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Introduction

La maladie coronarienne est la principale cause de décès, d’invalidité et d’hospitalisation au Canada (Wielgosz et al., 2003) et à travers le monde (Yusuf, Reddy, Ounpuu et Anand, 2001). Avec la venue d’approches thérapeutiques novatrices et l’utilisation de nouvelles technologies médicales, le taux de mortalité reliée à la maladie coronarienne a diminué considérablement dans les pays industrialisés (British Heart Foundation, 2005). Cependant, puisqu’un nombre croissant de personnes survivent à un infarctus du myocarde (IM), le taux de morbidité continue d’augmenter (Law, Watt et Wald, 2002).

Des programmes de réadaptation cardiaque ont été développés pour aider les personnes qui subissent un épisode cardiaque à s’en rétablir et à en prévenir la récurrence. La réadaptation cardiaque a démontré des améliorations de la condition physique et une diminution du taux de morbidité ainsi que du taux de mortalité (Jolliffe et al., 2001; Taylor et al., 2004). Ces résultats sont atteints grâce à la pratique de l’exercice, à la modification des comportements de santé ainsi qu’à l’adoption de stratégies adaptatives visant une meilleure gestion des facteurs de risque cardiovasculaires (Taylor et al., 2004). La plus récente révision systématique d’études randomisées selon la méthode proposée par le Cochrane Collaboration regroupe 8 440 sujets. Celle-ci démontre que les programmes de réadaptation cardiaque qui se concentrent principalement sur l’exercice produisent une diminution de 27 % du taux de mortalité. Les programmes intégrés de réadaptation cardiaque qui incluent une intervention psychosociale et éducationnelle en plus d’un entraînement physique, produisent également une diminution du taux de mortalité, mais de moins grande envergure, soit de 13 % (Jolliffe et al., 2001). Malgré ces bienfaits, le taux de participation aux programmes de réadaptation demeure faible, surtout en ce qui concerne les femmes, les personnes âgées et les individus provenant de milieux minoritaires (NHS Centre for Reviews and Dissemination, 1998).

Afin d’augmenter le taux de participation, divers programmes d’exercices à domicile ont été introduits en Amérique du Nord et en Europe (Dalal et al., 2007; Jolly, Taylor, Lip et Stevens, 2006; Robichaud-Ekstrand, Juneau et Gagnon, 1993). Ces programmes d’exercices à domicile sont gérés par une équipe de professionnels de la santé. De plus, ils possèdent des objectifs spécifiques et individualisés et s’adaptent donc à la condition de santé des participants. Ils incluent généralement les éléments suivants : un système de monitoring de l’entraînement physique, des suivis ainsi que des informations envoyées par la poste ou transmises par téléphone. Par conséquent, les personnes qui subissent un épisode cardiaque ont la possibilité de prendre en mains leur santé et de retourner à une vie productive dans la société.

Selon Orem, la capacité à exécuter des actions afin de maintenir sa santé ou son bien-être reflète la capacité d’autosoin de l’individu . Un instrument couramment utilisé pour capter le concept de la capacité d’autosoin est l’échelle de la Exercise of Self-Care Agency(ESCA) développée par Kearney et Fleischer (1979). Celle-ci mesure le niveau de prise en charge de la personne à l’égard de ses soins de santé. L’échelle de la ESCA a été traduite et validée en plusieurs langues auprès de populations diversifiées (Kearney et Fleischer, 1979; McBride, 1987, 1991; Nahcivan, 2004; Riesch et Hauck, 1988; Robichaud-Ekstrand et Loiselle, 1998; So et Lee, 1989; Wang et Laffrey, 2000; Yamashita, 1998). En somme, cet instrument est, jusqu’à ce jour, fréquemment utilisé en recherche et en pratique (Ailinger et Dear, 1993; Callaghan, 2005, 2006a, 2006b, 2006c; Carroll, 1995; Craddock, Adams, Usui et Mitchell, 1999; Felder, 1990; Hart et Foster, 1998; Owens, 2007; Pressly, 1995; Robichaud-Ekstrand, 1993; Simmons, 1993; So et Lee, 1989; St Onge, 1995; Wang et Laffrey, 2000).

