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Situation de l’Estrie

Au Québec, la région administrative de l’Estrie (291 359 habitants) n’a jamais eu d’hôpital psychiatrique. Jusqu’au début des années 60, cette région comptait sur les grandes institutions psychiatriques de Montréal et de Québec pour héberger ses malades. Pour remédier à cette situation, on avait mis en chantier la construction d’un tel hôpital, mais le rapport Bédard, Lazure et Roberts, publié en 1962, dénonce le sort fait aux malades dans les grands hôpitaux psychiatriques et recommande un moratoire sur leur construction, une dimension plus humaine pour les institutions psychiatriques existantes et la création de départements de psychiatrie dans les hôpitaux généraux des régions. Résultat : le chantier est abandonné. Peu après, les hôpitaux généraux de la région ouvrent l’un après l’autre leurs départements de psychiatrie.

Entre-temps, la désinstitutionnalisation prônée par le rapport de 1962 va bon train. Les grands hôpitaux psychiatriques de Québec et de Montréal libèrent un grand nombre de patients et les renvoient dans leurs régions d’origine. Pour l’Estrie, cela représente, dans les années soixante-dix, entre 600 et 700 malades. Il faut s’organiser. D’emblée, on décide de les installer dans de petites ressources imbriquées dans la communauté plutôt que dans une vaste institution, de toute façon inexistante. En 1980, un des hôpitaux de la région, l’Hôtel-Dieu, se voit confier la responsabilité d’un programme régional de soins de longue durée psychiatrique. Quelque 40 lits seront dédiés à la clientèle souffrant de troubles mentaux graves et persistants mais n’auront jamais une mission d’hébergement à long terme : ils servent plutôt de milieu de soins et de réadaptation à court et moyen terme (durée moyenne de séjour de 30 jours) pour les aggravations passagères de symptômes, après quoi le retour en milieu communautaire se fait le plus rapidement possible. Une maison de transition avec un programme actif de réadaptation à la vie en communauté vient seconder l’hôpital. Ce système a cours en Estrie depuis maintenant près de 25 ans.

Cette façon de faire s’avère-t-elle efficace ? Comment expliquer ce cas d’une région dépourvue de lits psychiatriques de longue durée ? Qu’en est-il des personnes très gravement et durablement malades, qui en principe séjourneraient dans de tels lits ? Leurs besoins sont-ils adéquatement pris en compte dans une structure aussi désinstitutionnalisée ? Telles étaient les questions générales qui ont donné naissance à ce projet.

Revue de la littérature

Partout en Occident, l’organisation des soins en santé mentale a subi une importante transformation : l’immense hôpital psychiatrique où s’entassaient, au milieu des années 1950, des milliers de patients a peu à peu « fondu » (Lesage, 1999). Il a été en grande partie remplacé par un réseau d’unités de soins aigus dans les hôpitaux généraux, de cliniques externes, d’hôpitaux de jour et de programmes de réadaptation ; ce réseau hospitalier est complété par des services communautaires. Des ressources d’hébergement de plus petite taille ont aussi été mises en place pour la fraction de la clientèle incapable de vie autonome malgré les meilleurs efforts thérapeutiques.

Dans l’ensemble, ce remaniement du réseau a été heureux. Ce dispositif de soins semble apte à répondre aux besoins de la plupart des patients à coût comparable ; la qualité de vie des usagers y est meilleure (Lesage et al., 2000). L’ancien hôpital psychiatrique était en effet critiqué pour ses dimensions « totalitaires », sa tendance à enfermer les patients dans un rôle de malade dépendant et passif (Goffman, 1961) et éloignait ses pensionnaires de tout contact avec la vie communautaire.

Cependant, plusieurs auteurs ont souligné les dérapages possibles de ce vaste changement : si on tente de réduire la taille de l’institution psychiatrique sans mettre sur pied un réseau alternatif de taille et de qualité suffisante, il faut s’attendre à des conséquences néfastes, telles une augmentation du nombre de sans-abri ; un phénomène de « porte tournante » dans les lits de soins aigus psychiatriques (incapables de fonctionnement autonome, certains patients sont admis à répétition) ; une dérive de la clientèle vers le réseau judiciaire et les prisons.

Une autre conséquence inattendue de cette vaste opération de désinstitutionnalisation est l’émergence d’un nouveau type de patients — les « jeunes adultes chroniques » ou « nouveaux patients de longue durée » — fort différent de la génération précédente : celle-ci, tôt institutionnalisée, devenait dépendante et passive. Le nouveau groupe réticent à se faire soigner, mène une vie en communauté souvent nomade, désorganisée, criminalisée et compliquée par l’abus d’alcool et de drogues illicites (Lamb et al., 2001 ; Lamb et al., 1993 ; Lamb, 1997 ; Lamb et al., 1998).

