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1. Introduction

L’Afrique a longtemps été un vaste champ d’expérimentation des différents modèles de gestion de faune sauvage connus à nos jours. Si ce continent est aux avant-postes des stratégies de conservation de faune sauvage, cela s’est fait au prix de nombreux conflits qui ont émaillé l’histoire des aires protégées. En effet, pendant et après la colonisation, les politiques de conservation ont favorisé l’établissement de parcs nationaux et d’aires protégées comme mesures idoines pour freiner la perte de la biodiversité et de la faune sauvage en particulier. Cela s’est traduit par la délocalisation pure et simple des populations rurales de leurs terroirs et par leur exclusion totale de l’exploitation des ressources naturelles (Haule et al., 2002 ; Johannesen et Skonhoft, 2005 ; King, 2007 ; Songorwa et al., 2000). Celles-ci ont alors perdu leurs terres de culture et de pâture au profit de la création d’aires protégées, et les lois anti-braconnages ont transformé leur chasse de subsistance en crime contre les animaux (Skonhoft, 1998). Cette attitude a été source d’aggravation de la pauvreté au sein des populations locales, et malgré les répressions, elle a engendré l’émergence d’un braconnage intensif de la part de ces dernières dans le cas des aires protégées de faune sauvage (Haule et al., 2002 ; Johannesen, 2007).

Durant les deux dernières décennies, les environnementalistes finalement convaincus de l’échec de cette approche dite « protectionniste » en Afrique, décidèrent d’associer les populations locales à la gestion de la faune sauvage et d’en faire des bénéficiaires (Gibson et Marks, 1995 ; Songorwa et al., 2000) : c’est ce qui a été appelé la « gestion participative ». Cette nouvelle approche est une forme de partenariat permettant aux différents acteurs impliqués dans la sauvegarde de la nature de se partager les fonctions, les droits et les responsabilités de la gestion d’un territoire (M’Bete, 2003). Pour des auteurs tels que Ostrom (1990), c’est le seul gage d’une gestion durable de la faune sauvage.

Dans cette optique, le tourisme cynégétique ou chasse sportive s’est révélé comme étant le meilleur moyen de valoriser la faune au profit des populations et s’est imposé en Afrique Subsaharienne depuis la fin des années 80 comme un outil majeur des programmes de gestion participative de la faune sauvage (Roulet, 2007). L’Est de l’Afrique fut particulièrement pionnier dans cette approche avec notamment des programmes de référence tels que Campfire et Admade, respectivement au Zimbabwe et en Zambie. L’Afrique centrale et occidentale ont suivi dans cette voie, beaucoup plus récemment. Toutefois, la notion de gestion participative n’est pas exempte de cas d’échecs ni de reproches. D’abord trop lourds à mettre en oeuvre, les programmes participatifs selon Ballet (2007), ne tiennent pas toujours bien compte du contexte dans lequel ils évoluent : comportements opportunistes des acteurs en présence, hétérogénéité et dépendance des populations locales vis-à-vis de la ressource naturelle, etc.

Le Burkina Faso reste le seul pays d’Afrique occidentale où la gestion cynégétique de la faune sauvage par les populations locales est légale (Vermeulen, 2004). Les textes de lois prévoient en effet la possibilité pour les populations de délimiter sur leur terroir des zones dévolues à la chasse commerciale, d’y faire venir des chasseurs et de rétrocéder à l’État la part des recettes qui lui est due (Ibid.). Le Ranch de Gibier de Nazinga (RGN) dans le sud du pays fut à cet effet l’un des premiers à servir de cadre d’expérience à la gestion cynégétique villageoise au Burkina Faso. Il s’est fixé pour mission d’assurer à travers un modèle de gestion participatif la survie de la faune sauvage[1] dans son habitat, tout en démontrant la possibilité de l’exploiter rationnellement et de manière soutenue au profit des populations riveraines. Plus d’une décennie après son entrée en fonction, il apparait donc opportun de vérifier si les actions entreprises par le RGN au profit des riverains sont de nature à favoriser la protection de l’écosystème par ces derniers.

