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Introduction

Les croyances religieuses, les croyances superstitieuses, et les idées de type délirant sont généralement considérées comme des catégories de pensée différentes. Elles peuvent néanmoins être définies comme l’acceptation d’une idée ou d’un concept avec peu ou pas de preuves. En cela, elles pourraient avoir un mécanisme cognitif en commun, comme le suggère une étude récente qui rapporte que différents types de croyance sont sous-tendus par un même réseau neural (Harris et al., 2008). Le but de la présente étude est d’évaluer si ces trois systèmes de croyances se retrouvent bien chez les mêmes individus, ce qui supporterait l’idée qu’ils reposent sur un ou des mécanismes cognitifs communs. Cette cooccurrence apporterait un premier appui au fait qu’adhérer à une idée avec peu ou pas de preuves (existence de Dieu pour la religion, lien causal entre deux événements indépendants pour la superstition, jalousie excessive ou paranoïa pour le délire) est un mécanisme cognitif unique qui transcende les domaines de pensée.

La religion a été définie comme un « système partagé de croyances et d’actions concernant un agent surhumain » (Waint et Spinella, 2007) ou comme « l’expérience individuelle ou sociale du sacré qui se manifeste dans les mythologies, les rituels, l’ethos, et qui s’intègre dans une collectivité ou une organisation » (Swenson, 1999, 5). De nombreuses études ont montré que la religion peut non seulement être une source de confort et de bien-être (Barkan et Greenwood, 2003 ; McCullough et Willoughby, 2009), mais aussi avoir des effets bénéfiques sur la santé (Bowen et al., 2006 ; Jarbin et von Knorring, 2004 ; Koenig, 2007 ; Oxman et al., 1995 ; Schofield et al., 1954 ; Smith et al., 2003 ; Strawbridge et al., 1997). En ce sens, les croyances religieuses ne satisfont pas la définition des idées délirantes du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) puisqu’elles ne sont généralement pas liées à un dysfonctionnement. D’autre part, elles sont partagées par une majorité d’individus et font partie de notre culture (Turner et al., 1995), alors que les idées délirantes, qui sont définies comme des croyances rigides et fausses qui persistent malgré des informations contradictoires, ne sont pas acceptées par la culture du patient (DSM-IV). Ceci suggère que les croyances religieuses et les idées délirantes sont des expériences similaires qui divergent sur le plan de leur aspect social. En effet, la religion est fondamentalement sociale, si ce n’est prosociale (Furrow et al., 2004 ; Saroglou et al., 2005), tandis que les idées délirantes sont des croyances qui, par nature, s’opposent à un comportement social. Malgré cette opposition, ces deux systèmes peuvent partager un mécanisme cognitif commun puisque les idées délirantes ne reposent pas nécessairement sur des mécanismes pathologiques. Comme les idées religieuses, les idées de type délirant existent chez les individus sains. Les idées délirantes des patients et ces idées de type délirant de la population saine sont d’ailleurs maintenant considérées comme faisant partie d’un continuum entre normalité et pathologie (c.-à-d. Claridge, 1997 ; Johns et van Os, 2001 ; Strauss, 1969 ; van Os et al., 2000). Il est à noter que nous utiliserons l’expression « idées de type délirant » pour décrire les croyances qui ne sont pas pathologiques et qui sont retrouvées dans la population générale, mais qui se distinguent des idées délirantes qui font partie des symptômes principaux de la schizophrénie et du trouble délirant.

