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Introduction

La pandémie de COVID-19 est la première au 21e siècle pour laquelle le confinement a été choisi comme mesure de protection de la santé de la population. Au Québec, à l’instar de plusieurs pays, le niveau élevé de transmission dans la population a conduit à l’adoption de la Loi sur la santé publique (chapitre S-2.2) concernant l’ordonnance rendant le confinement obligatoire le 23 mars 2020 (Gouvernement du Québec, 2020a). Les conséquences d’une maladie de la COVID-19 à la suite d’une infection par le virus SARS-CoV-2 apparaissent alarmantes avec un risque plus élevé de décès chez les personnes âgées et celles vivant avec une maladie chronique comparativement à celui dans la population générale. Les résultats d’une revue systématique ont démontré que le risque de mortalité par complications d’une infection à la COVID-19 est significativement plus élevé dans la population vieillissante (Lakhani et al., 2020). Au Québec, la majorité des décès (91,8 % en mars 2021) se retrouve chez les personnes dans le groupe d’âge de 70 ans et plus (Institut national de santé publique [INSPQ], 2021). La présence de maladies chroniques, de comorbidités et l’affaiblissement du système immunitaire constituent des facteurs de risque les rendant plus susceptibles de développer une forme grave ou des complications de cette maladie infectieuse (Gouvernement du Canada, 2020a). De plus, les personnes vivant dans les régions rurales seraient plus fragilisées que celles des régions urbaines quant à l’accès limité aux centres hospitaliers de soins spécialisés et par la capacité d’obtenir, de traiter et de comprendre les informations pouvant orienter les décisions en matière de santé (Lakhani et al., 2020; Rootman, 2007). Bien que le niveau de littératie en santé en zone rurale puisse être plus faible qu’en zone urbaine lorsque les indices socioéconomiques sont plus faibles (Lakhani et al.), l’étude de Bauer le Bass et al. (2010), réalisée à la suite de la pandémie H1N1, autre pandémie du 21e siècle, met en lumière le fait que les caractéristiques sociodémographiques à elles seules ne prédisent que partiellement la probabilité des répondants de déclarer se conformer aux ordonnances de quarantaine.

Parmi les mesures communautaires de santé publique, le confinement et la distanciation physique demeurent les meilleurs moyens de se prémunir contre la COVID-19 (Gouvernement du Canada, 2020b). Le confinement implique d’éviter les lieux publics, d’éviter de visiter et de recevoir ses proches, ainsi que de respecter l’interdiction de rassemblement y compris à l’extérieur. Le fait de rester à la maison sans recevoir de visiteurs est la mesure la plus efficace pour éviter l’infection (Gouvernement du Québec, 2020b). Cependant, le confinement chez soi exige de vivre dans un espace restreint, ce qui peut perturber considérablement l’habitude de sortir, la vie sociale et requiert un changement de comportement individuel pour s’y conformer. Or, certains groupes de personnes à risque de complications sévères et de décès ne seraient pas systématiquement enclins à respecter le confinement notamment, les personnes âgées vivant dans la communauté, selon Daoust (2020). Cette étude, portant sur les attitudes à l’égard des mesures de confinement, a fait ressortir que l’acceptation de l’obligation de se confiner se manifestait après avoir ressenti des symptômes et lorsque les autorités le demandaient (Daoust). Réalisée auprès de 72 417 répondants d’âge moyen de 45 ans et provenant de 27 pays, dont le Canada, cette étude a aussi rapporté que bien que plus vulnérables au virus, les personnes âgées de plus de 60 ans n’étaient pas nécessairement plus enclines à se confiner. Ce résultat paraît étonnant puisqu’on pourrait s’attendre que les personnes plus vulnérables soient disposées à respecter les mesures sanitaires. La moyenne d’âge des participants à cette étude met en doute cette affirmation. De plus, l’échantillon provenant d’une population hétérogène ne précise pas les croyances saillantes qui auraient été identifiées spécifiquement chez des personnes âgées de 70 ans et plus qui influenceraient leur choix de respecter le confinement. Lors de l’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère en 2003, le confinement volontaire étudié auprès de 1 057 répondants ontariens aurait connu un taux d’adhésion très variable. Les participants auraient évité d’assister à des évènements sociaux dans une proportion de 99,4 %, mais ce taux aurait diminué à 15,8 % en ajoutant d’autres mesures de protection tel que le port du couvre-visage lorsque les membres d’un même foyer étaient présents (Reynolds et al., 2008).