Le présent article a pour principal objectif d’examiner l’environnement socioéconomique dans lequel évoluent les populations riveraines du RGN. Il s’agira de relever les changements structurels engendrés par le modèle de gestion du RGN dans les villages riverains d’une part et, d’autre part, d’identifier les impacts socioéconomiques du RGN sur les populations riveraines tout en explorant concomitamment les perceptions qu’elles se font de ces impacts.

La méthode qualitative de recherche ayant guidée notre démarche est explicitée dans la section suivante. Ensuite, nous présentons le projet Ranch de Gibier de Nazinga. Les résultats de nos travaux de recherche et la conclusion viennent compléter le contenu de cet article.

2. Méthode

Notre recherche s’est effectuée sur la période d’avril à mai 2003 dans les villages de Wallem, Sya et Koumbili, choisis sur la base de leur positionnement géographique et de leur démographie[2]. La recherche est de nature exploratoire. En effet, face à l’absence de données socio-économiques locales clés (telles que le revenu moyen/habitant/village, l’indice de pauvreté par village, les indicateurs sanitaires, etc., qui nous auraient permis d’effectuer une analyse comparative ante et post création du RGN) sur la zone d’étude, et à la difficulté d’obtenir des données secondaires statistiques sur les investissements matériels et immatériels du RGN au profit des villages riverains, nous avons choisi de nous limiter à une démarche qualitative. Elle a consisté d’une part, à la réalisation d’entretiens semi-structurés individuels avec les agents du RGN et les chefs coutumiers de chaque village puis, d’autre part, à l’organisation de groupes focus uniquement avec les riverains.

Les entretiens se sont déroulés en deux phases : la première fut une prise de contact avec les acteurs pour nous enquérir du contexte et avoir l’autorisation pour la conduite de notre recherche. La seconde phase -l’enquête à proprement dite - fut consacrée à l’identification des changements structurels induits par le RGN dans les villages riverains.

Les groupes focus au nombre de deux par village, soit l’un (exclusivement masculin) avec les membres des Comités Villageois de Chasse (CVC) et, l’autre (exclusivement féminin) avec les membres des Groupements Féminins de Pêche (GFP), ont servi de cadre à l’évaluation des impacts et des perceptions socioéconomiques. Chaque groupe focus a regroupé huit à dix personnes invitées à s’exprimer particulièrement sur les avantages et inconvénients de vivre à proximité du RGN, les interactions entre le RGN et les populations, leurs doléances, etc.

Enfin, nous avons eu recours à la traditionnelle revue de littérature pour étayer notre argumentation.

3. Le projet Ranch de Gibier de Nazinga

3.1 Localisation

Le RGN fut créé en 1979 grâce à l’initiative de l’Association Canadienne pour le Développement et l’Élevage de la Faune Africaine (ADEFA), conjointement avec l’État burkinabè. Mais ce n’est qu’à partir de 1989 qu’il fut transformé en projet avec dorénavant une emprise totale de l’État du Burkina Faso. En 2000, le décret n°2000-0923/PRES/PM/ MEE fit de ce ranch qui couvrait alors une superficie de 91 000 hectares, une forêt classée désormais appelée « Ranch de Gibier de Nazinga ».

Le RGN est localisé dans le sud du pays, à 202 km de la capitale (axe Ouagadougou-Pô-frontière du Ghana) et s’étend sur les provinces du Nahouri et de la Sissili, tout en ayant sa limite sud frontalière avec le Ghana. La faune du Nazinga est caractérisée par une densité relativement forte qui en fait incontestablement l’aire protégée la plus riche du Burkina, et l’une des plus riches et des plus étudiées d’Afrique de l’Ouest (Sournia, 1998). Le RGN fascine tant par sa diversité faunistique que floristique : on y dénombre plusieurs espèces végétales, une centaine d’espèces mammifères (éléphant, hypotrague, cob de bufon, bubale, guib harnaché, phacochère, etc…) et plus de 290 espèces d’oiseaux. Ces animaux vivent dans une savane arborée bénéficiant de la richesse des sols, de la douceur du climat, de nombreux marigots et mares (en plus de onze retenues d’eaux aménagées à l’intérieur du ranch), sans oublier une pluviométrie abondante répartie sur cinq mois (900 mm par an dans la province du Nahouri).

