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Introduction

Au Québec et ailleurs dans le monde, la préoccupation s’accentue en regard de la santé mentale de « l’ensemble » de la population. Ceci implique d’accorder une importance accrue aux interventions préventives et de promotion. Dans le cadre de ces actions, il importe également de se préoccuper des inégalités sociales, lesquelles sont profondément liées à la distribution de la santé mentale dans la population. Nous assistons donc à une effervescence de stratégies « intégrées ou globales » de santé mentale qui s’appuient sur une conceptualisation de la santé mentale et des troubles mentaux qui les place sur deux axes distincts, mais reliés1.

Dans ce contexte, les acteurs de santé publique sont invités à agir à titre de chef de file – comme main-d’oeuvre « spécialisée » – pour ce qui est des objectifs de promotion équitable de la santé mentale (PSM) et de prévention des troubles mentaux (PTM) et à établir des partenariats avec la main-d’oeuvre générale, de soins de santé physique et mentale, de services sociaux, de soutien communautaire, ainsi que d’autres secteurs (ex. : éducation), qui a aussi un rôle à jouer en ce sens2, 3, 4.

Dans cet article, nous présentons d’abord l’élan de changement sur le plan des politiques auquel nous assistons dans le champ de la santé mentale. Nous discutons ensuite les éléments principaux d’un cadre de référence de santé mentale des populations pour la santé publique. Nous mettons enfin en exergue la manière dont la mise en oeuvre de la responsabilité populationnelle, telle qu’elle se définit en contexte québécois, permet d’intégrer les différentes dimensions de ce cadre de référence.

La santé mentale en santé publique : un élan de changement sur le plan des politiques

L’importance accordée à la santé mentale par la santé publique s’est grandement accrue au fil des décennies. D’un côté, les problèmes de santé mentale et les troubles mentaux sont en croissance au Canada et dans le monde. Leurs coûts sociaux, économiques et sanitaires sont très importants5, 6. De plus, ils ne peuvent être contenus uniquement par les interventions curatives individuelles7, 8.

D’un autre côté, la santé mentale est considérée comme une ressource essentielle pour la vie. Elle se définit comme un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, faire face aux difficultés normales de la vie, travailler avec succès et de manière productive et être en mesure d’apporter une contribution à la communauté9. La promouvoir devient ainsi un objectif à poursuivre pour le bien-être et le développement des personnes, des communautés et des nations, indépendamment des objectifs de réduire la prévalence et l’incidence des troubles mentaux, auxquels elle contribue significativement néanmoins. L’amélioration de la santé mentale est avantageuse pour toutes les personnes, incluant celles qui vivent avec un trouble mental. Leurs fonctionnements social, économique et sanitaire, tout comme leur longévité s’en trouvent positivement affectés10, 11, 12, 13, 14. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) indique que « la santé mentale, comme d’autres aspects de la santé, peut être influencée par toute une série de facteurs socioéconomiques […] sur lesquels il faut agir par des stratégies globales […] mobilisant l’ensemble de l’appareil gouvernemental »9.

C’est dans le contexte de cette mouvance que le Canada propose sa première stratégie nationale de santé mentale en 201215. Ce faisant, il se joint aux gouvernements qui se sont appliqués à répondre aux ambitions et aux défis ciblés par l’OMS en développant des politiques, des stratégies et des plans d’action qui intègrent aux objectifs de soins et services, des objectifs de PSM et de PTM. Au niveau des provinces, on assiste également à l’apparition de documents d’orientations qui reconnaissent l’importance d’une vision positive de la santé mentale, ainsi que l’utilité de la promouvoir pour l’ensemble de la population. Ces documents insistent sur l’importance d’un continuum de soins et de besoins en santé mentale, allant des stratégies de PSM et de PTM pour l’ensemble de la population jusqu’à l’intervention clinique. Pour ce faire, elles favorisent les liens de collaboration entre les acteurs de la santé publique, ceux des soins et services sociaux, des milieux communautaires et ceux des autres secteurs.

