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Le lien entre le soutien des proches et la santé mentale n’est plus à démontrer (Coyne et Downey, 1991). En effet, le soutien social fait partie des principaux facteurs associés à la santé mentale (Thoits, 1995). Le soutien social est reconnu pour être un construit multidimensionnel. Le soutien social dit fonctionnel fait l’objet de la présente étude, et fait référence aux comportements d’aide perçus ou reçus de la part des proches qui sont en lien avec les besoins de l’individu devant composer avec une situation stressante (Cohen et Wills, 1985 ; Wills et Fegan, 2001).

À titre de troubles mentaux, les troubles anxieux constituent la catégorie la plus prévalente dans la population générale (à vie : 28,8 % ; 12 derniers mois : 18,1 % ; Kessler et al., 2005a ; 2005b). Au Canada, les prévalences pour le trouble panique, l’agoraphobie et la phobie sociale sont respectivement de 1,6 %, 0,7 % et 3,0 % auprès d’individus âgés de 16 à 65 ans (Statistiques Canada, 2003). Il est également rapporté que 25 % des individus ont déjà vécu des réactions d’anxiété intenses au cours de leur vie (Ladouceur et al., 1999). Les troubles anxieux, ainsi que des niveaux d’anxiété élevés mais non cliniques, peuvent avoir des impacts négatifs importants sur la qualité de vie psychologique et physique ainsi que sur la situation sociale, occupationnelle et économique des individus qui en souffrent (Gladis et al., 1999 ; Mendlowicz et Stein, 2000). Or, il semble que le soutien social peut atténuer les effets négatifs de l’anxiété et ainsi contribuer au maintien de la santé mentale des individus anxieux. Pourtant, les études sur les facteurs explicatifs dans le développement ou le maintien de l’anxiété ciblent rarement le soutien social. En effet, celles-ci se penchent davantage sur des modèles plus biologiques et cognitifs, notamment dans le cas du trouble panique, de l’agoraphobie et de la phobie sociale (Margraf et al., 1993 ; Rosenbaum et al., 1994 ; Salkovskis et al., 1991).

L’état de nos connaissances sur la relation entre le soutien social et les troubles anxieux est moins étendu comparativement à celui d’autres psychopathologies telles que la dépression (Beach, 2001) ou l’abus d’alcool (Halford et Bouma, 1997). Une des raisons expliquant ce constat provient du fait qu’aucun instrument ne permet de mesurer la qualité du soutien des proches en fonction des différentes réactions d’anxiété (pour une revue des principales mesures de soutien social voir Wills & Shinar, 2000). En effet, les comportements de soutien visant à diminuer les réactions anxieuses de type panique, les inquiétudes excessives, les obsessions, l’hyperactivité neurovégétative et l’évitement sont différents des comportements de soutien visant à diminuer la tristesse ou la consommation d’alcool ou encore à aider une personne à palier une limitation physique. La spécificité des besoins entraînés par des réactions anxieuses par rapport à d’autres émotions ou problèmes de santé suggère donc la pertinence de développer un instrument propre à cette problématique

Effets spécifiques du soutien social sur l’anxiété

L’étude du soutien social auprès d’individus avec un trouble anxieux soulève des défis particuliers concernant l’identification des comportements de soutien fonctionnel, c’est-à-dire qui correspondent aux besoins des individus avec un trouble anxieux. En effet, certains comportements de soutien peuvent être perçus comme étant constructifs par les individus anxieux parce qu’ils entraînent un soulagement rapide de l’anxiété. Or, plusieurs de ces comportements peuvent contribuer au développement ou au maintien de l’anxiété. Par exemple, un individu avec un trouble d’anxiété généralisée, qui se fait fréquemment conseiller de manière rassurante par un proche au sujet de ses inquiétudes, va généralement rapporter une impression positive de cette forme de soutien alors que la recherche de réassurance constitue une forme d’évitement et donc un facteur de maintien du trouble (Campbell et Brown, 2002). Il en va de même quand un proche tente de sécuriser un individu anxieux en l’aidant de manière tangible (par exemple, en conduisant la voiture à la place d’un individu qui a peur de faire une attaque de panique et de s’évanouir au volant ; Marchand et Boivin, 1999). Malheureusement, aucune mesure de soutien existante ne permet d’évaluer ces dimensions de manière spécifique aux troubles anxieux.

