Débat : Où va la psychiatrie ?

Pourquoi choisir ?[Record]

  • Jérôme Guay

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  • Jérôme Guay
    Psychologue, ex-professeur titulaire, Université Laval.

L’argument « Les enjeux de la psychiatrie actuelle et son avenir » d’Apollon, Bergeron et Cantin nous invite à choisir entre la science et la clinique. Cet article questionne la pertinence de ce choix ; s’agit-il vraiment de la question la plus importante à se poser ? La non-accessibilité des services de psychiatrie et l’exclusion sociale des ex-patients psychiatriques devraient plutôt être les préoccupations majeures pour la psychiatrie actuelle et future. Demander de faire ce choix démontre que nous en sommes encore à une forme de pensée dualiste, qui oppose le corps et l’esprit, la nature et la culture ; la chose ne serait pas bien grave s’il ne s’agissait que de débats entre intellectuels. Mais elle illustre la fragmentation qui afflige notre champ de pratique, fragmentation qui divise les praticiens entre écoles concurrentes et chapelles dont le langage est incompréhensible l’un pour l’autre. D’un côté, ceux qui écoutent et accueillent les propos des personnes dans l’intimité du bureau, et parlent de sujet et de rapports humains ; de l’autre côté, ceux qui examinent les cerveaux et parlent de neurones et d’hippocampe. Ces deux mondes paraissent irréconciliables tant leurs différences sont profondes. Rares sont ceux qui chevauchent les deux univers, Nancy Etcoff (2002), psychiatre et neuropsychologe de Harvard, est une de celles-là, et il peut être intéressant de voir avec quelle perspective elle aborde la question. Elle raconte, avec beaucoup d’humour, comment elle passe du monde ordonné de la recherche en imagerie cérébrale à celui, intime et chaotique, de la psychothérapie qu’elle appelle la « talking therapy ». Lorsque ses patients lui livrent leurs drames et lui demandent son aide pour soulager leur détresse, elle a parfois envie, comme elle le dit, de retourner à ses cartographies du cerveau et de faire quelques calculs. Elle croit que le débat nature-culture est dépassé, n’apportant rien d’utile à l’avancement de nos connaissances. Il faut s’échapper de la tyrannie de la cause unique ; les problèmes psychiatriques ne sont pas plus causés par un gêne, que par le souvenir réprimé d’expériences traumatiques passées. Même s’il est clair que les maladies mentales ont une composante héréditaire, cela ne signifie pas pour autant que le destin des porteurs de la séquence de gênes, est prédéterminé de façon inéluctable. Tous les spécialistes du domaine de la génétique ne cessent de répéter que la cause des désordres mentaux est une interaction complexe entre les gênes et l’environnement, y incluant le hasard (Ridley, 2003). De même, les débats sur la valeur respective de la pharmacothérapie ou de la psychothérapie sont inutiles, les recherches ayant démontré depuis toujours que c’est la combinaison des deux qui donne les meilleurs résultats. On sait aussi que la psychothérapie n’a pas seulement un effet sur le psychisme mais aussi sur le cerveau. De plus en plus d’études en neurobiologie, qui comparent les images du cerveau, avant et après le traitement, découvrent que lorsque les deux formes de traitement sont efficaces, elles produisent les mêmes changements dans le cerveau. En fait, la psychothérapie produirait les mêmes effets que n’importe quelle forme d’entraînement intensif, comme la formation musicale. En effet, il y aurait des changements dans l’expression génétique qui modifieraient la force des connections synaptiques et amèneraient des changements structuraux altérant le patron des interconnections entre les cellules nerveuses dans le cerveau. Il est donc injustifié de maintenir les deux aspects séparés, puis de développer des écoles de pensée antagonistes qui ne font que retarder les progrès dont notre champ a un besoin urgent. Mais l’intégration entre le monde de la clinique, et celui qu’on définit comme scientifique, n’est pas pour demain. La psychiatrie, le …

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