Des études récentes suggèrent que croyances religieuses et idées délirantes sont étroitement liées. Jones et Watson (1997) ont montré que les croyances religieuses de participants sains et les idées délirantes de patients schizophrènes sont similaires sur de nombreux aspects. Parmi ceux-ci, on peut compter la conviction, l’importance, la véracité de la croyance, l’influence qu’a cette croyance sur le comportement et la cognition, et de façon plus surprenante, l’acceptabilité de la croyance. Parallèlement, il est intéressant de constater qu’au moins 24 % des patients psychotiques souffrent d’idées délirantes à caractère religieux (Siddle et al., 2002), telles que croire être l’envoyé de Dieu, ce qui appuie l’existence d’une relation entre ces deux systèmes de croyances. La distinction entre une croyance religieuse normale et une idée délirante religieuse peut être extrêmement difficile à évaluer (Pierre, 2001 ; Ng, 2007 ; Koenig, 2009), quand, par exemple, le patient pense que Dieu lui a donné une mission spéciale ou qu’il a une relation spéciale avec Dieu. Pour éviter cette ambiguïté, il est nécessaire d’évaluer les croyances religieuses dans une population saine, de façon à diminuer le risque que les croyances soient pathologiques. Une étude a exploré la relation entre croyances religieuses et idées de type délirant dans une population non psychiatrique (Peters et al., 1999). Les résultats montrent que les participants recrutés dans une communauté de nouveaux mouvements religieux (mouvements Hare Krishna et Druide) ont plus d’idées de type délirant que les participants non religieux ou les participants appartenant à la religion chrétienne, ce qui supporte partiellement le lien entre délire et religion. Une autre étude a montré que la fréquence des prières est associée à la croyance en la télépathie (MacDonald, 1995), qui est une idée de type délirant très répandue.

De façon quelque peu surprenante, la croyance superstitieuse a reçu peu d’attention concernant son association avec les croyances religieuses et les idées délirantes. Ce troisième système de croyances a été décrit comme une « fausse idée de la réalité externe » (Maller et Lundeen, 1933 ; Beck et Forstmeier, 2007), qui est maintenu avec certitude et résistance face aux informations contraires (Russell et Jones, 1980). Cette définition rappelle fortement celle des idées délirantes (DSM-IV). Cependant, tout comme les croyances religieuses, mais contrairement aux idées délirantes, les superstitions sont passablement bien acceptées par la société. Par exemple, l’idée que le nombre 13 porte malheur ou qu’il devrait être évité quand c’est possible est une croyance partagée par une grande partie de la population occidentale. Les croyances superstitieuses partagent donc probablement avec les croyances religieuses une composante prosociale qui fait défaut dans les idées délirantes, tout en partageant avec les idées délirantes leur rigidité et leur improbabilité.

De façon générale, la question du lien entre croyances religieuses, idées délirantes et croyances superstitieuses a très peu été explorée empiriquement. Aarnio et Lindeman (2007) ont observé que les individus ayant beaucoup de croyances superstitieuses et magiques ont aussi beaucoup de croyances religieuses. Cependant, l’échelle utilisée pour mesurer ces croyances superstitieuses (Paranormal Belief Scale, Tobacyk et Milford, 1983) inclut des items qui ne se restreignent pas à la superstition, et empruntent à d’autres croyances, dont les croyances aux phénomènes dits paranormaux. La covariance de ces croyances paranormales et des croyances religieuses a été évaluée ailleurs (voir la revue de Irwin, 1993). Afin de ne cerner que les croyances superstitieuses, nous avons utilisé le questionnaire de superstition de Zebb et Moore (2003), qui se limite à un seul système de croyances qu’est la superstition. Bien que certaines études se soient intéressées à la cooccurrence des croyances religieuses et superstitieuses par des moyens indirects, aucune étude à ce jour n’a exploré directement à quel point les croyances superstitieuses étaient associées aux croyances religieuses et aux idées de type délirant.

