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Une patiente de 55 ans est orientée vers un psychiatre pour évaluation d’un syndrome dépressif qui évolue depuis trois ans et ne répond pas aux antidépresseurs.

À l’histoire, on note :

  • Trouble de personnalité limite diagnostiqué à 23 ans dans contexte de crise suicidaire ;

  • Dépendance alcoolique ayant évolué de 18 à 35 ans. Séjour en réadaptation. Suivie quelques années. Fréquente encore AA. Abstinente depuis. Bon fonctionnement social par la suite : en couple stable, emploi ;

  • Chirurgie pour diverticulite à 51 ans. Multiples complications pendant un an. Réinterventions. Arrêt de travail. Sous hydromophone depuis. Dose actuelle 8 mg PO q.3h. Peu de douleur abdominale depuis 3 ans. Reçoit sa médication chaque mois (240 co). Prend toutes les doses en 20 jours puis présente des symptômes de sevrage. Avoue confidentiellement voir un deuxième médecin à l’insu du premier et faire affaire avec plusieurs pharmaciens. Achète aussi de l’acétaminophène avec codéine en vente libre. Inquiète d’être découverte et rejetée. Essai infructueux de diminution des doses. Incapable de tolérer les symptômes de sevrage ;

  • Tristesse, perte d’intérêt, abandon des activités sociales, manque d’énergie, sommeil fragmenté, absence de libido, diminution d’appétit avec perte de poids, inactivité, passe la journée au lit ou sur le divan. Elle est souvent somnolente et ralentie. Dépendante de son conjoint pour AVQ. Idéation suicidaire en présence de symptômes de sevrage. A reçu citalopram puis venlafaxine sans succès. Présentement sous mirtazapine 30 HS. Clonazepam 2mg tid ajouté pour anxiété par 2e médecin depuis deux mois. Zopiclone 7,5 HS depuis 6 mois ;

  • Le conjoint l’accompagne. Très inquiet. Trouve qu’elle n’est plus la même personne énergique qu’elle était avant sa maladie.

État de la situation

Le portrait de la consommation d’opioïdes s’est considérablement modifié au cours des dernières années. Alors que l’héroïne était l’opioïde illicite le plus utilisé par les consommateurs de drogues à Montréal (Fischer et al., 2005), l’utilisation problématique d’opioïdes de prescription (OP) occupe une place de plus en plus importante (Bruneau et al., 2012 ; Fischer, Jones et Rehm, 2014).

Sans remettre en question l’amélioration du traitement de la douleur chronique, l’augmentation des prescriptions d’OP a entraîné une disponibilité accrue de ces médicaments et parallèlement, une augmentation des conséquences néfastes de leur utilisation. Cette tendance est observée dans de nombreux pays industrialisés au point d’être décrite comme une véritable épidémie (Maxwell, 2011 ; US Department of Health and Human Services, 2011).

Aux États-Unis, alors que la prescription d’opioïdes augmentait de 300 %, le nombre de décès par surdose passait de 4000 à 16 000 par année (Betses et Brennan, 2013). Selon le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (2013), la prévalence d’usage d’opioïdes était de 16,7 % en 2011 dans la population générale et le Canada se classe maintenant au deuxième rang dans le monde pour la consommation d’OP. L’augmentation la plus significative semble se produire dans le groupe d’âge de 55 ans et plus. D’ailleurs, le taux de décès par surdose a doublé entre 2000 et 2009 au Québec, particulièrement chez les personnes de 50 à 64 ans (Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, 2013). La coprescription de benzodiazépines constitue un autre facteur de risque de complications. Les patients recevant des opioïdes prescrits ont un risque relatif de 4,2 de recevoir aussi une benzodiazépine. La co-prescription a d’ailleurs augmenté de 12 % par an de 2002 à 2009 selon une large enquête effectuée aux États-Unis (Kao, Zheng et Mackey, S 2014).

Sur le plan de la toxicomanie, le trouble lié à l’utilisation (TLU) d’OP est le TLU de drogues le plus courant après le TLU de cannabis aux États-Unis (Substance Abuse and Mental Health Services Administration, 2009).