3.2 Le contexte socioéconomique

Dix villages riverains entourent le RGN, et sont répartis comme suit : sept dans la province du Nahouri (Wallem, Saro, Koumbili, Boassan, Sya, Natiédougou, Kountiéro) et trois dans la province de la Sissili (Boala, Tassyan, Kounou). Les populations qui y vivent sont très peu nombreuses, seulement 2565 personnes pour l’ensemble des dix villages selon les données des préfectures de Bieha et Guiaro. Les principales activités pratiquées sont l’agriculture, l’élevage et, dans une moindre mesure, la pêche, la chasse, et le petit commerce. Les autochtones dans l’ensemble des dix villages sont d’ethnies Gourounsis (Kasena et Nuni), mais de fortes émigrations[3] ces dernières années tendent à les rendre minoritaires.

Afin d’intéresser ces différents groupes à la conservation de la faune sauvage, le RGN a conçu un modèle de gestion censé réduire, voire anéantir, le braconnage.

3.3 Le modèle de gestion de la faune sauvage du RGN

Avant 1989, l’accent était mis sur l’aménagement du milieu et la lutte intensive contre le braconnage (Sournia, 1998). Avec l’avènement du concept de gestion participative en Afrique, le RGN s’est inscrit dans cette tendance. Dans ce cadre, des engagements non contractualisés ont été pris entre les acteurs en 1989. Le principe était le suivant : le RGN associé à un guide de chasse (un opérateur privé) par un protocole d’accord recrute des clients chasseurs et leur propose différents safaris sur les Zones Villageoises de Chasse (ZVC). Les actes de chasse ainsi pratiqués devaient générer des revenus aux villages concernés à titre de compensation et d’incitation à la conservation des ressources fauniques.

Les ZVC sont des portions de la forêt Nazinga (à l’extérieur du domaine du RGN) mises à la disposition de chaque village par l’État et gérées par les membres du village par l’intermédiaire d’un CVC. Lorsqu’un guide de chasse désire exploiter une ZVC, il doit s’acquitter des frais d’amodiation (ou taxe d’exploitation de la ZVC), puis au cas où un animal est abattu, il se voit imposé une autre taxe appelée « taxe d’abattage ». Les recettes issues de ces taxes sont reversées par le RGN en totalité (frais d’amodiation) ou en partie (taxe d’abattage) au CVC qui gère la ZVC concernée. En outre, les ¾ de la venaison issue des opérations cynégétiques au sein des ZVC ou encore les recettes issues de la vente de cette venaison doivent revenir aux CVC concernés. Enfin, le guide de chasse se doit aussi, en conformité avec le protocole d’accord sur l’exploitation des zones cynégétiques, d’accorder dans la mesure du possible une priorité aux populations riveraines pour tous les postes à faible et moyenne qualification technique. Il s’agit entre autre des postes de pisteurs, porteurs, etc.

Le RGN s’est aussi attaché les services d’un guide de pêche en vue de l’exploitation piscicole de ses nombreux lacs et marigots. Les accords prévoient qu’une partie du poisson capturé par les clients du guide de pêche soit restituée au RGN, qui le vendra à son tour à un prix préférentiel aux GFP villageois. Concomitamment à tous ses éléments du protocole d’accord, les riverains bénéficient de droits d’usages (cueillette et ramassage de bois morts, plantes et fruits) dans le RGN. Ils n’ont cependant aucun droit d’abattage sur les animaux et doivent s’acquitter en ce qui concerne la pêche d’un permis de pêche payant[4].

4. Résultats

L’analyse des résultats tient compte séparément de deux aspects fondamentaux, à savoir les aspects sociaux, et ceux économiques. Ces aspects sont eux-mêmes abordés conformément à nos objectifs.

4.1 Les changements structurels sociaux

Les premiers changements sociaux intervenus et imputables au RGN se présentent sous forme institutionnelle, par l’émergence de nouvelles structures ou organisations au niveau du village. Les CVC et les GFP sont des structures respectivement créées ou renforcées par le RGN. Les GFP, bien qu’existant avant 1989 dans la plupart des villages, n’avaient pas d’objectifs clairs (car on y faisait un peu de tout) et fonctionnaient sur la base de la solidarité. Le RGN a d’abord réorganisé ces GFP à raison d’un par village et leur a ensuite procuré une reconnaissance légale (récépissé d’existence et mise en place d’un bureau). Depuis l’an 2000, les GFP se sont aussi vu assigner des objectifs clairs par le RGN, à savoir la transformation et la commercialisation du poisson. Le principe est le suivant : le RGN livre du poisson aux GFP qui l’achètent à bas prix, puis le transforment en poisson fumé pour le revendre.

