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Pasteur et théologien, Luca Castiglioni est formateur au séminaire de Milan à Venegono Inferiore. Cet ouvrage est le fruit éditorial de sa recherche doctorale entreprise au Centre Sèvres à Paris, sous la direction du Prof. Christoph Theobald qui a livré une préface. Attentif aux vagues successives du féminisme contemporain, l’A. propose non seulement une sensibilisation à la question de la place des femmes dans la société, l’Église et la théologie, mais aussi un discernement fin et ouvert au sujet des débats en cours.

L’ouvrage est construit en trois parties.

1) Comment la voix des femmes s’est-elle fait entendre dans la société et dans l’Église, suivant plusieurs phases d’un féminisme pluriel ? Qu’est-ce que l’Église catholique a entendu de ces interpellations et comment a-t-elle cherché à y répondre en se fondant sur l’anthropologie chrétienne traditionnelle, notamment dans le sillage du Concile Vatican II, par les discours de Paul VI sur les femmes et à travers les théologies de la femme esquissées par Jean-Paul II ou Hans Urs von Balthasar ?

Par son évaluation des réponses catholiques disponibles aux interpellations concernant les femmes, l’A. met en lumière plusieurs risques récurrents : essentialiser l’identité ou la vocation des femmes, surcompenser un manque d’accueil effectif des femmes par une théologie idéale ou « exaltante » à leur sujet, parler à la place des femmes plutôt que de construire une parole dont elles sont partie prenante, investir les femmes d’une mission si haute et si cruciale pour la société que le pendant masculin demeure sous-développé ou caricatural.

(2) Ayant aiguisé la conscience de son lectorat quant aux défis ainsi formulés, l’A. s’adonne à une relecture approfondie des Écritures bibliques notamment certaines séquences de la Genèse, du Cantique des cantiques, du corpus paulinien et des évangiles. Dans cette partie, l’A. prend appui sur des exégètes qualifiés tels que Elisabeth Schüssler-Fiorenza, André Wénin et Michel Gourgues.

(3) Ainsi équipé, l’A. livre de façon informée et prospective une réflexion personnelle, à la fois théorique et pratique, dans les champs connexes de l’anthropologie et de l’ecclésiologie.

À travers cet ouvrage de fond, l’A. s’efforce de concilier l’égalité en droit des baptisé.e.s et la différence sexuelle. Il ne prétend pas clore le débat sur des points de tension, mais il élève le niveau de celui-ci. Par exemple, il prend soin de faire la différence entre une « idéologie du gender » et les vrais défis qui peuvent être éclairés par un point de vue genré. Il prend aussi le risque de faire des propositions concrètes concernant de possibles ministères féminins.

Relevons maintenant quelques points particulièrement éclairants tirés de la partie exégétique de l’ouvrage. Avec nuance, l’A. relève comment Paul ouvre une brèche dans son contexte patriarcal et androcentrique pour faire résonner « l’Évangile de l’égalité baptismale » (cf. Ga 3,26-28). De plusieurs manières, Paul invite ses auditeurs à la conversion face au réflexe qui laisse prévaloir la domination et l’égoïsme. Il insiste sur la liberté de parole reconnue aux femmes dans la prière publique et sur leur possibilité de s’instruire. Nombreuses sont les femmes collaboratrices dont Paul fait mention et dont les rôles ne sont pas étroitement codifiés. À la suite de Michel Gourgues, l’A. prend acte d’un durcissement progressif des lettres deutéro- et trito-pauliniennes quant à la posture attendue des femmes dans la maisonnée et l’assemblée chrétiennes, pour des raisons apologétiques en milieu païen. Cela est particulièrement sensible sous l’angle de la liberté de parole des femmes qui connaît une restriction progressive. Finalement, l’A. met en garde contre la violence inconsciente qui est toujours susceptible de prévaloir dans l’Église.

Particulièrement inspiré par les analyses narratives d’André Wénin, l’A. estime que les récits de la Genèse ne permettent pas d’appuyer une théorie définitoire de l’homme et de la femme, assortie de traits caractéristiques à l’un et à l’autre. En revanche, les récits présentent des couples humains qui cheminent dans l’apprentissage de l’altérité et de la relation. Une telle maturité ne se développe que de façon progressive au fil des récits de la Genèse, à partir d’Adam et Ève, en passant par Abraham et Sarah, en direction du couple qui anime le Cantique des cantiques. L’échange par la parole, incluant le franc-parler, est la voie pour surmonter la logique de domination et de convoitise, de violence et de fusion. Telle est la condition pour que l’homme et la femme deviennent effectivement une « aide », autrement dit un secours, l’un pour l’autre.

Selon les quatre évangiles, les relations de Jésus avec des femmes et des hommes révèlent que le facteur déterminant de la rencontre est, non pas l’identité sexuelle, mais la foi en la Parole de Dieu. Néanmoins, l’A. dégage quelques traits caractéristiques des femmes qui accueillent vraiment Jésus, sans gommer les différences entre elles, ni créer un type abstrait de féminité. Une certaine pauvreté religieuse et sociale, sinon économique, a pu disposer des femmes à entrer dans la foi au Christ et à faire l’expérience d’une libération. Dans le sillage immédiat du parcours de Jésus, celle-ci ne devient pas le fondement d’une revendication sociale. Toutefois, elle interpelle, voire bouleverse, les tenants de la mentalité androcentrique et patriarcale de l’époque. Avec Jésus, des femmes deviennent sujets et partenaires, voire co-auteures de leur libération ou de celle des personnes pour lesquelles elles intercèdent. Quant à lui, il les responsabilise et valorise leur parole. Les identités de Jésus et des femmes se manifestent et s’affermissent de façon corrélative. Jésus reçoit de celles-ci un encouragement dans sa mission et une réponse de foi. Il est accueilli et compris, voire propulsé. À la suite de Judith Hartenstein, l’A. relève que, dans le quatrième évangile, des femmes sont pleinement intégrées au groupe des disciples et la mise en valeur de leurs comportements conteste en sourdine un système ecclésial trop hiérarchique. Dans la relation entre Jésus et les femmes, il y a place pour un désir intégré à l’agapè et libéré de la convoitise. Les interactions avec Jésus sont une école de transformation du désir. Les hommes qui se laissent convertir par Jésus déjouent les stéréotypes d’une masculinité centrée sur la domination et l’autosuffisance.

Dans la dernière partie de l’ouvrage, à travers deux chapitres de propositions, l’un anthropologique et l’autre ecclésiologique, l’A. décline quelques traits d’une perspective inclusive. Celle-ci tient compte des conditionnements de la culture dans la construction de l’identité des hommes et des femmes. L’A. relève des indices de mutations de la masculinité et appelle à des exercices de synodalité au bénéfice d’une conversion. Il formule, avec discernement et doigté, la nécessité d’introduire « des manifestations instituées et stables de l’égalité prophétique des baptisés, hommes et femmes » (p. 631).