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C’est avec un immense plaisir que j’ai accepté l’invitation des membres du comité de rédaction de la revue à me joindre à eux à titre de codirectrice d’un numéro spécial sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle. Ce numéro représente une opportunité de me rapprocher un peu plus d’un rêve que je chéris depuis près de vingt ans et il s’insère parfaitement dans la logique et la progression de mes activités cliniques et universitaires.

Il y a une vingtaine d’années, j’ai rencontré Richard Montoro alors que nous étions résidents en psychiatrie. Ce fut le début d’une solide amitié et d’un rêve commun : celui de créer un endroit sécuritaire permettant à quiconque ayant un questionnement ou un malaise par rapport à son orientation sexuelle de consulter un professionnel de la santé mentale. C’est ainsi que cinq ans plus tard, en 1999, le Centre d’orientation sexuelle de l’Université McGill (COSUM) voyait le jour. Optimiste ou peut-être même idéaliste, je me souviens d’avoir dit à Richard que c’était un projet de dix ans. Je me disais qu’une décennie plus tard, la société aurait évolué suffisamment pour faire en sorte qu’une clinique spécialisée ne soit plus nécessaire. J’imaginais un monde professionnel où les théories pathologisantes de l’homosexualité auraient été remplacées par des théories normatives de façon à ce que tous les thérapeutes se sentent adéquatement outillés pour travailler avec cette population.

Or, lorsque l’homosexualité a été retirée du DSM, l’enseignement par rapport à l’homosexualité a cessé de faire partie du cursus universitaire des psychothérapeutes. Dès lors, l’on s’est mis à traiter les homosexuels comme les hétérosexuels. Au nom de la rectitude politique, on occultait les différences entre ces deux populations. Ce faisant, on ne répondait pas aux besoins propres à la population différente de la norme hétérosexuelle. Richard et moi avons commencé à enseigner notamment aux étudiants en médecine, aux résidents en psychiatrie, aux stagiaires en travail social, aux candidats au doctorat en psychologie et aux internes en sexologie. Je maintenais toujours le rêve d’une société de moins en moins discriminante, combinée avec une cohorte de professionnels de la santé suffisamment formés pour faire en sorte que notre clinique ne soit plus nécessaire.

Aujourd’hui et après plus de dix ans, le rêve se réalise progressivement. En fait, nous avons de moins en moins de demandes de la part de gens confus ou mal à l’aise relativement à un homoérotisme. Il est possible que les années d’enseignement portent fruit et les gens consultent des psychothérapeutes localement sans avoir à s’adresser à notre centre tertiaire. J’ose croire également que l’ouverture d’esprit de la société permet à beaucoup de personnes d’apprivoiser leur sexualité minoritaire sans notre aide.

On a tendance à croire que la société évolue constamment vers un respect croissant des droits humains mais l’histoire nous démontre autre chose. Le mouvement des droits est plutôt comme un balancier, avec des extrêmes de libertés et de répression. Nous devons donc demeurer attentifs aux mouvements qui viendraient bafouer les droits acquis.

Depuis quelques années, nous avons commencé à traiter de plus en plus de personnes qui remettent en question leur identité de genre. C’est ainsi que le mandat de notre centre s’est élargi pour inclure non seulement la détresse reliée à l’orientation sexuelle mais aussi à l’identité de genre. Ce faisant, nos programmes d’enseignement ont aussi changé. Mon rêve comprend désormais une société ouverte non seulement à la diversité sexuelle mais à la diaspora de genres. Le contenu de ce numéro spécial qui, je l’espère, contribuera à mon ambition, reflète également cette ouverture.

Avant de vous présenter le numéro, je veux remercier publiquement deux personnes très importantes : mon collègue Richard Montoro et ma conjointe Donna Coffin. Richard est mon partenaire dans cette aventure clinique et académique, et Donna, ma partenaire dans l’aventure de la vie. Sans l’enthousiasme de Richard et le support de Donna, le COSUM ne serait pas né et ce numéro spécial de SMQ n’aurait jamais vu le jour. Richard, Donna, merci pour tout.

Le numéro commence par un article théorique et clinique que je vous offre en guise d’entrée en matière. Il situe les concepts essentiels en ce qui concerne l’orientation sexuelle et l’identité de genre et propose une structure d’approche clinique pour l’évaluation de la sexualité ainsi que des pistes thérapeutiques pour traiter la détresse qui y est reliée. Mon intention derrière ce texte est d’offrir un article de synthèse à proposer à nos étudiants lorsque Dr Montoro et moi enseignons sur le sujet.

Le professeur titulaire à l’école de service social de l’Université Laval, Michel Dorais, propose un deuxième article théorique qui reprend les notions de sexe, de genre et d’orientation sexuelle en traçant l’historique de ces idées et en poussant le lecteur à une conception non binaire de chacune d’entre elles. La suite du numéro est organisée selon une logique chronologique, présentant des données sur les jeunes, les adultes et finalement les aînés.

