Abstracts
Résumé
Cette étude se penche sur le personnage d’Asmodée, premier démon désigné nominativement dans la Bible et qui apparaît aux chapitres 3 et 6 du livre de Tobit. Afin de comprendre ce que l’on entend par « démon » dans l’encyclopédie personnelle du lecteur implicite, nous examinons, dans un premier temps, l’emploi dans la LXX des mots δαιμόνιον et δαιμων, que l’on traduit tous les deux par « démon », et des mots hébreux qu’ils traduisent. Nous envisageons également la littérature intertestamentaire. Dans un second temps, nous analysons le personnage d’Asmodée tel qu’il est présenté dans les deux chapitres du livre de Tobit, selon une perspective narrative. Il s’avère que ce livre donne un certain nombre d’éléments importants sur la manière dont on conçoit les démons dans le judaïsme hellénistique et surtout sur la manière de s’en débarrasser.
Abstract
This study focuses on the character of Asmodeus, the first demon designated by name in the Bible, who appears in chapters 3 and 6 of the Book of Tobit. In order to understand what is meant by “demon” in the personal encyclopaedia of the implied reader, we first examine the use in the LXX of the words δαιμόνιον and δαιμων, both of which are translated as “demon,” and the Hebrew words they translate. We also look at the intertestamental literature. Secondly, we analyse the character of Asmodeus as presented in the two chapters of the book of Tobit, from a narrative perspective. It turns out that this book provides a number of important insights into how demons were viewed in Hellenistic Judaism, and above all how to get rid of them.
Article body
Le premier démon mentionné nominativement dans la Bible est Asmodée que l’on rencontre aux chapitres 3 et 6 du livre de Tobit, écrit tardif de l’Ancien Testament, composé probablement entre le IIIe et le milieu du IIe siècle av. J.-C. et qui nous est parvenu en grec[1]. Il est donc absent des canons juif et protestant des Écritures et fait partie des livres dits « deutérocanoniques ». Toutefois, le livre a un original en hébreu ou en araméen comme l’attestent les fragments de quatre manuscrits en araméen et d’un manuscrit en hébreu retrouvés à Qumrân[2]. En ce qui concerne le grec, Tobit est transmis sous deux formes : une forme courte, attestée par la majorité des manuscrits dont le Vaticanus et l’Alexandrinus (Grec I, G I ou TC) et une forme longue conservée dans deux manuscrits dont le Sinaiticus et transmise par la Vetus Latina (Grec II, G II, ou TL). La majorité des exégètes considère que c’est le TL qui constitue la forme la plus proche de l’original et c’est ce texte que l’on trouve dans la plupart des traductions françaises[3]. C’est le texte que nous suivrons, avec un regard sur le TC et les variations qu’il présente quant aux passages que nous envisageons.
Asmodée est présenté d’emblée comme « le démon mauvais » (Ασμοδαυς τὸ πονηρὸν δαιμόνιον) (3,8). Aucun doute n’est permis. Il ne s’agit pas du démon de Socrate, mais d’une entité mauvaise. Mais de qui ou de quoi s’agit-il au juste ? Ce démon nous permet-il de mieux comprendre les démons que l’on rencontre en grand nombre dans le Nouveau Testament ? Quel rôle joue-t-il dans le récit de Tobit ? Nous tenterons de répondre à ces questions en deux temps. D’abord, nous examinerons les occurrences du mot « démon » dans la Septante (LXX). Cela nous amènera à chercher plus avant, également dans la littérature intertestamentaire, afin de mieux comprendre ce que l’on entend par « démon » dans le monde du récit de Tobit. Dans un second temps, nous analyserons le personnage d’Asmodée dans les deux chapitres où il paraît, selon une perspective narrative.
Un démon connu des lecteurs ?
Les démons dans la Septante
Asmodée est présenté comme « le démon mauvais » (τὸ πονηρὸν δαιμόνιον) sans plus d’information sur sa nature. Ainsi, tout porte à croire que le lecteur implicite sait ce qu’est un démon mauvais et que ce type de créature fait partie de ce que l’on appelle, à la suite d’Umberto Eco, son « encyclopédie personnelle[4] ». Afin de s’en rapprocher, nous ferons un détour par la LXX afin d’examiner l’emploi des mots δαιμόνιον et δαιμων, que l’on traduit tous les deux par « démon »[5]. Ces mots ne sont employés qu’un petit nombre de fois dans la LXX et sur 19 occurrences, 9 se trouvent aux chapitres 3, 6 et 8 du livre de Tobit[6].
En ce qui concerne les 10 autres occurrences, on constate qu’elles traduisent des
mots hébreux différents[7]. Toutefois, dans 6 cas, on
constate que ces mots traduits par δαιμόνιον et δαιμων apparaissent dans des contextes où
il est question de la dénonciation du culte rendu à des divinités étrangères autres que
YHWH. En Dt 32,17, le mot est employé dans le contexte du discours que Moïse adresse aux
fils d’Israël avant de se rendre sur le Mont Nébo d’où il contemplera la terre promise
avant de mourir. Dans son propos, Moïse fait une sorte de rétrospective de l’histoire
d’Israël et cite les démons. Manifestement, ce terme est employé pour évoquer les dieux
autres que YHWH, et plus précisément des dieux étrangers, comme le suggère la construction
en parallèle du verset[8] : « Ils offrent des sacrifices aux
démons (δαιμονίοις) qui ne sont pas Dieu, à des dieux qu’ils ne connaissaient pas, des
nouveaux venus d’hier que vos pères ne redoutaient pas. » (Dt 32,17) Ici, « démons »
traduit l’hébreu qui, dans le judaïsme post-biblique, finira par être le mot hébreu le plus
couramment utilisé pour parler des démons. Cependant, il s’agit d’une évolution tardive.
Selon Dale Basil Martin, ce mot serait lié à l’assyrien šîdu que l’on peut traduire par
« seigneur » et qui était sans doute employé comme un titre donné à des divinités, comme
« Baal » ou « Adonai »[9]. On retrouve le même terme traduit
de la même manière en Ps 105/106,37 : « Et ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux
démons (δαιμονίοις) ». Il y est question du culte rendu aux divinités
cananéennes.
