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À première vue, les parents en congé parental semblent bien protégés contre l’isolement[1] : ils ont généralement un emploi salarié stable[2] et vivent avec leur(e) conjoint(e) et leurs enfants. Dans un sens, leur situation est l’antithèse de l’isolement, dans la mesure où ils sont toujours accompagnés d’un enfant en bas âge, comme le déclare Valérie (en congé parental pendant deux ans, deux enfants, responsable des finances dans un centre communal d’action sociale, conjoint directeur d’un centre communal d’action sociale) : « [La solitude ? Non, ] parce que j’en ai toujours une [de mes filles] avec moi en principe. » Pourtant, ils sont nombreux à souligner la solitude comme un des points négatifs du congé parental, tant les mères (Brunet et Kertudo, 2010) que les pères (Tremblay et Lazzari Dodeler, 2015), et ce, même lorsque le congé est pris à temps partiel (Boyer, 2016a). Ce sentiment de solitude n’est d’ailleurs pas réservé aux parents en congé parental et touche les parents au foyer en général, indépendamment des conditions dans lesquelles ils sont entrés dans cette situation (Oakley, 1975 ; Maison, 2007 ; Doucet, 2006 ; Merla, 2006). Dominique Maison (2007) souligne par exemple le risque de repli sur le domicile de certaines femmes au foyer, tant du fait de leurs rares contacts avec autrui que d’une forme de dégradation de « l’image de soi » qui conduirait à une auto-exclusion des contacts sociaux.

Pour les auteurs cités précédemment, le sentiment de solitude des parents au foyer ou en congé parental tient à deux causes : la désynchronisation entre le parent et les autres adultes (être seul dans la journée avec son enfant, chez soi) et une honte qui découragerait le parent de créer ou de renouer des liens sociaux. Or, comme le souligne Heini Martiskainen (2011) à propos des mères finlandaises en congé maternité, la récurrence d’une plainte peut être le signe d’un travail émotionnel (Hochschild, 1983) sur soi pour se dissimuler des émotions jugées incompatibles avec la situation. De quoi la solitude exprimée par les parents en congé parental est-elle le nom ? S’agit-il simplement d’une conséquence de l’isolement pendant cette période (surtout par contraste avec la période travaillée précédente) ou s’agit-il d’une émotion plus dicible (à soi-même et à l’enquêtrice) que d’autres sentiments ambivalents, à l’égard de la routine domestique vécue comme pesante ou la sensation de « s’oublier » en étant au service des autres membres du foyer ?

De plus, si le sentiment de solitude est exprimé tant par les pères que par les mères, on peut se demander s’il recouvre les mêmes réalités pour les parents en fonction de leur sexe. Andrea Doucet (2006) et Laura Merla (2006) dans leurs travaux sur les pères au foyer au Canada et en Belgique mentionnent que ces hommes se sentent exclus des collectifs qui se forment autour des enfants (parcs, sorties d’école) parce qu’ils sont exclusivement féminins. Si ce sentiment d’exclusion n’est pas mentionné par les pères en congé parental français, ils peuvent se sentir isolés dans leur choix de prendre un congé, parce qu’ils ne connaissent pas d’autres hommes dans la même situation et n’ont pas à leur disposition de « modèle » de père au foyer ou en congé (Trellu, 2010). Dans cette perspective, le sentiment de solitude des pères en congé parental proviendrait de leur adoption d’un rôle traditionnellement féminin, celui de principal pourvoyeur de soins[3].

À l’inverse, pour les mères, la solitude ne découlerait pas d’une absence de cadres sociaux de l’expérience de la maternité au foyer, mais au contraire d’un excès. En effet, l’assignation des femmes au travail de care dans la famille et l’emploi salarié en général, et à la prise en charge des jeunes enfants en particulier (Cresson, Gadrey, 2004), peut conduire à l’injonction à « s’oublier » au profit des autres, c’est-à-dire à une prévalence du rôle statutaire (mère, épouse) sur l’identité personnelle (Singly, 2017). Les femmes en congé parental déclareraient se sentir seules pour gérer le « coût » de la « maternité intensive » (Hays, 1998 ; Lee etal., 2014), et le manque de soutien ressenti de la part de leur conjoint.