Chez les plus jeunes, l’initiation à l’injection se produit plus précocement avec l’utilisation d’OP qu’elle ne l’était avec l’utilisation d’héroïne (Lankenau et al., 2011). Pour cette population, l’accès aux OP se produit par les prescriptions personnelles, la pharmacie familiale et les amis.

Comparativement à l’injection d’héroïne, on observe aussi un risque accru d’acquisition d’hépatite C chez les utilisateurs d’OP (Bruneau et al., 2012). L’utilisation problématique d’OP est par ailleurs associée à un nombre accru d’admissions en traitement pour le TLU d’opioïdes et il semble aussi que le temps entre l’utilisation initiale d’OP et l’admission en traitement pour le TLU d’opioïdes diminue (Maxwell, 2011).

Cette situation crée une pression sur les réseaux de traitement des TLU de substances alors que l’accessibilité des traitements de substitution demeure limitée (Nosyk et al., 2013). Or, les traitements de substitution (méthadone et buprénorphine) demeurent les plus efficaces pour traiter cette dépendance.

Finalement, ce changement dans les habitudes de consommation d’opioïdes entraîne aussi une remise en question des stratégies de réduction des méfaits, stratégies qui ont fait leurs preuves avec des substances illicites comme l’héroïne (Hallinan, Osborn, Cohen, Dobbin et Wodak, 2011 ; Roy, Arruda et Bourgeois, 2011). Par exemple, les sites de distribution de matériel d’injection sont majoritairement implantés dans le centre des villes et sont conçus en fonction d’une population marginalisée et instable socialement. Il en est tout autrement pour les usagers d’OP qui sont plus âgés, ne sont pas concentrés géographiquement, consultent régulièrement leur médecin, et ne se perçoivent pas comme des toxicomanes mais comme des patients avec un problème de douleur.

Une revue systématique estimait la prévalence d’abus chez la clientèle prenant des opioïdes prescrits pour un problème de douleur comme étant de 3 % à 62 % selon les études (Turk, Swanson et Gatchel, 2008). Plusieurs facteurs sont associés à cette problématique et expliquent en partie la grande variabilité observée.

Par exemple, une histoire de TLU de substances présente ou passée est le principal facteur associé au risque d’avoir des problèmes associés à la prescription d’opioïdes (Boscarino et al., 2010).

Les problèmes de santé mentale contribuent aussi de façon importante au risque de développer un TLU, en particulier la dépression (Webster et Webster, 2005). Une étude américaine a différencié les utilisateurs d’OP selon la sévérité de leur usage et a remarqué que 7 % des consommateurs présentaient une utilisation plus problématique et que ce groupe avait eu, au cours de l’année précédente, un diagnostic de dépression majeure et un traitement pour TLU de substances (Wu, Woody, Yang, Pan et Blazer, 2011).

Par ailleurs, une étude s’intéressant aux adultes recevant un traitement prolongé d’opioïdes pour douleur non cancéreuse et n’ayant pas d’antécédents de TLU de substances a trouvé une association entre le fait d’avoir des symptômes dépressifs et l’utilisation inadéquate, soit la prise d’opioïdes pour dormir ou pour contrer le stress ainsi que l’augmentation de la dose sans avis médical (Grattan, Sullivan, Saunders, Campbell et Von Korff, 2012). Plus les symptômes dépressifs sont sévères, plus l’association avec un TLU d’opioïdes est importante.

D’autre part, le TLU d’opioïdes est associé à une forte prévalence de troubles psychiatriques concomitants, généralement de l’ordre de plus de 40 % (Strain, 2002). Les plus fréquents étant les troubles dépressifs majeurs (Saunders et al., 2012), les troubles anxieux (Brooner, King et Kidorf, 1997), le TLU d’alcool et de drogue (Sullivan, Edlund, Steffick et Unutzer, 2005) et les troubles de la personnalité, particulièrement le trouble de personnalité antisociale.

Les troubles liés à l’utilisation des substances psychotropes : l’avancement des connaissances

Depuis plus d’un demi-siècle, notre conception des troubles liés à l’utilisation des drogues s’est considérablement modifiée grâce aux progrès scientifiques. En 1954, Milner et Olds découvrent le circuit cérébral de la récompense chez le rat et huit ans plus tard une technique d’autoadministration de drogues par voie intraveineuse chez cet animal est mise au point par Weeks.