Peut-on faire disparaître complètement l’hôpital psychiatrique ? Okin (1995) affirme que oui en citant le cas d’une région de 850,000 habitants dans l’ouest du Massachusetts où on a complètement remplacé cette institution par une gamme de ressources résidentielles et divers services de soins. Par contre, dans une autre partie du même état américain, Gudeman et Shore (1984) attirent l’attention sur le fait qu’une petite fraction de la clientèle souffre de difficultés de comportement si sévères, si durables et si réfractaires au traitement que les ressources d’hébergement communautaire n’arrivent pas toujours à suffire. Rapportant leur expérience d’un réseau de soins largement désinstitutionnalisé, ces auteurs repèrent un noyau de patients hospitalisés en permanence malgré la vocation de courte durée de leurs unités de soins. En dépit des meilleurs efforts thérapeutiques, ces patients sont trop gravement perturbés pour retourner vivre en communauté, et leur réseau de soins n’a plus la possibilité de les transférer dans un hôpital psychitrique pour hébergement de longue durée. Gudeman et Shore (1984) répartissent ces patients en cinq grands groupes :

  1. Les patients âgés, déments, avec perturbations graves du comportement qui rendent impossible le maintien en centres de soins conventionnels de longue durée (3/100 000 habitants) ;

  2. Les patients déficients mentaux et psychotiques avec de graves perturbations du comportement (3/100 000 habitants) ;

  3. Les patients cérébro-lésés avec troubles graves de contrôle des impulsions et violence (1,5/100 000 habitants) ;

  4. Les patients psychotiques chroniquement violents ou suicidaires, réfractaires aux traitements connus (2,5/100 000 habitants) ;

  5. Les patients schizophrènes aux comportements chroniquement si désorganisés que la vie en société est impossible, et qui peuvent devenir victimes de mauvais traitements : tendance aux cris, nudité publique, vols, vagabondages, sexualité désordonnée, tendance à mettre le feu (5/100 000 habitants).

Cette clientèle souvent qualifiée de « tertiaire » représente donc quelque 15 patients par 100 000 habitants.

Gudeman et Shore (1984) soutiennent ce qui suit : « […] When deinstitutionalization is pushed to its limit by elimination of access to state-hospital backup a number of patients remain whose needs cannot be met by the full range of acute psychiatric treatments coupled with community alternatives to hospitalization. »

Le cas de l’Italie mérite une attention particulière. En 1978, une loi décrète la fermeture des hôpitaux psychiatriques aux nouvelles hospitalisations. Cette loi annonce aussi leur déclin progressif dans les décennies suivantes, ces hôpitaux étant perçus comme des instruments de contrôle social répressif. Trieste, ville où la réforme a été amorcée, sert de ville témoin du succès de l’approche (Dell’Acqua et al., 1998). Une étude dans Vérone Sud, un secteur bien nanti en ressources, indique un déclin graduel du nombre des patients de longue durée et l’absence de nouveaux cas d’hospitalisation de longue durée (> 1 an) à partir de 1982 (Lesage et al., 1993). Ces patients aux besoins de soins et d’hébergement durables n’ont pas disparu, mais ont plutôt été pris en charge par un réseau communautaire qui inclut des appartements supervisés, des foyers de groupe, etc. Il semble que les patients très handicapés et problématiques y soient pris en charge par des ressources résidentielles non hospitalières. Par contre, l’expérience italienne n’est pas qu’heureuse : en dehors des zones à succès telles Trieste et Vérone, les ratés semblent avoir été nombreux. Jones et Poletti (1985a, 1985b, 1986) en font une description troublante dans deux enquêtes informelles effectuées à travers le pays. Ils soutiennent que l’hôpital psychiatrique n’a pas disparu mais a tout simplement changé de nom. Ces auteurs décrivent une situation à maints égards déplorable où les patients les plus gravement malades semblent avoir été abandonnés dans les anciens hôpitaux psychiatriques qui sont en décrépitude et qui ont été rebaptisés « villas », « structures alternatives » ou « centres de réhabilitation ». Les ressources humaines y semblent réduites à un minimum inacceptable dans plusieurs cas ; les unités sous clé existent encore, l’usage de contention aussi, le consentement des patients à ces mesures étant une pure formalité. La mission de l’hôpital psychiatrique a été reprise par un réseau privé — à but lucratif — d’hébergement ; les conditions de vie et d’autonomie y sont souvent abjectes. Les hôpitaux de psychiatrie légale ont vu leur population augmenter de 13 %.

Dans le cadre d’une vaste étude sur la fermeture d’hôpitaux psychiatriques en Angleterre, Trieman et Leff (1996a) constatent un phénomène analogue à celui décrit par Gudeman et Shore, c’est-à-dire, qu’une fois la plupart des patients orientés vers des ressources communautaires, il reste un noyau réfractaire à la pharmacothérapie, sujet à de graves troubles de comportement dont la violence, une sexualité désordonnée, des risques de pyromanie, l’incontinence, une tendance à uriner ou à déféquer en public, l’errance, des cris, un risque de suicide, la polydipsie et une désorganisation importante de la capacité à prendre soin de leur personne. Les auteurs estiment que cette clientèle représente quelque 9-10/100 000 habitants.