Pourtant, les mères en congé ne semblent pas avoir significativement plus de contacts que les pères. Cela tient en partie à une spécificité du congé parental par rapport à la situation de « parent au foyer » : le parent en congé a la garde d’un enfant de moins de trois ans pendant la journée, et le principal collectif qu’il est amené à fréquenter avec son enfant est le parc, un lieu public et de passage, où les parents interrogés ne cherchent pas à nouer de liens. Les causes de la solitude de ces enquêtés sont donc plus à chercher dans la manière dont ils investissent cette période, sur le mode d’une « parentalité intensive »[4]. Or cette dévotion à l’enfant entraîne des coûts pour le parent. Dans quelle mesure une présence intensive à l’enfant est-elle vectrice de solitude ? Cet article vise à montrer que le congé parental amène un sentiment de solitude, non seulement par l’isolement géographique et temporel dû à la situation de parent au foyer, mais aussi du fait de l’investissement émotionnel et affectif auprès de l’enfant. Cependant, les parents en congé mettent en place des stratégies de résistance à la réclusion, notamment par la mise en place de temps pour soi.

L’enquête consiste en un corpus de 63 entretiens semi-directifs, réalisés entre septembre 2012 et juin 2017, auprès de 40 pères et 23 mères en congé parental d’éducation à temps plein et/ou bénéficiaires du CLCA ou de la PréPare à taux plein, en couple hétérosexuel.

Pendant le congé, le conjoint ou la conjointe exerçait un emploi rémunéré et a été interrogé(e) dans 14 cas (dont 3 couples où les deux conjoints ont pris un congé parental). Les entretiens portaient sur le choix du parent de prendre un congé parental et les représentations et les pratiques des personnes enquêtées en matière de parentalité. Ces dernières ont été recrutées par le biais d’une liste de la Caisse d’allocation familiale de Paris recensant les hommes bénéficiaires du CLCA à taux plein en janvier 2015, par des modes de garde payants situés en France métropolitaine contactés par mail et par interconnaissance.

Le profil sociodémographique des enquêtés est différent pour les hommes et pour les femmes. Les pères en congé parental que nous avons rencontrés appartiennent pour la majorité aux classes moyennes et supérieures (16 pères cadres et 11 pères appartenant aux professions intermédiaires selon la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles). Seule une minorité d’entre eux appartiennent aux catégories ouvriers, employés et artisans, commerçants et chefs d’entreprise. À ce titre, ils diffèrent des pères bénéficiaires de l’APE (Boyer et Renouard, 2004), majoritairement ouvriers et employés. Cependant, ils partagent avec eux la caractéristique d’être dans des unions hypogames. Le congé est pris le plus souvent pour la première fois pour le deuxième enfant (21 pères), ou le premier (14), à la fin du congé maternité (la moitié des pères) ou quand l’enfant est plus âgé, pour une durée moyenne de deux ans. Les mères interrogées appartiennent majoritairement aux professions intermédiaires (10 mères), l’autre moitié est cadre (5) ou employée (5). Cette diversité reflète celle des bénéficiaires du CLCA en 2004 (Berger etal., 2006). Le congé est pris le plus souvent pour la première fois pour le premier enfant (10) ou le deuxième (7), dans le prolongement du congé de maternité, et pour une durée d’un an et demi en moyenne.