L’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) est la seule recensée dans les revues et résumés de colloques scientifiques publiés qui utilise l’échelle de la ESCA pour évaluer les effets d’un programme d’exercices à domicile sur la capacité d’autosoin des personnes ayant subi un IM à faible risque. Bien que les résultats globaux de cette étude aient été présentés à des colloques scientifiques (Robichaud-Ekstrand, Juneau, Dupuis et Gagnon, 1993; Robichaud-Ekstrand, Juneau et Gagnon, 1993; Robichaud-Ekstrand, Juneau, Dupuis et Gagnon, 1992; Robichaud-Ekstrand, Juneau et Gagnon, 1996), la ou les composantes de la capacité d’autosoin qui ont produit l’augmentation précoce de la capacité globale d’autosoin n’ont pas été identifiées. Selon Kearney et Fleischer (1979), la capacité d’autosoin englobe : 1) le concept de soi; 2) l’initiative et la responsabilité; 3) les connaissances et la recherche d’information; et 4) l’engagement versus la passivité. Une analyse approfondie des composantes de la capacité d’autosoin est importante pour permettre aux infirmières[1] d’évaluer cette capacité chez les personnes cardiaques. Ces connaissances permettront à l’infirmière de développer des programmes de réadaptation cardiaque à domicile mieux adaptés aux besoins spécifiques des personnes ayant subi un infarctus du myocarde.

Recension des écrits

La réadaptation cardiaque est non seulement une composante intégrale des soins contemporains offerts aux personnes qui subissent un épisode cardiaque, mais aussi une priorité dans la majorité des pays possédant une haute prévalence de la maladie coronarienne (Balady et al., 2007; Graham et al., 2007; Stone, Arthur et Canadian Association of Cardiac Rehabilitation Guidelines Writing Group, 2005). Les programmes de réadaptation cardiaque visent un retour optimal à une vie productive dans la société par la pratique de l’exercice, l’adoption de sains comportements de santé, le rétablissement de l’état psychologique et le retour aux activités sociales antérieures (Goble et Worcester, 1999)[2]. L’adoption de comportements de santé sains, par exemple, l’arrêt du tabagisme, l’adoption d’un régime alimentaire de type végétarien, la gestion du stress et la pratique régulière de l’activité physique selon une intensité modéré, permet de ralentir la progression de la maladie coronarienne (Ornish, 1991; Ornish, Brown, Scherwitz, Billings, Armstrong, Ports et al., 1990).

Deux récentes revues systématiques et méta-analyses comparent l’efficacité des programmes de réadaptation cardiaque à domicile à ceux dispensés dans des centres spécialisés (Dalal et al., 2007; Jolly, Taylor, Lip et Stevens, 2006). Comparativement aux personnes qui reçoivent des soins usuels, les sujets qui participent à un programme de réadaptation cardiaque à domicile, présentent une réduction de la tension artérielle systolique et un risque moins élevé de récidive par rapport au tabagisme. Il n’existe cependant aucune différence significative en ce qui a trait à la capacité fonctionnelle, au taux de cholestérol total et aux niveaux d’anxiété et de dépression. Le seul résultat non favorable au programme à domicile est le taux de mortalité. Cependant, lorsque les programmes de réadaptation à domicile sont comparés à ceux offerts dans les centres spécialisés, les résultats demeurent similaires, même pour le taux de mortalité. Joly et ses collègues (2006) précisent que des études ultérieures auraient avantage à comparer l’acceptabilité, l’efficacité et les coût-bénéfices des programmes de réadaptation cardiaque à domicile à ceux dispensés dans des centres spécialisés. D’ailleurs, Taylor et ses collaborateurs viennent récemment de déposer un protocole qui répondra à cette question en utilisant la méthode proposée par la Cochrane Collaboration (Taylor, Dalal, Jolly, Moxham et Zawada, 2008).