Quelles solutions privilégier pour ces clients fort difficiles ? S’agit-il de la limite ultime du processus de désinstitutionnalisation ? Faut-il maintenir des hôpitaux psychiatriques de taille réduite pour répondre à ce besoin ? La plus récente version de la politique québécoise de santé mentale recommande de maintenir 15 lits psychiatriques de longue durée par 100 000 habitants, un chiffre vraisemblablement inspiré des travaux de Gudeman et Shore (MSSS, 1997). Il existe par contre, des alternatives à l’hôpital psychiatrique, plus « humaines », de petite taille ; elles ont en commun un haut ratio personnel/patient, disponible 24 h/jour ; un encadrement étroit associé à des efforts de réadaptation ; des plans de soins visant l’extinction des comportements les plus problématiques. En Angleterre, ce sont les « hostel wards » (Garety et al., 1984 ; Trieman et al., 1996b ; Leff et al., 2002). Au Canada, le programme Seven Oaks, en Colombie Britannique, est souvent cité en exemple (Publications Santé Canada, 1997 ; voir article du présent numéro).

Questions de recherche et cadre théorique

Pour ce qui est de la situation en Estrie, les principales questions que nous nous posions étaient les suivantes : d’abord, peut-on dénombrer les malades aux tableaux cliniques très graves et durables (ceux qui, en théorie, séjourneraient dans des lits psychiatriques de longue durée) ? ; est-il possible de les repérer, d’identifier leurs diagnostics, comme les principaux comportements et symptômes qui compliquent leurs soins ? ; quelles sont les ressources en place pour répondre à leurs besoins ? ; existe-t-il des signes d’insuffisance de ces ressources ? À cet égard, il nous fallait un cadre théorique pour diriger la démarche.

Thornicroft et Tansella (1999) nous invitent à imaginer les composantes d’un réseau de soins psychiatriques comme une série d’éléments inter-reliés et interdépendants semblable — dans une certaine mesure — à un système hydraulique. Dans une telle perspective systémique, l’absence d’un hôpital psychiatrique ou l’insuffisance de ressources pour répondre aux besoins de ces cas très lourds, pourrait avoir les conséquences néfastes selon Jones et Poletti (1985) et Lamb et Bachrach (2001). Ainsi on assisterait à une dérive des patients vers le réseau judiciaire avec de fréquents méfaits et des recours à la prison comme lieu d’hébergement sécuritaire de dernier recours ; il y aurait utilisation inappropriée des lits de courte durée, des hospitalisations prolongées ou à répétition, faute d’autres ressources où héberger ces bénéficiaires ; la survenue, dans les discussions et les tables rondes régionales, des patients jugés cas « problèmes » ou « litigieux » qui « brûlent les ressources » et considérés difficiles à placer et une perception de la part des gestionnaires régionaux du manque de ressources pour ces clientèles. On pourrait voir aussi le transfert hors région de la clientèle, faute de trouver sur place les ressources nécessaires et une augmentation de la détresse psychologique chez ces clientèles, ce qui pourrait provoquer un nombre anormalement élevé de suicides ainsi qu’une dérive des patients vers une vie itinérante.

Méthodes de recherche

Nous avons retenu comme devis l’étude de cas qui combine données qualitatives et quantitatives (Yin, 1994 ; Keen et al., 1995). Deux démarches principales ont été menées en parallèle, à l’été et l’automne 2002 :

  1. 21 entrevues semi-structurées. Le choix des informateurs s’est fait par échantillonnage raisonné (Pires, 1997). Nous avons identifié les personnes les mieux informées et les plus chevronnées, et avons voulu documenter le plus grand nombre possible de points de vue en sollicitant des personnes dans tous les secteurs pertinents à l’objet de recherche :

    • administrateurs et gestionnaires à la Régie Régionale

    • psychiatres, travailleurs sociaux, infirmiers et gestionnaires du réseau hospitalier

    • responsables et cliniciens des ressources susceptibles d’héberger ces patients difficiles

    • médecins et gestionnaires du réseau carcéral de la région

    • gestionnaires des réseaux connexes à la psychiatrie : réseau de la déficience intellectuelle, réseau de réadaptation pour clients cérébro-lésés.

    • porte-parole des patients et de leurs familles (intervenants du Curateur Public et de l’Association des Parents et Amis des Malades Mentaux de l’Estrie)

Ces entrevues visaient à comprendre le fonctionnement du réseau de soins, d’en cerner les forces et faiblesses ; à identifier les ressources susceptibles d’accueillir les clientèles plus difficiles ; à voir si les conséquences néfastes envisagées par le cadre théorique existaient bel et bien dans la réalité quotidienne de ces intervenants. Les entrevues ont été enregistrées sur magnétophone, la transcription a fait l’objet de relecture et validation par les informateurs eux-mêmes avant de faire l’objet de codage et analyse (Miles et al., 1994).