Selon Beck et Forstmeier (2007), les superstitions sont un effet secondaire de notre tendance naturelle à voir (et chercher) des liens entre les événements. Par exemple, lorsqu’une personne tombe malade après avoir mangé un nouveau plat, elle évitera ce type de nourriture à l’avenir. Ce comportement, qui peut favoriser la survie, se base en fait sur une coïncidence, fondement même du comportement superstitieux. De même, Forst et Kokko (2009) proposent que les superstitions découlent d’une sélection naturelle favorisant notre aptitude à inférer des relations de cause à effet entre les événements qui coïncident. Les croyances peuvent aussi dériver du besoin de donner du sens aux associations de cause à effet que nous inférons naturellement (Beck et Forstmeier, 2007). De ce fait, plus l’on observe et cherche de liens entre les choses et les événements, plus l’on produira de croyances pour les expliquer et leur donner un sens. Nous nous attendons donc à ce que les croyances superstitieuses soient étroitement associées aux croyances religieuses et aux idées de type délirant.

Le but de la présente étude est donc de tester si les croyances religieuses, les croyances superstitieuses et les idées de type délirant sont positivement corrélées entre elles et donc de tester si elles ont tendance à être présentes chez les mêmes individus. Si tel est le cas, cela appuierait l’idée que des mécanismes cognitifs similaires sont en jeu dans ces trois systèmes de croyances, qui pourraient être plus ou moins actifs chez certains individus. Bien que cette étude soit exploratoire, notre hypothèse est donc que le fait de croire est commun à ceux qui sont religieux, superstitieux et ont des idées de type délirant. Il découlerait de notre tendance à attribuer du sens à notre environnement, une tendance renforcée par la sélection naturelle (Beck et Forstmeier, 2007).

Méthode

Participants

Quatre-vingt-quinze participants (35 hommes et 60 femmes) âgés de 18 à 49 ans ont été recrutés par des annonces dans les journaux locaux. L’étude s’est entièrement déroulée dans la langue première des participants, qui était soit l’anglais soit le français. Les participants ont été d’abord évalués par téléphone et ceux avec un antécédent de maladie mentale (DSM-IV Axe I) ont été exclus, à l’exception de ceux ayant souffert d’un épisode de dépression qui s’est résolu par un rétablissement au moins 2 ans avant l’étude. L’âge moyen de l’échantillon complet était de 29,5 années (é.-t. = 9,8) et le niveau scolaire minimum était l’achèvement de l’école secondaire, avec un nombre d’années d’études moyen de 14,3 (é.-t. = 1,8). À leur arrivée au laboratoire, les participants ont donné leur consentement éclairé après que les procédures leur aient été expliquées selon les directives du Comité d’éthique de la recherche de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Les participants ont été dédommagés financièrement pour leur temps.

Questionnaires

Chaque participant a rempli le Peters et al. Delusions Inventory (PDI ; Peters et al., 1999 ; Peters et al., 2004), un questionnaire évaluant les idées de type délirant. La consistance interne est excellente avec un alpha de Cronbach de 0,82. La fidélité test-retest (6 mois à 1 an) est très bonne avec des coefficients de corrélation compris entre 0,78 et 0,81. Finalement, la validité convergente est aussi bonne, avec un coefficient de corrélation de 0,61 avec le Delusions Symptoms State Inventory (DSSI). Le score global totalise le nombre de réponses positives aux 21 questions. Ces scores globaux vont donc de 0 à 21. De plus, pour chacune des questions, trois dimensions sont évaluées sur une échelle à 5 points : la détresse causée par cette croyance (PDI-D) ; la fréquence de la préoccupation par cette croyance (PDI-P) ; et le degré de conviction avec lequel la croyance est maintenue (PDI-C). Ces trois scores sont calculés en ajoutant les scores aux échelles à 5 points de chaque question à laquelle le participant a répondu par l’affirmative. Les scores des PDI-D, PDI-P et PDI-C allaient donc de 0 à 105.