Le Dr Montoro présente nos données sur un échantillon de jeunes Québécois. L’intersection entre le harcèlement, l’affirmation de son orientation sexuelle et les tentatives de suicide portent à réfléchir. En effet, il semble que l’homoérotisme n’est pas relié au risque de suicide mais que l’identification à une minorité sexuelle le serait. De plus, le harcèlement semble avoir un effet exponentiel sur le risque de suicide chez les jeunes s’identifiant comme « autre qu’hétérosexuel ». Félix-Antoine Bergeron, sous la direction de Martin Blais, professeur au département de sexologie de l’UQAM, propose des données similaires sur les jeunes transgenres. Il expose le lien entre la détresse psychologique, l’estime de soi, la victimisation transphobe et la violence verbale parentale. Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’école de service social de l’Université de Montréal, nous décrit l’expérience des parents des jeunes transgenres et leurs besoins. Guillaume Raymond, un autre étudiant travaillant avec Martin Blais, explore le rôle modérateur du soutien parental dans les relations entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée et la détresse psychologique chez des jeunes LGB. Pris ensemble, ces quatre articles soulignent l’importance, pour la santé mentale, d’actions pour réduire le harcèlement subi par les jeunes de minorités sexuelles et de créer plus d’outils pour leurs familles.

Par la suite, je vous propose une description de cas cliniques pour aider le clinicien à distinguer le trouble obsessionnel compulsif (TOC) avec obsession sur l’orientation sexuelle du processus du développement identitaire gai normal. En effet, au COSUM nous avons à l’occasion reçu des patients qui nous ont été adressés afin que l’on tente de les aider à accepter une homosexualité quand finalement, le diagnostic s’est révélé être un TOC et une absence d’homoérotisme. Marie Geoffroy, sous la direction de Line Chamberland, titulaire de la chaire de recherche sur l’homophobie de l’UQAM, étaye ensuite la discrimination qui existe en milieu de travail et les implications pour la santé mentale. Finalement les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes vous sont présentés par Marie Geoffroy et Line Chamberland. Mme Geoffroy poursuit ses études supérieures sous la supervision de Mme Chamberland en sexologie à l’UQAM.

Le numéro spécial se poursuit avec une étude transculturelle, poétique comme un récit de voyage, par Dr Emmanuel Stip, directeur du département de psychiatrie à l’Université de Montréal. Celui-ci décrit un genre non catégorisable comme homme ou femme, les RaeRae de la Polynésie française. Cet article illustre ce qui est plaidé dans les articles théoriques du début, à savoir que le genre n’est pas un concept binaire et que dans la diversité humaine, il y a plusieurs genres autres que simplement homme ou femme. Il nous rappelle de plus que notre conception de la sexualité n’est qu’un point de vue occidental, et qu’il y a d’autres façons, aussi valables que la nôtre, d’apprécier la diversité humaine.

Pour clore la thématique, une de mes patientes, sous le pseudonyme de Geneviève Boyer, vous offre un très touchant témoignage. Elle décrit les ravages de l’homophobie sur sa vie : tant au niveau de sa santé mentale et de son estime personnelle qu’au niveau de ses relations familiales et conjugales. Elle apporte un point de vue sur ce qui est aidant dans une thérapie affirmative de la diversité sexuelle. Étant donné la discrimination qui existe et pour les minorités sexuelles et pour la maladie mentale, je tiens à saluer sa générosité et son courage.

Finalement, puisque les questions abordées dans ce numéro thématique ne vous sont pas nécessairement familières et étant donné que c’est un domaine d’étude où le vocable a beaucoup changé, j’ai cru bon de vous présenter un lexique auquel vous pourrez vous référer en lisant les divers articles. Celui-ci est adapté de deux sources principales : l’énoncé de principe de l’Association canadienne de psychiatrie (APC) et le lexique de la Chambre de commerce LGBT du Québec (1,2).

En terminant, je vous souhaite bonne lecture et bonne réflexion, et je vous invite à vous joindre à mon rêve.

Lexique

Sur le genre

Identité de genre : L’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, de se sentir homme ou femme, homme et femme, ni homme ni femme.

Expression de genre : L’expression de l’identité de genre par l’habillement, le comportement, le maintien, les attitudes, le langage, la voix, les activités, par exemple.

Rôle de genre : L’expression de genre attribué et attendu des hommes ou des femmes dans une culture et à une époque historique donnée.

Cisgenre : Le terme s’applique lorsque l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance.

Transgenre ou trans : La personne transgenre est celle qui s’identifie en dehors des règles des genres masculin et féminin conventionnels. Dans son usage, le terme a souvent un sens générique et il englobe les transsexuels, les bispirituels, les intersexués et les personnes au genre variant.

Transsexuel : Le terme s’applique à la personne dont l’identité de genre ne correspond pas à son anatomie. La personne transsexuelle souhaite modifier son corps par un traitement hormonal ou chirurgical afin qu’il corresponde à son identité de genre.

Genre non conforme, au ou genre variant, au : Le terme s’applique à la personne qui ne se conforme pas aux normes de la société en ce qui a trait à l’expression de genre fondée sur le binarisme du masculin versus le féminin.