Les résultats liés aux études randomisées qui comparent certains programmes de réadaptation cardiaque à domicile aux soins usuels présentent les bienfaits suivants : la fréquence cardiaque, le double produit et le rythme de rétrécissement des artères coronariennes sont diminués. De plus, la fraction d’éjection et, par conséquent, la capacité fonctionnelle s’améliorent. Les résultats cliniques présentent également des améliorations du taux de cholestérol total, de triglycérides ainsi que de lipoprotéines à basse et à haute densité. Certains comportements de santé sont adoptés, par exemple, la réduction de l’apport en gras dans le régime alimentaire. Sur le plan psychologique, l’efficacité personnelle perçue, reliée aux activités quotidiennes et à la marche, est augmentée, la confiance et l’estime de soi s’accroissent et la qualité de vie des personnes âgées cardiaques est meilleure. Par ailleurs, le nombre de réadmissions à l’hôpital est diminué et, par conséquent, les coûts en sont réduits. Toutefois, comparativement aux soins usuels, les résultats de ces études indiquent que les programmes de réadaptation cardiaque à domicile ne présentent aucun effet sur les éléments suivantes : le niveau de détresse psychologique, le type et le nombre de complications liées à l’épisode cardiaque, l’indice de masse corporelle, le bien-être psychologique, les taux de lipoprotéines à haute densité, l’affect émotionnel, les niveaux d’anxiété et de dépression de même que le niveau de confiance à l’égard du rétablissement (Brosseau et al., 1995; Fletcher et al., 1994; Gulanick, 1991; Haskell et al., 1994; Heller et al., 1993; Higgins et al., 2001; Lewin et al., 1992; Linden, 1995; Marchionni et al., 2003; Robertson et Kayhko, 2001; Robichaud-Ekstrand, 1993; Sinclair, Conroy, Davies et Bayer, 2005; Taylor et al., 1997).

La révision des ressources électroniques fait ressortir seulement deux études qui ont utilisé l’échelle de la ESCA auprès d’une population cardiaque (Carroll, 1995; Robichaud-Ekstrand et Loiselle, 1998). Carroll (1995) décrit et évalue le rétablissement chez des personnes âgées de plus de 65 ans qui ont subi une chirurgie de revascularisation du myocarde, mais qui n’ont pas bénéficié d’un programme d’exercices à domicile. Elle conclut que les infirmières jouent un rôle pivot dans la planification du congé de l’hôpital, surtout en ce qui concerne l’utilisation du réseau de soutien et la prise en charge des personnes âgées cardiaques. Robichaud-Ekstrand et Loiselle (1998) présentent les propriétés psychométriques de l’échelle de la ESCA utilisée dans l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) qui examinait les effets d’un programme d’exercices à domicile sur la capacité d’autosoin de personnes ayant subi un IM. Bien que la capacité globale d’autosoin des participants au programme d’exercices augmente plus précocement que celle des sujets qui reçoivent des soins usuels, l’étude ne permet pas de déceler la ou les composantes qui sont à l’origine de cette amélioration. Il devient donc pertinent d’examiner plus en profondeur les composantes de la capacité globale d’autosoin lorsque des personnes ayant subi un IM participent à un programme d’exercices.

But et hypothèse de recherche

Le but de cet article est d’effectuer une analyse secondaire à partir des données tirées de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) pour déterminer la ou les composantes qui engendrent l’amélioration précoce de la capacité globale d’autosoin des personnes ayant récemment subi un IM à faible risque et participant à un programme d’exercices à domicile. L’hypothèse de recherche précise qu’une ou plusieurs composantes de la capacité globale d’autosoin des participants du programme d’exercices à domicile démontrent des scores supérieurs comparativement à cette capacité chez des sujets qui reçoivent les soins usuels.

Méthode

Étude de Robichaud-Ekstrand (1993)

Critères de sélection. Dans son étude, Robichaud-Ekstrand (1993) a considéré toutes les personnes qui ont été hospitalisées dans trois hôpitaux de la région de Montréal (Québec) pour diagnostic d’IM. Les critères d’inclusion retenus étaient les suivants : IM à faible risque démontré par l’absence d’ischémie au repos 24 heures après l’admission; fréquence cardiaque au repos inférieure à 90 battements par minute; fraction d’éjection supérieure à 35 %; capacité de participer à une épreuve d’effort sur tapis roulant; et capacité de lire et d’écrire le français ou l’anglais. Les critères d’exclusion étaient les suivants : incapacité à évaluer la fréquence, l’intensité ou la durée de l’effort physique; problèmes psychiatriques; désordres métaboliques ou endocriniens; et impossibilité d’être rejoint par téléphone. De plus, le sujet ne devait pas être connu pour les antécédents suivants : insuffisance cardiaque, oedème pulmonaire, arythmies ventriculaires complexes, tachycardie sinusale ou fibrillation auriculaire.

Échantillon. Sur un total de 856 personnes ayant subi un IM récent, près des trois quarts (73 %) ne satisfaisaient pas les critères de sélection de l’étude, 10 % des sujets étaient décédés lors de l’hospitalisation, quatre pour cent n’avaient pas été invités à participer à l’étude en raison de conflits d’horaire de l’agent de recrutement et, finalement, trois pour cent ont refusé de participer à l’étude.

Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon. La moyenne d’âge des sujets est de 52 ans (ET = 10 ans). Presque la totalité des sujets (93 %) sont des hommes et la plupart d’entre eux (81 %) occupent un emploi. Plus de trois quart des sujets ont une scolarité maximale de niveau secondaire. Les caractéristiques cliniques des participants à l’étude indiquent que la majorité des sujets (56 %) sont fumeurs et que 66 % d’entre eux présentent de l’embonpoint selon leur indice de masse corporelle. Près des trois quarts des participants (74 %) ont subi un IM à la région inférieure du coeur et, chez 26 % d’entre eux, l’IM se situe à la partie antérieure et latérale. Dans la plupart des cas (82 %), il s’agit du type d’IM avec onde Q. Le niveau de créatine kinase (CK-MB) sanguine présente alors une élévation atteignant un sommet de 1 857 U/L (ET = 1 605 U/L). Aussi, 61 % des sujets consomment des bêta-bloqueurs adrénergiques et près d’un tiers (30 %) font l’usage de bloqueurs de canaux calciques. Les sujets avaient maintenu leur médication usuelle lorsque l’épreuve d’effort a été effectuée. Au précongé de l’hôpital, les données sociodémographiques et cliniques chez les deux groupes à l’étude sont similaires (p > 0,05).

Tableau 1

Profil sociodémographique de l’échantillon de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) (n = 83)

Profil sociodémographique de l’échantillon de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) (n = 83)
*

Tests de Chi-Carré (χ²) de Pearson entre le programme d’exercices et les soins usuels, p > 0,05

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Devis de recherche. Le devis de recherche consiste en un plan expérimental prétest et post-test avec groupe témoin. Les sujets furent assignés de façon aléatoire, soit au programme d’exercices à domicile incluant le suivi par appels téléphoniques de l’infirmière (n = 42), soit aux soins usuels (n = 41). Les trois temps d’évaluation de la capacité d’autosoin ont été effectués au précongé de l’hôpital (M = 8 jours; ET = 3 jours post-IM), puis à la 8e semaine et à la 14e semaine suivant le congé. Le projet de recherche fut approuvé par un comité d’éthique et de la recherche dans chaque centre hospitalier où les participants furent recrutés. Finalement, les participants qui ont accepté de participer à l’étude ont signé un consentement éclairé écrit.

Programme d’exercices à domicile et suivi téléphonique. Les participants exécutent une épreuve d’effort limitée par symptômes au précongé de l’hôpital (M = 8 jours; ET = 3 jours post-IM) afin de prescrire le programme d’exercices à domicile. Le programme consiste en cinq séances d’exercices d’une durée de 35 à 40 minutes consécutives, exécutées au rythme minimal de cinq fois par semaine, et ce, échelonné sur une période de huit semaines. Chaque séance d’exercices débute par une période d’échauffement de dix minutes.

Elle se poursuit par 20 minutes de marche rapide à une fréquence cardiaque ou une perception d’effort selon l’Échelle de Borg, les deux établies selon les résultats individuels démontrés par l’épreuve d’effort. La séance se termine par une période de 5 à 10 minutes d’exercices de récupération, soit par de la marche lente et des exercices d’assouplissement et de flexibilité. L’intensité des séances d’exercices augmente graduellement toutes les deux semaines, soit de 50 % à 80 % de la réserve cardiaque maximale atteinte à l’épreuve d’effort sur tapis roulant au précongé de l’hôpital. Chez les personnes qui ont présenté des changements ischémiques ou de l’angine à l’effort, la limite supérieure de la fréquence cardiaque cible était de cinq battements sous le seuil ischémique. La limite inférieure était déterminée en retranchant 15 battements de la limite supérieure. Les sujets pouvaient participer à toutes les autres activités exigeant une dépense énergétique inférieure à celle qui était recommandée. Ils recevaient par écrit une liste d’activités précisant leur valeur énergétique de sorte à permettre la pratique d’activités à l’intérieur des limites recommandées en-dehors des séances d’exercices.