Les études du modèle animal démontreront que la majorité des drogues addictives exercent un effet de renforcement au niveau des circuits neurologiques qui forment le système limbique et qui facilitent l’apprentissage des comportements de consommation. En 1973, l’existence de morphine endogène est suggérée par la découverte de récepteurs cérébraux à la morphine.

On sait maintenant que le stress et l’exposition répétée aux drogues induisent des changements soutenus de l’activité cérébrale capables d’expliquer les comportements addictifs. Plusieurs neurotransmetteurs sont impliqués dans cette adaptation cérébrale, propres à chacune des drogues. Des chercheurs en psychiatrie moléculaire, comme Nestler, étudient comment le stress et les drogues influent sur les mécanismes épigénétiques et sur la transcription génique (Tsankova, Renthal, Kumar et Nestler, 2007).

Les recherches en génétique montrent qu’entre 40 et 60 % de la vulnérabilité au développement de ces troubles provient de facteurs héréditaires. De plus, les gènes déterminent la réponse au traitement, ouvrant la perspective pour l’utilisation des principes de la médecine personnalisée en réponse aux troubles liés à l’utilisation des substances.

Le développement de l’imagerie cérébrale a apporté une contribution majeure au progrès des connaissances. La tomodensitométrie par émission de positrons a permis d’évaluer le rôle que jouent certains neurotransmetteurs, comme la dopamine et les opioïdes endogènes, dans le processus de renforcement.

La résonance magnétique fonctionnelle nous a permis d’identifier, outre les circuits limbiques, d’autres dont le fonctionnement est altéré par cette maladie : circuits de la mémoire, du conditionnement, de la formation des habitudes, de la motivation, des fonctions exécutives comme le contrôle de l’inhibition et la prise de décision, la réponse au stress et la modulation de l’humeur (Volkow, Wang, Fowler et Tomasi, 2012).

Longtemps perçus comme un vice, ces troubles sont maintenant compris comme une maladie du cerveau qui résulte de l’interaction complexe entre un milieu biologique dont la vulnérabilité est en partie déterminée génétiquement et des facteurs environnementaux qui peuvent en précipiter l’éclosion. Il est maintenant bien établi que ces troubles ont les caractéristiques que l’on retrouve dans d’autres maladies chroniques et évoluent de façon similaire (MCLellan, Lewis, Obrien et Kleber, 2000).

Si les connaissances en neurobiologie des comportements addictifs ont permis une meilleure compréhension de la maladie, il n’en reste pas moins que les traitements de substitution que nous utilisons toujours ont été développés de façon empirique bien antérieurement à ces avancées. En 1940, en Angleterre, la méthadone apparaît dans plusieurs études comme un produit capable de traiter les symptômes causés par le sevrage de la morphine. Aux États-Unis, en 1964, les docteurs Vincent Doyle et Marie Nyswander font la preuve de l’efficacité de la méthadone comme traitement de la dépendance aux opioïdes (TDO). L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) place la méthadone sur sa liste des médicaments essentiels.

Depuis 2007, une deuxième molécule, la combinaison buprénorphine – naloxone (Suboxone), a été approuvée par Santé Canada pour cette indication.

TLU des opioïdes : une maladie encore ignorée

Malgré les progrès accomplis et l’explosion des connaissances en dépendance, la grande majorité des patients restent sans traitement.

L’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) indique dans son rapport en 2008 que 70 à 88 % de ces patients ne reçoivent aucun traitement.

Le TLU des opioïdes contribue, partout à travers le monde, et de façon majoritaire, au fardeau des maladies liées à l’utilisation des drogues illicites. Il se traduit par de la criminalité et, surtout, par des années de vies productives perdues par incapacités de toutes sortes et par décès prématurés (Degenhardt et al. 2013).

