Recensions et comptes rendusThéologie

Emmanuel Durand, Les émotions de Dieu. Indices d’engagement. Paris, Cerf, 2018, 14 × 21,5 cm, 293 p., ISBN 978-2-204-13065-3[Record]

  • Matthieu Dabrowski

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  • Matthieu Dabrowski
    Études supérieures – Théologie, Collège universitaire dominicain, Ottawa

Composé en six chapitres, le livre d’Emmanuel Durand aborde un sujet difficile, mais très stimulant, celui des émotions relativement au mystère de Dieu. En choisissant de traiter ce sujet, l’auteur se charge d’une mission complexe, car les émotions font partie de « l’épaisseur de notre chair » (p. 7) ; en outre, l’instabilité qui les caractérise généralement conduit le travail du théologien dans un « champ si incertain » (p. 7). S’il est évident que les émotions interviennent dans la plupart des activités humaines, cela ne va pas de soi en ce qui concerne Dieu. Dès le premier paragraphe de l’introduction, il y a l’idée que le théologien ferait bien de ne pas entrer dans le domaine des émotions, « si Dieu ne s’y était pas lui-même investi. » (p. 7) Le travail sur les émotions divines est donc présenté comme une exigence de la Révélation chrétienne. Le livre montre à quel point la raison gagne à se laisser bousculer pour ainsi dire par la Révélation, cette raison qui est portée à enfermer Dieu tantôt dans la dégradation des émotions tantôt dans l’indifférence de l’apathie. Tout au long des chapitres, l’auteur fait voir comment la Révélation purifie les représentations anthropomorphiques inspirées des explications populaires ou des fantasmes philosophiques. Le premier chapitre montre que le travail rationnel n’est pourtant pas exclu de la compréhension des émotions divines. La purification de la raison n’est pas synonyme d’expulsion ; en effet, celle-ci demeure indispensable comme outil pour interroger les sources de la Révélation chrétienne. Cela est visible dans le fait que le premier chapitre, « Les émotions humaines ont-elles une signification essentielle ? », propose un parcours historique portant sur la manière dont les passions ou les émotions ont été considérées dans la philosophie, la phénoménologie et la psychologie expérimentale. Ainsi, avant de faire un commentaire sur les Écritures et la Tradition, ce qui est l’objet des cinq autres chapitres du livre, l’auteur rassemble quelques grands noms de l’histoire de la pensée. De la critique d’Augustin touchant la conceptualisation stoïcienne des passions, l’auteur retient que l’apatheia n’est pas de ce monde. Le calme absolu sans le trouble des émotions n’est pas le signe d’un haut niveau moral : « N’avoir aucune passion serait le signe, non d’une excellence, mais d’une infirmité : une insensibilité de l’âme, comparable à la stupeur (stupor) du corps. » (p. 45) Cette remarque sera d’une importance considérable lorsqu’il s’agira, au chapitre 6, de commenter les émotions en lien avec l’humanité du Fils de Dieu. Pour apprécier avec justesse les émotions dans la vie humaine, il faut résister à l’attrait que peut représenter l’apatheia philosophiquement. L’auteur s’approprie ce trait de l’anthropologie d’Augustin, soit l’indétermination morale des émotions avant que ne s’y mêle la volonté. En conséquence, il revient à la volonté de s’investir dans les émotions pour leur attribuer une valeur bonne ou mauvaise. Ce point de départ est très important dans l’étude, car il oriente la recherche à partir d’un modèle moral. Après Augustin, l’auteur poursuit son survol historique en élargissant la perspective à partir de grands penseurs comme Thomas d’Aquin, Descartes, Humes et Sartre. L’enquête préliminaire débouche sur une hypothèse dont la perspective morale apparaît dans le mot « engagement » : Cette hypothèse dégage la signification des émotions du côté des humains, mais l’auteur espère aussi s’en servir pour interpréter les émotions du Dieu biblique. Le deuxième chapitre, intitulé « Dieu éprouve-t-il une passion d’amour ? », permet une première vérification de l’hypothèse. Cette étape est moins ardue que celles qui viendront ensuite puisque la passion étudiée, l’amour, est moins problématique que …