L’infirmière effectue un appel téléphonique aux participants du programme d’exercices à deux reprises durant leur première semaine de convalescence à domicile. Par la suite, les appels téléphoniques sont effectués une fois par semaine durant les sept semaines subséquentes. Le but du suivi téléphonique est de renforcer l’information offerte au congé de l’hôpital, de répondre aux questions liées à la santé cardiaque et au bien-être psychologique. De plus, l’infirmière documente les changements cliniques indiquant une intolérance à l’effort lors du programme d’exercices prescrit. Elle effectuait alors des modifications aux recommandations au besoin. L’infirmière encourage aussi les participants à adhérer aux comportements spécifiques d’autosoin recommandés, soit la pratique régulière de l’activité physique, l’observance médicamenteuse, l’adoption de saines habitudes alimentaires, le non-usage du tabac et la gestion du stress. Entre la 8e et la 14e semaine après le congé de l’hôpital, aucun participant n’a reçu d’appel téléphonique de l’infirmière.

Soins usuels. Les soins usuels comprennent les recommandations habituelles offertes par les membres du personnel de l’unité de soins, sans recommandation formelle ou individualisée, ni suivi téléphonique de l’infirmière. Les sujets classés dans le groupe de soins usuels choisissent personnellement les exercices qu’ils entreprendront durant leur convalescence. Cependant, l’infirmière communique par téléphone avec les sujets pour administrer 1’instrument de mesure de la capacité d’autosoin, et ce, aux mêmes moments d’évaluation que ceux des participants du programme d’exercices. Les deux groupes reçoivent donc les mêmes évaluations et explications liées à leur épreuve d’effort sur tapis roulant.

Instrument de mesure de la capacité d’autosoin

Kearney et Fleischer (1979) ont développé la version originale de l’échelle de la Exercise of Self-Care Agency(ESCA). Le but de l’instrument est de mesurer le niveau de prise en charge de la personne à l’égard de ses soins de santé. La version originale de l’échelle de la ESCA est composée de 43 énoncés. Dans la présente étude, seuls les 35 énoncés tirés de l’analyse en facteurs effectuée auprès de 83 sujets dans l’étude de Robichaud-Ekstrand et Loiselle (1998) et qui démontraient des indices de communalité supérieurs à 0,40 ont été retenus pour l’analyse des données. Chaque énoncé comprend cinq choix de réponses qui, selon une échelle de Likert, s’échelonnent de 0 (aucunement caractéristique de moi) 4 (très caractéristique de moi). L’instrument permet l’étude des quatre sous-concepts suivants : 1) le concept de soi; 2) l’initiative et la responsabilité; 3) les connaissances et la recherche d’information; et 4) l’engagement versus la passivité. Les résultats les plus élevés pouvant respectivement être obtenus pour chacun des sous-concepts sont les suivants : 48, 48, 20 et 24. Le résultat global le plus élevé pouvant être obtenu avec cet instrument est 140, ce qui correspond à une perception positive de la capacité d’autosoin et à une participation active aux soins de santé.

Un groupe de cinq juges experts du domaine de la science infirmière ont initialement établi la validation du contenu de l’échelle originale (Kearney et Fleischer, 1979). Vingt-neuf énoncés présentent un indice de validité de contenu de 80 % et plus. Les 14 autres énoncés qui présentaient un indice de validité de contenu se situent entre 60 % et 80 % ont été révisés par les auteurs (Robichaud-Ekstrand et Loiselle, 1998). Dans la présente étude, l’ensemble de la version française de l’échelle de la ESCA montre des coefficients de consistance interne de 0,85, 0,84 et 0,88 respectivement au précongé, à la 8e semaine et à la 14e semaine. La fidélité d’homogénéité des sous-échelles de la version française de l’échelle de la ESCA présente une magnitude variant de faible à moyenne, avec des coefficients d’alpha de Cronbach respectifs pour le concept de soi (α = 0,57 à 0,69), l’initiative et la responsabilité (α = 0,72 à 0,80), les connaissances et la recherche d’information (α = 0,70 à 0,80) et l’engagement versus la passivité (α = 0,49 à 0,62). La version française de l’échelle de la ESCA démontre une bonne stabilité temporelle sur une période de 6 semaines (r = 0,78, p < 0,001) (Robichaud-Ekstrand et Loiselle, 1998).

Analyses statistiques

Une analyse de variance multivariée (MANOVA) à mesures répétées a réuni les quatre sous-concepts de la capacité d’autosoin. Des analyses de la variance (ANOVA) à mesures répétées suivi de tests de t de Student pour groupes indépendants ont été entreprises par sous-concept pour identifier lequel ou lesquels créent des différences significatives sur la capacité globale d’autosoin. De plus, des tests de t pariés de Student ont permis d’identifier les différences entre moments. Le seuil de signification des analyses statistiques a été fixé à un alpha de 0,05. Les valeurs manquantes des analyses de variance ont été remplacées par la moyenne des sous-concepts respectifs, tandis que le nombre exact de sujets est utilisé pour les tests de Student.