  1. Le repérage et la description des cas les plus difficiles et durables. À cet égard, la population cible de l’étude a été définie ainsi :

    1. les bénéficiaires âgés de 18 à 65 ans ;

    2. les bénéficiaires qui habitaient l’Estrie (région administrative 05) entre le 1er janvier et le 31 décembre 2002 ; ou qui provenaient de l’Estrie avant leur passage dans une ressource supervisée, carcérale ou hospitalière ;

    3. documentation médicale d’un trouble grave de la lignée psychotique (groupes IV et V de Gudeman et Shore) qui perdure depuis plus de deux ans ;

    4. un trouble de comportement sévère et stable dans le temps qui nécessite un encadrement étroit et rend la vie en communauté ou en ressource d’hébergement « légère », telle une famille d’accueil, très problématique (exemples : haut risque de violence envers soi, autrui, ou la propriété ; désorganisation ; tendance aux méfaits ; autres problèmes).

Les personnes suivantes ont été exclues :

  • les bénéficiaires dont le problème est exclusivement un trouble de personnalité antisociale, de toxicomanie, de paraphilie ou de déficience intellectuelle (absence de troubles mentaux psychotiques associés) ;

  • les bénéficiaires judiciarisés (actes criminels ou méfaits publics) sans association de trouble mental grave de la lignée psychotique ;

  • les patients atteints de maladies cérébrales dégénératives (démences d’Alzheimer et conditions apparentées).

Les stratégies de repérage de cette cohorte sont décrites au tableau 1. Celles-ci peuvent paraître complexes. Au départ, nous avions prévu faire appel aux intervenants pour nous aider à repérer ces personnes, mais les normes éthiques actuelles interdisent cette pratique non conforme à l’obligation de secret professionnel de ces intervenants. Il nous a donc fallu employer une variété de méthodes, certaines anonymes, d’autres nominatives lorsque cela était permis nous donnant accès à l’information souhaitée tout en respectant les balises fixées par le comité d’éthique et le cadre légal québécois. La multiplication de ces méthodes de repérage a donné lieu à une certaine redondance, mais, en même temps, en croisant ces stratégies, la probabilité d’avoir repéré toute la cohorte s’en est trouvée augmentée.

Afin d’obtenir une description plus précise des problématiques de ces personnes, nous avons eu recours à un outil de mesure capable d’identifier et de coter les principaux comportements et symptômes de ces dernières : le Riverview Psychiatric Inventory (Haley et al., 2002), que nous avons traduit en français aux fins de l’étude. Cette échelle de 36 items est divisée en 4 sections : routine quotidienne, symptômes psychologiques, interactions sociales, comportements agressifs. Elle est remplie par le personnel des divers milieux de soins. Chaque item est coté sur une échelle allant de 1 (aucun problème) à 5 (problème grave). Dans plusieurs des cas, il a aussi été possible d’examiner le dossier hospitalier. Une fois repérée, cette cohorte de personnes répondant aux critères de l’étude, a été divisée en deux niveaux (I et II) par un panel examinant l’ensemble des données disponibles :

  • Niveau I : troubles de comportement sévères, durables qui nécessitent un encadrement très étroit 24h/24, voire un milieu fermé.

  • Niveau II : troubles de comportement importants, mais moins intenses. Nécessité d’un encadrement étroit 24h/24, en particulier besoin de beaucoup d’aide pour les activités de la vie quotidienne (hygiène, alimentation), mais état compatible avec un milieu ouvert supervisé.

Le tableau 1 (page suivante) résume les principales questions de recherche et méthodes privilégiées pour y répondre.

Principaux résultats

Les patients

L’étude a repéré une cohorte de 36 patients de la lignée psychotique (schizophrénie et conditions apparentées) répondant aux critères de l’étude, ce qui donne une prévalence de 12/100 000 habitants. Le groupe le plus gravement malade regroupe 15 patients pour une prévalence de 5 par 100 000 habitants. A titre comparatif, on se souviendra que les sous-groupes IV et V de Gudeman et Shore représentaient 7,5 personnes/100,000 habitants (Gudeman et al., 1984), et que Trieman et Leff évoquaient le chiffre de 9-10/100,000 (Trieman et al., 1996). Le tableau 2 résume les données sur ces patients. La grande majorité souffre, comme on peut s’y attendre, de schizophrénie (23/36 ou 63,9 %) ; les troubles schizoaffectifs représentent 25 % de la cohorte (9 cas). Une composante de déficience intellectuelle est fréquemment associée : 11/36 ou 30,5 %. Les hommes sont en majorité très nette (72,2 %). L’âge moyen diffère d’une cohorte à l’autre, les patients de niveau I étant de 11,37 ans plus jeunes en moyenne.

Les données du Riverview indiquent une cohorte de patients souffrant de troubles mentaux très graves. Les patients de niveau I atteignent un score moyen de 3,97, alors que celui des patients de niveau II est de 3,53 (le score minimum est de 1, le maximum de 5). Les scores des quatre sous-échelles Riverview sont aussi élevés.

Le tableau 3 illustre d’une façon encore plus tangible la lourdeur des problèmes de cette clientèle : nous y avons recensé les comportements les plus problématiques que peuvent démontrer ces clientèles, en ordre décroissant de fréquence. Aux fins de construction du tableau, seuls ont été retenus les problèmes marqués ou graves (cotes 4 et 5 à l’échelle Riverview). On y constate, par exemple, que les manifestations autant verbales que physiques d’agressivité sont très prévalentes.