1. le congé parental : une parenthèse professionnelle, mais aussi sociale

Pour les pères bénéficiaires de l’APE, la situation est claire : leur congé parental n’est pas une rupture définitive avec l’emploi, mais constitue une « parenthèse » dans leur trajectoire professionnelle (Boyer et Renouard, 2004). De même, une majorité des femmes bénéficiaires du CLCA retravaillent après leur sortie du dispositif (Vanovermeir, 2012). Le congé parental constitue une parenthèse également dans la mesure où il est une période d’isolement pour le parent bénéficiaire : il le prive d’une source importante de sociabilité (l’activité professionnelle), il provoque un décalage avec la situation ordinaire[5] et il le coupe géographiquement et temporellement des autres. Même si le congé permet une certaine liberté au parent du fait de l’absence d’obligation professionnelle, il est souvent décrit comme émaillé de contraintes, contribuant à une certaine réclusion.

1.1 Le repli sur le foyer

Bien que le congé parental ne soit pas une assignation à résidence, de nombreux parents rencontrés dans le cadre de cette enquête passent la majorité de leur journée chez eux en semaine, à l’exception d’une sortie parc (généralement l’après-midi) avec l’enfant qu’ils gardent et des allers-retours pour déposer et récupérer leurs aînés à l’école (s’ils ont plusieurs enfants). Cet isolement géographique est présenté comme la conséquence de l’intensité du travail parental pendant cette période.

La garde d’un enfant en bas âge est décrite par les parents en congé parental comme une activité ininterrompue : ils décrivent leur journée typique de semaine comme scandée par l’alternance des périodes de veille de l’enfant (qu’ils passent avec lui) et de sieste, trop courtes pour faire une autre activité que des tâches ménagères ponctuelles ou se reposer. Ils s’efforcent de s’adapter à son rythme plutôt que d’adapter ce dernier au leur, comme en témoigne Justin (en congé parental pendant six mois, un enfant, chargé de projet en urbanisme, conjointe chargée de projet en développement durable) :

Pendant nos balades, il y avait une partie courses, et ça s’écourtait souvent parce que ce n’est pas le moment où on s’attendait à ce qu’il dorme et puis c’est pas le moment de le mettre dans un magasin, etc., donc non, on fait pas tout ce qu’on a envie, tout ce qu’on a programmé dans une journée. C’est vraiment rythmé par son rythme à lui. Donc faut s’adapter.

Or, les moments où les parents disent pouvoir sortir (en milieu de matinée et d’après-midi, entre les repas et lorsque l’enfant est réveillé) ne sont pas ceux où leurs amis sont disponibles, puisqu’ils ont souvent une activité salariée à des horaires « classiques ». De plus, les préoccupations des parents en congé parental sont en décalage par rapport aux adultes « ordinaires » : en l’absence d’activité professionnelle, leurs principaux sujets de conversation tournent autour des enfants et de leurs journées à la maison. On peut voir un parallèle avec les femmes au foyer, qui éprouvent parfois des difficultés à discuter de leurs états d’âme avec leurs amies salariées (Maison, 2007), d’autant que, selon Valérie, la situation de parent en congé parental la priverait du « droit de se plaindre ». En effet, le congé parental est parfois perçu par leur entourage comme des « vacances ». Ce décalage entre les perceptions positives du congé par leur entourage (comme période de repos ou comme une chance de pouvoir passer du temps avec ses enfants) et le vécu du congé par les enquêtés (dont les aspects négatifs seront détaillés ultérieurement) peut être cause de solitude.

L’enfant représente plus largement une charge matérielle et organisationnelle pour le parent en congé. Par exemple, Hugo (en congé parental pendant un an et demi pour son troisième enfant, trois enfants, journaliste, conjointe journaliste) déclare que la difficulté du congé parental, « c’est d’être toujours lesté d’un enfant ». Il s’agit à la fois d’une charge mentale et physique, par exemple en ce qui concerne les affaires à prendre quand on sort de chez soi avec un nourrisson : « Si tu veux être une « bonne mère », je mets des guillemets à ça, t’es obligée d’anticiper, tu pars pas sans avoir pris des couches, sans penser à ce qu’il va manger, si tu vas à une soirée, « alors, il faut que je prenne le parapluie, le truc, que je gère un endroit où il puisse être bien » » (Bérangère, en congé parental pendant six mois pour son deuxième enfant, deux enfants, professeure au collège, conjoint intermittent du spectacle). Sortir du foyer est un défi non seulement parce qu’il s’agit de le faire à des moments compatibles avec le rythme de l’enfant, mais aussi de s’autoriser à sortir. Par exemple, Nathan (en congé parental depuis onze mois pour son deuxième enfant, deux enfants, commercial, conjointe chiropractrice) confie :