Résultats

Le tableau 2 présente les moyennes et les écarts types des composantes de la capacité d’autosoin au précongé et aux 8e et 14e semaines suivant le congé de l’hôpital pour chacun des groupes expérimentaux et d’autosoin. Une MANOVA évaluant l’évolution des groupes expérimentaux et de soins usuels sur les quatre composantes de la capacité d’autosoin aux trois temps de mesure donne une interaction globale significative entre les groupes et les moments de mesure, lambda de Wilks = 0,75, F (8,74) = 3,09, p = 0,005. Plus spécifiquement, les ANOVA à mesures répétées dévoilent une seule interaction significative soit pour la composante de l’initiative et de la responsabilité, lambda de Wilks = 0,84, F (2, 80) = 7,76, p = 0,001, les interactions n’étant pas significatives au niveau des autres composantes, soit pour le concept de soi, lambda de Wilks = 0,97, F (2, 80) = 1,39, p = 0,25, les connaissances et de la recherche de l’information, lambda de Wilks = 0,94, F (2, 80) = 2,39, p = 0,10, et l’engagement versus la passivité, lambda de Wilks = 0,99, F(2, 80) = 0,34, p = 0,72. Pour révéler ce qui se passe dans cette interaction significative de l’initiative et de la responsabilité, des tests t de Student pour groupes indépendants révèlent une différence significative au précongé de l’hôpital, t (79) = -2,03, p = 0,04; le résultat du groupe du programme d’exercices étant inférieur à celui du groupe de soins usuels. Cependant, aucune différence significative n’est apparente entre les groupes à la 8e, t (81) = 1,59, p = 0,12, ainsi qu’à la 14e semaine suite au congé de l’hôpital, t (75) = -0,07, p = 0,95. En ce qui concerne les participants au programme d’exercices, les tests t pairés de Student présentent une différence significative entre le précongé et la 8e semaine suite au congé de l’hôpital, t (41) = -8,49, p = 0,001, et non entre les 8e et 14e semaines, t (38) = 0,44, p = 0,66. Les participants recevant des soins usuels démontrent des différences significatives entre le précongé et la 8e semaine t (38) = -4,65, p = 0,001, ainsi qu’entre la 8e et la 14e semaine suite au congé de l’hôpital, t (37) = -3,07, p = 0,004. Ces résultats sont présentés schématiquement à la figure 1.

Tableau 2

Moyenne (et écart-type) des cotes de capacité globale d’autosoin et de ses composantes au précongé et aux 8e et 14e semaines suivant le congé de l’hôpital

Moyenne (et écart-type) des cotes de capacité globale d’autosoin et de ses composantes au précongé et aux 8e et 14e semaines suivant le congé de l’hôpital
a

n = 42 participants au programme d’exercices et de suivi téléphonique; n = 41 sujets recevant les soins usuels.

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Figure 1

Composante de l’initiative et de la responsabilité de la capacité d’autosoin

Composante de l’initiative et de la responsabilité de la capacité d’autosoin

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Discussion

La recension des études randomisées évaluant les effets des programmes de réadaptation cardiaque confirme que le concept de la capacité d’autosoin a été très peu étudié auprès des personnes cardiaques. L’analyse de données secondaires tirées de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) démontre que les participants au programme d’exercices présentent, au précongé de l’hôpital, un niveau d’initiative et de responsabilité inférieur comparativement aux sujets des soins usuels, malgré des caractéristiques sociodémographiques similaires. Bien que le programme d’exercices ne différencie pas les deux groupes, il permet aux participants du programme d’exercices d’atteindre, à la 8e semaine comparativement à la 14e semaine, le niveau maximal d’initiative et de responsabilité. Ce gain plus précoce chez les participants au programme d’exercices leur permet d’atteindre le même niveau d’initiative et de responsabilité à 8 semaines en suivant un régime équilibré, en étant assidus au programme d’exercices et en se présentant aux visites médicales. De plus, ils expriment la volonté de prendre soin d’eux-mêmes et visent l’atteinte d’un niveau maximal de bien-être. Selon Orem (2001), l’initiative et la responsabilité sont des précurseurs de la motivation. Puisque les sujets du groupe des soins usuels ont atteint le même niveau d’initiative et de responsabilité à la 14e semaine suivant leur congé de l’hôpital, le programme d’exercices à domicile de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) semble avoir agi comme un catalyseur. Il est possible de déduire que les personnes qui subissent un événement marquant dans leur vie, tel l’infarctus du myocarde, désirent s’engager dans des stratégies adaptatives et comportementales afin de prévenir un autre événement cardiaque. Cependant, en participant à un programme d’exercices et en recevant le soutien de l’infirmière, ces comportements surgissent plus tôt.