Dans le Ps 95/96,5, on a dans la LXX : « Car tous les dieux des nations sont des
démons (δαιμόνια), mais le Seigneur a fait les cieux ». En hébreu, le mot traduit par
« démons » est, cette fois . Ce mot, au singulier,
, signifie « insuffisance, inutilité » et au pluriel désigne le plus souvent
des idoles[10]. Le même verset en hébreu se trouve en 1 Ch
16,26, mais il est rendu différemment dans la LXX puisqu’on trouve eidôla à la place de δαιμόνια, ce qui confirme que les deux
mots peuvent avoir un sens similaire.
Il est aussi question d’idolâtrie en Is 65,3 où les démons apparaissent dans une
partie de verset que l’on ne trouve pas dans le texte hébreu : « ils font des sacrifices
dans des jardins, ils font fumer des aromates sur des briques pour des démons qui ne sont pas ». De même, en Ba 4,7 :
« en sacrifiant à des démons et non à Dieu ». L’idolâtrie est également présente en Is
65,11, dans un verset difficile à traduire : « Mais vous qui m’avez abandonné et oublié ma
sainte montagne et qui préparez pour le démon (tô
daimoni) une table et remplissez une coupe pour la fortune (tychè) ». Étrangement, dans le TM, à la place de (tô daimoni), on trouve . Mais sans doute faut-il le comprendre comme le nom d’une divinité païenne,
parallèle à
mentionné dans le même verset et que la LXX a traduit par tychè. Manifestement, les traducteurs de la LXX ont compris
ces deux mots comme des noms propres de créatures de type divin qu’ils ont choisi de
rendre par « le démon » et « la fortune »[11].
Dans trois cas, les démons apparaissent dans des passages évoquant les ruines d’une
ville détruite, la désolation[12]. Déserté de tous, le site
devient alors le repère de toutes sortes de créatures, dont des démons. Ainsi, en Is
13,21, il est question des démons dans le cadre d’un oracle contre Babylone dont la
destruction est annoncée : « (…) et les sirènes y habiteront et les démons y danseront ».
Ici, le grec δαιμόνια traduit l’hébreu , mot dont le sens est incertain puisqu’il peut être rendu par « bouc », ou
« satyre, démon » mais encore « poilu, velu »[13]. Peut-être
s’agit-il d’un être hybride mi-caprin, mi-humain, tel le dieu Pan, mais peut-être est-il
simplement question d’un animal sauvage. On trouve un contexte similaire de destruction en
Is 34,14 : « Et les démons rencontreront des centaures (…) ». Cette fois, le mot rendu par
« démons » est
, mot qui désigne manifestement une créature sauvage, peut-être aussi un
animal, mais que l’on peine à identifier avec certitude[14].
Ce même contexte de destruction et de désolation se rencontre en Ba 4,35 dans un oracle
contre les villes qui ont profité de la chute de Jérusalem : « Elle sera habitée par des
démons pour longtemps. » Manifestement, dans ces trois passages, les δαιμόνια renvoient à
des êtres sauvages, peut-être hybrides, puisqu’ils sont mentionnés avec les sirènes et les
centaures, qui habitent les endroits déserts.
Le Ps 90/91,6 semble à part puisque le démon apparaît dans le contexte d’une série
de maux dont YHWH délivre le psalmiste et que désormais, il ne craindra plus : « Tu ne
craindras ni la terreur de la nuit, ni la flèche qui vole au grand jour, ni la peste qui
rôde dans l’ombre, ni le fléau ni le démon (δαιμονίου) de midi » (Ps 91,5-6). Dans la
dernière partie du verset, l’hébreu a « ni le fléau qui ravage en plein midi »
(). Comme cela a été souvent proposé, il est possible que
(« ravage ») ait été compris comme
(« et le démon ») par les traducteurs de la LXX.
Aucun de ces démons n’est nommé. Les occurrences sont toutes au pluriel, excepté en
Ps 90,6, le fameux « démon de midi » qui n’a pas d’équivalent en hébreu et dont il n’y a
pas d’autres occurrences dans la LXX. De ce fait, si l’on s’en tient au texte biblique,
nous disposons tout de même de quelques éléments d’information pour comprendre ce qu’est
un démon dans la perspective de la LXX. Ainsi il s’agit d’une créature manifestement
non-humaine et dotée de pouvoirs surnaturels puisqu’on assimile les dieux païens à des
démons et que les fils d’Israël ont pu leur faire des offrandes. D’autre part, et
contrairement à ce que l’on trouve dans la culture hellénistique où les démons peuvent
être bons ou mauvais, tantôt bénéfiques et tantôt maléfiques, et même désigner les dieux
ou leurs messagers[15], les démons de la LXX ne sont jamais
présentés de manière positive : leur rendre un culte est une faute et leur présence est
liée à des catastrophes. Le fait que δαιμόνιον traduise différents mots hébreux mais
jamais est, à ce titre, significatif. Ainsi, dans la LXX, les démons sont des
créatures à éviter. De ce fait, quand le narrateur caractérise Asmodée comme « le mauvais
démon », il met l’accent sur le fait qu’Asmodée est particulièrement néfaste. Cela
explique pourquoi la Bible de Jérusalem traduit τὸ πονηρὸν δαιμόνιον par « le pire des
démons ».
Les informations glanées dans la LXX étant ténues, un détour par la littérature religieuse judéo-hellénistique[16] appelée également littérature intertestamentaire s’impose afin de nous rapprocher de « l’encyclopédie personnelle du lecteur implicite ».
Les démons et Asmodée dans la littérature judéo-hellénistique
L’étude de l’emploi des mots δαιμόνιον et δαιμων dans la LXX a montré qu’ils sont peu employés, et, qui plus est, pour différents mots hébreux. Autrement dit, il n’y a pas de terme hébreu dont la signification recouvre ce que l’on met derrière le mot « démon » à l’époque hellénistique. De ce fait, faut-il y voir la trace d’une « exégèse démonique » – consistant à voir des démons dans des passages où ils ne se trouvent pas à l’origine – propre à la LXX et aux périodes qui la suivent, comme propose de le faire Hector M. Patmore[17] ? Cela n’est pas impossible, mais le débat est loin d’être tranché. Cela dit, les travaux consacrés au sujet[18] montrent que la démonologie se développe tardivement dans la littérature juive. On la trouve plus précisément à la période appelée communément « intertestamentaire », en particulier dans les milieux apocalyptiques et dans certains groupes plus marginaux telle la communauté de Qumrân.