J’ai l’impression que le cerveau des fois, il n’arrive pas à dire « bah tiens tu peux faire ça avec les deux [enfants] », je vais me demander et non, mon cerveau il dit que je dois rien faire, je suis bloqué à l’âge de l’enfant. Alors qu’en fait non, on n’est jamais bloqués, enfin c’est nous qui faisons bloc.

Sortir demande donc de l’organisation et dépend en partie de la possibilité de confier l’enfant à un autre mode de garde : « On est dépendante de l’agenda de notre conjoint, ou mari, ou membre de notre famille si on veut faire un truc rien que pour nous comme s’accorder une demi-journée » (Valérie). Comme dans le cas des femmes seules « en manque » rencontrées par Érika Flahault (2009), « toute sortie vise à satisfaire un besoin précis » (p. 40), hygiénique (faire prendre l’air aux enfants) ou utilitaire (faire des courses). Les promenades sont réservées au week-end, généralement en famille, avec le conjoint et les enfants.

Comme les chômeurs et les inactifs non étudiants (Gouraud et Noblet, 2017), les parents en congé parental sont particulièrement susceptibles de souffrir d’isolement relationnel[6]. Le congé constitue pour la majorité des enquêtés un face-à-face avec le plus jeune enfant du moment du départ du conjoint (et des enfants scolarisés le cas échéant) jusqu’à son (ou leur) retour le soir, à l’intérieur de la maison, en dehors d’une sortie parc en milieu d’après-midi. Cet enfermement n’est pas recherché par les enquêtés, mais est présenté comme la conséquence de la charge de l’enfant et du foyer. C’est d’autant plus vrai pour les pères en début de congé qui « découvrent » le fardeau du travail parental au quotidien (contrairement aux mères qui en ont déjà eu un aperçu pendant leur congé de maternité). Mais même pour les parents familiarisés avec la prise en charge d’un enfant en bas âge, s’organiser pour sortir et pour rencontrer d’autres adultes est un défi organisationnel, ce qui contribue à un certain isolement des parents en congé parental.

1.2 La routine

Le repli sur le foyer des parents en congé parental n’est pas induit seulement par la charge de l’enfant, mais aussi par le poids du travail domestique. En effet, les parents en congé estiment qu’étant déchargés de leur activité professionnelle (contrairement à leur conjoint), il est de leur responsabilité de prendre en charge les tâches ménagères. L’intériorisation de la responsabilité domestique s’opère cependant différemment en fonction du sexe du parent.

Encore aujourd’hui, les femmes prennent en charge la majorité des tâches domestiques (Champagne etal., 2014). C’est d’autant plus vrai pour les mères en congé parental (Brunet et Kertudo, 2010), qui réalisent une part plus importante de travail domestique que quand elles étaient en activité, au point que quelques mères de notre enquête le décrivent comme un travail envahissant et quasi permanent. Selon Peggie (en congé parental pendant un an et demi pour le deuxième enfant, deux enfants, surveillante pénitentiaire, conjoint infirmier) :

Je pense qu’on se rajoute du travail [domestique quand on est en congé], je me mets une pression supplémentaire du fait que je sois à la maison. Comme je suis à la maison, il faut qu’on mange plus varié, que le ménage soit fait, que le linge soit tout le temps propre et pas en attente dans le panier à linge sale…

Ces exigences accrues en termes de propre et de rangé rappellent le constat de Betty Friedan (1963) et d’Annie Dussuet (1997) : la contrainte domestique s’adapte au temps disponible de la femme, c’est-à-dire que plus elle a de temps à consacrer au travail domestique (par exemple parce qu’elle est en congé), plus elle s’impose des tâches à accomplir. L’investissement ménager des mères est parfois vécu comme du temps « pris » aux enfants, comme pour Gladys (en congé pendant un an, deux enfants, opératrice ingrédient, conjoint infographiste et administrateur d’un site internet) qui déclare que, selon elle, une bonne mère donne la priorité à ses enfants, « ce qu[’elle a] tendance à oublier car [elle] fai[t] parfois passer les tâches ménagères avant ».