Plus récemment, l’étude de Chan et al. (2020), menée auprès de 765 répondants, associe positivement l’âge avec l’adoption des mesures de confinement, surtout celles relatives à l’évitement des lieux publics. Effectivement, les personnes retraitées seraient plus enclines à éviter les lieux publics de façon volontaire. Tout comme rapporté par Kavanagh et al. (2011) et Reynolds et al. (2008), cette étude suggère qu’une meilleure connaissance de la maladie, y compris de ses différents vecteurs de transmission ainsi qu’une compréhension de la justification des mesures de quarantaine, peut améliorer la conformité à l’adoption de pratiques préventives contre la COVID-19. Ceci soulève l’importance de s’assurer que les consignes gouvernementales sur le confinement soient présentées de façon claire, cohérente et simple. À ce sujet, Utych et Fowler (2020) proposent que les agences gouvernementales devraient évaluer soigneusement leurs messages et veiller à ne pas aggraver les clivages sociaux, particulièrement en lien avec les groupes d’âge, si leur objectif est d’induire un changement de comportement.

À ce jour, il existe peu d’écrits publiés sur ce que pensent les personnes âgées de 70 ans et plus du respect des mesures de confinement au Québec. Or, ce groupe est plus vulnérable à la maladie et particulièrement touché par les mesures de confinement dans ce contexte de pandémie. Il s’avère donc fondamental d’identifier les croyances des aînés à cet égard et de connaître les actions que ces personnes ont prises pour respecter les mesures de confinement.

objectifs

Les objectifs du projet étaient : 1) d’identifier les croyances des personnes âgées de 70 ans et plus concernant le confinement pendant la pandémie de COVID-19 et 2) de documenter l’observance de la mesure de confinement selon le point de vue des personnes âgées.

Méthodes

devis de l’étude et cadre théorique

Une approche qualitative descriptive a été privilégiée en utilisant le cadre théorique de l’Approche de l’Action Raisonnée de Fishbein et Ajzen (2010). Cette théorie permet d’identifier les croyances saillantes, c’est-à-dire celles qui viennent spontanément à l’esprit chez la personne concernant le comportement à adopter. Dans la présente étude, le respect du confinement réfère à ce comportement (Figure 1). En effet, cette théorie issue de la psychosociologie s’appuie sur le fait que l’adoption d’un comportement volontaire repose sur l’intention comportementale et que celle-ci dépend de trois facteurs explicatifs : 1) l’attitude de la personne à l’égard du comportement à respecter, 2) la norme sociale perçue, c’est-à-dire l’importance accordée à l’opinion des personnes significatives et la prévalence du comportement dans l’entourage, ainsi que 3) la perception du contrôle qui concerne la capacité à adopter le comportement visé et l’autonomie pour le faire. Chacun de ces facteurs repose sur une catégorie de croyances personnelles. Selon Fishbein et Ajzen, ces croyances réfèrent en trois différentes catégories de perceptions.

D’abord, pour les croyances comportementales, c’est la perception des avantages et des inconvénients à l’égard de l’intention de l’adoption du comportement cible, dans ce cas-ci, le respect du confinement. Ensuite, les croyances normatives sont constituées des attentes perçues des personnes significatives qui approuveraient ou désapprouveraient ce comportement. Enfin, la troisième catégorie est représentée par les croyances liées au contrôle concernant la perception des barrières et des facteurs facilitant l’adoption du comportement. Ces croyances sont susceptibles d’influencer les facteurs explicatifs de l’intention de la mise en oeuvre de comportements liés à la santé.