La trop faible utilisation que fait la communauté médicale de ces traitements se répercute sur les coûts qu’engendrent les maladies directement associées à l’usage : néoplasies, cirrhose, hépatites virales, infection au VIH, etc. Un traitement de la dépendance aux opioïdes (TDO) coûte moins de 4 000 00 $ par année alors qu’un patient non traité engendre des coûts de 10 à 15 fois supérieurs (Wall et al., 2000). Au Québec (CRAN, 2011), moins de 30 % des personnes qui font un usage par voie intraveineuse d’opioïdes ont accès à un TDO, ce qui signifie une perte d’opportunité dramatique pour la prévention de ces maladies. Également, plusieurs régions du Québec n’ont aucun service organisé à cette fin.

Recommandations

Tous les patients, incluant les toxicomanes, ont droit à un traitement adéquat de la douleur. Ce traitement ne doit toutefois pas augmenter la détresse et diminuer la qualité de vie des utilisateurs.

Plusieurs lignes directrices abordent la gestion des opioïdes dans le traitement de la douleur chronique. Une revue de la documentation scientifique démontre que la plupart de ces lignes directrices datent de plusieurs années ou traitent d’un problème de santé en particulier (douleur lombaire, fibromyalgie). Néanmoins, des organisations ont publié récemment des lignes directrices qui insistent sur les comportements inadéquats associés aux opioïdes, telles que :

  • The American Society of Interventional Pain Physicians (2008) ;

  • Utah Department of Health (2008) ;

  • The American Pain Society in Conjunction with The American Academy of Pain Medicine (2009) ;

  • Le Collège des médecins du Québec (2009) ;

  • Canadian Guideline for Safe and Effective Use of Opioids for Chronic Non-Cancer Pain, National Opioid Use Guideline Group (2010).

Tous ces guides recommandent l’usage d’opioïdes pour les patients souffrant de douleur chronique, notamment la douleur qui ne répond pas aux traitements habituels. Ils préconisent toutefois qu’une attention particulière soit portée tant à l’évaluation prétraitement qu’au suivi et à la cessation de celui-ci.

1. Identification des patients à risque de perte de contrôle avec les OP

Avant d’entreprendre un traitement, il importe d’obtenir un consentement éclairé du patient. La discussion doit porter sur les bénéfices escomptés, les effets secondaires et les risques du traitement, incluant celui de développer des comportements aberrants avec les OP.

Plusieurs outils de dépistage visent l’identification des patients à risque de comportements inadéquats. Ainsi, l’échelle d’évaluation du risque des opioïdes (Opioid Risk Tool), offerte sur le site internet de McMaster University (http://nationalpaincentre.mcmaster.ca/opioid), remplit cette fonction. De même, des tests de dépistage urinaire des drogues peuvent aider à l’évaluation du risque de base et de la fidélité au traitement.

Des antécédents de troubles liés à l’utilisation d’une substance ne signifient pas nécessairement que le patient agira de même avec les opioïdes. Néanmoins, ils signalent l’exigence d’un plan de traitement définissant très clairement les limites acceptables, de même qu’une prescription et un suivi plus serrés. En cas de doute, l’avis d’un spécialiste en toxicomanie pourra être obtenu avant le début du traitement.

L’utilisation d’une entente écrite est aussi fortement conseillée. Ce contrat pourra prévoir les objectifs du traitement, les tests de dépistage demandés, les conditions liées au nombre et à la fréquence des renouvellements de prescriptions et les motifs pouvant entraîner la cessation du traitement.

Par ailleurs, certaines précautions permettent de prévenir la fraude relativement aux prescriptions d’opioïdes : l’envoi de celles-ci par télécopieur directement à la pharmacie, la rédaction de l’ordonnance en mots et en chiffres sans laisser d’espace vierge sur le document et l’entreposage des blocs de prescriptions non utilisés hors de la portée des patients.

2. Dépistage des problèmes liés à l’utilisation des opioïdes prescrits

Une fois le traitement d’opioïdes instauré, une surveillance régulière est essentielle afin d’évaluer la réponse au traitement, les effets indésirables ainsi que les signes de comportements aberrants. Ainsi, un traitement efficace devrait permettre une diminution de la douleur d’au moins 30 %, avec une amélioration des activités et de la qualité de vie du patient. La persistance de la douleur à l’origine de la prescription d’opioïdes doit être régulièrement vérifiée, afin de diminuer et d’arrêter le traitement en temps opportun.