Les croyances religieuses ont été évaluées à partir de 49 items (disponibles sur demande) provenant du Multidimensional Measurement of Religiousness/Spirituality for Use in Health Research (MMRS, Fetzer Institute, 2003), de Kendler et collègues (1997, 2003), ainsi que du Religious Attitudes and Practices Inventory (RAPI, D’Onofrio et al., 1999). Le MMRS a plusieurs sous-échelles dont la consistance interne va jusqu`à 0,95 pour l’une d’elles (Fetzer Institute, 2003). Le RAPI a une bonne corrélation avec la croyance dans certains péchés (0,29 < r < 0,48, p < 0,05) et discrimine significativement les théistes (protestants, catholiques) des non-théistes (d’Onofrio et al., 1999). Ces items ont été séparés en cinq dimensions : 1) signification de Dieu et relation avec Dieu (30 items) ; 2) croyances spirituelles (10 items) ; 3) croyances dans le péché (6 items) ; 4) doute (1 item) ; et 5) pratique religieuse (2 items). Les scores totaux pour chaque dimension ont été calculés en faisant la somme des réponses des participants pour chaque item. Les items 1 à 4, 15 à 24, 26, 27 et 29 ont des scores allant de 0 (pas du tout d’accord, pas d’accord, neutre) à 2 (fortement d’accord). Les items 5 à 12 ont des scores allant de 0 (jamais ou presque jamais) à 5 (plusieurs fois par jour). Les items 13, 14, 30 à 38 et 41 à 49 ont des scores allant de 0 (Pas du tout) à 3 (Extrêmement). Les items 25 et 28 ont des scores allant de 0 (non) à 2 (oui). Les items 39 et 40 ont des scores allant de 0 (jamais) à 8 (plusieurs fois par semaine). Cette variété des types de réponses est due à la variété des échelles utilisées pour créer ce questionnaire. La sous-échelle « croyances spirituelles » a été incluse dans les croyances religieuses dues à la longue tradition qui définit la spiritualité comme « la réponse humaine au gracieux appel de Dieu à une relation avec lui-même » (Benner 1989 : 20), « une expérience subjective du sacré » (Vaughan 1991 : 105), « cette vaste réalité de potentiel humain qui a affaire avec le but ultime, les entités supérieures, Dieu, l’amour, la compassion, le sens » (Tart 1983 : 4).

Le Questionnaire de superstition (Superstitiousness Questionnaire, Zebb et Moore, 2003) a été utilisé pour mesurer les croyances superstitieuses. À l’aide de cet outil, les participants doivent évaluer, sur une échelle allant de 0 à 5, à quel point ils sont d’accord ou pas avec 18 déclarations décrivant des croyances superstitieuses. Deux dimensions sont évaluées : les croyances superstitieuses (11 items) et les comportements superstitieux (7 items). Le score total est la somme des réponses pour chaque item.

Analyses

Deux items de l’échelle de religion ont servi pour différencier les croyants en Dieu (CD) des non-croyants (NCD) : l’item 49 (« Je crois en Dieu ? ») et l’item 28 (« Croyez-vous en Dieu ou en un esprit universel ? »). Les croyants étaient ceux qui répondaient « Un peu », « Assez » ou « Beaucoup » à l’item 49, et ceux qui répondaient « Oui » à l’item 28. Nous avons comparé les scores des deux groupes au PDI et au Questionnaire de superstition à l’aide d’un test t. Quatorze participants ont été exclus de ces deux groupes : treize d’entre eux étaient « indécis » pour l’item 28 et un autre croyait en Dieu « un peu », mais a répondu « non » à l’item 28.

Afin de tester l’hypothèse que les trois systèmes de croyances sont corrélés entre eux, les coefficients de corrélation de Spearman ont été calculés entre les scores aux sous-échelles/dimensions du PDI, du Questionnaire de religion et du Questionnaire de superstition. Les corrélations de Spearman ont été utilisées car les scores au PDI ne suivent pas une distribution normale (Peters et al., 2004). Une série de régressions linéaires multiples fut ensuite utilisée afin d’estimer la contribution de chacun des systèmes de croyances sur les deux autres.