Figure 1

Cadre théorique (adapté de l’Approche de l’Action Raisonnée de Fishbein et Ajzen, 2010)

Cadre théorique (adapté de l’Approche de l’Action Raisonnée de Fishbein et Ajzen, 2010)

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L’Approche de l’Action Raisonnée et sa précédente version, la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) sont parmi les seules qui proposent une méthode afin d’identifier les croyances qui sous-tendent l’adoption des comportements reliés à la santé. Ainsi, l’identification des croyances saillantes (c.-à-d., comportementales, normatives et de contrôle) s’avère pertinente pour définir éventuellement le contenu d’interventions visant à changer ou à adopter un comportement spécifique dans une population cible (Gagné et Godin, 2012).

échantillonnage

La population cible est constituée de personnes âgées de 70 ans et plus, suffisamment autonomes pour avoir l’habitude de sortir à l’extérieur et habitant dans différentes régions du Québec. Dans la perspective de faire émerger des différences, s’il y a lieu, dans les croyances et les actions prises pour respecter le confinement, nous avons recruté des sous-groupes de personnes âgées vivant en milieu urbain (groupe 1) et rural (groupe 2). La distinction précise des zones rurales et urbaines est difficile à déterminer. Toutefois, certains indicateurs permettent de positionner une région en regard de l’ensemble du Québec (INSPQ, 2020). La population habitant une ville ou une municipalité située à l’extérieur des grands centres urbains (i.e., comptant plus de 10 000 habitants) est considérée rurale (Statistique Canada, 2001). Fishbein et Ajzen (2010) recommandent de recruter au moins 20 participants par sous-groupes, ce qui serait suffisant pour observer une saturation des données. Un échantillon non probabiliste par quotas visait l’obtention d’une proportion équivalente d’hommes et de femmes de différentes cohortes d’âges. Les critères d’inclusion étaient de sortir au moins toutes les semaines à l’extérieur et de vivre à domicile ou dans une résidence privée pour aînés de manière autonome. Des démarches de recrutement avec des invitations écrites expliquant le projet de recherche et la nature de la participation ont été acheminées auprès des responsables d’associations régionales de la Fédération de l’Âge d’Or du Québec et des Résidences Privées pour Aînés (RPA). Une RPA est un immeuble d’habitation collective occupé principalement par des personnes âgées de 65 ans et plus, où sont offerts différents services et a l’obligation d’être certifiée par Agrément Canada (Gouvernement du Québec, 2021). La lettre d’information était acheminée par les responsables des RPA aux résidents. Une stratégie par la technique « boule de neige » a aussi été utilisée par l’entremise de participants habitant en RPA pour recruter d’autres personnes vivant à leur domicile.

procédure de collecte de données

La collecte des données a été effectuée à l’été 2020, moment où le Québec entier était en déconfinement après une première vague d’éclosions. Les personnes intéressées à participer ont contacté l’assistante de recherche par téléphone ou par courriel pour répondre à l’invitation. Le premier contact téléphonique consistait à vérifier les critères d’inclusion, expliquer le projet, donner les informations relatives au consentement, répondre aux questions et planifier l’entretien. Selon la démarche proposée par Gagné et Godin (2012), un guide d’entretien individuel semi-dirigé a été élaboré pour identifier les trois catégories de croyances saillantes à l’aide de six questions ouvertes (Objectif 1) (Appendice 1). Le guide comportait aussi cinq questions sur les caractéristiques sociodémographiques des participants. Les entretiens ont été effectués par téléphone avec un enregistreur vocal numérique puis enregistrés sur une clé USB pour la transcription et l’analyse. La durée moyenne des entretiens a été de 22 minutes, variant de 10 minutes à une heure.

considérations éthiques

L’approbation éthique a été obtenue par le comité d’éthique de la recherche sur des êtres humains de l’Université du Québec à Rimouski (Certificat no CÉR-112-856, 2020-07-02). Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un consentement verbal a été demandé. Les futurs participants avaient déjà reçu un feuillet d’information et de consentement. Lorsque l’assistante de recherche a communiqué avec les personnes par téléphone, elle a expliqué à nouveau en quoi consistait leur tâche de participant et rappelé les considérations éthiques. Le consentement des personnes qui acceptaient de participer était enregistré au début de l’entretien.