Hébergement

Où sont hébergées ces personnes ? Comme il n’y a pas d’hôpital psychiatrique, elles se retrouvent pour la plupart dans des ressources communautaires, en particulier :

  1. un petit CHSLD (Centre d’hébergement et de soins de longue durée) privé conventionné de 60 places qui s’est donné au fil des ans une vocation essentiellement psychiatrique. S’y retrouvent 15 des 36 patients de notre cohorte. Cette institution est située au coeur d’un petit village pittoresque. Bien tenue, agréablement décorée, la maison a l’allure d’une grande auberge de la Nouvelle-Angleterre. Le personnel (infirmiers/ères et préposés/es) est disponible sur les trois quarts de travail. Deux médecins omnipraticiens y font des visites hebdomadaires, un médecin psychiatre y fait des visites mensuelles. C’est un milieu foncièrement ouvert, sans salles d’isolement ni unités sécuritaires. Deux unités peuvent cependant être fermées à clé, ce qui permet de contrôler les allées et venues de patients sujets aux fugues. L’abus de substances est facile à contrôler dans ce milieu encadré. L’institution et son personnel semble capable de gérer la grande majorité des troubles de comportement sans recours à l’hôpital. Ainsi, dans la dernière année, il n’y a eu aucune hospitalisation psychiatrique en provenance de ce milieu. On nous affirme qu’en 25 ans, on n’aurait transféré que 5 cas qu’on n’a pas repris par la suite (ces quelques cas ayant manifesté une violence importante et récurrente, mettant en danger le personnel et les autres patients). La dimension de réadaptation est peu incluse dans la programmation, surtout axée sur les loisirs et l’hébergement.

  2. une petite ressource d’hébergement privée de 19 places où logent 16 des 36 patients de notre cohorte. Isolée sur une grande route en région rurale, à quelques kilomètres de tout village, il s’agit en fait d’un ancien motel. Ce contexte éloigné de tout point de vente rend facile le contrôle de l’abus de substance. Ce milieu est qualifié de ressource intermédiaire dans la classification habituelle du Ministère malgré le fait qu’elle héberge une clientèle de niveau très lourd. Les deux propriétaires (et principaux intervenants) habitent sur place et n’ont pas de formation particulière en psychiatrie. Ils sont épaulés par une éducatrice et quelques autres employés (une dizaine au total). Une infirmière et une intervenante sociale du CLSC voisin les appuient de même qu’une infirmière psychiatrique. Un médecin omnipraticien y fait des visites mensuelles. Il s’agit là aussi d’un milieu ouvert, sans salle d’isolement. Nous n’avons pas de données précises sur le taux de réhospitalisation en provenance de cette ressource.

Tableau 1

Synthèse du devis

Synthèse du devis

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Tableau 2

Description des patients les plus atteints

Description des patients les plus atteints
*

Voir description de ces milieux dans le texte

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Tableau 3

Comportements les plus problématiques

Comportements les plus problématiques

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Ces deux milieux abritaient donc 31 des 36 patients de la cohorte. Quatre patients étaient hospitalisés au département de psychiatrie de l’hôpital régional et le dernier a été retrouvé dans un hôpital psychiatrique hors-région (détails plus loin). Les autres ressources visitées au cours de l’enquête abritaient des personnes souffrant de troubles d’un niveau de gravité inférieur aux critères de l’étude.

Comment ces ressources parviennent-elles à accueillir des clientèles aussi perturbées à fort potentiel de violence ? N’y a-t-il pas là danger pour le personnel et les autres patients ? On nous a laissé entendre que vigilance et présence quasi-constantes, connaissance intime et empreinte de sollicitude, attention constante aux moindres signes de détresse, encadrement et règles fermes semblent être les ingrédients clés qui peuvent éviter la plupart des escalades ; nous n’avons pas cependant colligé de données objectives sur la fréquence d’événements fâcheux.

Mentionnons quelques limites de ce système de soins :

  • le fait de recourir à de petites ressources privées pour gérer des cas très graves confère une fragilité au réseau. La deuxième ressource mentionnée, propriété privée de petite taille, héberge plusieurs patients parmi les plus lourds. Un imprévu (maladie, décès des propriétaires, etc) pourrait la déstabiliser et provoquer une situation où l’hôpital serait le seul recours.

  • L’accès au support médical et psychiatrique est inégal pour des clientèles pourtant aux prises avec des troubles mentaux très graves.

  • Ces ressources qui acceptent de recevoir ces patients étant peu nombreuses, on note de longues durées d’attente à l’hôpital avant d’y avoir accès.

  • Il ne semble pas exister de mécanisme de réévaluation qui permettrait une migration éventuelle de certains patients vers des ressources plus légères, ce qui fait craindre une institutionnalisation de ces personnes contraire aux bonnes pratiques de réadaptation psychosociale (Publications Santé Canada, 1997). Ces ressources ont essentiellement une fonction d’hébergement où la dimension de réadaptation à une vie en communauté est peu présente.