Malgré la mise en place progressive d’un dualisme entre anges et démons, ces derniers, ainsi que les anges déchus et les esprits mauvais ne sont identifiés comme formant une même catégorie que tardivement, et pas avant le IIe siècle de notre ère[19]. Dans la littérature dite intertestamentaire, il est surtout question des démons dans le livre d’Énoch (entre le IIIe et le Ier s. av. J.-C.) et dans le livre des Jubilés (IIe s. av. J.-C.). Dans 1 Énoch 6-8, les mystérieux « fils de Dieu » qui ont des rapports avec « les filles des hommes » du récit de Gn 6,1-4 sont appelés Veilleurs et sont identifiés comme des anges. Les créatures qui naissent de ces unions sont les géants, décrits comme des créatures néfastes. Ce sont les esprits de ces géants morts qui deviennent « les esprits mauvais ». Ces derniers ne sont jamais appelés « démons », ni dans la version grecque, ni dans l’éthiopienne[20]. Mais ils ne sont pas sans liens avec eux puisque ce sont les esprits mauvais qui poussent les fils d’Israël à sacrifier aux démons comme à des dieux.
Dans le livre des Jubilés, en revanche, démons et esprits mauvais ne font plus qu’une catégorie. Cependant, ils ne sont pas encore désignés comme des anges déchus, mais comme le produit de leur descendance. Parmi les écrits de Qumrân, la Règle de la Communauté désigne « l’ange des ténèbres » comme un « esprit mauvais »[21]. Dans La vie d’Adam et Eve, chap. 13 à 16 (Ier s. ap. J.-C.), est décrite une révolte des anges qui refusent de rendre hommage à Adam[22], mais ceux-ci ne sont pas encore appelés « démons ». De même dans l’Apocalypse d’Abraham.
Quant à lui, Philon utilise le mot « démon » à la manière des philosophes grecs, avec toutes ses acceptions, tandis que Flavius Josèphe, quand il parle des démons, les distingue des anges, et les décrit lui aussi comme des êtres ambivalents, tantôt bons et tantôt mauvais[23]. Dans le Testament de Salomon, écrit daté entre le Ier et le IIIe siècle, Beelzébul est le prince des démons, et il est décrit comme étant un ange. Toutefois, il n’est pas appelé « démon ». Un certain démon Asmodée est cité et se présente comme le fruit d’un ange et d’une mère humaine. Un autre démon, appelé aussi esprit, se présente comme l’esprit d’un des géants morts[24]. Ainsi, à ce stade, démons et anges déchus ne s’équivalent pas encore et il existe au moins deux catégories de démons.
Par ailleurs, le nom d’Asmodée a été rapproché dès le
XIXe siècle de celui d’un démon de la colère dans la religion
zoroastrienne de la Perse ancienne, Aeshma ou
Khaeshma Daeva[25].
Toutefois, ce rapprochement est controversé. De fait, le rôle d’Asmodée dans Tobit ne correspond pas vraiment à celui du démon perse. Et
surtout, le nom hébreu d’Asmodée, , permet de le rapprocher du verbe hébreu
qui signifie « détruire ». Le nom d’Asmodée pourrait alors signifier « celui
qui fait périr » et fonctionnerait en parallèle antithétique avec celui de Raphaël, « Dieu
guérit »[26].
En dehors du livre de Tobit, Asmodée apparaît dans le Testament de Salomon, comme nous l’avons vu, et dans la littérature rabbinique plus tardive, sous la forme d’Ashmeday où il reçoit même le titre de roi des shédîm, autrement dit de roi des démons[27]. Dans le Testament de Salomon, il se présente ainsi : « Je suis appelé Asmodée, et mon rôle est de conspirer contre les nouveaux époux, pour les empêcher de se connaître. Je les divise absolument par beaucoup de malheurs, je détruis la beauté des vierges, et je change leurs coeurs. Je transporte les hommes en accès de folie et de convoitise, et bien qu’ils aient leurs femmes, ils les quittent pour aller de jour et de nuit vers des femmes qui sont à d’autres maris, si bien qu’ils pèchent, et tombent dans des actes homicides[28]. »
Asmodée dans le livre de Tobit
Deux innocents accablés demandent la mort
Avant d’entrer plus avant dans les passages où il est question d’Asmodée, il convient de les situer dans la trame du récit du livre de Tobit. Celui-ci se présente comme « les paroles de Tobit, (fils) de Tobiel, (fils) d’Ananiel, (fils) d’Adouël, (fils) de Gabaël, (fils) de Raphaël, (fils) de Ragouël, de la descendance d’Asiel, de la tribu de Nephtali » (Tb 1,1). Ce Tobit a été déporté à Ninive dans le cadre de la première déportation, sous Salmanassar, roi des Assyriens. Jusqu’en 3,6, ce qui nous est donné à lire se présente comme les mémoires de Tobit, écrites à la première personne du singulier. Ce Tobit se décrit comme un homme juste, par son comportement et sa fidélité à Dieu. Demeuré fidèle malgré un certain nombre de tribulations qu’il raconte, il n’en est pas moins frappé par le sort. Après avoir enterré un mort laissé sans sépulture, Tobit, alors qu’il dort dans la cour de sa maison, reçoit dans les yeux des déjections de moineaux qui provoquent des leucomes et le rendent aveugle. Tobit consulte plusieurs médecins, mais rien n’y fait, il reste aveugle pendant quatre ans, incapable de travailler. Dans un premier temps, c’est son neveu Ahiqar[29] qui subvient à ses besoins, puis sa femme Anna. Celle-ci, à la suite d’une dispute conjugale au cours de laquelle Tobit l’accuse faussement d’avoir volé un chevreau, remet en cause la justice de son mari : « Où sont-elles tes pitiés ? Où sont-elles tes actions justes ? Vois : ce qui t’arrive est clair. » (2,14) C’est manifestement trop pour Tobit puisque, se tournant vers Dieu, il demande la mort (3,1-6).
