Comptes rendus

Gérard Bouchard (2019). Les nations savent-elles encore rêver? Les mythes nationaux à l’heure de la mondialisation. Montréal : Éditions du Boréal. 440 pages[Record]

  • Laurence Arrighi

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  • Laurence Arrighi
    Université de Moncton

Étendre au domaine des mythes nationaux une démarche d’analyse élaborée pour l’étude générale des mythes sociaux (voir Raison et déraison du mythe, 2014) est l’objectif initial de l’ouvrage du sociologue et historien saguenéen, Gérard Bouchard. Il s’agit également, situations empiriques à l’appui, de montrer comment, « en tant qu’assise principale du fondement symbolique de toute collectivité, les mythes contribuent à structurer et à orienter le destin des nations » (p. 7). Enfin, et on reconnaitra là le coprésident de la commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, l’auteur entend participer à la réflexion sur l’état actuel des cultures nationales et sur leurs avenirs possibles en contexte de mondialisation. Fort d’une érudition dont le penseur québécois a su faire sa marque, c’est une variété de cas qui nous est présentée ici. Paradoxalement, cette diversité conduit en apparence à la mise au jour de structures formelles similaires de nation en nation. Toutefois, ce qu’il y a de plus commun actuellement entre les nations dans ce « monde renouvelé que nous promettent les nouvelles technologies et le capitalisme planétarisé qu’ont engendré le néolibéralisme et les bouleversements sans précédent qu’il entraine » (p. 8), c’est qu’elles auront à résister face à des forces, nous dit Bouchard, qui cherchent à les détruire. Et, dans l’hypothèse de leur survie, elles devront nécessairement s’adapter. Structurellement, Les nations savent-elles encore rêver? se présente en huit chapitres que l’on peut rassembler en trois parties distinctes, même si cette répartition n’est pas formellement opérée dans l’ouvrage. Les deux premiers chapitres sont consacrés à la théorisation. C’est essentiellement au chapitre 1 que la conception même du mythe est discutée. S’ensuit, au chapitre 2, l’exposition d’exemples historiques lointains géographiquement et temporellement (l’Allemagne, la Serbie, la Suisse, etc.) et une typologie des diverses formes sous lesquelles les mythes nationaux peuvent se présenter (situation d’agrégat, d’antinomie, d’archémythe, etc.). Avec les chapitres suivants (3 à 6), on entre dans des aperçus empiriques plus approfondis, centrés respectivement sur les États-Unis, l’Acadie, le Canada anglais et le Québec. Bouchard propose un survol (c’est le terme qu’il emploie) du parcours culturel de chacune de ces nations. Ce survol s’étend d’un moment tenu pour fondateur : le 17e siècle pour les États-Unis, le 18e siècle pour l’Acadie, les années 1960 pour le Canada, 1770 pour le Québec, jusqu’aux années récentes. Le parcours s’effectue sous « l’éclairage du mythe et du processus de mythification centré sur la sacralisation des valeurs, en quoi [l’essayiste voit] l’axe principal de tout imaginaire collectif dans ses rapports avec les coordonnées sociales. » (p. 115) Pour chaque cas, l’auteur nous propose de comprendre comment les mythes nationaux ont opéré et opèrent encore, il nous invite également à une réflexion sur la façon dont ces sociétés composent avec les changements induits par le néolibéralisme, les courants culturels transnationaux, la diversification ethnoculturelle et l’émergence de modes de gouvernance internationale qui sont, pour l’auteur, les quatre dimensions les plus fondamentales de la mondialisation. Je m’arrête un peu sur chaque cas. Dans « L’American Dream ou la crise d’un imaginaire national » (chapitre 3), Bouchard souligne les accrocs dans le rêve : comportement de décrochage social d’une large part de la société, rupture du lien de confiance envers les institutions et les élites, montée du sentiment d’exclusion et d’impuissance. Or, il rappelle de façon concomitante que d’autres facteurs jouent en faveur du mythe : les puissants appuis culturels qui continuent à en faire la promotion, l’idée d’une société nouvelle en perpétuelle renaissance, l’attrait de l’argent et la confiance dans les capacités créatives de l’individu. Autant d’éléments qui devraient conduire à un diagnostic …

Appendices