  • Mentionnons aussi — dans le cas de la deuxième ressource — qu’il est erroné de parler d’intégration à la communauté. Au contraire, l’éloignement géographique, la dissociation d’avec le milieu social en sont une caractéristique fondamentale (et peut-être nécessaire pour ces cas très difficiles ?) Le modèle de Seven Oaks, en Colombie Britannique, possède aussi cette caractéristique (Publications Santé Canada, 1997).

Signes d’insuffisance des ressources

Qu’en est-il des « indicateurs » d’insuffisance des ressources qu’avait prévu notre cadre théorique ?

  • Usage inapproprié de lits de courte durée : 4 des 36 patients ont été repérés dans les lits de soins aigus du seul département de psychiatrie de la région — le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (le CHUS). Ces quelques cas étaient à l’hôpital depuis parfois plusieurs années de façon quasi constante ; ils ont en commun une tendance à des gestes de violence récurrents et graves qui les rendent trop dangereux pour les ressources mentionnées plus haut, ont souvent eu des démêlés judiciaires, des périodes sous Commission d’Examen (jugés non criminellement responsables de divers délits). Nous avons aussi repéré à l’hôpital un cas ne répondant pas aux critères de l’étude, mais correspondant à un des groupes de Gudeman et Shore (Gudeman et al., 1984) : la déficience intellectuelle compliquée de troubles importants du comportement dont la violence. Ainsi, le phénomène de stagnation dans les lits de courte durée psychiatrique observé par Gudeman et Shore, et qui représentait selon eux 15/100,000 de population, existe aussi, mais d’une ampleur nettement moindre (5 patients, pour une prévalence de 1,7/100 000 habitants). Notons que ce chiffre est identique au chiffre avancé par Wing pour le besoin de lits « sécuritaires » ou « judiciaires » : 1,6/100 000 (Kovess et al., 2001). Cette clientèle « coincée » au CHUS a de fait une forte composante légale. Le CHUS rechigne cependant à héberger même en petit nombre cette clientèle, sa mission étant consacrée aux soins aigus. Ceci génère périodiquement des litiges avec les autorités régionales.

  • Dérive hors-région

    Un dernier patient de notre cohorte réside dans un hôpital psychiatrique hors-région depuis plusieurs années après avoir eu longtemps une grave et récurrente tendance à la violence rendant impensable un séjour en ressource communautaire. Il s’agit du seul exemple clair que nous avons trouvé d’exportation délibérée de cas graves hors de la région. L’examen des dossiers hospitaliers et l’information obtenue par les entrevues confirment qu’il s’agit d’une pratique fort rare, du moins dans les dix dernières années. Par ailleurs, le recours à un hôpital psychiatrique provincial à vocation légale (Institut Philippe Pinel) semble parcimonieux (environ un cas par année y est tranféré généralement pour des séjours de quelques mois).

  • Suicide

    Une étude menée en parallèle dans la région (Bérubé et al., 2003) a mesuré un taux de suicide chez la clientèle psychotique de l’Estrie comparable à ce qui est documenté dans la littérature (Harris et al., 1997).

  • Itinérance

    L’évolution vers l’itinérance des cas plus graves documentée auprès des informateurs, semble rare ou temporaire. Leurs comportements très perturbés dans un contexte urbain de petite taille où il est plus difficile de se perdre dans la masse, font en sorte que les systèmes de santé ou policier les repèrent et interviennent. Toutefois, nos données à cet égard demeurent fragmentaires.

  • Dérive vers la prison

    Plusieurs informateurs nous ont par ailleurs signalé une dérive d’une petite partie de la clientèle psychotique vers le système judiciaire et carcéral. On a estimé la taille de cette clientèle à environ 20 patients (6-7/100,000), chiffre que nous n’avons cependant pas pu valider par des données précises. Ce n’est pas la simple absence d’une institution psychiatrique qui semble expliquer cette dérive, mais un ensemble de facteurs :

    • caractéristiques des malades (clientèle psychotique sujette à l’itinérance, à l’abus de substances, aux méfaits, ayant peu d’autocritique face à la maladie et peu d’intérêt à se faire soigner) ;

    • critères d’accès au système psychiatrique qui excluent ces clients ; réticence de certains soignants à prendre en charge cette clientèle difficile ;

    • difficultés du diagnostic où la psychose est « voilée » par l’abus de substances ou les comportements antisociaux, ce qui entraine un refus de services de la part du réseau psychiatrique (avec de graves conséquences : désorganisation sociale grandissante, itinérance, incarcération à répétition) (Travin et al., 1982).

La prison et l’hôpital sont deux « solitudes » qui échangent peu leurs clientèles et leurs ressources ; le chemin de l’hôpital vers la prison semble souvent à sens unique. Il en résulte des tensions et cette clientèle mal desservie représente une part importante des cas litigieux soumis aux instances régionales. Ces cas ne sont pas nécessairement superposables au cas très lourds que tentait de repérer l’étude (qui continuent de manifester des symptômes très importants malgré un traitement très actif). Ceux dont nous avons pu examiner l’évolution ont eu tendance à se stabiliser grâce à une prise en charge énergique (qui inclut le recours fréquent à un cadre légal qui limite les libertés des clients : déclaration d’inaptitude et mise sous régime de protection, ordonnances de traitement ou d’hébergement), un traitement médicamenteux, et le transfert dans des milieux encadrants et capables d’empêcher le recours à l’alcool et aux drogues illicites, mais qui auraient difficilement pu tolérer une violence soutenue ou des troubles de comportement majeurs et quotidiens.