À partir du verset 7 du chapitre 3, un narrateur extradiégétique prend la main et le récit se poursuit à la troisième personne. La scène se transpose à Ecbatane, en Médie, auprès d’une certaine Sara, fille de Ragouël. Nous la découvrons au moment où elle vient d’être insultée par l’une des servantes de son père qui l’accuse de tuer ses maris. Pourtant, le narrateur nous apprend d’entrée de jeu que la servante se trompe. L’explication est la suivante : « parce qu’elle avait été donnée à sept hommes et Asmodée le démon mauvais les avait tués avant qu’ils n’eussent été avec elle selon ce qui est prescrit pour les femmes » (3,8). Dépourvue de cette information, la servante accuse Sara de tuer ses maris et lui souhaite même de mourir sans descendance : « Pourquoi nous maltraites-tu à propos de tes hommes parce qu’ils sont morts ? Va avec eux, et que nous ne voyons fils de toi, ni fille, pour toujours. » (3,9) Désespérée, Sara songe à se pendre mais y renonce pour ne pas attrister son père, comme elle le dit elle-même. Comme Tobit précédemment, elle se tourne vers Dieu pour lui demander la mort.
À ce stade, seul le narrateur semble savoir que c’est le démon Asmodée qui tue les maris de Sara. Elle-même semble ne pas le savoir. Du moins, elle n’en fait pas mention dans sa prière. D’autres personnages du récit le savent-ils ? À ce stade, le lecteur l’ignore. Plus encore, rien n’est dit sur les motivations de ce mauvais démon.
Dieu envoie « l’ange Raphaël »
En tous les cas, Dieu est bien informé du problème puisque le grand Raphaël est envoyé pour guérir à la fois Tobit et Sara :
Dans l’instant même, la prière de tous deux fut entendue devant la gloire de Dieu et Raphaël fut envoyé pour guérir les deux : Tobit, faire partir (apolysai) les leucomes de ses yeux, afin qu’il voie de ses yeux la lumière de Dieu ; et Sara de Ragouël, la donner à Tobias, le fils de Tobit, pour femme, et délier (lysai) Asmodée, le démon mauvais. À Tobias, en effet, il revenait de l’obtenir plutôt que tous ceux qui voulaient la prendre. À cet instant, Tobit revint de sa cour dans sa maison et Sara, la (fille) de Ragouël, descendit elle aussi de la chambre haute.
3,16-17
On parle de « délier Asmodée » (kai lysai Asmodaion) uniquement dans le TL, donc le Sinaiticus. Le TC a « lier Asmodée » (kai dèsai Asmodaun). A priori, la forme du TL paraît étrange. Cependant, il semblerait qu’il s’agisse d’une traduction de l’araméen où le verbe paṭṭar, équivalent de lysai, était un terme technique pour signifier le divorce. Or, selon Paul-E. Dion[30], on a retrouvé des exemples en contexte juif attestant que le divorce pouvait également être prononcé entre un démon et son client en employant cette formule. Il s’agirait donc, dans le livre de Tobit, de prononcer le divorce entre Asmodée et Sara, et Raphaël agirait comme un exorciste babylonien. Ainsi, on insisterait dans le TL sur la libération de Sara et dans le TC plutôt sur la libération du démon.
Où on entrevoit les remèdes
Dieu ayant envoyé Raphaël, le dénouement du récit ne laisse guère de place au suspens pour le lecteur. Seules les modalités de l’agir de Raphaël doivent encore être révélées ainsi que les réactions des protagonistes. Dans un premier temps, nous suivons de nouveau Tobit. Ayant demandé la mort, il prend des dispositions en ce sens. Il se souvient qu’il a placé, autrefois, une forte somme d’argent en Médie, chez un certain Gabaël. Il envoie son fils Tobias chercher l’argent. Celui-ci engage un guide pour se rendre en Médie, et trouve Raphaël qui se présente sous une apparence humaine et se fait engager comme guide sous le nom d’Azarias. C’est ainsi que commence la quête de Tobias, épaulé très efficacement par Raphaël.
Le premier soir, Tobias, se baignant dans le Tigre, est attaqué par un gros poisson. Raphaël lui demande de l’attraper et de lui enlever le fiel, le coeur et le foie et de les mettre de côté, car ces parties sont utiles comme remède (6,3-4). Tobias s’exécute et le poisson est mangé. Plus tard, il questionne Azarias sur le rôle de ces éléments et celui-ci lui répond :
Le coeur et le foie (du poisson), si un démon ou un esprit mauvais attaque quelqu’un, il faut les faire fumer devant l’homme ou la femme, et ils ne seront jamais plus attaqués.
6,8
Le fiel sert à guérir les leucomes. Le lecteur fait d’emblée le lien entre ces propos et les maux qui accablent Tobit et Sara. Ce sera donc grâce aux entrailles du poisson qu’ils seront guéris. Apparemment, cette médication n’a rien d’insolite dans les traités de médecine antique[31]. Reste à découvrir les modalités de ces guérisons et notamment, mettre en contact Sara et Tobias.
Non évidence d’Asmodée
C’est ce que fait Raphaël une fois qu’ils arrivent en Médie, à l’approche d’Ecbatane. Il propose alors de passer la nuit chez un certain Ragouël, de la parenté de Tobit. Celui-ci a justement une fille unique et il se trouve que Tobias est le mieux placé pour l’épouser. Il y a là un bel héritage à la clé. De plus, selon Azarias, la jeune fille est bien sous tous rapports (cf. 6,11-12). Avant même que Tobias ne réagisse au discours de son guide, celui-ci se propose pour servir d’intermédiaire afin de demander la main de la belle (6,13).