La capacité d’autosoin englobe d’autres sous-concepts qui sont demeurés similaires avec ou sans la participation au programme d’exercices. Ces sous-concepts comprennent le concept de soi, les connaissances et la recherche de l’information ainsi que l’engagement versus la passivité. Selon Kearney et Fleischer (1979), le concept de soi est rendu opérationnel par la conscience d’être un membre précieux de sa famille, la connaissance personnelle, la connaissance de ses besoins personnels ainsi que le fait de se considérer comme étant un bon ami pour soi-même. De plus, selon l’échelle de la ESCA, les personnes qui ont un concept de soi élevé s’aiment, démontrent une joie de vivre et contribuent à leurs relations sociales. Ces personnes connaissent leurs besoins et savent comment se procurer l’information nécessaire à une amélioration de la santé. En somme, le concept de soi représente les perceptions que la personne a d’elle-même, de ses forces et de ses faiblesses. Bien que Sinclair et ses collègues (2005) concluent que les visites de l’infirmière à domicile, chez les personnes qui ont subi un infarctus du myocarde, permettent de favoriser la confiance et l’estime personnelle, la présente étude ne relève pas cet effet. Il est possible que les visites à domicile plutôt que les appels téléphoniques de l’infirmière créent une meilleure relation thérapeutique avec, comme résultat, l’amélioration de ces attributs.

La composante des connaissances et de la recherche de l’information évalue l’intérêt, le savoir et la compréhension. Par exemple, les personnes présentant des scores élevés dans cette sous-échelle disent connaître leur corps et son fonctionnement. De plus, elles sont intéressées à comprendre le processus de la maladie. Elles sont également captivées par l’information leur permettant de mieux prendre soin d’elles-mêmes. Puisque le score de cette sous-échelle est déjà relativement élevé au congé de l’hôpital, il est possible que les informations reçues durant la période d’hospitalisation et les explications apportées par l’infirmière au moment des épreuves d’effort soient suffisantes pour augmenter le niveau de connaissances et susciter l’intérêt à rechercher l’information, autant chez les participants au programme d’exercices que chez les sujets recevant les soins usuels.

L’engagement se démarque par une augmentation de l’énergie, une facilité à garder ses résolutions et le fait d’agir. Les individus qui passent à l’action sont proactifs et résolvent les problèmes avant que ceux-ci deviennent systémiques. Grâce à la randomisation des sujets de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993), les personnes qui sont plus motivées, plus actives physiquement et qui ont une attitude positive, de même que celles qui sont moins motivées, plus sédentaires et plus déprimées ont la même chance d’être réparties dans le groupe d’intervention que dans le groupe des soins usuels. Cependant, le profil d’activités des sujets du groupe de soins usuels confirme que certains individus entreprennent des marches quotidiennes et des randonnées à bicyclette ou s’inscrivent à un programme de conditionnement physique. De plus, les six femmes faisant partie de l’étude disent avoir repris des tâches domestiques aussitôt de retour à domicile. Le fait que certains sujets des deux groupes entament des activités similaires et que les scores de certaines sous-échelles de la capacité globale d’autosoin sont élevés au congé de l’hôpital peut expliquer le manque de différence entre les groupes pour ce qui est des composantes du concept de soi, des connaissances et de la recherche de l’information ainsi que de l’engagement.

Limites de l’étude

Considérant les scores relativement élevés selon l’échelle de la ESCA au congé de l’hôpital, peu d’amélioration de la capacité globale d’autosoin et de ses composantes est possible, même en présence d’une intervention infirmière intensifiée. Nous remarquons que les scores des sous-échelles équivalent respectivement, en moyenne, à 70 % et 86 % des scores totaux au congé et à la 8e semaine suivant le congé de l’hôpital. Bien que l’échelle de mesure de la ESCA continue d’être fréquemment utilisée auprès de clientèles diversifiées, il semble pertinent que les énoncés soient mieux adaptés à la population étudiée.