Résultats

Des 95 participants, 57 % croyaient en Dieu. Cependant, pour la question « Croyez-vous en Dieu ou dans un esprit universel ? « , 45 % ont répondu « oui » et 23 % étaient « indécis ». Seuls 3 % des participants croyaient dans un esprit universel, mais pas en Dieu.

Tous les résultats des tests t sont reportés dans le Tableau 1. Le groupe CD (n = 40) était plus âgé que le groupe NCD (n = 41), mais les deux groupes n’étaient pas différents quant à la proportion d’hommes et de femmes.

Comme prévu, les participants du groupe CD avaient des scores plus élevés aux sous-échelles signification de Dieu et relation avec Dieu, pratiques religieuses, croyances dans le péché, et croyances spirituelles, comparés aux participants du groupe NCD. Les deux groupes présentaient aussi des différences entre leurs scores de croyances superstitieuses et de pratiques superstitieuses : le groupe CD était plus superstitieux que le groupe NCD (Tableau 1).

Tableau 1

Caractéristiques des participants pour chaque groupe, données avec la moyenne (la déviation standard)

Caractéristiques des participants pour chaque groupe, données avec la moyenne (la déviation standard)

CD = participants qui croient en Dieu ; NCD = participants qui ne croient pas en Dieu ;

PDI = Inventaire d’idées de type délirant de Peters et collègues.

Les différences significatives entre les 2 groupes sont indiquées par des étoiles, comme suit : * p < 0,05, **p < 0,01, *** p < 0,001

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Le groupe CD avait des scores plus élevés que le groupe NCD au PDI total, à la préoccupation causée par leurs croyances de type délirant et à la conviction dans ces croyances. Les deux groupes ne présentaient pas de scores significativement différents en ce qui concerne la détresse causée par ces croyances.

Les coefficients de corrélation de Spearman sont présentés dans le Tableau 2. Toutes les corrélations significatives sont positives. Les croyances superstitieuses étaient corrélées avec le PDI total et toutes les sous-échelles du PDI d’une part, et avec toutes les sous-échelles religieuses d’autre part. Le PDI total, ainsi que la sous-échelle de conviction dans les croyances de type délirant, étaient corrélés avec les croyances spirituelles et la signification et relation avec Dieu, mais pas avec le doute dans l’existence de Dieu, la pratique religieuse, et la croyance dans le péché. Les sous-échelles de détresse causée par, et de préoccupation pour, les croyances de type délirant étaient corrélées avec toutes les sous-échelles religieuses et superstitieuses. De plus, l’âge des participants corrélait positivement avec la signification de Dieu et relation avec Dieu (r = 0,273, p = 0,007), mais négativement avec les croyances de type délirant (-0,283 < r < -0,232 ; 0,006 < p < 0,024). Les années d’études étaient négativement associées au doute dans l’existence de Dieu (r = -0,222, p = 0,032).

Une série de régressions linéaires multiples a servi à estimer quelles variables étaient significativement associées aux autres, en contrôlant les autres variables. Trois modèles étaient testés à chaque fois. Lorsque la variable dépendante était une échelle de religiosité, les croyances et pratiques superstitieuses étaient incluses dans le premier modèle, les idées de type délirant étaient ajoutées dans un deuxième modèle, et l’âge et l’éducation dans un dernier modèle. Aucune variable ne prédisait les croyances spirituelles ou la pratique religieuse dans ces modèles. Seul l’âge prédisait la variable signification de Dieu et relation avec Dieu (Beta = 0,237, p = 0,020), ainsi que la variable doute dans l’existence de Dieu (Beta = 0,267, p = 0,009). Finalement, seules les croyances superstitieuses demeuraient significativement associées aux croyances dans les péchés dans les trois modèles (0,409 < Beta < 0,432 ; 0,010 < p < 0,004).

