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D’ici 2030, les coûts mondiaux des troubles mentaux devraient atteindre six mille milliards de dollars1. Environ deux tiers de ces coûts seront attribués à la perte de productivité liée à l’incapacité1. Cette perte de productivité prend souvent la forme d’absences au travail et de journées de travail improductives (c.-à-d. présentéisme).

Le but de cet article bref est : 1) de traiter les facteurs liés aux coûts des troubles mentaux courants en milieu de travail ; 2) d’identifier certains des éléments du milieu de travail qui pourraient être ciblés pour réduire les coûts inhérents à l’incapacité ; et 3) d’examiner un exemple de type d’intervention en milieu de travail qui peut réduire les coûts relatifs à l’incapacité.

Facteurs qui influencent les coûts

L’un des premiers pas pour réduire les coûts a été d’identifier les facteurs relatifs aux coûts. Une revue de la littérature suggère qu’entre 8 et 10 % des travailleurs souffrent d’un épisode dépressif majeur pendant une période de 30 jours2. Est-ce que 10 % sont une grande proportion de la force de travail ? Cela dépend probablement de la façon dont les travailleurs éprouvent des troubles mentaux en milieu de travail.

Une question apparentée est de savoir si les effets des troubles mentaux sur la productivité sont importants. Les travailleurs faisant face à des troubles mentaux ont des chances significativement plus élevées d’avoir des pertes de productivité au travail telles que des journées d’absence au travail3. Il y a plusieurs types d’absentéisme au travail. L’un d’eux est le nombre de jours maladie : c’est une absence liée à un problème de santé, mais qui ne nécessite typiquement pas de certificat médical. Un autre type d’absence est l’absence pour congé de maladie ou l’incapacité à court terme4. Les absences pour congé de maladie sont des absences qui satisfont ou excèdent un seuil prédéterminé de sévérité qui nécessite un certificat médical en s’attendant à une absence prolongée au travail. Dans la littérature, les absences pour congé de maladie ont fait l’objet de beaucoup d’attention5 parce qu’elles sont le type le plus apparent de coûts encourus par les entreprises. Les absences pour congé de maladie qui peuvent être attribuées aux troubles mentaux sont identifiables grâce au certificat médical. Toutefois, il a été noté qu’il peut être difficile de déterminer qu’une incapacité au travail est liée à une maladie mentale parce qu’il n’y a pas de seuils normalisés de capacité fonctionnelle, comme c’est le cas pour beaucoup de pathologies physiques (c.-à-d. blessure, asthme, maladie cardiaque)6.

Un exemple au Canada suggère que l’incidence d’absences pour congé de maladie liées à une maladie mentale n’est pas significativement différente de celles qui sont liées à d’autres maladies7. Toutefois, il y a une différence significative dans la durée de l’épisode d’absence pour congé de maladie ; la durée d’une absence pour congé de maladie liée à une maladie mentale peut être deux fois plus longue que celle de l’absence moyenne pour un autre type de congé de maladie. Dans notre exemple canadien, l’absence moyenne pour congé de maladie (toutes maladies confondues) était de 34 jours. Par contre, une absence pour congé de maladie liée à une maladie mentale était de 67 jours, tandis qu’une absence pour congé de maladie liée à une maladie respiratoire était de 10 jours7. Parce que le nombre de jours d’absence pour congé de maladie liée à un trouble mental passe du simple au double, le coût pour ce type de maladie est également multiplié par deux. De plus, dans la plupart des systèmes d’indemnité d’incapacité de travail, les absences pour congé de maladie exigent à la fois une aide salariale pendant l’absence et une garantie de poste quand le travailleur est en mesure de retourner au travail. Ceci suggère que les coûts de l’absence s’étendent, au-delà du remplacement du revenu, à la productivité du milieu de travail pendant l’absence du travailleur.

La littérature indique également que les troubles mentaux affectent le milieu de travail quand les travailleurs sont présents au travail. Les travailleurs qui souffrent de troubles mentaux ont un plus grand risque de diminution de la productivité. Par exemple, on a observé que la dépression est liée à plus de pertes de journées de travail et de diminution de journées de travail que la plupart des problèmes de santé chroniques3.

Les pertes de productivité liées au travail pendant que les travailleurs sont au travail sont connues sous le nom de « présentéisme ». Les jours de présentéisme sont des jours pendant lesquels un travailleur est présent, mais avec un dysfonctionnement au travail. Ils représentent une proportion significative du fardeau des troubles mentaux au travail2, 3.

Cibles potentielles en milieu de travail pour réduire les coûts

Il a également été observé que le traitement des troubles mentaux est lié à une augmentation de la productivité et à une réduction de l’incapacité. Parmi les travailleurs souffrant d’une dépression modérée, ceux qui avaient été traités avaient deux fois plus de chances d’être très productifs au travail que ceux qui ne l’avaient pas été8. De plus, parmi les travailleurs souffrant d’une dépression sévère, ceux qui avaient reçu un traitement avaient sept fois plus de chances d’être très productifs au travail par rapport à ceux qui n’avaient pas été traités8. De même que parmi les travailleurs avec absence pour congé de maladie liée à des troubles mentaux, ceux qui avaient reçu un traitement approprié dans les 30 premiers jours de leur absence présentaient une durée d’absence significativement plus courte que les travailleurs pour lesquels ce n’était pas le cas910. En fait, les lignes directrices destinées aux employeurs pour les meilleures pratiques de retour au travail recommandent d’offrir aux travailleurs l’accès à des traitements appropriés11.