De plus, la majorité des questionnaires de soutien social ne mesure que les dimensions positives des rapports de soutien. Or, des études démontrent que les interactions négatives avec les proches apparaissent plus fortement liées à la santé psychologique des individus que les interactions positives (Rook, 1984 ; Sarason et al., 1993 ; Fiore et al., 1983) et que leurs effets sur la santé psychologique sont indépendants de ceux des interactions positives (Abbey et al., 1985 ; Rook, 1984). À cet effet, les résultats d’une étude pilote réalisée auprès d’un groupe d’individus anxieux (St-Jean-Trudel et al., 2003) indiquent que le soutien social est en relation linéaire avec la détresse psychologique de ces personnes. Néanmoins, bien que les mesures utilisées, soit l’Échelle de Provisions Sociale (EPS ; Cutrona et Russel, 1987 ; Caron, 1996) et le Questionnaire sur le Soutien Perçu (QSP ; Manne et al., 1997 ; Guay et Miller, 2000) sont pertinentes, il s’en trouve qu’elles présentent des limites importantes. En effet, l’EPS ne mesure que le soutien positif et le QSP ne permet d’évaluer qu’un nombre restreint de comportements pouvant être émis lorsqu’une personne est anxieuse. Ainsi, le développement d’un outil mesurant à la fois le soutien perçu négatif et positif et qu’un large éventail des divers types de soutien en lien spécifiquement avec l’anxiété semble essentiel. Cet outil permettrait de mieux évaluer l’impact des comportements de soutien social perçus en situation d’anxiété, et par le fait même de mieux comprendre l’impact du soutien social dans le développement et le maintien des réactions anxieuses.

Principalement, l’objectif de la présente étude consiste à développer un Questionnaire sur les Comportements de Soutien en situation d’Anxiété (QCSA), et surtout à évaluer les propriétés psychométriques de ce nouveau questionnaire mesurant le soutien social en situation d’anxiété. Il s’agit d’une première étape visant à établir la validité et la pertinence de cet instrument de mesure. Les objectifs spécifiques sont l’évaluation de la structure factorielle, de la consistance interne et de la validité convergente du questionnaire auprès d’une population d’étudiants universitaires. Il est attendu que le QCSA présentera des évidences de validité convergente avec d’autres mesures de soutien social, et qu’il corrélera de façon significative avec le degré d’anxiété des répondants et son fonctionnement psychosocial.

Méthodologie

Participants

L’échantillon total se compose de 257 étudiants universitaires de premier cycle (74 % sont des femmes), francophones provenant de divers programmes d’étude (psychologie, langues, sciences juridiques, etc). La taille de l’échantillon est conforme aux suggestions de Nunally (1978). Les participants sont âgés de 17 à 30 ans (moyenne de 23,8 ans). Dans l’échantillon, 66 % des femmes et 59 % des hommes sont en couple. Parmi les participants en couple, 54 % des femmes et 44 % des hommes cohabitent avec leur conjoint(e). Les autres se déclarent célibataires.

Procédure

Pour procéder à la validation du QCSA, les questionnaires sont remis aux participants dans le cadre de cours à l’université et récupérés à la fin du cours ou la semaine suivante. Avec l’accord de l’enseignant, l’expérimentatrice présente le projet aux étudiants en expliquant le but de l’étude, ce que représente la participation à cette étude, le contenu des questionnaires présentés ainsi que les modalités d’un consentement éclairé. Le choix de ce groupe de participants est justifié par le fait que ces cours universitaires incluent des étudiants de tous domaines d’étude et de tout âges.

Instruments de mesure

Les participants complètent une série d’instruments mesurant différentes formes de soutien social, l’anxiété et le fonctionnement psychosocial. Un questionnaire d’informations générales comprenant l’âge, le sexe et le statut matrimonial est également administré.

