, lorsque c’est approprié, d'autres individus ou membres de la communauté coopèrent activement pour résoudre les problèmes résultant du délit. La justice juvénile restauratrice prend au sérieux la responsabilité de l'enfant et permet ainsi de renforcer le respect et la compréhension de l'enfant envers les droits de l’homme et les libertés fondamentales d'autrui, notamment ceux de la victime et des autres membres de la communauté qui ont été affectés.

Déclaration finale du Congrès mondial sur la justice juvénile, 2015, p. 3

Cette définition ainsi posée, nous pouvons nous intéresser à la question controversée de la place que celle-ci devrait avoir dans un système de justice.

Bien que soutenue par de nombreux praticiens, la justice juvénile restauratrice n’est pourtant pas reconnue comme une approche contraignante au niveau international. Elle n’est, en effet, affirmée que par des instruments ayant valeur de recommandations pour les États : des principes directeurs du Conseil économique et social des Nations Unies[19]. En d’autres termes, les États n’ont aucune obligation conventionnelle d’intégrer la justice restauratrice dans leur système. Si les Etats n’ont pas décidé de s’engager dans une telle voie, quelle importance et quelle crédibilité accorder alors à cette approche de la justice dont la place est souvent marginale ou inexistante dans les systèmes de justice juvénile? Dans quelle réflexion doivent se positionner les praticiens et les défenseurs des droits de l’enfant pour la promouvoir dans leur travail au quotidien?

La justice juvénile restauratrice dispose d’arguments puissants qui plaident en faveur de son intégration dans les systèmes de justice. Différentes études criminologiques ont par exemple montré que la justice restauratrice produit de meilleurs résultats que la justice classique des tribunaux (Adler et al., 2016). Elle produirait significativement moins de récidives que la justice punitive, mais c’est un point qui reste discuté dans la littérature (Lipsey, 2009)[20]. Cela serait également le cas pour les crimes les plus graves et ceux commis par des multirécidivistes[21] (Strang et Sherman, 2007). Enfin, ces résultats positifs seraient produits à un coût bien moindre - jusqu’à 14 fois moins - qu’une justice basée sur des mécanismes institutionnels très coûteux[22] (Strang, Sherman, Mayo-Wilson, Woods et Ariel, 2013).

Ces résultats doivent évidemment être appréciés avec toutes les précautions de transposabilité au-delà des conditions de réalisation de ces études, majoritairement menées auprès d’adultes et dans des pays développés. On peut cependant estimer que cela est particulièrement vrai dans le cadre de la satisfaction des victimes qui deviennent parties prenantes et récipiendaires de la réparation coconstruite avec l’auteur de l’infraction[23] (Umbreit, Coates, Vos, 2003). Le sentiment de justice est ainsi intronisé par les protagonistes qui en deviennent les agents.

Ils sont également à mettre en contraste avec les questions morales qui entourent l’utilisation de la souffrance et de la peine comme sanctions pénales, comme dans les modèles répressifs (Walgrave, 2002). Dans le cas des enfants, l’utilisation de la privation de liberté peut avoir des conséquences négatives très sérieuses assimilables à une forme de violence (Holman et Ziedenbuerg, 2006).

Peut-on donc infliger une forme de violence à un enfant sous prétexte de protéger la société ? Quelle que soit la réponse que l’on souhaite donner à cette question, on admet aisément qu’une telle violence ne devrait être qu’exceptionnelle, et dépendre de circonstances très particulières codifiées dans la loi, afin que l’usage de telles sanctions ne soit pas abusif. Les Objectifs pour le développement durable invitent quant à eux à « mettre un terme […] à toutes les formes de violence […] dont sont victimes les enfants » (Assemblée générale des Nations Unies, 2015, article 16-2). Ils confortent ainsi le principe d’incompatibilité des approches punitives basées sur une forme de violence physique ou psychologique avec des systèmes de justice adaptés aux enfants.