C’est alors qu’à la grande surprise du lecteur, Tobias ne se montre guère enthousiaste à la perspective d’épouser Sara. En effet, il a entendu parler du sort des sept maris qui l’ont précédé :
Azarias, frère, j’ai entendu qu’elle a déjà été donnée à sept hommes et qu’ils sont morts dans leur chambre de noce. La nuit où ils sont allés vers elle ils mouraient. Et j’ai entendu dire par certains qu’un démon les tuait. Et maintenant moi j’ai peur car à elle il ne nuit pas, mais quiconque veut s’approcher d’elle il le tue
6,14-15
Dans le TC, Tobias précise que ce démon aime Sara (philei autèn). Mais il s’agit d’une rumeur qui circule dans la diaspora et qui n’est ni confirmée ni infirmée par le narrateur[32]. Et ce propos n’est rapporté que dans le TC. Le TL ne donne aucune explication à l’agir d’Asmodée.
Quoi qu’il en soit, ces paroles sont étonnantes. Comment Tobias a-t-il eu accès à une information que la servante du père de Sara ignore et que Sara elle-même semble ignorer ? Faut-il comprendre que la rumeur y voit plus clair que les protagonistes eux-mêmes ? Ce décalage met l’accent sur le fait que la présence du démon Asmodée ne s’impose pas comme une évidence. L’attribution de la mort des sept maris à Sara ne peut résulter que d’une interprétation du côté des protagonistes humains du récit. Dans le monde du récit de Tobit, le narrateur fait savoir au lecteur que cette interprétation est juste. Mais les personnages du récit, dont Sara elle-même, ne peuvent qu’émettre – ou pas – l’hypothèse de l’action d’un démon dans les malheurs de la jeune femme. Cela permet de mieux comprendre la remarque de la servante de Ragouël : que Sara tue ses maris peut, après tout, être une autre interprétation valable de ce qui arrive.
Raphaël énonce la solution
Azarias/Raphaël tranquillise Tobias :
Mais quand tu seras entré dans la chambre de noces, prends du foie du poisson et du coeur et mets sur les braises de parfum. L’odeur se répandra et le démon sentira et il fuira et on ne le reverra plus jamais autour d’elle. Quand tu seras sur le point de t’unir à elle, levez-vous d’abord tous les deux et priez et suppliez le Seigneur du ciel afin qu’il vous accorde miséricorde et salut. N’aie pas peur car c’est à toi qu’elle est destinée depuis toujours. C’est toi qui la sauveras et elle ira avec toi et je pense que tu auras d’elle des petits qui seront pour toi comme des frères. Ne te tracasse pas.
6,17-18
L’affirmation selon laquelle Sara est destinée à Tobias depuis toujours est étonnante. S’agit-il seulement d’une manière de dire que les jeunes gens sont faits l’un pour l’autre, autrement dit qu’ils sont bien assortis, ou faut-il y voir la trace d’une forme de prédestination ? Si tel est le cas, faut-il y voir la raison pour laquelle les sept maris de Sara ont été tués par le démon ? Le récit ne donne pas d’éléments suffisants pour répondre à ces questions. Toutefois, ce propos n’a pas manqué de questionner les théologiens, et certains ont risqué des hypothèses. Ainsi, dans le Dictionnaire de théologie catholique, dans un article de 1920, on peut lire que ces maris défunts étaient probablement des pécheurs : « Quelquefois aussi, Dieu se sert de cette malice des démons pour châtier les pécheurs. Dans les maux dont ils affligent leurs victimes, ils ne sont alors que les instruments de sa justice. C’est pour un motif de ce genre, semble-t-il, que le démon Asmodée put mettre à mort, les uns après les autres, les sept maris de Sara, fille de Raguel[33]. » Toutefois, aucun élément du récit ne permet d’appuyer cette hypothèse. Il en est de même en ce qui concerne l’hypothèse, émise plus récemment, par Ida Fröhlich[34] qui considère qu’Asmodée est un démon protecteur dont la mission est d’éviter à tout prix à Sara un mariage exogamique. Mais rien, dans ce qui est dit des sept maris défunts de Sara ne permet de confirmer cela.
De son côté, Tobias est convaincu par les propos d’Azarias et se déclare rapidement après son arrivée chez Ragouël. Ce dernier le met en garde. Il a déjà donné sa fille à sept hommes et ils sont tous morts (7,11). Notons qu’il ne parle pas du démon Asmodée, comme s’il ignorait son existence.
On se débarrasse d’Asmodée, « happy end »
Après les agapes, une fois dans la chambre nuptiale, Tobias met en pratique des conseils de Raphaël (8,2). Le résultat ne se fait pas attendre :
Et l’odeur du poisson arrêta et fit fuir le démon vers le haut, vers les contrées d’Égypte. Et Raphaël y alla, il le lia là et le ligota immédiatement (8,3).
Manifestement, Raphaël maîtrise le démon avec une grande facilité[35] : alors que ce dernier s’enfuit, l’ange semble se rendre tranquillement en Égypte. Là, aucun combat n’a lieu ou, du moins, le narrateur ne le rapporte pas. Toute se passe comme si, du point de vue de l’ange, la ligature du démon n’était qu’une formalité.
Tobias et Sara adressent ensuite une prière à Dieu. Au matin, tous trouvent le nouveau couple profondément endormi et bien vivant. Dans la suite du récit, il n’est plus du tout question du démon. De son côté, Tobit est guéri grâce au fiel du poisson, comme annoncé. En finale, Raphaël dévoile sa vraie nature au père et au fils réunis, avant de les quitter. Tout se termine par des louanges adressées au Seigneur.
Deux guérisons parallèles, au masculin et au féminin
La structure du récit lui-même pousse le lecteur à mettre en parallèle l’infirmité de Tobit et celle de Sara, ainsi que leur guérison.
Dans les deux cas, le malheur subi par les protagonistes semble tout à fait injuste, immérité[36]. À aucun moment le récit ne laisse penser que Tobit et Sara méritent ce qui leur arrive. Le lecteur n’a donc pas les éléments qui lui permettraient de considérer qu’il s’agit là d’un châtiment mérité. Ces malheurs relèvent d’une causalité qui échappe manifestement aux êtres humains et qu’il faut bien appeler « hasard » ou « fortune », à défaut d’en savoir plus. Dans le monde du récit, c’est une réalité. Mais si certains malheurs sont inexplicables, Dieu peut intervenir. Le démon Asmodée et les fientes d’oiseau relèvent donc du même type de malheur immérité. De plus, ces malheurs viennent tous deux de l’extérieur, même si, en ce qui concerne Asmodée, tous ne sont pas conscients de cela.