Genre queer, au : La personne pour qui l’identité de genre est une notion souple et variable et qui refuse de s’enfermer dans les catégories classiques ou des concepts absolus. Elle préfère se positionner comme bon lui semble le long du continuum des genres.

Intersexué : Le terme désigne une personne qui naît avec un mélange d’attributs physiques des hommes et des femmes. Ainsi, il y a non concordance entre les organes génitaux externes, les organes génitaux internes, les caractéristiques sexuelles secondaires, les hormones et/ou les chromosomes. Ce terme remplace l’ancienne appellation « hermaphrodite ».

Travesti : La personne qui s’habille selon ce qui est convenu socialement pour le genre qui ne correspond pas à son sexe. Elle s’habille ainsi par jeu, par expression de soi ou expression artistique ou par plaisir érotique, mais elle est à l’aise avec son corps tel quel et ne souhaite pas le modifier, c’est-à-dire qu’elle n’est pas transsexuelle.

Transition : Processus complexe à plusieurs phases qui peut s’étirer sur des années, le temps nécessaire pour harmoniser l’anatomie et l’expression de genre de la personne transgenre à son identité de genre. La transition peut se faire sur le plan social (se présenter selon son identité), légal (changement de nom ou de mention de sexe sur les documents officiels) et/ou physique (hormonothérapies et chirurgies de réassignation). Ces différents plans sont indépendants les uns des autres. Par exemple, une personne peut faire une transition sociale sans aucune intervention médicale.

Sur l’orientation sexuelle

Hétéroérotisme : Attirance ou excitation sexuelle envers les personnes du sexe/genre opposé dans une conception binaire du sexe et du genre.

Homoérotisme : Attirance ou excitation sexuelle envers les personnes de son même genre/sexe.

Orientation sexuelle : Attirance émotive ou sexuelle, le désir ou l’affection que ressent une personne pour une autre.

Comportement sexuel : Actions sexuelles d’une personne, la manière dont elle agit sur le plan sexuel. Le comportement sexuel n’est pas forcément en accord avec l’orientation ou l’identité sexuelle.

S’appliquant au genre et à l’orientation sexuelle

Identité sexuelle : Terme qui porte à confusion. Tantôt utilisé pour désigner la détermination pour soi et pour les autres de son orientation sexuelle (par exemple : gai, lesbienne, bisexuelle, queer), tantôt utilisé comme synonyme d’identité de genre, tantôt utilisé pour désigner globalement toutes ces identités.

Affirmation de son identité sexuelle : La démarche d’affirmation de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Alors que l’affirmation pour-soi de son identité peut se faire a un moment précis important, la déclaration de son identité aux autres se fait tout au long de la vie.

Bi-spirituel : Terme utilisé par des peuples autochtones d’Amérique du Nord pour désigner la présence de deux esprits dans un même corps : un esprit masculin et un esprit féminin. Les personnes qui se qualifient de bispirituelles peuvent également se présenter comme des gais, des lesbiennes, des bisexuelles, des transgenres, des intersexuées, des transsexuelles ou avoir de multiples identités de genre.

Queer ou hors norme : Dans son usage contemporain, queer est un terme d’affirmation de soi générique et unificateur de la sphère sociopolitique englobant une vaste gamme d’expressions de genre, y compris les gais, les lesbiennes, les bisexuels, les transgenres, les intersexués, les non-conformistes de genre ou toute autre orientation sexuelle ou identité de genre. Ce terme, qui avait autrefois une connotation méprisante, a été réapproprié par les minorités sexuelles qui y voient un symbole d’autodétermination et de libération.

Questionnement, en : Se dit de personnes, incertaines de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, qui se présentent comme étant en questionnement.

Sur la discrimination

Hétérosexisme : La présupposition voulant que tous soient hétérosexuels jusqu’à preuve du contraire ou devraient l’être, et l’affirmation de l’hétérosexualité comme étant supérieure et préférable aux autres orientations sexuelles.

Privilège hétérosexuel : Les avantages dont bénéficient les hétérosexuels et qui sont refusés aux gais, aux lesbiennes, aux bisexuels, aux queers et aux personnes dont l’orientation sexuelle n’est pas l’hétérosexualité.

Homophobie : Initialement, le terme désignait la crainte irrationnelle, la haine ou l’aversion à l’égard des personnes homosexuelles ou du comportement homosexuel. De façon contemporaine, le terme est utilisé pour désigner les attitudes négatives envers l’homosexualité, sans en présumer l’émotion sous-jacente.

Homophobie intériorisée : Le sentiment de culpabilité, de honte ou honte de soi en raison de sa propre attirance envers une personne de même sexe ou genre issu de l’homophobie et de l’hétérosexisme.

Transphobie : Initialement conçu comme étant la crainte irrationnelle, l’aversion ou la haine à l’égard des personnes transsexuelles ou transgenres. Maintenant le terme désigne plutôt toute attitude négative envers les personnes trans, sans en présumer l’émotion sous-jacente.

Thérapie réparatrice ou de conversion : L’ensemble des traitements pseudoscientifiques ayant pour but de changer l’orientation sexuelle d’une personne de l’homosexualité à l’hétérosexualité.