En ce qui concerne les pères, ils déclarent également en faire plus à la maison pendant leur congé (comme les pères bénéficiaires de l’APE ; Boyer et Renouard, 2004), mais la contrainte ménagère qu’ils s’assignent est généralement moindre que celles des mères, comme en témoigne Justin :

J’essayais de « tenir » la maison [rire], bien propre, mais oui c’est sûr, on se met un peu la pression au début, pour que la maison soit propre, etc. [rire], pour être bien le soir, mais après on gère les priorités, quoi. Que l’enfant ait bien mangé et qu’il dorme bien, après du coup, comme [rire] il fait sa sieste et que tout a été géré, on n’a pas forcément très envie de faire le ménage.

Les parents des deux sexes en font donc plus en termes de tâches domestiques pendant le congé parental. À ce titre, il y a un « effet congé parental » : le parent en congé est censé prendre en charge le travail ménager dans les représentations intériorisées par les enquêtés. Le travail domestique renforce l’isolement induit par le travail parental, puisqu’il se glisse dans les moments « libres » du parent en congé, c’est-à-dire les moments où il ne s’occupe pas de son enfant. Dans cette perspective, le sentiment de solitude exprimé par les parents en congé parental tiendrait à l’impression d’être enfermé seul dans une routine pesante. Cependant, dans la mesure où les femmes sont davantage socialisées (Kaufmann, 1997 ; Dussuet, 1997) et assignées socialement (Chabaud-Rychter etal., 1987) à la prise en charge du travail domestique que les hommes, les parents en congé font des arbitrages différents selon leur sexe en ce qui concerne l’importance à accorder aux tâches domestiques (autres que celles directement liées au soin de l’enfant) : les mères s’efforcent de mener les deux de front (d’autant qu’entretenir la maison est aussi une façon de prendre soin de ceux qui y vivent, comme le laisse entendre la volonté de Peggie de préparer des repas plus variés), tandis que les pères donnent la priorité aux activités avec et liées aux enfants.

1.3 L’oubli de soi

Dans Double Je, François de Singly (2017) prend l’exemple de Susan, l’héroïne d’une nouvelle de Doris Lessing, « La chambre 19 » (1983), pour illustrer le risque d’oubli de son identité personnelle au profit de son rôle statutaire. « Cette femme, diplômée, abandonne sa carrière pour se consacrer à ses enfants, à son mari et à la gestion de la famille. Un jour, après le départ du dernier enfant à l’école et l’aveu par son mari d’infidélité, cette femme prend conscience qu’elle a disparu, dévorée par ses rôles » (p. 66). Cette « disparition », qui rappelle la « mystification des femmes » étudiée par Betty Friedan (1963), fait écho à l’isolement de certaines mères au foyer :

[l’]absence de contacts sociaux donne alors le sentiment d’être étouffée, vampirisée par un environnement familial sans cesse plus présent et plus demandeur (de services, de disponibilité). Ne parvenant pas à se ménager des espaces personnels, les membres de la famille sont perçus comme des entraves à l’épanouissement individuel.

Maison, 2007 : 228

Si l’identité personnelle des parents en congé parental rencontrés ne semble pas avoir « disparu » comme dans le cas de Susan, la majorité d’entre eux s’accordent à dire qu’elle est menacée par le rôle statutaire de parent en congé parental.