Face à ce malheur, Tobit et Sara se tournent vers Dieu pour demander la mort. Si l’on en croit leur prière, ce qui leur pèse, c’est avant tout les insultes des autres et non le handicap proprement dit. Sara veut se donner la mort mais renonce à le faire pour ne pas peiner son père. Elle préfère demander la mort à Dieu, ce que fait également Tobit. Curieusement, aucun des deux ne demande à être guéri, comme si l’horizon leur était si fermé qu’ils ne voient même plus d’autre possibilité que la mort.
Leur prière arrive devant Dieu (3,16). Le mot « prière » (proseuchè) est au singulier, accentuant la similitude entre les deux situations. La solution est également commune puisqu’elle consiste en l’envoi de l’ange Raphaël. L’issue de son action est décrite en 3,16 et nous nous permettons de revenir sur ce passage :
Et Raphaël fut envoyé pour guérir les deux :
Tobit, pour faire partir (apolysai) les leucomes de ses yeux afin qu’il voie de ses yeux la lumière de Dieu ;
et Sara de Ragouël, pour la donner à Tobias, le fils de Tobit, pour femme et délier (lysai) Asmodée, le démon mauvais.
Même si cela ne peut pas être rendu dans la traduction en français, la guérison des deux protagonistes est décrite à l’aide du verbe lysai, en composition pour Tobit et seul pour Sara, ce qui accentue encore le parallèle entre les deux situations : tous deux seront déliés du mal qui les afflige. Ainsi, Tobit pourra voir la lumière et en rendre grâce à Dieu tandis que Sara, débarrassée du démon, pourra enfin être une bonne épouse. Ce programme est réalisé de manière très fidèle par la suite. Pour Sara, c’est Tobias qui doit effectuer les gestes destinés à apporter la guérison : faire fumer les entrailles du poisson et prononcer la prière avec Sara à ses côtés. Sa prière renvoie au récit de la création de l’homme et de la femme en Gn 2,18-25, qui présente la femme comme « une aide semblable à lui ». Après cet épisode, Sara ne joue plus qu’un rôle passif dans le récit. Pour la guérison de Tobit, Tobias pose les gestes destinés à guérir. Ensuite, c’est Tobit lui-même, une fois guéri, qui bénit le Seigneur à travers toute la ville.
Quelques observations sur le personnage d’Asmodée
En ce qui concerne Asmodée, beaucoup d’éléments restent dans l’ombre. Quelle est sa nature ? À quoi ressemble-t-il ? D’où vient-il ? Agit-il sous les ordres de quelqu’un ou de sa propre initiative ? Pourquoi tue-t-il les maris de Sara[37] ? Pourquoi Raphaël doit-il attendre que le démon s’enfuie, par suite des fumigations du coeur et du foie du poisson pour le neutraliser ? Pourquoi Asmodée fuit-il en Égypte ? Que devient-il une fois lié ? Le livre de Tobit n’offre pas de réponse à ces questions.
Sans doute est-ce normal car l’objectif du narrateur est avant tout de faire comprendre au lecteur que Dieu guérit, mais qu’il ne le fait pas indépendamment de l’action humaine. Comme le récit le montre, la guérison peut aussi bien concerner une maladie physique comme celle qui touche Tobit, qu’une possession démoniaque comme dans le cas de Sara. Dans les deux cas, la prière des protagonistes joue un rôle essentiel, puisque c’est elle qui déclenche le processus qui mène à la guérison.
Autre information communiquée par le récit : le monde est bien plus vaste que ce que les humains peuvent en percevoir. Ainsi, si Tobias est informé de l’existence d’Asmodée, ce n’est pas le cas de la servante de Sara, ni probablement de la principale intéressée, ni de sa famille. Après la fuite d’Asmodée, seul le lecteur est informé du sort du démon tandis que le jeune couple se consacre à la prière, sans paraître conscient de la scène qui se joue dans les hauteurs et en Égypte. Pourtant, si Raphaël semble maîtriser le démon sans problème, il ne le fait qu’après que Tobit l’ait chassé par les fumigations et par la prière.
Conclusion
Malgré les questions qu’il laisse ouvertes, le livre de Tobit donne un certain nombre d’éléments importants sur la manière dont on conçoit les démons dans le judaïsme hellénistique à l’époque de la rédaction du livre, et surtout sur la manière d’en venir à bout.
Ainsi, les différentes étapes du récit insistent sur le fait que Dieu n’agit pas sans une intervention humaine active. Pour ce faire, la prière est essentielle. En effet, c’est la prière de Tobit et Sara qui provoque l’envoi de Raphaël et met en oeuvre le processus de guérison, même si, paradoxalement, ils ont demandé tous les deux la mort. De même, Raphaël insiste auprès de Tobias pour qu’il se mette en prière, avec son épouse, après avoir placé les organes du poisson sur les braises. Et c’est pendant ce temps de prière qu’il neutralise le démon. La prière est donc fondamentale dans le processus d’expulsion du démon.
En plus de la prière, une action matérielle doit être posée : les fumigations du coeur et du foie du poisson qui mettent le démon en fuite. Le procédé a été expliqué à Tobias par Raphaël. Toutefois, il ne le met pas en oeuvre lui-même mais laisse le jeune homme, accompagné de Sara, poser les gestes requis. On trouve déjà là l’essentiel de ce qui constitue, encore aujourd’hui, l’exorcisme : des prières accompagnées d’actes. Le fait qu’une partie de ce qui se joue ensuite échappe à la connaissance humaine est significatif, et doit être souligné. Toutefois, cela ne gêne en rien le déroulement de la procédure de libération : aux humains la prière et les actes concrets destinés à faire fuir le démon ; à Dieu et à ses anges la suite qui finalise véritablement l’exorcisme. Que les humains ne soient conscients que d’une petite partie de ce qui se joue n’est pas gênant : du moment que chacun, humain ou créature céleste, joue son rôle, la guérison s’accomplit pour le bien de tous et la plus grande gloire de Dieu que les protagonistes du livre de Tobit célèbrent abondamment après les deux guérisons accomplies.