analyse des données

La numérotation des entretiens, la transcription de ceux-ci et l’organisation des extraits pertinents dans les verbatims à la suite d’écoutes répétées des enregistrements ont été les premières étapes effectuées. Pour répondre à l’objectif 1, la méthode recommandée par Fishbein et Ajzen (2010) et la démarche décrite par Gagné et Godin (2012) ont guidé l’analyse de contenu. L’analyse a été effectuée par deux examinateurs, membres de l’équipe de recherche et de façon indépendante pour les étapes suivantes : transcription des croyances saillantes exprimées dans une liste pour chacune des catégories de croyances (croyances comportementales, croyances normatives et celles liées au contrôle), regroupement des énoncés de croyances qui expriment la même idée tout en s’assurant que les listes étaient constituées de croyances mutuellement exclusives, calcul des fréquences des croyances retenues dans chaque liste, identification des croyances saillantes modales, soient celles dont la fréquence atteint au moins 10 % du nombre total de mentions dans chaque liste. La dernière étape pour l’identification des croyances saillantes consistait à dégager un consensus sur le libellé et l’ordonnancement des croyances. Pour répondre à l’objectif 2 afin de documenter les actions prises par les participants, l’analyse de contenu des données s’est poursuivie selon les étapes proposées par Holloway et Galvin (2017). Il ne s’agit pas des catégories émergentes proposées par Fishbein et Ajzen. Il s’agit du codage (ou repérage de mots-clés) pour dégager des unités de sens avec des segments de phrases, l’établissement de catégories pour faire émerger les thèmes et sous-thèmes dans les points de vue exprimés par les participants. L’analyse des résultats a été effectuée par deux membres de l’équipe de recherche.

Résultats

profil des participants

Les participants (N = 41) étaient francophones et âgés de 70 à 97 ans (âge moyen de 80 ans), majoritairement des femmes (N = 28). Les participants sont répartis dans les groupes d’âge suivants : 70-79 ans : N = 21; 80-89 ans : N = 15 et 90-99 ans : N = 5. La majorité des participants (N = 27) résidaient dans cinq RPA dont 23 d’entre eux vivaient seuls. Les autres participants habitaient à domicile (N = 14), six d’entre eux vivaient seuls, six en couple, un avec sa fille et un autre avec une amie. Finalement, l’échantillon était composé de participants provenant de zones urbaines (N = 20) et rurales (N = 21) de cinq régions (Bas-Saint-Laurent, Chaudière-Appalaches, Capitale-Nationale, Abitibi-Témiscamingue et Saguenay-Lac-Saint-Jean) du Québec dont les responsables des RPA ont collaboré au recrutement.

identification des croyances saillantes

Les croyances saillantes (comportementales, normatives et celles liées au contrôle) sont présentées dans le Tableau 1. Selon les participants, le confinement a eu comme avantage principal d’éviter de contracter et de transmettre le virus : « Se protéger et protéger les autres ça c’est sûr et certain! Ce sont les premières choses qui me viennent en tête » (Répondant 37).

Par ailleurs, plusieurs inconvénients entraînés par le respect du confinement ont été évoqués par les répondants. La privation du contact physique avec les proches est celui qui a été rapporté le plus souvent. Un sentiment de perte de contrôle sur sa vie a été exprimé par des résidents de RPA à la suite des mesures imposées de manière parfois autoritaire par certains responsables. Pour quelques résidents, la peur de contracter le virus accompagnait cette perte de contrôle perçu sur sa vie. Ne pas pouvoir sortir à l’extérieur de la résidence et manquer de distractions font également partie des inconvénients mentionnés, et ce, principalement chez les répondants vivant dans une RPA : « Je ne pouvais plus voir mes enfants, plus sortir aussi. Moi je conduisais ma voiture en plus avant. J’ai trouvé ça difficile » (Répondant 34).