De même, les membres des CVC ont reçu la responsabilité de la protection et la valorisation de leur ZVC et se doivent de participer à la conservation des ressources fauniques.

La création ou la redynamisation de ces structures par le RGN a contribué incontestablement à accroître le niveau de compétence de leurs membres. En effet, ceux-ci ont bénéficié de voyages d’études et d’une formation en élaboration de projets et en comptabilité de gestion, et notamment pour ce qui est des GFP, de nombreuses formations sur la transformation et la commercialisation des produits de la pêche.

Sur le plan infrastructurel, plus de 588 km de routes et de pistes ont été construites à l’intérieur comme à l’extérieur du RGN grâce à ses partenaires financiers (notamment le Programme des Nations Unies pour le Développement), facilitant ainsi l’accès aux différents villages. Ces voies sécurisées par les gardes forestiers sont très empruntées par les populations locales des provinces du Nahouri et de la Sissili pour des voyages inter et intra régions. D’autres réalisations ont été supportées par le RGN au niveau de certains villages en 2000. Il s’agit notamment de la réparation des pompes d’eau des villages de Sya et de Saro ainsi que de la réfection des tables et bancs de l’école de Sya. À cela, il faut ajouter en 2002, les dons d’une bicyclette et de trois bancs à chaque CVC de village, ainsi que des dons de pièces de rechange de forage pour les villages de Kounou et Natiédougou. En outre, chaque GPF a reçu un lot de matériel d’exploitation, composé de charrettes, balances, etc.

L’apport social du RGN aux villages riverains s’observe aussi sur le plan sanitaire par l’administration gratuite de soins de première nécessité aux populations riveraines, ainsi que par l’évacuation gratuite des malades ou blessés graves vers l’hôpital de la ville de Pô. En définitive, hormis ces actions ponctuelles, nous n’avons pas décelé aussi bien dans le protocole d’accord que dans nos entretiens une réelle stratégie de développement social locale au profit des villages riverains.

4.2 Les changements structurels économiques

Sur le plan économique, la stratégie de développement local adoptée par le RGN repose exclusivement sur la gestion de la faune sauvage. Ainsi, des opportunités économiques en relation avec la faune sont offertes aux populations riveraines à titre d’incitations à la conservation.

Les contrats

Les riverains participent au bon fonctionnement des activités du RGN grâce à des contrats d’embauche qui leur sont exclusivement destinés pendant la saison de chasse. Deux types de contrats d’emploi sont offerts : les emplois permanents et les emplois temporaires.

Les emplois permanents durent toute la saison de chasse, en général début décembre à fin mai. Ceux qui en bénéficient reçoivent un salaire mensuel minimum de base de 36 511 FCFA[5] et sont assurés à la caisse nationale de sécurité sociale. Ces emplois au nombre d’une vingtaine (pour l’ensemble des dix villages riverains) concernent les postes de pisteurs de chasse, guides touristiques, cuisiniers, gardiens, réceptionnistes, pisteurs de lutte anti-braconnage, serveurs, garçons de chambre, etc.

Les emplois temporaires ou ponctuels par contre, portent sur l’aménagement de l’habitat et de la faune à savoir : l’ouverture et l’entretien des pistes principales et périmétrales, la signalétique, l’hydraulique faunique grâce à la création, la réfection et l’entretien des points d’eaux, la gestion des pâturages et des brûlis, etc. La réalisation de ces travaux a mobilisé au cours de l’année 2002, 4915 hommes-jours pour une masse salariale totale de 9 315 148 FCFA. À cet effectif, il faudrait ajouter les six cent soixante seize (676) hommes-jours engagés au cours de la même année pour les activités d’inventaires, représentant une masse salariale de 2 090 000 FCFA.