Appendices
Notes
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[1]
Pour une bibliographie commentée des ouvrages récents consacrés au livre de Tobit, principaux commentaires et en particulier approches narratives, voir Elena Di Pede, Claude Lichtert, Didier Luciani, Catherine Vialle, André Wénin, Révéler les oeuvres de Dieu. Lecture narrative du livre de Tobie (Le livre et le rouleau, 46), Bruxelles, Lessius, 2014, p. 217-245.
-
[2]
4Q196-199 ; 4Q200. Sur l’histoire de la transmission du texte de Tobit, voir James David Thomas, « The Greek Text of Tobit », Journal of Biblical Literature, 91 (1972), p. 463-471 ; Paul-Eugène Dion, « Raphaël l’Exorciste », Biblica, 57 (1976), p. 399-413 ; Jean-Marie Auwers, « Traduire le livre de Tobie pour la liturgie », Revue Théologique de Louvain, 37 (2006), p. 179-199.
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[3]
Par exemple, la Bible de Jérusalem et la TOB, édition 2010.
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[4]
Voir Umberto Eco, Lector in Fabula (Livre de Poche, Biblio/Essais), Paris, Grasset, 1989, p. 95-108. On peut en donner la définition suivante empruntée à Daniel Marguerat et Yvan Bourquin, Pour lire les récits bibliques. La Bible se raconte. Initiation à l’analyse narrative, Paris-Genève-Montréal, Cerf-Labor et Fides-Novalis, 1998, p. 168 : « Fonds de connaissances (linguistiques, logiques, culturelles, idéologiques) que le travail de lecture sollicite chez le lecteur ; son investissement permet au lecteur à la fois de déchiffrer le langage (niveau sémantique) et de saisir la portée du texte (niveau référentiel). »
-
[5]
Ces occurrences sont présentées également très brièvement dans Othmar Keel, « Schwache alttestamentliche Ansätze zur Konstruktion einer stark dualistisch getönte Welt », dans Hermann Lichtenberger, Armin Lange, K. F. Diethard Römheld (éd.), Die Dämonen. Demons. Die Dämonologie der israelitisch-jüdischen und frühchristlichen Literatur im Kontext ihrer Umwelt, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 211-236. Une étude qui propose des résultats semblables est proposée dans Anna Angelini, « Daimones and Demons in Hellenistic Judaism : Continuities and Transformations », dans Hector M. Patmore and Josef Lössl (éd.), Demons in Early Judaism and Christianity. Characters and Characteristics, Leiden, Brill, 2022, p. 54-73.
-
[6]
Tb 3,8.17 ; 6,7 (2 fois).13.14.15.17 ; 8,3.
-
[7]
Voir Dale Basil Martin, « When Did Angels Become Demons ? », Journal of Biblical Literature, 129 (2010), p. 657-677.
-
[8]
Sauf mention autre, les traductions du texte hébreu sont issues de la TOB, édition 2010. Celle de la LXX sont de l’autrice de l’article.
-
[9]
Dale Basil Martin, « When Did Angels », p. 658.
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[10]
Voir Francis Brown, Samuel R. Driver, Charles A. Briggs, A Hebrew and English Lexicon, Oxford, Clarendon Press, 1952, s.v. ; cf. Lv 19,4 ; 26,1.
-
[11]
Dale Basil Martin, « When Did Angels », p. 659.
-
[12]
Pour une analyse détaillée des deux passages d’Isaïe que nous citons dans ce paragraphe, voir Anna Angelini, « L’imaginaire comparé du démoniaque dans les traditions de l’Israël ancien. Le bestiaire d’Esaïe dans la Septante », dans Thomas Römer et al. (éd.), Entre dieux et hommes : Anges, démons et autres figures intermédiaires : Actes du colloque organisé par le Collège de France, Paris, les 19 et 20 mai 2014 (Orbis Biblicus et Orientalis, 286), Fribourg - Göttingen, Presses universitaires - Vandenhoeck & Ruprecht, 2017, p. 116-134 et Christophe Nihan, « Les habitants des ruines dans la Bible hébraïque », Ibid., p. 88-115.
-
[13]
Voir Francis Brown, Samuel R. Driver, Charles A. Briggs, A Hebrew and English Lexicon, s.v.
-
[14]
Voir Francis Brown, Samuel R. Driver, Charles A. Briggs, A Hebrew and English Lexicon, s.v.
-
[15]
Par ex. Anna Angelini, « Daimones and Demons in Hellenistic Judaism : Continuities and Transformations », dans Hector M. Patmore and Josef Lössl (éd.), Demons in Early Judaism and Christianity. Characters and Characteristics, Leiden, Brill, 2022, p. 54-73.
-
[16]
Terminologie reprise d’Albert-Marie Denis, qui la définit de la sorte selon Jean-Michel Roessli, « L’Introduction à la littérature religieuse judéo-hellénistique d’Albert-Marie Denis et collaborateurs », Apocrypha, 13 (2002), p. 257-278 : « cette expression désigne l’ensemble des écrits juifs n’entrant pas dans le canon biblique et antérieurs au rabbinisme ».
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[17]
Hector M. Patmore, « Demonic exegesis », dans Hector M. Patmore and Josef Lössl (éd.), Demons in Early Judaism and Christianity, p. 37-53. Il cite d’ailleurs le Ps 91 comme exemple de cette « exégèse démonique », p. 38-41.
-
[18]
Par ex. Serge-Thomas Bonino, Les anges et les démons. Quatorze leçons de théologie (Bibliothèque de la Revue thomiste), Paris, Parole et Silence, 2007, p. 22-23 ; André Wénin, « Anges et démons dans la Bible », dans Anges et démons en Ardenne et Luxembourg, Bastogne, Musée en Piconrue, 2009, p. 51-72.
-
[19]
Dale Basil Martin, « When Did Angels », p. 667.
-
[20]
Ibidem.