La famille est le groupe de personnes significatives approuvant l’adoption de comportements respectant le confinement qui a été le plus souvent identifié. Les enfants et les amis approuvent également ce comportement. La majorité des participants ont rapporté qu’aucune personne significative n’a désapprouvé leur confinement à l’exception de certains amis qui résidaient dans la même RPA qu’eux :

Ah bien oui! Les enfants c’est ce qu’ils voulaient aussi. Ils m’appelaient tous les jours. J’ai huit enfants. Ils m’approuvaient. Je me faisais presque surveiller. Tout le monde approuvait ce que je faisais et même mes enfants qui ont des enfants qui sont beaucoup plus jeunes, eux autres aussi!

Répondant 34

Le fait de pouvoir garder contact avec leurs proches fut nommé comme un facteur facilitant important par de nombreux répondants. Le soutien des proches, notamment pour l’aide avec l’épicerie. « Nous avons reçu beaucoup d’aide ; mes enfants faisaient nos commissions et nous appelaient régulièrement pour savoir si on avait besoin d’aide » (Répondant 33). Le fait que le confinement ait été demandé par les autorités (i.e., Gouvernement du Québec ainsi que les responsables des RPA) a également été rapporté comme des éléments facilitant l’adoption de comportements conformes au confinement. Finalement, bien que la plupart des participants ont confié avoir trouvé la période du confinement difficile, très peu de barrières au respect du confinement ont été perçues outre les sorties obligatoires telles que les rendez-vous médicaux et le besoin de contact physique auprès de leurs enfants et petits-enfants : « Quand mon garçon venait porter l’épicerie, je trouvais ça dur. J’ai besoin de contact physique : j’ai demandé pour une colle (un câlin), un moment donné, on en a besoin » (Répondant 40).

Tableau 1

Identification des croyances saillantes à l’égard du respect du confinement

Identification des croyances saillantes à l’égard du respect du confinement

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actions prises par les participants pour respecter le confinement

Il n’y a pas de divergences notables observées tant dans les actions prises que dans l’identification des croyances pour respecter le confinement entre les habitants des zones rurales et urbaines.

Quatre thèmes se dégagent des réponses obtenues à la question visant à répondre à l’objectif 2 pour documenter les actions prises par les participants à l’égard du confinement (Tableau 2). Ceux-ci ont mentionné respecter le confinement en sortant le moins possible de chez eux notamment en se faisant livrer l’épicerie, en cessant leurs activités de bénévolat, en s’abstenant de magasiner ou encore d’aller au restaurant lorsqu’ils étaient encore ouverts. Ce thème a particulièrement été évoqué chez les personnes vivant dans une RPA (N = 25). Le fait de s’occuper chez soi de façon solitaire a également été une façon de respecter le confinement. À cet effet, les rencontres virtuelles et les appels téléphoniques ont été des moyens de s’occuper pour plusieurs d’entre elles (N = 25) de même que les activités telles que la lecture, le tricot, le dessin et les tâches ménagères (N = 18). Ces deux thèmes ont particulièrement été exprimés chez les personnes vivant dans une RPA. La privation de contacts avec les proches fut l’inconvénient le plus rapporté, mais aussi une des principales actions pour respecter les consignes relatives au confinement. Les répondants ont fait le choix de remplacer les contacts physiques par des rencontres virtuelles ou encore ont reçu un proche à l’extérieur en respectant la distanciation. « Je n’ai pas pu visiter mon conjoint qui vit dans un CHSLD. J’ai été huit semaines sans le voir, j’ai trouvé ça très difficile » (Répondant 25). Bien que la distanciation physique ne soit pas une mesure de confinement en soi, il s’agit d’une action nommée par plusieurs participants lors des entretiens puisqu’ils associaient ce changement dans leurs habitudes sociales à une pratique de santé préventive dans la lutte contre le virus de la COVID-19. Pour les personnes habitant dans leur domicile, l’adhésion aux mesures de confinement a été nommée comme étant un choix individuel.