Clientèles connexes

On s’en souviendra, les patients-problèmes repérés par Gudeman et Shore formaient un groupe hétérogène : outre les clientèles psychotiques, on y retrouvait aussi des patients souffrant de démence, de déficience intellectuelle, et de traumatismes crâniens, lorsque ces maladies se compliquent de troubles importants des conduites. Il s’agit là de clientèles qui sont souvent « oubliées » ou exclues des services plus strictement psychiatriques. Qu’en est-il en Estrie ? Sans chercher à dénombrer ces clientèles, nous avons voulu savoir quelles infrastructures existaient pour elles.

Ainsi, les patients souffrant de démence sont confiés au réseau gériatrique qui a mis sur pied, pour les plus perturbés, une unité spéciale de 9 lits (ce qui correspond au besoin évoqué par Gudeman et Shore : 3/100,000). Il semble donc que les besoins de ces personnes aient été prévus.

Les cas de déficience intellectuelle et de lésions cérébrales acquises (la plupart du temps lors de traumatismes), semblent en effet poser problème lorsqu’ils s’accompagnent de psychose ou de troubles de comportement importants. Ils ont tendance à « tomber entre deux chaises », entre des systèmes de soins qui ne les incluent pas dans leur offre de service entraînant aussi certains litiges sur le plan régional. Leurs besoins ne semblent pas comblés complètement, et ces personnes peuvent finir par dériver vers les unités de soins aigus psychiatriques du CHUS, ou vers les mêmes deux ressources d’hébergement décrites plus haut — ce qui, par le fait même, crée une certaine concurrence pour les places disponibles. On note également une dérive vers le système de soins pour personnes âgées. Nous avons repéré six patients dans une telle situation (donnée dont il serait erroné de tirer une prévalence, ce repérage n’ayant pas été fait systématiquement comme pour le groupe de 18-65 ans souffrant de troubles psychiatriques qui était l’objet central de notre étude).

Conclusion

D’abord, nous estimons que certaines limites de l’étude méritent mention. Ainsi, la classification des besoins des patients repose sur les données à partir des dossiers et du personnel traitant qui ont rempli l’inventaire Riverview et non des personnes utilisatrices elle-mêmes ou d’une entrevue complète avec le personnel étant donné les contraintes d’ordre éthique. Aussi, la classification représente ultimement un jugement des auteurs qui sont deux cliniciens seniors. Ce type d’approche de mesure des besoins basée sur une collecte systématique, certes plus étendue que la nôtre, a démontré par ailleurs une capacité de bonne reproductibilité et de validité concurrente (Van Haaster et al., 1994 ; Lesage et al., 2000). Il faut aussi mentionner que nous n’avons pas inclus le point de vue des personnes utilisatrices, ni de mesure de la qualité de vie des bénéficiaires. Les mesures obtenues à l’aide du Riverview Psychiatric Inventory ont soulevé parfois des questions de fidélité interjuge que nous n’avons pas mesurées formellement dans cette étude, malgré une autre étude métrologique rassurante (Haley et al., 2002). Ainsi, l’incidence des gestes de violence et autres incidents dangereux dans ces milieux n’a pas été mesurée ou validée avec le personnel. L’exclusion des personnes de 65 ans et plus s’est faite pour éviter toute confusion avec des personnes souffrant de démence. Il est possible que quelques individus âgés qui auraient par ailleurs rencontré les critères aient été exclus du dénombrement

L’étude ne peut offrir de jugement détaillé sur l’ensemble des services offerts en Estrie à la clientèle souffrant de troubles mentaux graves et persistants, l’objet de recherche n’étant que le devenir des personnes aux prises avec les troubles mentaux les plus graves. Le réseau Estrien comprend d’autres ressources de soins, d’hébergement et de réadaptation qui n’ont pas été décrites ici.

Globalement, notre étude dresse un bilan plutôt positif de la situation de l’Estrie. Elle semble confirmer le constat des études effectuées dans l’ouest du Massachusetts et de certaines régions italiennes (Okin, 1995 ; de Girolamo et al., 2000 ; Dell’Acqua et al., 1998 ; Lesage et al., 1993). L’absence d’un hôpital psychiatrique se vit plutôt bien. Un large consensus quant au fait qu’il est préférable de fonctionner sans une telle institution anime la quasi totalité des intervenants rencontrés. Les besoins des patients souffrant de troubles très graves semblent trouver réponse dans deux petits milieux d’hébergement, sans que cela pose apparemment, de problèmes majeurs. Cela suppose de la part de ces milieux, une grande habileté relationnelle, beaucoup de vigilance et de tolérance. Les soins médicaux et psychiatriques sont de niveau assez différent dans ces deux ressources ; la dimension de réadaptation est peu présente.