Les comptes d’épargne

D’après les agents du RGN, chacun des 10 villages riverains a bénéficié dès 1989 d’un compte d’épargne avec un solde d’ouverture de 50 000 FCFA, soit une masse monétaire totale de 500 000 FCFA. Ces comptes appelés Fonds d’Intérêts Collectifs (FIC) étaient censés être gérés par les CVC et alimentés saisonnièrement par les frais de pistages, taxes d’abattage, et frais d’amodiation prélevés sur leurs ZVC afin de financer leurs activités communautaires de développement socio-économique. Mais comme l’a souligné Vermeulen (2002), les riverains ont été complètement exclus par le RGN de la gestion de ces comptes, qui par ailleurs étaient sous alimentés. Le tableau 1 illustre ce disfonctionnement.

Tableau 1

Montants des recettes villageoises relevés sur les comptes d’épargne immobilisés durant 11 années (après 1989) sous couverts de l’administration du RGN

Montants des recettes villageoises relevés sur les comptes d’épargne immobilisés durant 11 années (après 1989) sous couverts de l’administration du RGN
Source Vermeulen (2002)

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4.3 Impacts et perceptions des avantages sociaux

Si l’évaluation des impacts sociaux permet la prise en compte des enjeux sociaux soulevés par la mise en oeuvre d’un projet, elle est aussi considérée comme l’une des voies permettant aux populations d’exprimer leurs opinions (Mengue-Medou et Waaub, 2005). Par conséquent, l’étude des perceptions est aussi très utile dans la mesure où ce qui est ressenti comme un impact positif par l’une des parties, ne l’est pas forcément pour l’autre.

Dans la société Kaséna, la femme jouit d’un statut respectable. Elle dispose d’une autorité particulière à l’intérieur de la maison et participe énormément aux échanges économiques et culturels essentiels à la survie de sa communauté (Kibora, 2003). Malgré cette place de choix, les femmes qui ont participé aux groupes focus soulignent le rôle important joué par le RGN dans leur émancipation. Formées et considérées au même titre que les hommes par l’administration du RGN, elles reconnaissent que cela leur vaut encore plus de respect de la part de leurs époux. Les femmes participent désormais aux réunions de village et leurs avis sont régulièrement sollicités. Elles conviennent que la présence de femmes salariées au sein de l’administration du RGN a été un facteur d’émancipation au niveau local car, cela se traduirait aujourd’hui par une scolarisation de plus en plus accrue des filles. Les femmes rencontrées évoquent enfin une propension à l’augmentation de la taille de leur ménage. Selon elles, les opportunités de contrats offertes par le RGN suscitent un optimisme de lendemain meilleur auprès de leurs époux. À Sya par exemple, elles affirment ne plus craindre l’accouchement car en cas de complications ou de difficultés, les services sanitaires du RGN procèdent à l’évacuation gratuite vers la ville de Pô.

De façon générale, les riverains ayant pris part aux différents groupes focus déclarent se sentir en sécurité grâce à l’action des gardes forestiers. En effet, en luttant contre le braconnage et les coupeurs de bois, les forestiers ont apporté parallèlement et involontairement un mieux être sécuritaire qui se manifeste selon les riverains par la réduction des actes de banditisme (vol de bétail et d’animaux domestiques, délinquance, etc.). Le désenclavement des villages par la construction des routes et pistes est aussi ressenti par les riverains comme un soulagement. Du fait de la meilleure accessibilité, les villages sont dorénavant très visités par les touristes du RGN et même par les nationaux. Ce désenclavement aurait entraîné selon les riverains une baisse de l’exode rural parce que les nombreuses visites touristiques dans leurs villages ont engendré au niveau local un fort sentiment d’estime et de valorisation de leur patrimoine culturel. Ainsi, les jeunes rechignent de plus en plus à aller en aventure vers le Ghana et la Côte d’Ivoire et préfèrent s’investir dans la recherche d’opportunités avec les touristes ou de contrats d’emplois au sein du RGN.

Au plan religieux, bien que l’animisme et le culte des sacrifices soient encore dominants, quelques riverains (à Sya et Koumbili notamment) affirment s’être convertis au christianisme grâce à la présence d’une église protestante au sein du RGN.

