Débat : Où va la psychiatrie ?

L’avenir de la psychiatrie : la recherche scientifique[Record]

  • Philippe Robaey and
  • Sonia Mansour-Robaey

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  • Philippe Robaey
    M.D., Ph.D.

  • Sonia Mansour-Robaey
    Ph. D.

Apollon, Bergeron et Cantin présentent leur texte comme un « argument ». Pourtant, les auteurs y suivent une démarche inverse à celle typique d’un argument. Un argument établit ses prémisses sur des faits ou des concepts véridiques pour émettre ensuite des hypothèses générales ou des jugements. Mais les auteurs énoncent d’emblée un jugement de valeur : les psychiatres devront choisir entre la clinique et la science. Ils consacrent ensuite plus des deux tiers de leur texte à la critique de la psychiatrie scientifique pour ne présenter leur approche clinique que brièvement et à la fin du texte. En l’absence de toute référence bibliographique, nous ne pouvons qu’assumer que les auteurs se fondent uniquement sur leur pratique clinique. Leurs constats sont les suivants : i) la psychiatrie biologique et les neurosciences ont des limites fondées sur l’écart « incomblable » entre la représentation que nous nous faisons de la réalité et la réalité elle-même, ii) la psychiatrie doit sauvegarder une approche thérapeutique fondée sur l’éthique du sujet dont la part la plus significative sur le plan clinique est inaccessible à la démarche scientifique et en conséquence, iii) la psychiatrie doit choisir entre la science et la clinique. Nous rappelons que ce qu’ils appellent une « éthique du sujet » fut en fait à l’origine un projet épistémologique du sujet élaboré à la fin du xixe siècle pour doter la psychologie, encore dépendante de la philosophie et de la métaphysique, du statut d’une science. Dans ce contexte, la psychanalyse Freudienne se développe comme une approche scientifique influencée par les sciences sociales et qui ne deviendra un projet épistémologique du sujet que dans le cadre de la pratique clinique (Farr, 1996). Quant à la psychanalyse Lacanienne, elle s’est développée, de manière similaire, sous l’impulsion de l’approche structuraliste du langage. Mais alors que ces deux courants étaient bien intégrés dans les connaissances établies de leur époque, Apollon et collaborateurs nous proposent aujourd’hui un divorce entre l’approche clinique en psychiatrie et les connaissances scientifiques actuelles : il faut choisir entre la science et la clinique. La psychiatrie scientifique intégrée aux connaissances actuelles repose en effet sur plusieurs disciplines scientifiques, biologiques, humaines ou sociales, qui sont postérieures à la psychanalyse et qui génèrent constamment des connaissances nouvelles se prêtant à des évaluations objectives. Parce que les phénomènes mentaux relèvent à la fois du biologique, du psychologique et du social, nous entendons par évaluation objective, toutes les confirmations ou infirmations convergentes de la thérapie, effectuées par des personnes tierces — autres que le patient et le soignant — à plusieurs niveaux d’organisation : tests standardisés psychologiques et comportementaux, évaluations familiale et sociale, réponses à une thérapie médicamenteuse, résultats de mesure en imagerie structurale ou fonctionnelle, etc. Le développement de ces sciences change inéluctablement la conceptualisation des phénomènes mentaux, leur explication et leur prise en charge, et les approches psychanalytiques semblent céder le pas à ces nouvelles alternatives. La psychanalyse, auto-référentielle et fondée sur la subjectivité, ne semble en effet pas vouloir ou pouvoir se prêter à de telles évaluations objectives. Affirmer que l’approche scientifique en psychiatrie est par essence limitée quant au traitement des troubles mentaux graves découle d’une mauvaise compréhension de cette approche. L’épistémologie du sujet qui est alors proposée se base sur l’ignorance comme prémisse, en assumant d’emblée que nous ignorerons toujours l’essentiel de cette dimension globale du mental qui est le sujet, parce qu’elle « dépasse les moyens de la raison ou les possibilités de la pensée ». Ce genre d’affirmation se fonde aussi sur la perception réductrice que la dimension scientifique de la psychiatrie réside dans la prescription. Or, même si le …

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