Le poids de la routine domestique et du travail parental fait courir le risque de « s’oublier », comme en témoigne Benjamin (en congé parental depuis deux ans pour son deuxième enfant, deux enfants, plombier, conjointe comptable) : « il y a toujours à faire, il faut se mettre des limites. Sinon, vous devenez la chèvre de la maison. J’essaye de penser un peu à moi, j’ai du mal mais j’essaye, ne serait-ce que sortir tout seul et aller faire un tour de vélo pour s’oxygéner la tête. » Les parents en congé parental évoquent des difficultés à minimiser leur rôle statutaire et la dévotion aux autres membres de la famille qui y est attachée au profit de leur temps personnel. En effet, assurer le travail de care parental demande non seulement d’accomplir un certain nombre de tâches destinées à assurer le bien-être de l’enfant (les tâches de « maternage » comme lui donner à manger ou le changer), mais aussi de faire preuve d’une forme d’attention, de vigilance constante (Bessin, 2014), pour apporter une réponse aux besoins de l’enfant, qu’ils soient physiologiques, affectifs ou autres.

Le risque d’oubli de soi peut également prendre la forme d’un risque d’oubli du couple. En effet, les parents en congé et leurs conjoints regrettent le manque de temps à deux, remplacés par du temps familial. De façon plus insidieuse, l’enfant affecte l’intimité conjugale, en saturant par exemple la conversation :

Même quand les enfants ne sont pas là, le soir, vous êtes posés, il est 21 h 30, on a fini la partie entretien, repas, ce genre de choses, les choses dont on va discuter dans un premier temps c’est de l’enfant, ou des enfants. Ce qui va manquer dans les échanges, c’est par exemple avant on lisait un livre en commun, on parlait du livre pendant une semaine. Ce qu’on en pensait, comment on comprenait les choses… Ça, on ne l’a plus. Ou alors on allait dans un musée, comme on appréciait cette oeuvre… Pareil, on ne fait plus. Ça, ça manque.

Vincent, deux enfants avec Valérie

Prendre un congé parental consiste donc aussi à endosser un rôle traditionnellement féminin de caregiver ou de pourvoyeur de soins, ce qui amène les parents (et davantage les femmes) à faire passer les besoins de leur enfant avant les leurs et plus largement à se mettre au service de la famille (Chabaud-Rychter etal., 1987). L’injonction à la sollicitude se double ici d’une injonction intériorisée d’oubli de soi. Si la solitude qui en découle est commune aux parents au foyer et aux parents en congé, elle risque de toucher plus fortement ces derniers, du fait de la nature même du dispositif. Tout d’abord, plus l’enfant est jeune, plus le travail parental est chronophage (Algava, 2002). Si la solitude découle du fait de se consacrer aux enfants, elle a plus de chances de toucher des parents en congé parental (qui ont au moins un enfant de moins de trois ans) que des parents au foyer ayant des enfants plus âgés et/ou scolarisés. Ensuite, le congé parental est souvent perçu par les bénéficiaires comme une parenthèse dans leur trajectoire biographique : ces derniers risquent de sentir d’autant plus fortement la solitude que cette période contraste avec la période précédente (où ils travaillaient) en termes de sociabilité, qu’ils sont moins susceptibles de mettre en place des aménagements pérennes pour lutter contre l’isolement, mais aussi parce que ce congé est « un temps si court » (Martiskainen, 2011), construit comme un moment singulier dans la trajectoire parentale pour créer des liens avec l’enfant.

Or, quand les parents étaient encore en activité, ce rôle de pourvoyeur de soins était contrebalancé ou limité par l’activité professionnelle, et partagé entre les conjoints. L’identité des parents en congé parental est donc travaillée par deux mouvements qui se renforcent l’un l’autre : l’arrêt de travail laisse donc du temps pour investir davantage le rôle de pourvoyeur de soins, et les parents en congé investissent ce rôle comme le seul légitime pendant cette période. Le sentiment de solitude exprimée par les parents en congé serait l’expression d’une tension entre le désir des parents d’être un « bon » parent au foyer et les coûts que ce rôle entraîne pour eux. Cependant, les hommes n’étant pas socialisés à exercer ce rôle de pourvoyeur de soins, les pères en congé parviennent plus facilement à se réserver du temps marqué comme « personnel » ; tandis que les mères expriment un sentiment de culpabilité concernant ces moments qu’elles perçoivent comme « volés » à leur enfant et à leur famille, comme Florine (en congé parental pendant deux ans et demi, trois enfants, préparatrice en pharmacie, conjoint expert-comptable) qui explique qu’elle se sent fautive de prendre du temps pour elle, mais qu’elle s’efforce de le faire « pour l’équilibre de la famille » : « j’essaye de prendre soin de moi aussi, parce que je sais que si moi je vais bien, ça va découler, donc les enfants vont aller bien ».