Au Québec, c’est à travers deux documents complémentaires que cette préoccupation s’articule. D’une part, le Plan d’action en santé mentale du Québec (PASM) 2015-2020 est orienté davantage vers les soins et services coordonnés pour les personnes souffrant de troubles mentaux. Cela inclut les activités de prévention pour les groupes à risque et de rétablissement pour ceux qui vivent avec un trouble mental. Le PASM 2015-2020 reconnaît l’importance des activités de PSM et de PTM pour tous, qui relèvent du secteur de la santé publique16. D’autre part, le Programme national de santé publique (PNSP) 2015-2025 a pour mission d’orienter les actions de santé publique, en tenant compte de la santé mentale. Dans le PNSP, celle-ci est positionnée comme une préoccupation transversale à l’ensemble des actions de promotion et de prévention pour soutenir le développement des individus et façonner des environnements sains et sécuritaires. La santé des individus y est considérée de façon holistique et l’accent est mis sur certaines tranches de vie ou certains secteurs prioritaires, tels la petite enfance ou les lieux de travail17.

Un cadre de santé mentale des populations pour la santé publique : un élan de changement sur le plan des pratiques

Au sein de la pratique de la santé publique, nous assistons à l’application des approches issues de la nouvelle santé publique au champ de la santé mentale18. On y saisit l’importance d’un regard social et sociétal posé sur la santé mentale comme ressource pour la vie et sur les conditions de son maintien et de son développement équitables, au lieu d’un modèle axé essentiellement sur le traitement de la maladie mentale. Des transitions similaires ont eu lieu dans le domaine de la santé physique. Celui-ci fut d’abord majoritairement guidé par des pratiques de « surveillance et de contrôle », pour ensuite se soucier davantage de la prévention des maladies chroniques auprès des personnes à risque, jusqu’à porter un regard plus axé sur la santé comme ressource à maintenir et favoriser de façon équitable pour maximiser la vie19 par la création d’environnements favorables à l’adoption de saines habitudes de vie.

Figure 1

Cadre de référence en santé mentale des populations pour la santé publique

Cadre de référence en santé mentale des populations pour la santé publique
Source : adapté de20, 21

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C’est dans ce contexte qu’un cadre de référence en santé mentale des populations pour la santé publique est proposé (figure 1)20. Il est inspiré de l’approche de santé des populations déjà appliquée en santé publique au Canada. Ce cadre met en évidence que la santé mentale et sa distribution au sein de la population, peuvent être ciblées par des interventions populationnelles visant les déterminants de la santé mentale à différents niveaux (structurels, milieux de vie, interactions sociales, individuels).

Ce cadre permet aux acteurs de la santé publique et leurs partenaires de considérer les liens entre la santé mentale et les conditions de vie qui la façonnent tout au long du parcours de vie. Ils peuvent ainsi situer leur place et leurs rôles (figure 2) dans la mise en oeuvre d’interventions qui visent l’amélioration de la santé mentale de la population et la réduction des inégalités de santé mentale. Ce faisant, ces interventions contribuent à réduire la prévalence et l’incidence de certains troubles mentaux courants. Les composantes principales de ce cadre sont synthétisées ci-dessous.

Déterminants sociaux de la santé mentale

À l’instar de la santé physique, la santé mentale est considérée comme le résultat de l’interaction dynamique entre les individus, les groupes et le contexte socioéconomique en général, tout au long de la vie22, 23.

Les déterminants de la santé mentale sont souvent classés en facteurs de risque et en facteurs de protection. Les premiers la mettent en péril et accentuent le risque qu’un trouble mental se développe. Les seconds contribuent à accroître la capacité des personnes à faire face à l’adversité et à modérer l’impact du stress sur le bien-être émotif et social. Ils concourent ainsi à protéger et à développer la santé mentale24.

Ces déterminants se combinent, se croisent et s’accumulent avec plus ou moins d’intensité et d’impact selon le moment de la vie et durant toute la vie. À cet égard, l’approche du parcours de vie identifie trois types d’effets qui découlent des moments où les individus sont exposés à certains déterminants25, 26, 27. D’abord, l’exposition à des facteurs de protection ou de risque lors de périodes critiques ou sensibles de la vie, comme la petite enfance, produit des effets latents indépendamment des circonstances de vie durant la vie adulte. Ensuite, la position sociale à un stade de la vie pourrait, par un effet de trajectoire, influencer la position plus tard dans la vie, ce qui aurait un impact sur la santé mentale et physique. Enfin, l’exposition à des conditions protectrices ou adverses durant toute la vie peut produire des effets cumulés.