Certains auteurs estiment qu’une certaine forme de rétribution, comme rachat d’une dette créée au moment de la commission de l’infraction, est inhérente à la sanction pénale pour une partie de la population (Duff, 2002). Ce but pourrait cependant être atteint sans chercher la seule souffrance de l’enfant en situation d’infraction, mais plutôt par sa participation à un mécanisme de réparation. Celui-ci devra bien entendu être adapté à l’enfant et respecter un certain nombre de garanties fondamentales pour être compris comme un processus éducatif par l’enfant.

Les neurosciences confirment ces hypothèses puisqu’elles ont montré que la violence a des effets nocifs sur le développement du cerveau de l’enfant (Twardosz et Lutzker, 2009). Elles montrent également que la maturité de jugement qui est au centre de la problématique de la responsabilité pénale des jeunes est un processus qui se construit de façon différente chez chaque individu. Ce processus atteindrait sa complétude et se stabiliserait chez une grande majorité des individus vers 19 ans (Caufman et Steinberg, 2000). Ce processus de maturation du jugement serait influencé par des facteurs à la fois cognitifs et psychoémotionnels. Nous pensons que ces processus pourraient être modulés par les processus restauratifs dans lesquels une catharsis serait à l’oeuvre entre deux individus (Crégut, cité par Rossi et Cario, 2016).

Ainsi, plus récemment, des études ont montré que l’empathie peut être développée à partir d’un certain âge par les pratiques restauratrices (Reisel, 2014). Elles permettraient ainsi aux auteurs d’infraction, par un processus d’identification aux victimes, de renforcer leurs valeurs morales en modifiant la structure même de leur réseau neuronal. Les processus de justice restauratrice favoriseraient donc chez l’enfant le changement de comportement recherché en se basant sur les mécanismes liés à l’empathie à travers l’implication directe dans la décision de justice, à laquelle l’enfant doit se soumettre volontairement et activement.

3.3. La participation de l’enfant dans le processus de justice

La participation des enfants à toutes les affaires le concernant est un droit garanti par l’article 12 de la Convention. Il s’agit d’une obligation contraignante pour les États. Différentes formes de participation peuvent exister, d’une simple prise en considération de leur point de vue à une prise en considération dans la formation des politiques, en passant par l’acceptation expresse ou le véto (Sutherland, 1992). Nous nous intéressons ici à la participation de l’enfant à la décision de justice pénale le concernant.

Au 19e siècle, la participation des enfants à la justice juvénile étatique n’était pas nécessairement acquise. Les législations spécifiques sur la justice juvénile se traduisaient souvent par une perte de garanties pénales pour les enfants par rapport au droit pénal des adultes. Cette perte était importante, avec le déséquilibre incommensurable de pouvoir qui pouvait exister entre le juge et l’enfant en conflit avec la loi. Ce dernier n’ayant que peu de marge de participation dans le procès pénal, notamment du fait de son absence de statut en tant que sujet de droit. Le juge d’alors, souvent dans une position paternaliste décidait dans l'intérêt supérieur de l’enfant[24] en édictant des sanctions, comme l’internement ou la détention (Hanson, 2014).

D’aucun ne contesterait de nos jours ce droit à la participation dont l’étendue est précisée dans l’Observation générale n°12 du Comité des droits de l’enfant qui rappelle que les enfants « d’un côté, n’ont pas l’autonomie complète des adultes, mais, de l’autre, sont sujets de droits » (Comité des droits de l’enfant, 2009, §1). Une lecture de cette injonction de faire participer l’enfant dans les affaires qui le concernent, en lien avec l’article 6 sur le droit au développement et l’article 3 sur la prise en considération de son intérêt supérieur, devrait nous conduire à comprendre la participation de l’enfant bien au-delà d’un simple recueil de l’expression d’un point de vue. Il s’agit plutôt d’une règle procédurale qui place l’enfant au centre de tout changement le concernant (Zermatten, 2010). En d’autres termes, l’enfant devrait être l’agent principal du changement qui le concerne, dans la mesure de ses capacités.