Une petite cohorte d’environ 1,7/100,000 habitants, à violence récurrente et démêlés judiciaires, ne trouve réponse à ses besoins que dans le contexte très protégé et sécuritaire du département de psychiatrie de l’hôpital régional.

On peut établir un parallèle étroit entre ces constats et le bilan qu’Henderson et Thornicroft dressent de l’état de la désinstitutionnalisation en Grande-Bretagne (Henderson et al., 1997). Ainsi, ces auteurs ont constaté que l’hébergement des patients de longue durée, autrefois assumé par l’asile psychiatrique, est maintenant pris en charge par des ressources résidentielles offrant divers niveaux d’encadrement, mais où la qualité de soins est variable ; les soins de santé physique ont tendance à devenir plus fragmentés et négligés ; les services de réadaptation et d’ergothérapie ont tendance à se heurter à des problèmes de déplacement et de transport, étant donné l’éparpillement géographique de la clientèle ; une des fonctions importantes de l’hôpital psychiatrique, les soins aux patients agressifs sous traitement imposé, demeure mal organisée dans le nouveau système ; la gravité des troubles des personnes qui logent dans ces petits milieux d’hébergement mérite d’être mieux reconnue et prise en compte dans l’attribution des ressources humaines et physiques consenties à ces milieux.

Il y aurait lieu de s’inspirer des exemples britanniques des « hostel wards » (Garety et al., 1984 ; Leff et al., 2002) et canadien de Seven Oaks (Publications Santé Canada, 1997), petites ressources à haut ratio personnel-patient, où les plans de soins incluent une dimension de réadaptation. Il semble possible avec les efforts appropriés, de faire éventuellement « graduer » une partie de ces personnes à des milieux plus légers et proches de la communauté. Il faut toutefois, les rééduquer activement, et pendant une longue période (mois ou années) aux niveaux des habiletés nécessaires à la vie quotidienne autonome et l’autocontrôle des comportements incompatibles à la vie sociale. Une ressource à la « Seven Oaks », mieux équipée pour faire face à des comportements récurrents de violence, pourrait probablement convenir au petit groupe « coincé » à l’hôpital, tout en offrant une nécessaire réadaptation.

Notre constat diffère de celui de Gudeman et Shore (1984). Ceux-ci constataient en effet que 15 patients/100 000 « stagnaient » dans des lits de soins aigus psychiatriques faute d’autre ressource capable de les héberger alors que dans notre cas, le chiffre est nettement moindre. A quoi imputer cette différence ? Ces auteurs suggéraient qu’il fallait mettre sur pied des ressources plus « lourdes » capables d’héberger les cinq clientèles identifiées. C’est en quelque sorte ce qui s’est produit en Estrie avec quelques lacunes dont nous avons déjà parlées.

Le fait que notre recensement des « cas difficiles » arrive à un taux de prévalence fort comparable à ceux mentionnés dans la littérature (Gudeman et al., 1984 ; Trieman et al., 1996) tend à confirmer la valeur de nos résultats. La nature des symptômes et des comportements retrouvés chez ces personnes recoupe le constat d’autres auteurs (Trieman et al., 1996 ; Bigelow et al., 1988). Il en découle une recommandation pratique pour les planificateurs de service : tout réseau de santé mentale doit prévoir des services d’hébergement pour cette clientèle — des services coûteux étant donné le ratio personnel/patient nécessairement élevé et la nature durable du besoin. Le nombre de lits nécessaires est estimé être par Wing de 10 à 30/100 000 (Kovess et al., 2001), et nos données se situent en effet dans cette fourchette.

Nous avons aussi constaté que les cas peu nombreux dont les caractéristiques cliniques sont moins « pures », par exemple, où une composante de déficience intellectuelle ou de traumatisme crânien contribue à un tableau clinique complexe de psychose ou de troubles de comportements, trouvent difficilement leur place dans le réseau. Les maillages entre le réseau psychiatrique et les ressources pour déficients intellectuels et traumatisés crâniens doivent être consolidés, et des structures de soins et d’hébergement conjointes méritent d’être envisagées pour tenir compte des besoins complexes de ces clientèles mixtes.

Les cas de psychose à l’interface avec le système judiciaire font aussi problème et sont parfois laissés pour compte. Les liens entre le réseau psychiatrique et le système judiciaire et carcéral doivent être renforcés. La plus grande vigilance diagnostique s’impose puisque sous des comportements sociopathiques et d’abus de substance, loge parfois la psychose. Le fait de ne pas la reconnaître engendre des conséquences très néfastes (rejet du milieu psychiatrique, ce qui équivaut à une condamnation à l’itinérance ou à la réincarcération à répétition) (Travin et al., 1982 ; Lamb et al., 2001 ; Lamb et al., 1998). Il faut continuer d’encourager le recours à des mesures légales pour encadrer ces personnes (Lamb et al., 2001). Le départ du milieu carcéral doit être préparé avec le réseau de santé. Une prise en charge par une équipe de suivi intensif dans le milieu (type PACT) actuellement inexistante dans la région, pourrait éviter le fréquent retour en milieu carcéral (Thompson et al., 2002).