La détérioration du fonctionnement du patient malgré l’analgésie, la présence de somnolence ou d’euphorie devraient être examinées avec soin. De même, la prise inappropriée des opioïdes (par exemple le fait de croquer les comprimés à longue action), les demandes de renouvellement avant l’échéance, la perte des ordonnances, la visite de plusieurs médecins ou pharmacies, et la non-observance des rendez-vous ou des autres modalités de traitement peuvent être des signes de perte de contrôle de la prise des opioïdes.

Il est important d’examiner la sphère anxio-dépressive étant donné la forte prévalence de trouble concomitant. La présence de symptômes dépressifs ou anxieux nécessite une prise en charge efficace, ceux-ci pouvant entraîner un usage inapproprié de la médication à des fins d’autotraitement.

Par ailleurs, il importe de ne pas confondre la toxicomanie avec le phénomène de pseudo-toxicomanie, qui se définit par des comportements inappropriés d’utilisation des opioïdes, reflet d’une douleur mal soulagée. L’avis d’un spécialiste en douleur pourra être utile pour les patients qui ne répondent pas aux traitements proposés.

3. Prise en charge des patients faisant un mésusage de leur médication

La perte de contrôle avec la médication exige une évaluation et une prise en charge rapides du problème. Le médecin pourra envisager la mise en place d’un programme Alerte, limitant le patient à un seul groupe de prescripteurs et à une seule pharmacie désignée. La prescription d’opioïdes pourrait aussi obliger le patient à se présenter à la pharmacie tous les jours ou toutes les semaines pour recevoir sa médication.

Le choix du médicament doit aussi être réévalué. Les opioïdes à longue action (par exemple le timbre de fentanyl) ou les traitements de substitution (la méthadone ou la buprénorphine) pourraient être bénéfiques. Dans certains cas, le sevrage de la médication sera la solution retenue. Encore ici, l’avis d’un spécialiste en toxicomanie pourra être utile.

La prescription à long terme de benzodiazépines n’est pas recommandée pour les personnes qui présentent un TLU ou des facteurs de risque d’en présenter. Les troubles du sommeil sont d’ailleurs fréquents chez ces patients et doivent être évalués adéquatement. Ils peuvent être liés à un soulagement inadéquat de la douleur. L’utilisation d’opioïdes à courte demi-vie entraîne inévitablement des périodes d’éveil associées à la réapparition de la douleur ou de symptômes de sevrage. L’utilisation de médicaments à longue action peut être bénéfique dans ces circonstances. Les antidépresseurs comme l’amitryptiline ou la trazodone peuvent constituer des bons choix pour soulager l’insomnie, d’autant plus qu’ils sont considérés comme étant des médicaments adjuvants dans le traitement de la douleur et peu susceptibles d’être abusés. Dans le cas où on les associe à la méthadone, une attention particulière devra être apportée au QTc.

Une nécessaire mise à niveau des connaissances, une meilleure organisation de services

Les centres de réadaptation en dépendance (CRD) offrent dans toutes les régions du Québec des services psychosociaux aux personnes aux prises avec un TLU d’opioïdes. Depuis 2004, les TDO font partie de l’offre de services commune des CRD ; cependant, ces centres manquent de personnel médical qualifié pour la mise en application des données médicales probantes.

Le Centre de recherche et d’aide pour narcomanes (CRAN, 2011) affirme que la précarité des équipes traitantes demeure un enjeu majeur en raison de la difficulté de recruter des médecins prêts à s’engager auprès de cette clientèle. Les personnes qui abusent des opioïdes d’ordonnances et qui présentent de multiples problèmes de santé, dont la douleur chronique, ont un accès encore plus limité au TDO et s’intègrent mal dans des programmes qui ont été conçus pour des clientèles plus jeunes faisant usage d’opioïdes illicites. Pour les cas plus lourds, l’accès aux soins psychiatriques demeure problématique.