Soutien social

Questionnaire sur les comportements de soutien en situation d’anxiété (QCSA)

Trois chercheurs et psychologues (Stéphane Guay, André Marchand et Kieron O’Connor du Centre de recherche Fernand-Seguin) spécialisés dans l’étude des troubles anxieux ont développé un questionnaire visant à mesurer la fréquence de différents comportements de soutien (adéquats ou inadéquats) du proche le plus significatif en lien avec la sévérité des troubles anxieux et ce, lorsque l’individu anxieux manifeste ses symptômes dans une situation particulièrement anxiogène. Pour ce faire, ils ont constitué un ensemble de 73 items représentant des comportements de soutien susceptibles d’être émis envers le répondant lorsque celui-ci se trouve dans une situation où il se sent anxieux. Afin de s’assurer de tenir compte de tous les types de soutien pouvant être dispensés auprès d’une population anxieuse et de rendre compte adéquatement du construit évalué, les items ont ensuite été remis à 10 collègues chercheurs et cliniciens dans le domaine des troubles anxieux afin qu’ils donnent leur avis sur le degré de représentativité du construit mesuré pour chacun des items sur une échelle allant de 1 (nul) à 9 (très élevé). Les répondants pouvaient également suggérer des items qui n’étaient pas inclus dans cet ensemble. La moyenne du degré de représentativité pour l’ensemble des évaluateurs étant de 7 avec un écart-type de 0,85, tous les items se situant à un écart-type et moins sous la moyenne dans leur degré de représentation du construit ont été rejetés (par exemple, me donne de l’affection, s’en va, me prend dans ses bras, évite de me toucher, etc). Après révision, 62 items ont été retenus et 3 autres furent ajoutés parce que suggérés par les chercheurs-cliniciens consultés, pour un total de 65 items.

Le QCSA est donc un instrument de mesure auto-administré comprenant 65 items mesurant les perceptions du répondant quant à différents types de comportements de soutien que son confident le plus significatif peut lui dispenser, lorsqu’il est visiblement très anxieux ou angoissé. Les comportements répertoriés couvrent différents types de soutien positif, soit le soutien émotionnel (par exemple, me demande comment je me sens ; m’encourage à lui parler de mes difficultés ; m’aide à affronter mes peurs ; respecte mon rythme ; essaie de comprendre comment je me sens ; tente de me rassurer), le soutien tangible (par exemple, m’accompagne dans mes déplacements ; demande des choses pour moi ; me protège ; interrompt ce qu’il-elle faisait pour m’accommoder), le soutien informationnel (par exemple, me donne des conseils ; tente de m’informer par rapport à mon problème ; m’aide à interpréter de façon moins catastrophique ce que je vis), le soutien de camaraderie (par exemple, essaie de me changer les idées ; fait des blagues qui me détendent ; essaie de me faire oublier mon problème ; m’aide à me détendre ; m’aide à changer mes idées dérangeantes) et le soutien négatif (par exemple, est impatient avec moi ; critique ma façon de réagir ; me dit d’éviter ou de fuir la situation ; me dit que j’exagère ; essaie de me confronter ; me dit que je suis fou (folle) ; s’isole de moi). Le répondant doit indiquer, à l’aide d’une échelle en 5 points de type Likert, la fréquence à laquelle survient chacun des comportements énoncés dans les items.

Échelle de provisions sociales (EPS).

L’EPS (Cutrona et Russell, 1987) permet d’évaluer la perception du soutien social positif reçu en général. Elle se compose de 24 items mesurant six dimensions du soutien positif : le soutien émotionnel ; l’aide tangible et matérielle ; les conseils ; l’intégration sociale ; l’assurance de sa valeur et le besoin de se sentir utile et nécessaire. Chacune de ces dimensions se mesure à partir d’une échelle de type Likert à quatre niveaux (1 : fortement en désaccord à 4 : fortement en accord). Il a été traduit et validé au Québec par Caron (1996). La version québécoise présente une excellente consistance interne (α = ,96) et une très bonne fidélité test-retest (r =, 86). Le score total de cette échelle est utilisé pour les fins de cette étude.

