Débat : Faut-il supprimer les voix?

Voix et hallucinations : quelques leçons et pièges[Record]

  • Pierre Migneault

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  • Pierre Migneault, MD
    Psychiatre

Comment, succinctement, rendre compte d’un phénomène aussi complexe et diversifié, depuis les voix plus intimistes aux hallucinations plus intrusives et les visions annonciatrices de missions grandioses ou d’issues tragiques ? Je ferai part de quelques expériences auprès d’« entendeurs de voix », patients ou créateurs, avec leurs expressions picturales spontanées. Quant à nous, les dits thérapeutes, notre défi ultime, à mon avis, c’est de tenter d’accueillir et d’écouter les entendeurs de voix avec les yeux de la raison et du coeur…, avec en réverbération, en résonance ou en écho, nos propres voix étouffées… et qui veulent alors émerger de leur bâillonnement. Pour y arriver, comme psychiatre, j’ai besoin de toutes mes connaissances et approches médicale, bio-psycho-sociale, anthropologique, systémique, cognitivo-comportementaliste, écologique, philosophique, sensibilité artistique et poétique en sus… Tout le corps de la personne hallucinée, toute la cellule familiale, tout l’entourage social et toutes les références culturelles parlent et s’expriment à travers les voix du patient, le porte-voix désigné fou. Aussi ai-je besoin de toutes les clés et pistes de compréhension et d’intervention, comme dirait Leston Havens  pour y voir un peu plus clair, autant chez le patient halluciné que chez moi-même ! Voilà pourquoi les querelles, oppositions-exclusions d’écoles ou d’approches m’irritent ou plutôt me désarment tant. La rencontre entre l’ « entendeur de voix », et son « écouteur psy », constitue une expérience contre-transférentielle difficile, qui induit parfois même un état presque psychoïde ou pré-dissociatif, par exemple, quand on va au bout de l’approche engageante et exigeante d’Eric Berne  avec ses questions en gigogne : Ne nous parlent-elles pas, finalement, de l’inquiétante étrangeté de soi… et des peurs fondamentales de l’être humain… dont on ne peut ni ne veut, au fond, rien savoir ? Voilà ce que soutient crûment Eric Berne qui préconise que la seule façon d’avoir un commencement ou un semblant de réponse (the right wrong answer), c’est d’écouter et de scruter dans ses propres états du Moi (personnifiés sous la triade Enfant, Adulte, Parent) la réverbération ou résonance des propos « fous » de l’entendeur de voix. Autrement dit, chercher et trouver sinon du sens du moins certaines pistes ou messages, parfois, à partir de ce que l’on ressent… et imagine, en pure association libre. Tout un contrat. Il faut être drôlement en possession ou contrôle de soi-même et pouvoir constamment en revisiter tous les recoins, même les plus cachés, les plus abjects ? Un vrai métier et défi de fou. Il faut surtout avoir et savoir traverser ou surmonter l’ultime peur, à mon avis, la peur de soi… Eric Berne, l’homme et son approche, que j’ai eu l’occasion de connaître et d’expérimenter, durant ma formation, et Harold Searles, à travers toute son oeuvre, elle aussi décapante , ont été et sont encore, pour moi, des guides importants, avec Jacques Ferron , dans ma traversée et compréhension du désarroi humain tout azimut — le mien d’abord — l’expérience psychotique, à mon avis, en constituant la forme ultime. Ces divers auteurs ont tenté, à leur corps plus ou moins résistant, d’aborder le sujet délicat du travail préalable, difficile et nécessaire, que le thérapeute doit constamment faire sur lui-même, avant de se mettre à l’écoute et à la compréhension des voix et hallucinations ou de tout autre signe, signal ou symptôme du patient, incluant l’idéation suicidaire. Finalement, un peu à ma propre surprise, il faut bien m’avouer que ce sont les patients psychotiques qui m’ont, au fond, le plus influencé, le plus marqué et le plus intéressé… Ils ont d’ailleurs fait naître, en moi, progressivement, une sorte de syndrome de Stockholm… dont je ne …

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