The National Center on Addiction and Substance Abuse (CASA, 2012) constate dans un volumineux rapport que la majorité des médecins n’ont pas la formation nécessaire pour dépister et traiter les troubles liés à l’utilisation des substances. En effet, il y a absence d’une formation adéquate dans le curriculum de nos facultés médicales, autant dans les programmes des cours de premier cycle que dans les programmes de résidence. Au Canada, il n’existe que deux programmes avancés en médecine des toxicomanies, accrédités par l’American Board on Addiction Medicine (ABAM), soit celui de l’Université de Colombie-Britannique à Vancouver et le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) de l’Université de Toronto. Au Québec, le Département de Médecine familiale et de médecine d’urgence de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal vient tout juste d’approuver un programme de formation de troisième cycle d’un an, en médecine des toxicomanies, à la suite d’une proposition du Service de médecine des toxicomanies du CHUM.

Les facultés de médecine doivent inclure dans leur curriculum une formation qui permettra aux futurs médecins, quelles que soient leurs spécialités, de traiter les TLU des substances et les problèmes de santé qui les accompagnent. À cet égard, la formation des médecins de famille et des psychiatres doit être au coeur de cette réforme.

Tous les éléments sont actuellement réunis pour faire en sorte de combler les lacunes qui existent dans le traitement de ces troubles. Des médecins de famille et des psychiatres ont acquis l’expertise pour appuyer les changements qui doivent être apportés au curriculum des facultés médicales. La place que les facultés leur feront sera déterminante pour la mise à niveau des connaissances, de la formation et pour assurer, par la formation médicale continue, un transfert constant du savoir.

L’ampleur du problème, les impacts sur la santé publique et les coûts qu’ils engendrent pour la société ne peuvent plus être ignorés. La communauté médicale et le réseau de la santé ont conjointement la responsabilité d’offrir des services appuyés sur des données probantes aux personnes aux prises avec des problèmes d’alcool, de drogue ou d’OP, et ces services doivent être accessibles en temps utile.

Retour sur la vignette clinique

La patiente de la vignette présente des comportements aberrants avec sa médication : augmentation de la dose à l’insu de son médecin, incapacité de contrôler l’usage quand elle a de grandes quantités de médicaments avec elle, magasinage médical, usage pour d’autres raisons que le traitement de la douleur. Elle semble présenter une sédation excessive avec l’ensemble de sa médication. Il n’est pas exclu qu’une partie du tableau dépressif soit induite par l’usage chronique d’opiacés et de benzodiazépines. La patiente reconnaît facilement qu’elle est en perte de contrôle et demande de l’aide. L’épisode douloureux étant résolu depuis longtemps, elle souhaite cesser les analgésiques mais se sent démunie pour le faire. Par ailleurs, c’est une personne vulnérable en raison de son trouble de personnalité limite et de ses antécédents de dépendance alcoolique. L’objectif demeure de l’aider à retrouver le niveau de fonctionnement qu’elle avait avant sa maladie.

Les mesures suivantes, à être mise en place, sont discutées avec elle en collaboration avec son médecin traitant : dans un premier temps, le système alerte pourrait être aidant avec un seul médecin prescripteur et un seul pharmacien ; demander à son pharmacien de ne plus lui servir de médicaments codéinés en vente libre.

Dans un contexte de dépression, et vu la courte durée d’usage (deux mois), diminuer les doses de clonazepam et les cesser en quelques semaines.

Le sevrage en diminuant les doses d’hydromorphone, un opioïde à courte demi-vie, ayant été un échec, le transfert vers une préparation à longue action est indiqué.

Une dose équivalente d’hydromorph-contin pourrait être une option. On pourrait aussi considérer le timbre de fentanyl, la méthadone ou la Suboxone (combinaison de buprénorphine et de naloxone). Quelle que soit la médication choisie, la dose doit être non sédative et permettre à la patiente de reprendre ses activités de vie quotidienne. La dispensation doit se faire de façon quasi quotidienne à la pharmacie pour un certain temps.

Après une période de stabilisation de quelques semaines et la reprise d’activités, la dose peut être réduite progressivement à raison d’environ 10 % toutes les 2 à 4 semaines avec possibilité de faire des pauses dans la diminution si les symptômes de sevrage sont trop sévères. On peut anticiper que tout le processus de sevrage s’étalera sur 6 à 12 mois.

Réévaluer la symptomatologie dépressive une fois le clonazepam cessé et la patiente recevant des doses non sédatives d’opioïdes.