Éditorial

Interface santé mentale, société et toxicomanie – une thématique et deux illustrations : l’usage médical du cannabis et le hikikomori[Record]

  • Emmanuel Stip

Les docteurs Didier Jutras-Aswad et Stéphane Potvin ont été les éditeurs invités pour une thématique particulière dans la revue Santé mentale au Québec : la toxicomanie. Ils ont tenté, avec la collaboration d’autres auteurs, de présenter les nouveaux paradigmes en toxicomanie, traduisant de façon contemporaine la complexité du phénomène et les éléments émergents autour de la problématique. Huit articles sur la toxicomanie constituent, avec la collection habituelle d’articles appelée « Mosaïque », ce volume 39, numéro 2 de la revue. Les deux responsables de la thématique sont des chercheurs cliniciens au Québec ayant reçu des subventions du Fonds québécois de la recherche en santé. Ils ont suffisamment d’expérience de pratique et de recherche dans l’interface santé mentale et toxicomanie pour reconnaître les phénomènes émergents et se rendre compte de la complexification croissante des problèmes d’abus et de dépendance aux substances psychoactives dans la société. Il y a certainement, à notre époque, une augmentation de fréquence de la consommation et de la diversité des drogues dans une société comme le Québec, avec, d’après ce que nous disent les épidémiologistes, des risques accrus pour d’autres composantes de la santé, dont, effectivement, la santé mentale. Des phénomènes émergents sont mis en évidence comme en témoigne l’article de Magali Dufour sur les cyberdépendances en illustrant la réalité clinique dans une recherche exploratoire auprès d’une soixantaine de personnes. Deux éléments auraient sans doute dû être approfondis à partir de cette thématique car ils illustrent de façon manifeste les interfaces société-toxicomanie : d’une part, la réalité d’une cyberdépendance qui s’inscrit désormais dans une nosographie nouvelle telle que l’ont définie les Japonais par le hikikomori et, d’autre part, l’influence réciproque d’une drogue comme le cannabis sur la pratique médicale au Québec en fonction de son usage à des fins médicales. Pour ce qui est de la cyberdépendance, la pratique clinique dans les programmes de premiers épisodes ou bien en consultation pour livrer un avis sur un diagnostic de prodrome nous amène à rencontrer des présentations diverses, dont celles plus particulières offertes par les jeunes de la génération que le philosophe Michel Serres nomme « Petite Poucette » ; nouvelle mutation de Homosapiens qui a acquis la capacité d’envoyer des SMS avec son pouce. C’est l’écolier, l’étudiant d’aujourd’hui, qui, finalement, passe plus de temps à fréquenter le monde virtuel que le monde non virtuel. Certains cliniciens avaient suggéré d’inclure dans le DSM-5 le syndrome de cyberdépendance face à des comportements émergents déstabilisant les normes établies. Il n’y est pas, mais, par contre, l’Internet gaming disorder est inclus dans la Section III du manuel, indiquant la nécessité d’en savoir plus sur ce sujet. Ce syndrome que j’ai déjà exposé (Stip, 2013) est le hikikomori (引き篭り), terme japonais désignant une condition psychosociale et familiale touchant principalement les adolescents ou de jeunes adultes qui vivent coupés du monde et des autres, cloîtrés chez leurs parents, dans leur chambre pendant plusieurs jours, mois, voire plusieurs années, refusant toute communication, même avec leur famille, et ne sortant que pour assouvir leurs besoins naturels. Ces cas existent au Canada et en Europe, et nous avons exploré la situation en nous aidant de la documentation scientifique : Medline jusqu’à novembre 2014. Nous avons utilisé le terme hikikomori OR (prolonged AND social AND withdrawal). Sans restriction de langue. Résultat : on a trouvé 126 articles potentiels. De ceux-ci, 42 étaient en japonais et 1 en coréen, difficiles à intégrer. Néanmoins, un grand nombre d’entre eux étaient cités dans les revues de la documentation scientifique en anglais. En examinant les résumés, 39 se sont révélés pertinents ; nous avons été incapables d’obtenir 6 d’entre …