Une autre limite pouvant avoir influencé la validité interne de l’étude réside dans le fait que certains participants du groupe des soins usuels ont introduit des activités physiques sans directive ou supervision de l’infirmière. Aussi, certains sujets ont pu être influencés par le fait de participer à une étude et fournir les réponses en fonction de ce qui est valorisé socialement.

Implications pour la pratique infirmière

Le programme d’exercices à domicile suivi d’appels téléphoniques de l’infirmière de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) est suffisamment intense pour démontrer une augmentation précoce de l’initiative et de la responsabilité des personnes cardiaques, en ce qui a trait à leur engagement dans des activités favorables à leur réadaptation. Les résultats liés aux études antérieures auprès de personnes souffrant d’insuffisance cardiaque démontrent que les programmes de réadaptation cardiaque multidisciplinaires améliorent l’assiduité au traitement, la qualité de vie et la bonne utilisation des services de santé (Cline, Israelsson, Willenheimer, Broms et Erhardt, 1998; Fonarow et al., 1997; Hanumanthu, Butler, Chomsky, Davis et Wilson, 1997; Stewart, Pearson et Horowitz, 1998). Bien que les membres des autres disciplines aient été consultés pour développer l’intervention de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993), ils n’étaient pas impliqués dans son implantation. Adapter l’intervention en utilisant une approche multidisciplinaire tout en mettant l’accent sur les multiples aspects de l’autosoin pourrait procurer de meilleurs résultats.

Implications pour la recherche infirmière

L’échantillon de l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) était composé principalement d’hommes d’âge moyen et à faible risque de récidive cardiaque. Aucune donnée des non participants n’a été recueillie. Il est donc possible que les personnes cardiaques qui bénéficieraient le plus de cette intervention, telles les femmes, les personnes âgées et les personnes de couche sociale défavorisée, aient été exclues. Une étude de type qualitative pourrait explorer en profondeur les éléments de l’initiative et de la responsabilité qui aident les personnes cardiaques à se prendre en charge plus rapidement à la suite d’un infarctus du myocarde.

Une des limites de cette étude fait référence à la pertinence des énoncés de l’échelle de la Exercise of Self-Care Agency auprès des personnes qui ont subi un IM. Il serait donc opportun de les réviser par l’entremise d’une recherche de type psychométrique. Par exemple, en ce qui concerne l’aspect des connaissances et de la recherche d’information, il serait approprié de reformuler l’énoncé « Je recherche activement l’information pour prendre soin de moi- même» en le remplaçant par « Je recherche activement l’information pour entreprendre des activités physiques sécuritaires … pour diminuer mon apport en gras dans mon alimentation … pour mieux gérer mon niveau de stress … pour prendre mes médicaments cardiaques tel que prescrit … pour retourner plus rapidement à mes activités sociales ». Pour ce qui est du sous-concept de l’engagement versus la passivité, il serait pertinent d’adopter la formulation précise suivante : « J’adopte de sains comportements de santé pour prévenir une récidive cardiaque », au lieu de « Je néglige souvent de faire ce qui serait bon pour moi ». Un instrument de mesure adapté aux personnes ayant subi un infarctus du myocarde permettra à l’infirmière de mieux évaluer la capacité globale d’autosoin de cette population.

Conclusion

À la suite d’un infarctus du myocarde, le programme d’exercices à domicile et le suivi téléphonique de l’infirmière décrits dans l’étude de Robichaud-Ekstrand (1993) permettent d’accélérer la prise en charge et le retour aux activités antérieures pendant les huit premières semaines suivant le congé de l’hôpital. Bien que le programme d’exercices à domicile n’affecte pas la composante de l’initiative et de la responsabilité, celui-ci permet aux personnes ayant un plus faible niveau au précongé de l’hôpital, d’augmenter cette composante de façon plus précoce pour arriver aux mêmes résultats que les sujets du groupe de soins usuels. L’initiative et la responsabilité reflètent une meilleure attitude relativement à prendre soin de soi-même et un niveau de motivation accru pour adopter de sains comportements de santé. Le concept de soi, les connaissances et la recherche de l’information ainsi que l’engagement se sont améliorés dans les deux groupes durant la phase de récupération post-IM. Augmenter la capacité d’autosoin le plus rapidement possible est un objectif principal de la réadaptation cardiaque. Par conséquent, pour optimiser les résultats auprès des personnes qui ont subi récemment un infarctus du myocarde, une adaptation de l’échelle de la ECSA et une intervention multidisciplinaire sont recommandées.