Dans le cadre de la justice juvénile, cette participation de l’enfant à son propre destin devrait se traduire par la mise en place de mécanismes de justice permettant de favoriser son rôle dans la résolution des conflits, tout en lui offrant un accompagnement, par exemple de type psychosocial, lorsque cela est justifié[25], ou encore une aide légale pour lui faire connaître ses droits. Jean Zermatten, en abordant le principe d’agencéité, affirme ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant - en lien avec l’article 5 de la Convention relative aux droits de l’enfant[26] - et l’accompagnement dont il pourrait bénéficier dans le cadre de la justice pénale, ne sont pas incompatibles :

L'article 5 souligne que l’enfant a le droit à une orientation et au conseil des parents, gardiens et autres membres de la communauté telle que comprise par la coutume locale. Orientation et conseil doivent compenser le manque de connaissance, d’expérience et de compréhension de l’enfant et sont limités par les capacités en évolution citées dans cet article. Plus l’enfant sait, a expérimenté et comprend, plus le parent, le gardien ou toute autre personne responsable de droit de l’enfant doivent limiter leur orientation et conseil. Ce qui est très intéressant, c’est que les courbes de la dépendance et de l’autonomie de l’enfant en relation avec son évolution sont inversées.[27]

Zermatten, 2010, p. 490

La question de leur maturité, et donc de leur capacité à participer aux processus de justice, pourrait se poser. Il existe cependant une présomption de capacité qui suppose que l’enfant est à même de se former sa propre opinion, et qu’en tout cas ce n’est pas aux enfants de démontrer cette capacité (Zermatten, 2012). Celle-ci ne provient pas d’un droit naturel, mais bien de ce que les enfants expérimentent dans leur propre vie :

[…] alors qu’ils luttent avec leur famille et leur communauté pour donner un sens à leur existence quotidienne. (…) Les enfants s’engagent, interprètent et donnent un sens à leurs droits ; c’est à travers cette perspective de bas en haut que leurs droits peuvent être considérés comme vivants.[28]

Hanson, 2013, p. 4

La justice juvénile restauratrice réalise la complétude de cette promesse de la participation de l’enfant-agent. Elle place en effet l’enfant en conflit avec la loi au centre du processus en lui offrant la possibilité de se confronter aux conséquences immédiates et concrètes que ses actes ont pu avoir sur autrui ou sur la société. Ils prennent ainsi conscience de leur responsabilité dans la mesure de leur maturité, mais avec moins de risques de subir les effets négatifs de la sanction pénale, tels que le phénomène de l’étiquetage[29] (Maruna, 1997), ou ceux de la détention (Holman et Ziedenbuerg, 2006).

4. Conclusion

En conclusion, on s’aperçoit que les obstacles qui existent à l’inclusion de la justice restauratrice dans les systèmes de justice juvénile s’expliquent notamment d’un point de vue historique du fait de la construction progressive de la justice pénale des enfants dans un mouvement protectionniste et parfois décentré des intérêts des enfants.

Aujourd’hui, l’instrumentalisation de la thématique par le pouvoir politique joue un grand rôle qui est conforté par une certaine réticence des représentants du pouvoir judiciaire face à une approche de la justice perçue comme une menace. En effet, celle-ci remet en question leur monopole sur la possibilité de rendre la justice, la justice restauratrice étant souvent rendue en dehors des tribunaux.

Que les États aient sous-estimé les obligations conventionnelles souscrites lors de la signature de la Convention relative aux droits de l’enfant ne devrait pas affaiblir la portée des droits proclamés ni justifier une remise en question opportuniste de ceux-ci (Zermatten, 2012).

Une telle instabilité du respect des droits de l’enfant – et donc des droits de l’homme – dans les systèmes de justice pénale est à prendre au sérieux, puisque ses conséquences s’étendent bien au-delà des garanties procédurales qu’ils représentent. Eric Millard estime ainsi que :

le lien entre démocratie et droits de l'Homme laisse ouverte la question de savoir si nous voulons les droits de l'Homme comme moyens et garanties pour faire fonctionner la démocratie, ou si nous voulons les droits de l'homme comme fins et limites de la démocratie.

Millard, 2013, p. 8

Il ne faudrait donc pas moins qu’une renégociation des principes sur lesquels se base la justice juvénile actuelle à la lumière de l’approche restauratrice afin de rétablir les équilibres de pouvoir et d’assurer la réappropriation de la justice par ses protagonistes.