Dès lors, les conditions de vie et les expériences durant la petite enfance constituent les éléments charnières de la santé mentale. Certains déterminants, bien que non modifiables, tels que l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le statut d’immigrant et l’orientation sexuelle, sont associés à une exposition différenciée à des facteurs de risque et de protection pour la santé mentale, tout au long de la vie, selon les contextes et milieux de vie. Certains types de contextes de vie sont en effet considérés comme davantage protecteurs de la santé mentale, en particulier ceux qui favorisent l’inclusion sociale, la protection contre la discrimination et la violence, le contrôle, la résilience et la disponibilité des ressources sociales et économiques dans les communautés28, 29.

On peut comprendre l’influence des déterminants de la santé mentale à plusieurs niveaux (structurels, milieux de vie, interactions sociales, individuels). Les déterminants structurels influencent la répartition des déterminants aux autres niveaux, sur l’ensemble du parcours de vie : la qualité des milieux de vie, les échanges sociaux dans les communautés ou dans les familles, les comportements de santé et les atouts psychologiques des individus. Les déterminants structurels sont donc les déterminants des inégalités de santé (et de santé mentale)30, 31, [i]. Ils mettent en évidence le fait que les facteurs psychosociaux ne peuvent être considérés séparément des réalités matérielles de la vie des gens, lesquelles touchent aux dimensions de pouvoir et de privilège32.

Santé holistique

La santé holistique implique une prise en compte complète de l’état de santé. Cela signifie la prise en compte des troubles mentaux, de la santé mentale, ainsi que des liens bidirectionnels entre la santé physique d’une part et la santé mentale et les troubles mentaux d’autre part23, 13. Les indicateurs de santé mentale sont ainsi ajoutés à ceux des troubles mentaux et de la santé physique afin de surveiller les états de santé populationnels.

La santé mentale, tout comme les facteurs de risque et de protection sont distribués dans la population suivant un gradient social, c’est-à-dire qu’ils varient en fonction de la position socioéconomique des individus8. La mauvaise santé mentale et les troubles mentaux, tout comme les états de santé en général, sont le reflet de la défavorisation et de l’oppression. Les individus les moins favorisés sur l’échelle sociale sont ainsi plus susceptibles de souffrir de stress chronique, qui engendre l’appauvrissement et le manque de contrôle sur leur vie. Ces derniers sont préjudiciables à la santé mentale et à la santé physique. Inversement, une mauvaise santé mentale ou physique, ainsi que la présence de troubles mentaux réduisent les chances de succès dans de multiples sphères, à différents stades de la vie (maturité scolaire, réussite scolaire, capacité d’insertion professionnelle, fonctionnement social positif, comportements de santé sains et sécuritaires, etc.) et poussent ainsi les individus vers le bas de l’échelle sociale. Leur position socioéconomique se détériore à mesure que leur santé mentale (et physique) décline21, 33, 34, 35.

Les indicateurs de santé mentale se mesurent le plus souvent à partir de deux dimensions : hédonique et eudémonique. La première correspond au niveau de bien-être émotionnel (émotions positives, absence d’émotions négatives, satisfaction face à la vie) et la deuxième, aux fonctionnements psychologique (exercice des capacités mentales, capacité de fonctionner, sentiment d’utilité et de cohérence) et social (la qualité des relations avec le milieu, le sentiment d’appartenance)13.

Des actions à portée populationnelle et de réduction des inégalités de santé mentale

Les interventions de santé mentale des populations cherchent à agir en amont des problèmes, à améliorer équitablement la santé mentale de tous, avec ou sans difficulté et à réduire les possibilités de détérioration de la santé mentale, et cela, tout au long du parcours de vie.

Conséquemment, la promotion de la santé mentale[ii] constitue une des voies privilégiées permettant de contribuer à la prospérité, à la solidarité, à la justice sociale et à l’amélioration de la qualité de vie36, 37, 24, 22. Elle vise à rendre les gens et les communautés capables de maximiser leur bien-être, en influençant les multiples déterminants de la santé mentale à partir des stratégies de la Charte d’Ottawa (établir des politiques publiques saines, créer des milieux favorables, renforcer l’action communautaire, développer les aptitudes individuelles, réorienter les services de santé)38.