De façon similaire, des régressions ayant comme variables dépendantes les échelles d’idées de type délirant ont été faites avec, comme variables indépendantes, les croyances et pratiques superstitieuses, auxquelles s’ajoutaient la religiosité dans le modèle 2, puis l’âge dans le modèle 3. Les variables associées au PDI total et à la sous-échelle de conviction dans les idées de type délirant étaient les croyances superstitieuses (Beta = 0,385, p = 0,013 et Beta = 0,308, p = 0,041 respectivement), l’âge (Beta = -0,328, p = 0,001 et Beta = -0,301, p = 0,003 respectivement) et le doute dans l’existence de Dieu (Beta = 0,206, p = 0,048 et Beta = 0,212, p = 0,038). Les seuls facteurs significativement associés à la détresse causée par les idées de type délirant et la préoccupation pour les idées de type délirant dans le modèle 3 étaient le doute dans l’existence de Dieu (Beta = 0,302, p = 0,003 et Beta = 0,316, p = 0,002 respectivement) et l’âge (Beta = -0,356, p < 0,001 et Beta = -0,328, p = 0,001 respectivement).

Finalement, deux modèles ont été testés avec comme variable dépendante la croyance dans les superstitions et la pratique superstitieuse. Le premier modèle incluait les idées de type délirant, auxquelles s’ajoutaient les échelles de religiosité dans le deuxième modèle. Comme l’âge et l’éducation ne corrélaient pas avec les superstitions, ces variables n’ont pas été incluses dans le troisième modèle. Seules les croyances dans les péchés étaient associées aux croyances superstitieuses (Beta = 0,308, p = 0,017). Aucune variable ne demeurait significativement associée aux pratiques superstitieuses une fois toutes les variables incluses.

Tableau 2

Coefficients de corrélation de Spearman entre les scores aux différentes échelles

Coefficients de corrélation de Spearman entre les scores aux différentes échelles

* p < 0,05, **p < 0,01, *** p < 0,001

PDItot : total des croyances de type délirant ; PDI-D : détresse causée par les croyances de type délirant ; PDI-P : préoccupation pour les croyances de type délirant ; PDI-C : Conviction pour les croyances de type délirant ; Spirit : spiritualité ; Sens : signification et relation avec Dieu ; Doute : doute en Dieu ; Pratique : pratique religieuse ; Péché : croyance dans le péché ; CroySuper : croyances superstitieuses ; PraSuper : Pratiques superstitieuses

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Discussion

Le but de la présente étude était d’évaluer à quel point les croyances religieuses, superstitieuses et de type délirant sont observées chez les mêmes personnes. Comme prévu, les participants qui croyaient en Dieu (groupe CD) étaient plus superstitieux et avaient plus de croyances de type délirant que ceux qui ne croyaient pas en Dieu (groupe NCD). Les corrélations ont confirmé que les participants les plus religieux et ceux avec le plus de croyances de type délirant étaient aussi les plus superstitieux. Cependant, les régressions linéaires ont montré que lorsque toutes les variables sont incluses dans un modèle, les croyances de type délirant ne demeurent associées qu’au doute dans l’existence de Dieu, et pas aux autres échelles de religiosité. Les croyances superstitieuses, en revanche, demeuraient associées aux croyances dans les péchés d’une part, et aux idées de type délirant d’autre part.

Les croyances superstitieuses corrélaient fortement avec les deux autres systèmes de croyances, confirmant l’idée de Beck et Forstmeier (2007) et de Foster et Kokko (2009). Leur idée que les êtres humains voient naturellement des associations de causalité entre les événements et qu’ils ont tendance à donner un sens à ces associations est parfaitement représentée dans les trois systèmes de croyances étudiés ici. Par exemple, un homme est soudain paralysé après un accident de voiture survenu le jour même où sa lettre de licenciement a été postée. Les deux événements sont indépendants. Malgré tout, une personne religieuse pourrait voir la volonté de Dieu dans cette répétition de malheurs, attribuant un sens et une cause à l’occurrence de deux événements autrement sans rapport. Une personne superstitieuse pourrait expliquer ces événements parce que ce jour était un vendredi 13, journée culturellement associée à la chance ou la malchance selon les régions du monde. Une personne avec des idées délirantes pourrait expliquer cette série de malheurs par un complot contre elle. Nos résultats soutiennent l’idée que ces tendances, exprimées sous forme de superstition, de religion ou de croyances de type délirant, se retrouvent chez les mêmes personnes. Il est quand même important de noter que les croyances superstitieuses n’étaient associées qu’à la croyance dans les péchés en ce qui concerne les échelles de religiosité, et au PDI total et à la sous-échelle PDI conviction, en ce qui concerne les idées de type délirant. Il semble donc que, bien que ces croyances se retrouvent chez les mêmes individus, elles ne sont pas forcément toutes liées entre elles.