Questionnaire sur le Soutien Perçu (QSP)

Le QSP (Manne et al., 1997 ; Guay et Miller, 2000) mesure les perceptions du répondant concernant la fréquence de comportements de soutien d’un proche au cours du dernier mois. Il a été développé pour étudier les rapports de soutien de femmes ayant été diagnostiquées d’un cancer du sein (Manne et al., 1997), et ensuite adapté pour mesurer le soutien associé aux difficultés liées à l’anxiété (Guay et Miller, 2000). Il est composé de 24 items répartis dans deux échelles mesurant respectivement le soutien positif (11 items) et négatif (13 items) perçu relatif aux difficultés liées à l’anxiété. L’échelle de soutien négatif est divisée en deux sous-échelles soit les comportements de retrait (évitement (8 items) et les critiques (5 items). Les perceptions de la fréquence des comportements sont mesurées à l’aide d’une échelle allant de 1 (« N’a jamais répondu de cette façon ») à 4 (« A souvent répondu de cette façon »). La version québécoise présente une très bonne consistance interne pour les échelles de soutien positif et négatif (α = ,87 et, 85 respectivement) et des indices modérés de validité convergente avec l’EPS (r =, 44 et -, 43 respectivement ; St-Jean-Trudel et al., 2003). Pour la présente étude, les scores totaux des trois facteurs sont utilisés.

Anxiété et fonctionnement psychosocial

Inventaire d’anxiété de Beck (IAB)

L’IAB (Beck et al., 1988 ; Freeston et al., 1994) est un questionnaire composé de 21 items mesurant les principaux symptômes d’anxiété cognitifs et somatiques vécus par les personnes cliniquement anxieuses à travers les différents troubles anxieux tels que répertoriés par le DSM-IV (APA, 1994). Le répondant doit indiquer l’intensité des symptômes au cours de la dernière semaine sur une échelle allant de 0 (Pas du tout) à 3 (Beaucoup). La version canadienne-française possède, tel que démontré, une très bonne consistance interne (α de, 85 à, 94 ; Freeston et al., 1994 ; Fydrich et al., 1992) et une bonne fidélité test-retest à un intervalle de 4 semaines (r =, 63 ; Freeston et al., 1994). Le score total du IAB est utilisé pour les fins de cette étude.

Questionnaire d’Évaluation du fonctionnement actuel (QEFA)

Le QEFA (Freeston, 1997) mesure le degré de fonctionnement du patient dans 7 domaines de la vie soit l’emploi ou l’activité professionnelle, les études, la vie sociale, les passe-temps ou les loisirs ou les vacances et enfin les activités quotidiennes (le ménage, les courses, etc). À partir d’un item unique par domaine de vie, le répondant doit indiquer sur une échelle de 1 (aucun problème) à 9 (difficultés sévères) dans quelle mesure ses symptômes d’anxiété ont influencé chacun des domaines décrits. Le score total est également utilisé dans cette étude.

Questionnaire de santé mentale (QSM)

Le QSM (Goldberg, 1972) est un court questionnaire auto-administré de 12 items évaluant le fardeau global qu’implique la maladie. Le répondant évalue son fonctionnement dans différentes sphères de la santé mentale (concentration, sommeil, stress, etc.) à partir d’une échelle allant de 1 (mieux que d’habitude) à 4 (beaucoup moins que d’habitude). Cet instrument permet d’évaluer la sévérité de ce fardeau et il est le plus utilisé pour détecter toutes formes de maladies mentales (Werneke et al., 2000). Le score global s’étend de 1 à 12. Une analyse factorielle du QSM a détecté trois facteurs : anxiété et dépression, dysfonctions sociales et perte de confiance et estime de soi. Tel que démontré à partir de l’échantillon concernant cette étude, le QSM possède une très bonne consistance interne (α = ,85). Le score total est utilisé pour cette présente étude.

Résultats

Statistiques descriptives

Des Tests t sont effectués sur les moyennes des scores bruts obtenues pour le score total du QCSA afin de vérifier s’il existe des différences entre les hommes et les femmes et en fonction du fait de cohabiter ou non avec un(e) conjoint(e). Aucune différence significative n’est soulevée pour chacune des sous-échelles (p >,05) entre les hommes et les femmes ou relié au fait de vivre en couple ou non. Puis, l’examen des degrés d’asymétrie et d’aplatissement pour chacun des items n’indique aucune valeur supérieure à +2.00. Il semble donc que les données pour chacun des items se distribuent normalement.