Toutefois, Mojtabai et coll.12, stipulent que les travailleurs peuvent faire face à un nombre d’obstacles liés au traitement, tels que : 1) le manque de reconnaissance de la nécessité du traitement ; 2) des facteurs attitudinaux (c.-à-d. le désir de s’occuper indépendamment de la maladie, la crainte d’être stigmatisé) ; et 3) des facteurs structuraux (c.-à-d. finances insuffisantes, disponibilité des services). Il a été estimé que l’élimination de ces obstacles liés au traitement pourrait réduire les pertes de productivité au travail, cette réduction pourrait atteindre 50 %13. Des trois types d’obstacles, le manque de reconnaissance de la nécessité d’un traitement est celui qui a l’impact le plus important sur la perte de productivité13.

Pour certains travailleurs, une des difficultés est que le traitement médical doit être pris pendant les heures de travail, ce qui exige de s’absenter régulièrement et nécessite donc d’en avertir son responsable. Il faut donc divulguer son trouble mental ou ses limitations fonctionnelles. Mais les travailleurs craignent souvent les préjugés et la discrimination du milieu de travail face à la maladie mentale14. Ils indiquent que leur décision de parler à un responsable ne dépend pas d’un seul facteur prédominant, mais d’une combinaison de facteurs tels que leur relation avec leur supérieur hiérarchique, le soutien des collègues, les politiques de l’organisation et les expériences positives d’autres personnes avec la maladie mentale15.

Un premier pas vers la création d’un environnement de travail favorable consiste à aider le collectif de travail à surmonter ses peurs face aux personnes ayant un trouble mental. Plus précisément, une combinaison de perceptions à l’égard de la maladie mentale qui nourrit ces sentiments de peur. Ces perceptions relèvent d’appréhensions liées au potentiel de violence d’un travailleur aux prises avec une maladie mentale, à son manque de fiabilité ainsi qu’aux préoccupations concernant son bien-être15. Toutefois, il n’y a pas de solutions simples ; de multiples raisons d’avoir peur de collègues ayant des troubles mentaux sont évoquées dans la littérature15.

Atteindre un équilibre financier en offrant une intervention en milieu de travail pour les troubles mentaux ?

Il est intéressant de noter que près de la moitié de ceux qui indiquent être préoccupés par un collègue ayant une maladie mentale veulent également l’aider15. Si les travailleurs sont ouverts à aider un collègue qui a une maladie mentale, il peut y avoir des possibilités pour les employeurs de dissiper la peur par le biais de programmes de sensibilisation et de formation. Cependant, leurs coûts peuvent créer un obstacle à leur mise en oeuvre. Si une organisation envoyait tous ses responsables à une journée de formation, il y aurait des pertes de productivité liées à leur absence. Toutefois, certains avantages éventuels devraient être pris en compte. Par exemple, il a été estimé que pour une entreprise de 1 000 employés, si 100 responsables assistent à une session de formation d’un jour qui coûte 10 000 dollars, le coût de cette formation serait couvert par deux congés de maladie en moins ou une réduction de sept jours de la durée de chaque congé de maladie16. Dans le cadre d’études futures, il sera important d’explorer si des économies supplémentaires pourraient être faites grâce à une meilleure compréhension par les responsables de la façon de gérer les travailleurs qui ont des troubles mentaux. L’usage d’essais randomisés contrôlés peut aussi contribuer à la robustesse des évidences dans le cadre de résultats d’études.

Conclusions

Cet article bref met l’accent sur certains moyens de réduire les coûts des maladies mentales en milieu de travail. La première approche pourrait être de réduire la prévalence des troubles mentaux parmi les travailleurs ou l’incidence des absences pour congé de maladie. Une méta-analyse de 22 études suggère qu’il y a une évidence si cela est réalisé par l’implémentation de programmes qui visent la promotion de la santé17. En ce sens, une compréhension plus fine de ces interventions est recommandée pour des pistes futures. Une deuxième approche serait d’améliorer l’accès au traitement en éliminant les obstacles, à commencer par le manque de reconnaissance quant à leur nécessité. Il est maintenant documenté que recevoir un traitement aide les travailleurs souffrant de troubles mentaux à atteindre une productivité plus élevée. Enfin, en créant un milieu de travail favorable par le biais de la formation en gestion, les organisations pourront éventuellement jouir d’une meilleure rentabilité, due à une réduction des absences pour congé de maladie et à une augmentation de la productivité. En effet, une revue de littérature systématique a dégagé cinq essais randomisés contrôlés qui présentent une évidence que les interventions centrées sur le travail sont efficaces18.