Pour promouvoir la santé mentale et prévenir les troubles mentaux, certaines cibles sont reconnues rentables et efficaces, particulièrement les habiletés parentales et les premières années de vie, la qualité des milieux de vie (lieux d’apprentissage et de travail), l’activité physique et la participation sociale des personnes âgées, la santé physique et les habitudes de vie en général ainsi que, l’inclusion, le soutien et les relations sociales tout au long de la vie39, 40, 41, 10, 42.

À l’instar de la santé en général, les interventions les plus porteuses pour réduire les inégalités de santé mentale sont celles qui ciblent les inégalités sur l’ensemble du gradient31 et s’intéressent aux façons dont la santé mentale est répartie dans tous les segments de la population. Une façon efficace est de cibler les déterminants structurels : les contextes politique, social, économique, culturel, ainsi que le positionnement social des groupes et des personnes43. Il s’agira, par exemple, de politiques de réduction de la pauvreté, de normes du travail, de politiques fiscales, de lois anti-discrimination, de systèmes d’éducation culturellement adaptés aux communautés autochtones, etc.

Les interventions peuvent aussi chercher à réduire les écarts entre les plus avantagés et les plus démunis ou à soutenir uniquement les plus vulnérables31 en visant les facteurs de risque ou de protection tels qu’ils sont vécus par ces groupes (amélioration des conditions de logement de femmes monoparentales, programmes dans certains milieux de garde ou d’éducation défavorisés, renforcement de la capacité d’agir de certaines communautés socio économiquement fragilisées notamment par le soutien à l’emploi, ou le soutien aux groupes récemment immigrés)43.

Certaines interventions peuvent enfin viser à réduire l’accroissement des inégalités dues aux conséquences sociales de la mauvaise santé mentale ou aux troubles mentaux43. Il s’agira alors de limiter l’exposition à davantage de facteurs de risques pour la santé mentale et de renforcer les facteurs de protection en particulier pour ces groupes. On pense par exemple à des interventions visant l’inclusion sociale (politiques de retour en emploi favorisant des structures plus flexibles), l’accroissement des réseaux sociaux, le soutien aux habiletés parentales pour les parents vivant avec une dépression, l’amélioration des comportements de santé pour les personnes ayant des troubles mentaux plus envahissants.

La responsabilité populationnelle, un levier pour une action en santé mentale des populations

Ce cadre de référence en santé mentale des populations met en exergue l’importance d’une collaboration accrue entre les acteurs de santé publique, ceux de santé et de services sociaux ainsi que ceux d’autres secteurs puisque la perspective de santé des populations qu’il sous-tend nécessite partenariats et collaborations tant au niveau des politiques intersectorielles, qu’au niveau de la mise en oeuvre locale. Tous les acteurs ont un rôle à jouer et contribuent à l’action sur les différents déterminants de la santé mentale tout au long de la vie.

Au Québec, le principe de responsabilité populationnelle, qui sous-tend la gouverne du réseau de la santé et des services sociaux, est un important levier pour une action en santé mentale des populations. Ce principe est inscrit dans la loi sur la santé et les services sociaux ainsi que dans le PNSP. Il incombe aux centres intégrés de santé et de services sociaux/centres universitaires intégrés de santé et de services sociaux (CISSS/CIUSS) en collaboration avec leurs partenaires des réseaux territoriaux de services (RTS) (ex. : écoles, services de garde, municipalités).

La responsabilité collective à l’égard du maintien et de l’amélioration de la santé et du bien-être de la population d’un territoire donné rend accessible un ensemble de services sociaux et de santé pertinents et coordonnés. Dès lors, elle répond de manière optimale aux besoins de la population, en assurant la prise en charge et l’accompagnement des personnes et en agissant en amont sur les déterminants de la santé44, 17, 45. Elle représente une occasion unique de renforcer les services de proximité et de favoriser l’intégration d’une approche de santé publique à l’organisation des soins et des services45.

Pour les CISSS/CIUSSS, exercer collectivement une responsabilité populationnelle dans une logique de santé mentale des populations implique des changements de pratiques de gestion et d’intervention. Comme suggéré dans la figure 2 ci-dessous, l’exercice de la responsabilité populationnelle en regard de la santé mentale des populations implique deux orientations liées : 1) une préoccupation, par l’ensemble des acteurs d’un territoire donné, pour les déterminants sociaux de la santé mentale et pour leur juste distribution ; 2) une réorganisation des services de santé et sociaux en vue de faciliter la prise en compte holistique de la santé des personnes, ce qui inclut davantage de liens entre les secteurs (ex. : éducation) et les programmes services.

