Témoignage

Questionnements et malaises d’une future psychiatrePrix d’écriture Louis-Guérette[Record]

  • Andréanne Wassef

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  • Andréanne Wassef
    M.D., résidente IV, Département de psychiatrie, Université de Montréal

La non-malfaisance est un des principes éthiques fondamentaux de la médecine, repris par le serment d’Hippocrate que doit prononcer tout médecin : « Avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire. » Outre les actes d’intervention et de thérapeutique, l’acte du diagnostic peut aussi avoir des effets néfastes, en médicalisant ce qui est parfois transitoire ou étape charnière. Comment s’assurer de ne pas nuire quand il est même difficile de définir ce qui est maladie ? En tant que résidente en psychiatrie, je puise une grande source de gratification dans mon travail. Pourtant, malgré toute la satisfaction que m’apporte ma formation, elle peut également m’être une source de frustration et de sentiment d’impuissance. Frustration d’avoir parfois l’impression d’être responsable de trancher entre le normal et le pathologique sans être capable de voir la barrière claire qui les distingue. Impuissance devant une fréquente incapacité à poser des diagnostics avec certitude, tout étant consciente qu’ils sont des étiquettes non sans conséquence. Plus j’avance dans mon parcours, plus je m’interroge sur ma discipline et sur mon rôle comme future psychiatre. Ce sont ces questionnements qui m’ont menée à cette réflexion sur le malaise que je ressens face à ce domaine que j’adore pourtant. D’abord, une interrogation importante : la psychiatrie tend-elle de plus en plus à pathologiser ce qui ne l’est pas ? Selon les conclusions du National Comorbidity Survey Replication (NCSR) de 2005, près de 50 % des Américains ont souffert d’une maladie mentale dans la dernière année1. À l’ère de la déstigmatisation des problèmes de santé mentale, il apparaît naître un contre-courant paradoxal. Alors que ceux ayant vécu en cachette avec leurs difficultés se dévoilent de peine et de misère, il semble que d’autres recherchent à tout prix à recevoir un diagnostic qui justifie leur mal-être. La psychopharmacologie cosmétique2 et la prise de psychostimulants chez les étudiants n’en sont que des exemples. Le taux étonnant du NCSR est-il le résultat d’une société dont les individus sont de plus en plus malades ou de moins en moins tolérants ? Selon d’autres données, la prévalence de la dépression serait actuellement beaucoup plus élevée que dans les générations antérieures, malgré leur exposition à des évènements comme la Seconde Guerre mondiale3, 4. S’inquiétant du taux faramineux de maladies mentales rapportées par le NCSR, Paul McHugh, psychiatre à John Hopkins, a dénoncé le fait que les diagnostics du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) se sont multipliés aux cours des éditions pour expliquer en partie ce problème4. Allen Frances, directeur de l’équipe en charge des éditions du DSM-IV et IV-TR, a lui-même dénoncé ce qu’il perçoit désormais comme une erreur de sa part : des modifications ayant mené à une explosion du taux de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), de maladie bipolaire pédiatrique et d’autisme5. Avec une panoplie de diagnostics disponibles, est-il encore possible d’avoir des symptômes psychologiques sans être perçu comme malade ? Prenons l’exemple d’un patient qui consulte pour des douleurs abdominales pour lesquels on ne trouve pas d’explication médicale. Le médecin le rassurera en lui disant qu’on ne détecte pas ce qui explique ses douleurs, mais qu’il n’y a pas de processus pathologique grave sous-jacent. À l’opposé, si un patient consulte en psychiatrie pour des plaintes psychiques vagues et légères, rare sera celui qui quittera avec de simples mots de réassurance et une absence de diagnostic. Le trouble d’adaptation, les troubles non spécifiés (NS), ou les traits/troubles de personnalité seront souvent évoqués. Pourquoi la souffrance psychique semble-t-elle de …

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