Analyse factorielle exploratoire

La recherche étant de nature exploratoire, il est essentiel d’établir des groupements de variables afin de permettre une compréhension des liens qui existent entre les différents items du questionnaire. Ainsi, une analyse factorielle en composantes principales avec rotations orthogonales de type VARIMAX est effectuée, en accord avec les indices de sphéricité de Bartlett et de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO). Appuyé par trois critères de décision (valeur propre > 1,00, test des éboulis, structure simple), 3 facteurs indépendants sont retenus et ceux-ci regroupent un total de 36 items conservés (voir Tableau 1). Un seuil libéral de, 32 pour les poids factoriels est utilisé pour inclure les items (Tabachnik et Fidell, 2001). Ce critère d’inclusion est choisi en fonction de la nature de la population. En effet, on peut supposer que la fréquence des réponses au QCSA provenant d’un échantillon universitaire sera différente d’une population cliniquement anxieuse. Par exemple, des items comme : « me dit de prendre des médicaments » ou « m’accompagne dans mes déplacements » peuvent rarement se produire chez une personne n’ayant pas de diagnostic de trouble anxieux, mais peut faire partie du quotidien pour un individu aux prises avec un trouble panique. Pour cette raison, il est utile de ne pas éliminer les items qui pourraient être pertinents auprès d’une population souffrant d’un trouble anxieux.

Le Tableau 1 présente les trois facteurs obtenus : 1) Coercition et critique, comportant 19 items dont « est impatient avec moi », « se plaint de mes difficultés », « critique ma façon de réagir » ou « me dit quoi faire » et expliquant 15.54 % de la variance totale ; 2) Gestion de l’anxiété et renforcement, ayant 11 items dont « me donne des conseils », « interrompt ce qu’il-elle faisait pour m’accommoder », « tente de m’informer par rapport à mon problème » ou « m’incite à ne pas fuir ou éviter la situation » et expliquant 13,48 % de la variance et 3) Distraction, comportant 6 items dont « essaie de me changer les idées », « fait des blagues qui me détendent », « essaie de me distraire » ou « essaie de me faire oublier mon problème » et ayant 8,42 % de variance expliquée. Après rotation, les 3 facteurs expliquent 37,36 % de la variance. Tous les items ont une saturation plus élevée sur un des facteurs et la saturation est supérieure à ,36.

Tableau 1

Facteurs identifiés et libellés de chacun des items (N = 250)

Facteurs identifiés et libellés de chacun des items (N = 250)

Note : Les saturations les plus élevées sont en caractère gras.

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Indices de fidélité

Dans le but de vérifier la cohérence interne des facteurs du QCSA, donc de s’assurer que l’ensemble des 36 items mesure bien le même concept, trois alphas de Cronbach sont calculés, un pour chacun des facteurs. Des valeurs de ,76 et de ,77 sont obtenues pour les facteurs « Coercition et critique » et « Distraction », ce qui est considéré comme étant bon. Un coefficient de ,87 est calculé pour le facteur « Gestion de l’anxiété et renforcement », ce qui est considéré très bon selon Nunally (1978).

Indices de validité convergente

Afin de vérifier si le construit mesuré avec le QCSA converge avec celui d’autres instruments de mesure du soutien social, des analyses de corrélation bilatérale de Pearson sont d’abord effectuées entre les 3 facteurs du QCSA et le score total à l’EPS qui est une mesure du soutien positif perçu. Les valeurs des corrélations apparaissent au Tableau 2. Les résultats indiquent des corrélations significatives modérées entre les trois facteurs du QCSA et le score total à l’EPS. Le facteur « Coercition et critique » du QCSA est associé négativement au score total à l’EPS. Les deux autres facteurs du QCSA sont associés positivement à l’EPS. Ensuite, le même type d’analyse est effectué avec les trois facteurs du QSP. On observe alors un lien négatif faible, mais significatif entre le facteur « coercition et critique » du QCSA et le facteur « soutien positif » du QSP. Les deux autres facteurs du QCSA sont associés positivement et de force modérée à la mesure de soutien positif du QSP. Ces deux corrélations sont également significatives. On peut également observer de fortes corrélations positives, significatives entre le facteur « coercition et critique » du QCSA et les facteurs « critiques » et « évitement » du QSP. Le facteur « gestion de l’anxiété » est lui aussi lié de façon significative, mais faiblement aux facteurs du QSP mentionnés ci-haut. Seuls les coefficients entre le facteur « distraction » du QCSA et les facteurs « critiques » et « évitement » ne se sont pas révélés significatifs. Les résultats indiquent donc des différences significatives pour la plupart entre le QCSA et des instruments mesurant le même construit fréquemment utilisés, soit l’EPS et le QSP.