Tableau 2

Actions pour l’observance du confinement et le nombre de mentions chez les répondants (N = 41)

Actions pour l’observance du confinement et le nombre de mentions chez les répondants (N = 41)

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Discussion

Les objectifs de l’étude étaient d’identifier les croyances saillantes des personnes âgées de 70 ans et plus vivant à domicile et en RPA de cinq régions du Québec quant au respect du confinement pendant la pandémie de COVID-19 et d’en documenter l’observance. Des similitudes entre les conclusions de la présente étude et celles d’écrits de certains auteurs concernant la conformité aux mesures sanitaires associées positivement à l’âge ont été observées (Brouard et al., 2020; Chan et al., 2020; Reynolds et al., 2008). Bien que la période se situant entre mars et juin 2020 fût une période jugée difficile en raison du confinement strict, les participants de la présente étude ont généralement adopté des comportements conformes aux consignes sanitaires demandées par les autorités. Le principal avantage associé au respect de cette directive avait pour but d’éviter de contracter ou de transmettre le virus. Malgré le fait que plusieurs inconvénients ont été perçus par les participants, très peu de barrières ont été identifiées. Tout comme les travaux de Reynolds et al. (2008) le proposent, les comportements considérés contraignants n’affectent pas nécessairement le respect des règles. Le fait de ne pas sortir pour des activités sociales était perçu comme un inconvénient majeur par les répondants, mais presque tous s’y sont conformés. Certains répondants ont nommé le fait d’être habitué à la solitude comme étant un facteur facilitant.

Plusieurs participants ont mentionné avoir vécu en milieu rural et avoir déménagé en zone urbaine à la retraite et vice versa, ce qui a pu influencer leurs réponses. Bien que nos résultats n’aient pas montré de distinction entre les régions rurales et urbaines, le milieu de vie (domicile ou RPA) quant à lui pouvait influer sur le respect du confinement. En effet, les consignes sanitaires additionnelles en RPA, notamment en ce qui a trait aux visiteurs et aux sorties, étaient imposées, alors que cela n’était pas le cas à domicile. Effectivement, certains répondants des RPA disaient respecter la distanciation de deux mètres telle que suggérée dans des aires communes comme la cafétéria et l’ascenseur ou encore lorsqu’un proche venait livrer l’épicerie. Par ailleurs, la pratique de la distanciation physique a été associée au respect du confinement dans plusieurs cas, ce qui a pu être facilité par la crainte de la transmission du virus comme le suggèrent Brouard et ses collaborateurs (2020). L’imposition autoritaire des consignes reliées au confinement demandé par des responsables des RPA qui peut engendrer un sentiment de perte de contrôle sur sa vie et la peur de contracter le virus ont été des éléments saillants ressortis des entretiens qui auraient favorisé le respect du confinement. Selon Brouard et al. (2020), il y a une forte relation entre la peur et l’observance de comportements pour cesser la propagation du virus.

À notre connaissance, cette étude est la première à documenter les croyances des aînés québécois en regard du respect des règles de confinement durant la pandémie de COVID-19. La stratégie de recrutement utilisée a permis d’obtenir un éventail varié de participants en termes d’âge, de sexe et de lieux de résidence. Cette étude comporte néanmoins certaines limites.

limites

Étant donné que les données ont été recueillies principalement auprès de personnes résidant dans une RPA, les croyances saillantes exprimées peuvent avoir été influencées par les mesures sanitaires obligatoires imposées par les responsables de ces établissements, ce qui n’est pas le cas pour les personnes vivant à domicile et qui sont moins représentées dans cette étude. Le recrutement en période de vacances estivales a été effectué en tenant compte de la disponibilité pour diffuser l’invitation. La composition de l’échantillon peut limiter la transférabilité des résultats à d’autres contextes (Holloway et Galvin, 2017). Par ailleurs, la mise en place de la mesure de confinement dans les RPA semble avoir été plus difficile pour les participants qui y vivent par rapport à ceux qui habitent dans leur domicile.