-
[21]
1 Q S 3.12-4.2,6. Voir Dale Basil Martin, « When Did Angels », p. 670.
-
[22]
Christian Duquoc, « Le démoniaque, envers du divin », dans Michel Lagrée et al., Figures du démoniaque hier et aujourd’hui, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1992, p. 139.
-
[23]
Pour des références détaillées, voir Dale Basil Martin, « When Did Angels », p. 671-672.
-
[24]
Dale Basil Martin, « When Did Angels », p. 670.
-
[25]
Édouard Lipinsky, « Asmodée », dans Pierre-Maurice Bogaert et al. (éd.), Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Turnhout, Brepols, 2002, p. 163 ; Herbert G. Grether, « Asmodeus », dans David Noel Freedman et al. (éd.), The Anchor Bible Dictionary, vol. 1, New York NY, Doubleday, 1990, p. 499 ; Beate Ego, « The Demon Asmodeus in the Tobit Tradition : His Nature and Character », dans Hector M. Patmore and Josef Lössl (éd.), Demons in Early Judaism and Christianity, p. 74-90.
-
[26]
Raymond Pautrel, « Trois textes de Tobie sur Raphaël », Recherches de Science Religieuse, 39 (1951-1952), p. 115-124, p. 120 ; Id., « Satan (et démons) », dans Supplément au Dictionnaire de la Bible, fasc. 66, Paris, Letouzey et Ané, 1992, col. 1-47, col. 12 ; Manfred Hutter, « Asmodeus », dans Karel van der Toorn et al. (éd.), Dictionary of Deities and Demons in the Bible, Leiden, Brill, 1999, p. 106-108.
-
[27]
Il figure dans les légendes salomoniennes de la construction du Temple de Jérusalem. Voir les références des passages où il figure dans Raymond Pautrel, Trois textes de Tobie, p. 120.
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[28]
Cité dans Raymond Pautrel, Trois textes de Tobie, p. 120. Plus tard, dans la tradition chrétienne, Asmodée devient même le démon de la luxure, un des sept péchés capitaux.
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[29]
Le livre de Tobit offre un certain nombre de points de contact avec le Roman d’Ahiqar. Nous ne développerons pas ce point, car il n’est pas question des démons et d’Asmodée dans cet ouvrage. Pour un état de la question, voir Catherine Vialle, « Sagesse en diaspora. Le livre de Tobie », dans Catherine Vialle, Jacques Matthey, Marie-Hélène Robert, Gilles Vidal (dir.), Sagesse biblique et mission (Cerf Patrimoines), Paris, Éditions du Cerf, 2016, p. 155-164.
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[30]
Voir Paul-E. Dion, Raphaël l’Exorciste, p. 405-413.
-
[31]
« On a remarqué qu’elle ne surprendrait pas dans les traités de médecine antique, et J. Thackeray cite des recettes arabes traitant le leucôma par le fiel ou la fiente de crocodile. » (Raymond Pautrel, « Trois textes de Tobie », p. 118). Il en est de même en ce qui concerne les expulsions de démons. Voir Yvan Koenig, Magie et magiciens dans l’Égypte ancienne, Paris, Pygmalion, 1994, cité par Daniel DorÉ, Le livre de Tobit ou le secret du Roi (Cahiers Évangile, 101), Paris, Éditions du Cerf, 1998, p. 36-37 ; Annie Attia, « Disease en Healing in the Book of Tobit and in Mesopotamian Medicine », dans Strahil V. Panayoton, Ludek Vacin (éd.), Mesopotamian Medicine and Magic. Studies in Honor of Markham J. Geller (Ancient Magic and Divination, 14), Leiden, Brill, 2018, p. 36-68 ; Beate Ego, « The Demon Asmodeus », p. 79-81.
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[32]
Elena Di Pede, et al., Révéler les oeuvres de Dieu, p. 32. De ce fait, d’un point de vue narratif, il ne s’agit pas d’un élément déterminant. Toutefois, notons que Beate Ego considère cette information comme centrale : selon son analyse, si Asmodée agit ainsi, c’est par jalousie et Tobias apparaît donc comme son adversaire. Mais il est également l’adversaire de l’endogamie tant prônée par Tobit père et, à ce titre, adversaire également de la spécificité du peuple d’Israël. Cf. Beate Ego, « « Denn er liebt sie », (Tob 6,15 Ms. 319). Zur Rolle des Dämons Asmodäus in der Tobit-Erzählung », dans Hermann Lichtenberger, Armin Lange, K. F. Diethard Römheld (éd.), Die Dämonen. Demons, 2003, p. 309-317.
-
[33]
Eugène Mangenot, art. « Démon », dans Dictionnaire de théologie catholique, IV/1, Paris, Letouzey et Ané, 1920, col. 322-409 (405).
-
[34]
Ida Fröhlich, « “Because he loves her”. The Figure of the Demon in the Book of Tobit », dans Kinga Dévényi (éd.), Studies in Memory of Alexander Fodor (The Arabist. Budapest Studies in Arabic, 37), Budapest, Csoma de Korös Society, 2016, p. 28-30. Ce faisant, l’autrice s’inscrit à l’exact opposé de Beate Ego (cf. note 32).
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[35]
Relevé aussi par Beate Ego, « The Demon Asmodeus », p. 78.
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[36]
Souligné aussi par J. Edward Owens, « Asmodeus : A Less Than Minor Character in the Book of Tobit. A Narrative-Critical Study », dans Friedrich V. Reiterer, Tobias Nicklas, Karin Schöpflin (éd.), Angels. The Concept of Celestial Beings – Origins, Development and Reception (Deuterocanonical and Cognate Literature), Berlin – New York NY, Walter de Gruyter, 2007, p. 277-290, part. p. 285.
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[37]
L’hypothèse de Beate Ego, selon laquelle Asmodée tue les maris de Sara afin de s’opposer au commandement du mariage endogamique prescrit par la Torah ne nous semble pas suffisamment fondée dans le récit. En effet, si le mariage endogamique est bien présenté comme essentiel dans le récit, rien ne permet de penser que c’est cela qui provoque le comportement d’Asmodée qui reste inexpliqué. Cf. Beate Ego, « The Demon Asmodeus », p. 86-87.