Tableau 2

Corrélations entre les Facteurs du QCSA et le soutien social positif et négatif (EPS, QSP ; N = 250)

Corrélations entre les Facteurs du QCSA et le soutien social positif et négatif (EPS, QSP ; N = 250)

Note : EPS-tot = score total à l’Échelle de Provisions Sociales ; QSP-1,2,3 = Sous-échelles (soutien positif, critiques, évitement) du Questionnaire sur le Soutien Perçu ;

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p < 01 ;

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p < ,05.

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Des analyses de corrélations sont également effectuées afin d’évaluer si la qualité du soutien social est liée aux mesures d’anxiété (IAB), de fonctionnement (EFA) et de détresse psychologique (QSM ; voir Tableau 3). Les résultats indiquent un lien positif modéré significatif entre le soutien négatif (facteur « coercition et critique » du QCSA) et l’anxiété. Ensuite, seul le facteur « gestion de l’anxiété et renforcement » est associé de façon significative, mais faiblement au degré d’anxiété. Il semble donc que l’anxiété soit liée à la perception de soutien négatif et inversement en ce qui concerne le soutien positif. En deuxième lieu, on constate que le niveau de fonctionnement est lié de façon significative au soutien négatif. Les gens percevant davantage de soutien négatif ont donc un niveau de fonctionnement de moindre qualité. Le facteur positif « gestion de l’anxiété et renforcement » est également associé significativement au degré de fonctionnement, mais il s’agit d’un lien faible. Finalement, on constate que les individus vivant davantage de détresse psychologique perçoivent également plus de soutien négatif de la part de leur entourage. Le contraire étant aussi vrai. Seul le facteur « distraction » ne s’est pas révélé associé significativement aux trois mesures.

Tableau 3

Corrélations entre les Facteurs du QCSA, l’anxiété, le degré de fonctionnement et la détresse psychologique (IAB, QEFA, QSM ; N = 250)

Corrélations entre les Facteurs du QCSA, l’anxiété, le degré de fonctionnement et la détresse psychologique (IAB, QEFA, QSM ; N = 250)

Note : IAB-tot = score total à l’Inventaire d’Anxiété de Beck ; QEFA-tot = score total au Questionnaire d’Évaluation du Fonctionnement Actuel ; QSM-tot = score total au Questionnaire de Santé Mentale ;

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p < ,01 ;

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p < ,05.

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Discussion

Le soutien social a rarement été évalué en lien avec l’anxiété. Le manque d’instrument de mesure adéquat pour évaluer ce construit multidimensionnel explique en partie ce phénomène. Le but de la présente étude consiste à développer et à valider un instrument pouvant mesurer le soutien social de façon spécifique en situation d’anxiété élevée. Le QCSA est un questionnaire auto-administré conçu pour cibler les comportements de soutien susceptibles d’être dispensés auprès d’une clientèle faisant face à des situations anxiogènes. Il se compose de 36 items mesurant autant le soutien perçu positif que négatif. Les résultats de la présente étude suggèrent qu’auprès d’un échantillon d’étudiants universitaires, le QCSA présente des propriétés psychométriques satisfaisantes.

Suite à une analyse factorielle, trois facteurs sont retenus dont un évalue le soutien social négatif et les deux autres, le soutien social positif. Chacun des facteurs présente un degré de consistance interne soit bon ou très bon. Par ailleurs, le faible taux de variance expliquée par l’ensemble des facteurs (37 %) peut être expliqué par le fait que la population évaluée présente somme toute peu de situations d’anxiété élevée comparativement à une population cliniquement anxieuse. En effet, certains comportements soulevés dans le questionnaire peuvent ne pas se présenter très fréquemment pour un individu sans diagnostic de trouble anxieux et, au contraire, faire partie du quotidien d’une personne avec un trouble panique ou une phobie sociale. Le pourcentage de variance expliquée de chacun des facteurs sera possiblement augmenté lorsque validé auprès d’un échantillon cliniquement anxieux.

