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On connaît le psychanalyste François Sirois pour son ouvrage presque encyclopédique sur les Névroses publié aux Presses de l’Université Laval. Certains auront aussi connu son Parcours de la musique baroque, sorte de vacance intellectuelle de la psychiatrie.

En ces temps modernes où le cinéma entre en compétition avec les fantasmagories que comportent nos rêves et où l’électrophysiologie semble avoir ramené le rêve au REM (phase du sommeil comportant un sommeil léger et un relâchement musculaire et des mouvements rapides des yeux), la question du statut du rêve n’est pas sans intérêt. Sirois y voit une manière fondamentale de présenter le paradigme de la psychanalyse puisque le rêve (que Freud présentait un peu comme la psychose que chacun vit durant son sommeil) est une voie privilégiée pour l’inconscient. L’ouvrage de Sirois se divise en deux parties. La première porte sur « l’argument de Freud sur le rêve » et la seconde porte sur « les questions soulevées par la position de Freud sur le rêve ».

Dans la première partie, l’ouvrage aborde le texte princeps sur le rêve, soit L’interprétation des rêves parus en 1899. Selon Sirois, le rêve y est présenté comme « le premier terme d’une série de formations psychiques, d’où sa valeur théorique de paradigme. » Puis, vient une section qui, à propos du rêve, traite de la méthode de son interprétation, puis de son travail, puis de sa nature comme réalisation d’un désir.

Dans la deuxième partie, l’auteur aborde d’abord la conception grecque du rêve, puis élabore autour de la nature de l’objet onirique, de la vérité du rêve et du « démonique » qui s’y trouve.

Pour comprendre l’entreprise de l’auteur, signalons qu’il fournit en références bibliographiques plus d’une trentaine d’ouvrages d’Aristote, et trois de plus de textes de Freud. Les commentateurs d’Aristote y sont aussi fréquemment cités, à commencer par Saint-Thomas. Donc, il y a un effort d’éclaircir les concepts d’Aristote que Freud aurait cité 8 fois, et dans la deuxième partie du livre, on traite peut-être plus d’Aristote que de Freud. Il faut admettre qu’Aristote est sans doute le premier philosophe occidental à considérer le rêve hors de tout contexte pour ainsi dire mystique. L’auteur fait montre d’une érudition et d’une maîtrise des textes d’Aristote qui font de son livre quelque chose qui ressemble fort à une excellente thèse doctorale de philosophie. Mais, on se surprend de voir tant d’attention à Aristote alors que ce dernier ne fait pas partie du titre et que tout autre philosophe est cité expéditivement. On sait aussi que Freud a été en contact non seulement avec les textes d’Aristote, mais aussi avec la philosophie de son temps. De plus, la psychanalyse a interpellé au premier plan plusieurs grands philosophes contemporains (notamment en France Sartre, Merleau-Ponty, et Ricoeur) et en retour, ces philosophes ont parfois jeté un regard lumineux sur la psychanalyse.

L’entreprise de Freud, reprise systématiquement par Sirois, ressemble dans un premier temps à une sorte de phénoménologie du rêve (expression non employée par Sirois) pour ensuite devenir une sorte d’énergétique du rêve qui ne se comprend que par cette « autre scène » (expression de Freud non mentionnée par Sirois) qu’est l’inconscient. Ce dernier, d’après Sirois au terme d’une argumentation serrée, serait seulement « une qualité ou un état de la représentation psychique » et, selon le langage aristotélicien, « comme un accident de la représentation et non pas comme une substance » (p. 177).

Dans la deuxième partie, Sirois en vient entre autres à se confronter à des contradicteurs de Freud (Politzer, MacIntyre, Wittgenstein, Raikovic, Sartre), et à tenter de situer l’apport freudien avec l’aide notamment d’Aristote. Avec bonheur, il cite en détail certains auteurs évoqués par Freud, comme Artémidore avec son interprétation linguistique du fameux rêve d’Alexandre, ou encore et surtout, de long en large, Aristote. Tant qu’à citer aussi abondamment ce dernier philosophe, il aurait pu donner quelques indications sur les divers aspects du plaisir chez Aristote puisque, d’après Freud, le rêve vise la satisfaction du désir et que cette satisfaction est principalement la source de plaisir, et que, pour Aristote, le plaisir est, en tout cas dans le cadre de la finalité d’un organe, l’expression éprouvée de son bon fonctionnement.

À la lecture de la deuxième partie, on a parfois le sentiment d’une apologétique documentée de la psychanalyse qui pourrait bien être le rêve de François Sirois qui aurait inspiré l’entreprise de cet ouvrage.

Il ne s’agit pas d’un livre destiné à aider à l’interprétation des rêves, mais bien un ouvrage de type phénoménologique et philosophique qui devrait bien s’insérer dans la bibliothèque de trois catégories de lecteurs : (1) les théoriciens de la psychanalyse ;. (2) les philosophes pour qui, dans la problématique de la psyché, la nature du rêve et de la conscience rêveuse, est un objet de réflexion ; (3) les hellénistes, à cause des très importantes références aux auteurs grecs, à Aristote principalement mais également à Platon et à d’autres, plus littéraires (Homère, Sophocle, Eschyle, Euripide, Hésiode) : en effet, le texte aborde autant les songes de Pénélope que le sens de la tragédie chez les grands dramaturges et chez Aristote. Donc un livre fouillé, érudit à propos de Freud et d’Aristote, qui requiert constamment l’attention du lecteur.