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Maître Eckhart, lecteur des Pères latins se situe dans le cadre d’un projet intitulé « ANR - 17 - FRAL – 0002 TEAPREA (Teaching and Preaching with Patristic auctoritates. Meister Eckhart in France and Germany, past and present) ». Dans sa brève Présentation, l’éditrice écrit : « Nous menons cette recherche, de manière systématique, en réalisant un index des citations patristiques dans l’oeuvre d’Eckhart. » Or cet index ne fait que signaler les pages où les contributeurs de ce volume mentionnent les Pères ; un index des écrits des Pères rapportés par Eckhart aurait été également utile.

Dans son texte suivant, un texte général sur la place des Pères dans l’oeuvre d’Eckhart, Vannier nous dit d’ailleurs : « Si certaines sources patristiques d’Eckhart sont identifiées dans l’édition Kohlhammer [Die deutschen und lateinischen Werke], d’autres demandent encore à l’être. » Elle ajoute que c’est là justement le projet ANR ; cependant, à en juger par ce volume-ci et par un suivant, qui portera, annonce-t-elle, sur les sources patristiques grecques d’Eckhart, il semble qu’un index des écrits des Pères cités par Eckhart ne soit pas une priorité immédiate pour les directeurs de ce projet.

Les Pères latins discutés ici sont : Ambroise, Hilaire de Poitiers, Isidore de Séville, Jean Cassien, Jérôme, Vincent de Lérins et Augustin. Ce dernier est le Père le plus cité par Eckhart (généralement sans donner le nom, évidemment, comme les autres médiévaux le faisaient) et est donc l’objet de nombreuses études dans ce volume. Comme Vannier le note, Augustin et Eckhart étaient tous deux grands lecteurs de l’Écriture.

Comme je le faisais remarquer dans des recensions antérieures d’autres ouvrages de Vannier, cette édition-ci comporte certains jugements faux, par exemple : nier, comme elle le fait, que Eckhart était néoplatonicien (p. 9), n’est-ce pas nier également qu’Augustin était néoplatonicien ? (Comme on se le rappellera, Augustin avait absorbé de bonnes doses de platonisme à travers Cicéron et Victorinus, ce dernier ayant traduit des extraits des Ennéades en latin ; voir Les Confessions, passim.) Cette édition-ci se caractérise aussi par une certaine négligence. Juste un exemple parmi bien d’autres : « Celle [la bibliothèque] du couvent des Dominicains, récemment terminé » (p. 11) ; de quel couvent s’agit-il ?

Quelques mots sur chacun des collaborateurs de ce volume, dans l’ordre où leurs articles se présentent. On trouve des renseignements intéressants dans l’article de Jean-Claude Lagarrigue intitulé « Les Pères dans l’oeuvre latine d’Eckhart ». Vannier nous offre une seconde contribution, soutenant qu’Eckhart est l’un des meilleurs lecteurs d’Augustin. Markus Vinzent nous documente sur les interprétations des Bekenntnissen (« confessions ») augustiniennes. Jean Devriendt montre qu’après la Bible, c’est Augustin qui s’avère la plus haute autorité dans les sermons latins d’Eckhart. Jean-Claude Lagarrigue nous revient avec la place d’Augustin dans les Paraboles de la Genèse d’Eckhart. Julie Casteigt se penche sur le commentaire eckhartien de Jean 10,14-15. Jana Ilnicka s’intéresse à l’augustinisme dans le manuscrit de Wartburg. Christian Jung se demande s’il est possible de concilier l’illumination augustinienne et la théorie aristotélicienne de l’intellect. Dietmar Mieth compare Augustin et Eckhart sur le thème du diligere Deum et proximum. Régis Courtray offre des commentaires sur Eckhart, lecteur de saint Jérôme. Jean Devriendt nous revient avec l’autorité des Pères dans le procès d’Eckhart. Jacques Elfassi nous présente les sources de la sentence eckhartienne oculus intentio est. Jana Ilnicka nous revient avec Boèce et Eckhart. Silvia Bara Bancel nous emmène chez Suso, dont elle présente sa réception des Pères. Harald Schwaetzer nous présente Nicolas de Cues comme lecteur d’Origène. Finalement, Dietmar Mieth nous revient sur le sujet combiné de la contemplation et de la naissance de Dieu.

Comme on le voit, ce recueil d’analyses contient de nombreux aperçus sur les sources patristiques latines de Maître Eckhart, qui sauront captiver bien des lecteurs.

Maître Eckhart, lecteur des Pères grecs nous arrive la même année que l’autre ouvrage collectif recensé ci-dessus. Dans « Comment et pourquoi Maître Eckhart s’est-il référé aux Pères grecs ? », Marie-Anne Vannier nous donne une présentation générale, indiquant qu’Eckhart lisait les Pères grecs en traduction latine. Chose intéressante, elle signale que Jean Damascène était pour lui la source principale. (Parmi les onze autres chapitres de ce livre, trois portent sur ce Père grec et d’autres chapitres mentionnent son importance pour Eckhart.)

Timothy Bellamah nous renseigne sur la connaissance des Pères grecs qu’Eckhart obtint dans la Catena aurea de Thomas d’Aquin, Suivent deux articles, l’un par Theo Kobusch et l’autre par Élisabeth Boncour, sur la naissance du Verbe dans l’âme humaine – un thème central chez Eckhart. Silvia Bara Bancel nous présente Eckhart comme lecteur des Homélies d’Origène sur la Genèse. Philippe Molac traite de la réception de la pensée des Cappadociens chez Eckhart. Jean Devriendt souligne ses références à Jean Chrysostome, tandis que Joseph Kakkaramattahil fait une lecture parallèle entre Maxime le Confesseur et Eckhart. Viennent ensuite trois chapitres sur Eckhart et Jean Damascène, par Markus Vinzent, Job Getcha et Jean Claude Lagarrigue. Le dernier article du volume, par Jana Ilnicka, porte sur le problème de la transmission des sources et du statut des auctoritates au Moyen Âge, étant donné que pour Eckhart les Pères étaient des auctoritates.

Le livre inclut également un index patristique et un index thématique. C’est dire que Marie-Anne Vannier et ses collaborateurs nous offrent ici une mine d’information sur l’utilisation que Maître Eckhart fit des Pères grecs.