Afin d’anticiper les besoins et de dégager une vision partagée de la réalité de leur territoire, les CISSS/CIUSSS doivent tout d’abord recueillir et s’approprier les données sociosanitaires « complètes » et analyser leur distribution en fonction du niveau de favorisation.

Pour ce faire, des indicateurs de santé mentale « positive » doivent être disponibles et intégrés aux mesures périodiques habituelles. Jusqu’à récemment peu accessibles, ces indicateurs sont maintenant pris en compte dans certaines enquêtes tant au niveau national46, 47, provincial48 que régional49. De plus, l’Agence de santé publique du Canada a récemment développé un cadre de surveillance de la santé mentale50.

Figure 2

Rôle de l’ensemble de la main-d’oeuvre impliquée en santé mentale des populations

Rôle de l’ensemble de la main-d’oeuvre impliquée en santé mentale des populations
Source : adapté de 20, 21

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En conséquence au niveau des CISSS/CIUSSS, en plus des indicateurs de santé physique et des indicateurs de troubles mentaux habituellement considérés, ces données comprendraient : la prévalence de la santé mentale (le niveau de bien-être émotionnel, psychologique et social), l’examen des déterminants – qui favorisent ou fragilisent la santé mentale et les troubles mentaux, la prévalence des facteurs de risque ou de morbidités associés (ex. : violence, consommation excessive d’alcool, maladies chroniques, comportements à risque), le portrait de l’offre complète de soins, de services et d’actions existants (favoriser la santé mentale, prévenir les troubles mentaux, soutenir le traitement et favoriser le rétablissement) ainsi que leur adéquation avec les besoins de la population et finalement l’état des liens de collaboration entre les acteurs cliniques en santé physique et mentale, les acteurs de santé publique et les acteurs communautaires du territoire49.

À partir de ces données, ils seraient appelés à planifier leurs services dans une logique populationnelle qui déborde de la prestation de services cliniques aux personnes atteintes. Il s’agirait, entre autres, d’outiller les acteurs locaux pour évaluer l’impact qu’auraient certains programmes ou politiques publiques sur la santé mentale de la population de leur territoire28, 51 et soutenir et influencer la mise en place de politiques publiques, de normes, de règles ou de lois qui sont favorables à la santé mentale52. Ces politiques favoriseraient le respect de l’intégrité physique et morale (absence de discrimination et de violence et réduction des inégalités sociales), permettraient un développement optimal des enfants, faciliteraient les possibilités de scolarisation, l’accès au logement, la disponibilité et la qualité des emplois, les occasions de rencontres et de participation sociale, l’adoption d’un mode de vie sain, etc.

Il s’agirait aussi de déployer, dans la communauté et avec celle-ci, des actions qui soient variées et de qualité pour les jeunes et leur famille, les adultes et les aînés tout en utilisant des stratégies qui favoriseraient leur sentiment d’appartenance, leur participation et leur mobilisation dans la recherche de solutions aux situations qu’ils rencontrent et qui réduiraient les barrières d’accès pour ceux vivant en contexte de vulnérabilité (ex. : réseau d’entraide, lieux de participation sociale, jardins communautaires, activités de stimulation précoce, lieux de loisirs, déplacements actifs, sécurité, contact).

On soutiendrait notamment les milieux de vie (établissements d’enseignement et de garde, lieux d’hébergement, milieux de travail) dans la création d’environnements favorisant les liens sociaux, l’inclusion, le contrôle, l’activité physique et le développement d’habiletés personnelles et sociales (ex. : habiletés parentales, gestion des émotions, habiletés de communication, demande d’aide, gestion du stress)17, 4.