L’entretien téléphonique constituait un choix pragmatique pour rejoindre ces personnes en période de pandémie. Cette méthode de collecte de données peut avoir limité l’expression des croyances par les participants, car certains entretiens ont duré environ 10 minutes. Aussi, la capacité auditive limitée jumelée à une possible incompréhension des thèmes discutés chez certains participants a impliqué de répéter les questions. Certains participants ont donné des réponses similaires aux questions concernant les inconvénients et les barrières perçus quant au respect du confinement. Également, les questions orientées sur le comportement recommandé par les autorités sanitaires peuvent inclure un biais potentiel de désirabilité sociale. Le biais de désirabilité sociale est possible lorsque des participants, pour bien paraître aux yeux du chercheur (ou de l’interviewer dans ce cas-ci) vont modifier leur réponse aux entretiens (Godin, 2012).

recommandations

Les résultats obtenus permettent de dégager certaines recommandations s’adressant aux professionnels et aux responsables dans les RPA. Dans des interventions individualisées, le fait d’expliquer clairement les motifs et les bénéfices potentiels du confinement peut atténuer la perception d’inconvénients (Reynolds et al., 2008). L’accès à des rencontres virtuelles avec les proches ou les personnes qui leur sont significatives renforce leur décision quant au respect du confinement et ce, basée sur les avantages perçus. La disponibilité du personnel et la réorganisation de la fonctionnalité d’une RPA dans laquelle certains répondants vivaient semblent grandement avoir contribué à la perception positive des résidents vis-à-vis du confinement et des mesures sanitaires instaurées. En ce sens, dans l’absence de contacts avec les proches, une communication claire sur la justification des mesures avec une approche empathique du personnel des RPA deviendrait un atout essentiel pour soutenir les résidents dans le respect des mesures de confinement. D’autres stratégies pourraient également être explorées. Michie et ses collaborateurs (2013) proposent plusieurs techniques d’intervention spécifiques pour agir sur des déterminants du comportement y compris les croyances tels que la persuasion verbale, la fixation d’objectifs, la rétroaction, l’usage de modèles crédibles, etc. Plusieurs de ces stratégies pourraient être potentiellement utilisées pour renforcer l’adoption du comportement ciblé.

Trois types de retombées découleront de ce projet. À court terme, les résultats permettent une meilleure compréhension des croyances pour guider les professionnels lors d’interventions individuelles et mieux arrimer le contenu de leurs messages aux croyances saillantes, par exemple, fournir l’accès à des rencontres virtuelles. De telles stratégies pourraient favoriser le maintien de la mesure de confinement et ainsi assurer un meilleur bien-être. À moyen terme, dans un futur projet de recherche, les résultats seront utilisés pour développer un questionnaire portant sur les facteurs psychosociaux. Ce questionnaire pourra ainsi documenter auprès d’un plus large échantillon les déterminants du maintien des mesures de confinement. Cela permettra également de distinguer les personnes ayant une intention forte de celles ayant une intention faible de respecter le confinement, et ce, dans une perspective de communication adaptée et ciblée dans le contexte de la pandémie de COVID-19 ou dans un futur contexte similaire. Enfin, les résultats seront transférés aux professionnels de la santé dans le but de favoriser l’adoption de meilleures stratégies de communication avec les aînés dans l’éventualité d’autres pandémies qui requerraient des mesures de confinement.

Conclusion

Bien que les données aient été collectées en juillet et août 2020 en période de déconfinement, il demeure que la propagation de l’infection y était encore bien présente. D’ailleurs, d’autres mesures restrictives sont en vigueur par le Gouvernement du Québec avec l’apparition d’une troisième vague d’éclosions d’infections au moment de rédiger cet article. Plusieurs inconvénients ont été perçus pour des raisons sociales principalement, mais les participants ont déclaré avoir respecté le confinement comme demandé par les autorités. Il est important de souligner que malgré l’adhésion de tous aux mesures de confinement, les répondants habitants à domicile les perçoivent davantage comme étant des choix individuels. L’approbation et le soutien des proches ont été perçus comme des conditions qui le facilitaient malgré les limitations de contacts physiques avec eux.