Les participants qui croyaient en Dieu ont des scores plus élevés au PDI que ceux qui ne croyaient pas en Dieu, contrairement à la seule étude (Peters et al., 1999) ayant exploré la relation entre ces deux types de croyances. Dans notre étude, les scores moyens du PDI pour les deux groupes étaient similaires et même légèrement inférieurs à ceux rapportés par Peters et collègues (2004) pour les participants sains, suggérant que les différences entre nos groupes NCD et CD ne sont pas dues à de plus nombreuses croyances de type délirant. Peters et collègues (1999) n’ont pas observé de différences de scores au PDI entre les participants non religieux et les participants chrétiens, mais rapportent que ceux affiliés aux nouveaux mouvements religieux (Druides et Hare Krishna) avaient des scores significativement plus élevés au PDI que les non-religieux et les chrétiens. Nous n’avons pas demandé à nos participants quelle était leur affiliation religieuse étant donné que notre intérêt portait sur la croyance en un être surhumain. De ce fait, il existe une possibilité que nos participants religieux soient affiliés à des nouveaux mouvements religieux plutôt qu’à la religion chrétienne. Cependant, selon Statistique Canada (recensement 2001), plus de 80 % des Québécois déclarent être affiliés à la religion catholique, ce qui suggère que nos participants, qui sont en majorité québécois, sont très probablement chrétiens. De plus, les groupes de l’étude de Peters et collègues (1999) ont été formés à partir des réponses à un questionnaire sociodémographique portant sur l’âge, le sexe, le niveau d’études et la religion. Les participants définis comme chrétiens regroupaient ceux qui ont répondu « Église d’Angleterre », « Catholique », « Méthodiste », « Baptiste » ou « Quaker » dans la case « Religion ». Des participants peuvent donc se définir comme affiliés à une religion par tradition familiale sans pour autant croire en Dieu. Si Peters et collègues (1999) avaient exploré spécifiquement la tendance à croire en Dieu dans leur population ils auraient peut-être observé des résultats similaires aux nôtres.

Comme indiqué plus haut, 57 % de nos participants déclarent croire en Dieu. Seulement 3 % des participants croyaient dans un esprit spirituel, mais pas en Dieu. Ces résultats montrent que la grande majorité des personnes qui se disent spirituelles sont aussi celles qui croient en Dieu, confirmant les observations de Zinnbauer et collègues (1997) qui ont montré que 74 % des personnes interrogées se déclarent religieuses et spirituelles contre seulement 19 % qui se déclarent spirituelles, mais pas religieuses. Dans leur ensemble, ces résultats supportent le sens original de la spiritualité comme « ce qui concerne la doctrine ou la vie centrée sur Dieu et les choses spirituelles » (dictionnaire Larousse), en opposition avec des définitions plus récentes qui décrivent la spiritualité comme une croyance plus personnelle, libre de règles et séparée de la religion (Koenig, 2008). La proportion de participants qui croyaient en Dieu dans notre étude était, de façon surprenante, plus petite que les proportions nationales rapportées aux États-Unis (80 % de croyants, Baylor Religion Survey, 2006), mais comparables aux proportions européennes (52 % en 2005, Special Eurobarometer). Ceci peut s’expliquer par le fait que notre étude s’est déroulée à Montréal, dans la province de Québec, qui a vu la religion diminuer fortement en influence lors des dernières décennies (O’Toole, 1996) de sorte que nos participants seraient moins religieux ou auraient plus de retenue à admettre avoir des croyances religieuses que les citoyens des États-Unis. Cependant, l’enquête de Statistique Canada en 2001 a rapporté que plus de 80 % des Québécois se disaient religieux, suggérant malgré tout un profond attachement religieux. Cette dichotomie potentielle doit être prise en compte dans l’interprétation de nos résultats. Elle suggère une différence non négligeable entre croire en Dieu et se définir comme affilié à une religion.