Enfin, une réorientation des services de santé physique et mentale serait nécessaire4. Les services de première ligne pourraient proposer une offre de services cliniques préventifs, de soutien social et d’aide davantage adaptée (ex. : groupes vulnérables, personnes ayant des troubles mentaux) couvrant l’ensemble des besoins, tant physiques que mentaux, des clientèles. Ces services devraient être davantage interconnectés et accessibles. Les acteurs du réseau devraient être capables de reconnaître, le plus précocement possible, les signes de détresse ou de problèmes pouvant mener à une détérioration de la santé mentale (ex. : consommation abusive de substances incluant l’usage non optimal de médicaments, épuisement de proches aidants, violence ou maltraitance, grossesse non planifiée), être en mesure de soutenir les personnes en tenant compte de leurs contextes sociaux (ex. : pauvreté, chômage) et les orienter vers les bonnes ressources. Ils devraient également encourager la participation des personnes et des familles dans l’identification de solutions et utiliser des approches qui renforcent leurs capacités à maintenir une santé mentale optimale.

Les soins et services spécialisés destinés aux personnes vivant avec des troubles mentaux pourraient enfin être davantage orientés vers le rétablissement en prenant en compte les déterminants sociaux et les répercussions des inégalités sociales sur leur capacité à améliorer leur santé mentale et prévenir les récidives3, 16, 53, 54.

Comme suggéré par la figure 2, une telle planification oblige de travailler davantage en réseau, impliquant un rapprochement entre le secteur de la santé publique, celui de la santé et des services sociaux ainsi que le secteur communautaire qui sont préoccupés autant par la santé physique que mentale55. Cela est non seulement indispensable à l’atteinte des objectifs visant la santé mentale au niveau territorial, mais favorise, de surcroît, la mise en place des leviers nécessaires afin d’influencer les acteurs des autres secteurs (emploi, éducation, municipal, etc.) dont les politiques sont fondamentales pour la santé mentale des populations3.

Pour parvenir à ces objectifs, les conditions de réussite identifiées comprennent notamment : un leadership fort de la part de la santé publique laquelle pourrait se positionner en tant que chef de file et soutenir l’action requise, tant en termes intersectoriels qu’au niveau des différents paliers d’action (national, provincial, régional, local) ; un engagement pangouvernemental, lequel pourrait se manifester par une vaste stratégie de collaboration au sein des différents secteurs dont les impacts sur la santé mentale sont connus (fiscal, éducation, logement, emploi, etc.) ; la maîtrise, aux différents paliers d’action et par les différents acteurs amenés à intervenir en faveur de la santé mentale des populations, d’un corpus de connaissances et de compétences permettant d’intégrer l’importance de la santé mentale et de guider le choix des actions et des interventions visant à la promouvoir dans l’ensemble du continuum de services56, 57, 4.

Conclusion

Nous avons discuté dans cet article de l’importance de la santé mentale en santé publique et présenté les principes et mécanismes par lesquels ceux-ci peuvent être mis en oeuvre au niveau local. Toutefois, ces changements ne pourront être possibles sans orientations collectives et des collaborations formelles pour soutenir l’ensemble de la main-d’oeuvre des différents secteurs (de la santé et des services sociaux, des milieux communautaires et de la société civile et des autres secteurs) qui est concernée par l’action en faveur de la santé mentale de la population.

Quelques initiatives ont récemment cherché à identifier les acquis et les besoins des acteurs de la santé publique amenés à intégrer la PSM et la PTM à leurs activités. Ces initiatives, dont trois se rapportent au contexte ontarien58, 59, 60 et une au contexte canadien61, proposent des pistes pour orienter les parties prenantes souhaitant poursuivre et formaliser le soutien pour renforcer la main-d’oeuvre concernée par la santé mentale de la population.

Les besoins qui émergent de ces quatre initiatives suggèrent, dans les grandes lignes, de clarifier les mandats et rôles des différents acteurs, de renforcer les apports organisationnels et financiers afin de rendre possible ces types d’action et d’étendre la base de connaissances et les compétences de l’ensemble de la main-d’oeuvre concernée, par diverses activités et ressources adaptées aux différents milieux et niveaux d’action62. Ces besoins de soutien et d’orientation sont très similaires à ceux identifiés par différents acteurs locaux amenés à mettre en oeuvre la responsabilité populationnelle63, 55. À partir de ceci, nous pouvons suggérer d’intégrer les principes de l’intervention en faveur de la santé mentale des populations, à ceux qui gouvernent la mise en oeuvre de la responsabilité populationnelle. La santé mentale des populations est en effet un maillon indispensable à la prise en compte de l’ensemble des besoins d’une population d’un territoire donné.