Si sur le plan institutionnel, les nouvelles organisations (CVC et GFP) ont été aussitôt adoptées par les riverains, ceux-ci par contre, critiquent certains instruments mis en place par le RGN dans le cadre de sa gestion de la faune sauvage. La création de ZVC par exemple ne fait pas l’unanimité puisqu’elles s’opèrent au détriment de l’agriculture par l’occupation de vastes terres arables. En outre, les ZVC seraient selon les riverains à l’origine de certains conflits inter-villages (Koumbili et Boassan notamment) parce que les limites ne sont pas correctement matérialisées ou respectées de part et d’autre. En réalité, comme nous l’avons constaté, il n’y a pas de bornage précis des ZVC, si bien que certains riverains s’estiment aussi parfois accusés à tort d’actes illégaux comme la coupe d’arbres.

Les riverains se sont surtout montrés très déçus par l’insuffisance criante d’infrastructures sociales de base dans leur village (Tableau 2) telles que les centres de santé, d’éducation, les ouvrages hydrauliques, etc., qui pourtant leurs auraient été promises par l’autorité du RGN. Leur déception s’est transformée en amertume au fil du temps et a fini par créer un climat général de frustration qui a conduit à un braconnage intensif à l’intérieur du RGN (Vermeulen, 2002). Aujourd’hui chacun des deux protagonistes (riverains et agents du RGN) déclare ouvertement sa méfiance vis-à-vis de l’autre (Ibid.).

Tableau 2

Synthèse des infrastructures socio-économiques existantes dans les dix villages riverains

Synthèse des infrastructures socio-économiques existantes dans les dix villages riverains
Ouedraogo (2003)

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Quoi qu’il en soit, et après 13 années de fonctionnement du RGN, aucun des dix villages riverains n’a bénéficié de la construction d’infrastructures sociales de base grâce au RGN ou à ses partenaires financiers, excepté le village de Sya en ce qui concerne son école. À Wallem, les enfants doivent toujours parcourir 13 km pour aller à l’école dans un autre village et ; à Koumbili, village situé à 37 km de la ville de Pô, il n’y a toujours pas d’infrastructures sanitaires.

4.4 Impacts et perceptions des avantages économiques

Même si les riverains perçoivent globalement l’importance des retombées financières que peuvent générer l’exploitation de leurs ZVC, ils sont tout aussi sceptiques – pour plusieurs raisons – à l’égard de la qualité du modèle de gestion de la faune sauvage pratiqué par le RGN. D’abord, la rareté des expéditions de chasse dans les ZVC empêche la réalisation des profits escomptés conformément au protocole d’accord avec le guide de chasse. De l’aveu même des agents du RGN et confirmé par Vermeulen (2002), la chasse safari s’est en effet presque exclusivement déroulée sur la période 1990-2001 à l’intérieur du RGN et au dépens des ZVC[6]. Cette mise à l’écart s’est traduite naturellement pour les riverains par une absence de retombées financières mais aussi de carcasse de viande. Les riverains estiment par conséquent supporter le coût réel de la conservation sans pour autant obtenir de bénéfices substantiels. Les contrats d’embauche au RGN soulagent certes leur misère, mais ils émettent quelques réserves quant à la capacité de ces contrats à couvrir les coûts réels qu’ils endurent. En effet, les riverains considèrent que les contrats permanents sont en nombre très insuffisants (en moyenne 2 hommes par village), et jugent assez faible la rémunération sur les contrats temporaires (travaux d’aménagements). Les femmes particulièrement, déplorent l’absence de contrats à vocation féminin tels que le lessivage, le nettoyage, etc.

La transformation et la commercialisation du poisson à travers les GFP font aussi l’objet de vives critiques de la part des femmes. Cette activité semble ne plus rencontrer l’assentiment des GFP de Wallem et Sya. Les femmes de ces villages évoquent le désir de suspendre une telle activité qui, selon elles, aurait pu être lucrative mais ne l’est pas pour plusieurs raisons. La première serait liée à la rareté des livraisons effectuée par le RGN (les GFP de Wallem et Sya n’ont enregistré jusque là chacun, que deux livraisons depuis leur création). La seconde raison fait mention de livraisons de poissons non adaptés comme la carpe par exemple. Cette espèce de poisson perd une grosse partie de son poids après séchage et fumage ; ce qui parfois conduit à une perte économique puisque la masse de poisson achetée n’est pas celle revendue. Enfin la troisième raison et la plus évoquée et controversée, remet tout simplement en cause le système de pêche appliqué par le RGN. En effet, les femmes dans leur globalité s’insurgent contre l’interdiction qui leur est faite de pêcher[7]. Selon elles, la levée de cette interdiction leur éviterait non seulement de supporter le coût d’achat du poisson, mais surtout de faire face aux pertes économiques en cas de revente ou de mévente. À défaut de leur permettre de pêcher le poisson, les femmes souhaiteraient qu’il le leur soit livré gratuitement par le RGN et que soit imposé au guide de pêche (comme dans le cas du safari chasse) une taxe d’exploitation des cours d’eaux au profit des GFP.