La superstition était corrélée positivement aux idées de type délirant, ce qui rappelle l’association positive observée dans la littérature entre les croyances paranormales et les croyances de type délirant (Lawrence et Peters, 2004). Comme l’échelle de croyances paranormales (Tobacyk Milford, 1983) comprend des items qui évaluent aussi bien les croyances de type délirant que les superstitions, l’interprétation de ces résultats demeure ambiguë. La présente étude a évalué séparément les croyances de type délirant et la superstition, utilisant des questionnaires spécifiques de chaque croyance. À notre connaissance, ceci est donc la première étude montrant que la superstition est formellement associée aux croyances de type délirant dans une population saine. Nos résultats appuient l’idée que les deux systèmes de croyances pourraient être sous-tendus par des mécanismes cognitifs communs, leur association demeurant significative après contrôle des autres variables. La superstition présuppose un lien causal entre deux événements non liés (voir un chat noir et le futur), très semblable à ce qui est observé chez les patients délirants. Comme Garety et Hemsley (1994, 27) le proposent, les croyances délirantes reposent sur « une perception anormale de la relation entre les événements ». Comme nous l’avons mentionné, les croyances superstitieuses sont, comme les croyances délirantes (DSM-IV), très résistantes aux informations contradictoires et, comme elles, maintenues avec conviction (Russel et Jones, 1980).

Nos résultats ne permettent pas de préciser la relation entre les croyances religieuses et celles de type délirant. Bien que ceux qui croient en Dieu aient plus de croyances de type délirant, seul le doute dans l’existence de Dieu, et non les autres croyances religieuses, demeurait associé aux croyances de type délirant dans les régressions linéaires multiples. Globalement, ceci suggère que certains aspects des croyances de type délirant se retrouvent dans les croyances superstitieuses comme il a été discuté plus haut, et que d’autres aspects se retrouvent dans les croyances religieuses. De façon générale, dû à la nature exploratoire de cette étude, tout résultat rapporté ici se doit d’être répliqué avant de pouvoir tirer des conclusions. De plus, des facteurs sociodémographiques autres que l’âge et le nombre d’années d’études des participants pourraient peut-être expliquer les différents types de croyances étudiés ici. Dans notre population, plus les participants étaient jeunes, plus ils avaient des scores élevés aux échelles d’idées de type délirant, et inversement, plus ils étaient âgés, plus ils avaient des doutes sur l’existence de Dieu, tout en ayant une relation plus forte avec Dieu. Le niveau d’études n’était pas associé aux croyances explorées dans la présente étude.

En conclusion, notre étude est en accord partiel avec Harris et collègues (2008) qui ont montré que différentes croyances activaient un unique réseau de régions cérébrales. Ils rapportent aussi que les incroyances, ou scepticismes activaient un réseau cérébral différent de celui des croyances. La présente étude appuie l’idée que les croyances religieuses, superstitieuses et de type délirant sont trois systèmes qui partagent des traits communs. Cependant, la présence de ces croyances chez les mêmes personnes ne fait que suggérer la possibilité d’un lien cognitif, possibilité fragilisée par l’absence de systématicité des associations entre les différentes croyances lorsque les autres variables d’intérêts sont prises en considération.