Le QCSA montre plusieurs évidences de validité convergente. En effet, plusieurs liens significatifs sont démontrés entre le QCSA, l’EPS et le QSP. La force des corrélations est modérée pour la plupart et considérée acceptable étant donné que les participants à cette étude sont tous universitaires, et ont donc un fonctionnement social relativement bon. Il sera intéressant d’évaluer ces mêmes liens auprès d’une clientèle cliniquement anxieuse.

Les résultats des analyses corrélationnelles démontrent également que le QCSA présente des associations significatives allant de faibles à modérées avec l’anxiété, le degré de fonctionnement ainsi que la détresse psychologique. Tout comme démontré dans la littérature, on observe un lien entre la qualité du soutien social perçu et la santé mentale. Seul le facteur « distraction » ne s’est pas révélé significatif. Il est possible que ces comportements de soutien ne soient ni nuisibles, ni aidants. Néanmoins, le fait que ce facteur soit associé au soutien positif dans cette étude appuie son maintien dans le questionnaire. La pertinence de conserver ce facteur dans le questionnaire sera évaluée auprès d’une clientèle avec un trouble anxieux. Le QCSA s’avère donc un instrument prometteur pour évaluer le soutien social compte tenu du fait que certaines propriétés restent à vérifier auprès de la population pour lequel il a été conçu.

Sur le plan clinique, le QCSA présente plusieurs avantages dont celui d’être concis. Il peut donc s’intégrer facilement à un processus d’évaluation clinique. En permettant d’identifier rapidement les comportements de soutien pouvant contribuer au maintien de l’anxiété, ce questionnaire peut faciliter l’enseignement de stratégies de soutien adéquates aux proches d’une personne anxieuse. Certains items de l’instrument permettent de plus d’identifier rapidement les stratégies d’évitement et d’exposition déjà utilisées par l’individu anxieux (par exemple, m’incite à ne pas fuir ou éviter la situation, m’incite à interrompre un comportement inutile ou m’accompagne dans mes déplacements) ce qui peut s’avérer utile pour l’élaboration d’un plan d’intervention. L’utilisation du QCSA peut finalement contribuer à l’évaluation de l’efficacité d’une thérapie conventionnelle auprès des troubles anxieux. En effet, s’il est administré à plusieurs moments au cours d’une thérapie, le QCSA pourrait renseigner sur l’évolution des stratégies de soutien adoptées permettant ainsi d’ajuster certaines techniques d’intervention.

La principale limite de la présente étude réside dans l’utilisation d’un échantillon pouvant s’avérer être non représentatif de la population ciblée par le QCSA. Or, étant donné que l’anxiété constitue une des sensations les plus répandues dans la population générale (Ladouceur et al., 1999) et que l’élaboration d’un questionnaire nécessite de valider son contenu auprès d’un vaste échantillon (DeVellis, 1991), le recours à un échantillon universitaire s’avère approprié. Il demeure cependant essentiel que le QCSA fasse l’objet d’études approfondies avec des personnes aux prises avec un trouble anxieux, ce qui implique que la structure factorielle des items devra être analysée de nouveau.

En dernier lieu, des analyses de fidélité test-retest et de validité discriminante, avec un échantillon témoin par exemple, pourraient également contribuer à étoffer l’analyse psychométrique du QCSA. Une analyse de la sensibilité du questionnaire pourrait aussi s’avérer pertinente afin d’observer si le QCSA permet de soulever les différences suite à une intervention visant à améliorer les comportements de soutien d’un proche. Il sera finalement utile de valider l’instrument auprès d’une population moins scolarisée afin de vérifier la compréhensibilité des items.

En somme, les résultats de cette étude suggèrent que le QCSA semble un instrument pertinent et valide. Le QCSA représente donc un instrument fort utile pour mesurer le soutien social tant positif que négatif en situation d’anxiété. Son utilisation dans le traitement de l’anxiété pathologique pourrait non seulement contribuer à l’identification des perceptions des individus en ce qui concerne la qualité du soutien octroyé en situation anxiogène, mais aussi à la compréhension des facteurs incitant les proches à adopter certains comportements de soutien selon le type de réactions anxieuses.