Enfin, la faune sauvage du RGN crée des dommages particulièrement dévastateurs aux populations riveraines. Ces populations étant essentie-llement agricoles, elles produisent d’abord pour l’autoconsommation, le surplus étant quelques fois commercialisé. Malheureusement, les dégâts d’éléphants dans les champs agricoles pendant l’hivernage perturbent grandement ce processus, à tel point que les riverains éprouvent désormais d’énormes difficultés à se nourrir, encore plus à faire du commerce. Cette situation est d’autant plus frustrante qu’il n’y a jamais eu de dédommagements financiers faits par le RGN suite à ces dégâts agricoles. Les riverains réclament donc une indemnisation financière pour ces dégâts d’animaux et accusent les agents du RGN d’accorder plus de d’importance à la faune sauvage qu’à l’espèce humaine.

5. Conclusion

Il est évident que sur ses treize premières années d’existence, le modèle de gestion de la faune sauvage pratiqué par le RGN a considérablement bouleversé de façon positive l’environnement socioéconomique des villages riverains. Toutefois, cet environnement est instable au vu de la cohabitation difficile qui subsiste entre les agents du RGN et les populations riveraines. En fait, la méfiance toujours observée de part et d’autre des acteurs en présence, témoigne en réalité de l’incapacité actuelle du modèle de gestion du RGN à induire un véritable développement local durable. Cette incapacité n’est pas seulement liée à la nature du modèle en question mais aussi au non respect des clauses de celui-ci. Par exemple, le modèle de gestion du RGN ne propose pas encore de réelles alternatives économiques aux potentiels braconniers que sont les riveraines eux-mêmes. Hormis le projet GEF Nazinga pour « la promotion de l’apiculture moderne » dans les villages de Sya, Kountioro et Wallem, il n’y a pas de microprojets pour l’apprentissage de nouveaux métiers ni pour l’amélioration des systèmes de production agricole ou pastorale. En outre, l’inexploitation des ZVC par le guide de chasse du RGN et partant l’exclusion des riverains des flux financiers a été un puissant facteur de démobilisation de ces derniers dans la conservation de la faune sauvage ; ce d’autant plus que l’utilisation de la terre à but agricole procure selon Roulet (2004) de meilleures revenus[8]. L’instabilité du personnel administratif du RGN est aussi un facteur limitant pour des actions devant s’inscrire dans la durée[9].

L’augmentation du braconnage confirme si besoin en était les insuffisances du modèle RGN et les attentes non comblées des riverains. En effet, l’attitude des populations envers les programmes de conservation de leurs ressources naturelles étant généralement liée aux bénéfices qu’elles perçoivent, il est logique de s’attendre à ce que ces dernières développent au fur du temps une certaine hostilité si elles estiment ne pas recevoir de bénéfices significatifs (Mehta et Heinen, 2001). Notre recherche révèle que les principales doléances des riverains ont trait à la fourniture d’infrastructures sociales de base (sanitaires, éducatives, etc.) et au dédommagement financier des dégâts agricoles causés par les éléphants. Une première étape pour avoir leur adhésion et participation à un modèle de gestion d’aires protégées (et de faune sauvage en particulier) serait de mettre en place des mesures réglant d’abord ces problèmes, les sortir de la dynamique de survie de court terme qui est la leur, afin qu’ils puissent intégrer des préoccupations de long terme comme la conservation. Ensuite, les populations riveraines doivent être perçues comme des partenaires et en tant que tels, associées au diagnostic, à l’identification, à la mise en oeuvre et au suivi des actions de conservation. Toutes ces recommandations ne sauraient cependant être un succès sans l’adoption par le RGN d’une véritable stratégie d’éducation environnementale tenant compte du contexte socioculturel local.