Les parents en congé parental sont donc dans une situation d’isolement, à double titre : par leur retranchement dans le foyer et par leur emploi du temps décalé. Cette séparation n’est pas forcément imposée par le dispositif du congé parental en tant que tel, mais par la volonté des parents d’endosser le rôle de pourvoyeur de soins. L’enfant envahit le temps disponible, et « il reste peu de temps pour lire un petit bouquin ou se donner un petit peu de temps, pour penser à autre chose qu’être tout le temps dans la gestion de son enfant » (Justin). Dans le cas des femmes, ce « peu de temps » est d’autant réduit qu’elles s’assignent de « nouvelles missions domestiques » (Brunet et Kertudo, 2010 : 27). Les mères tenteraient donc de faire preuve d’une « disponibilité permanente » (Chabaud-Rychter etal., 1985 ; Langevin, 1984) envers leurs enfants et la maison, alors que les pères ne feraient preuve que d’une disponibilité intermittente (Modak et Palazzo, 2002 ; Singly, 2016), en circonscrivant leur rôle de parent au foyer à la prise en charge de l’enfant, au détriment des tâches ménagères.

2. la présence intensive à l’enfant : nouveau lien ou substitut des liens antérieurs ?

L’isolement du parent en congé parental par rapport à la vie sociale ordinaire est une cause et une conséquence de la présence intensive à l’enfant. Certes, cette présence permet selon les parents de créer ou de renforcer les liens parents-enfants. Cependant, cette centration sur l’enfant peut conduire à un affaiblissement des liens conjugaux, dans la mesure où la « disponibilité permanente » du parent en congé s’adresse aux enfants plutôt qu’à la famille en général.

2.1 Le congé parental comme occasion de renforcer les liens avec l’enfant…

Passer plus de temps avec les enfants est à la fois la raison la plus souvent avancée (notamment par les mères) pour prendre un congé parental et l’un des points positifs du congé identifiés par les parents : le temps du congé est perçu comme l’occasion d’apprendre à connaître ses enfants et de partager des activités plaisantes avec eux.

Cette valorisation du congé parental du point de vue de la relation parentale est particulièrement mise en avant par les pères, notamment ceux qui étaient peu présents au foyer du fait d’une activité professionnelle chronophage. Par exemple, Antoine (en congé pendant quatre mois, un enfant, directeur associé, conjointe cadre dans une agence de communication) valorise son congé parental, relativement court (quatre mois, contre deux ans en moyenne pour les pères interrogés) comme un « tournant » dans sa trajectoire paternelle :

C’est clairement un tournant. À tous points de vue. Je pense que c’est vraiment le moment où je suis vraiment devenu père, profondément, où j’ai assumé ce rôle, où j’ai trouvé pleinement ma place […]. Et du coup, ça a vraiment été le moment où dans mon rôle de père, j’ai pu prendre pleinement ce rôle, m’y sentir pleinement à l’aise, m’y sentir pleinement légitime, y trouver tout le plaisir aussi que j’avais envie d’avoir, qui paraît pleinement normal, avoir juste une relation de très grande proximité avec ma petite fille, […] il fallait le construire, et les six premiers mois m’avaient pas permis de le faire.

Dans la suite de l’entretien, il valorise les moments de complicité qu’il a pu établir à cette occasion avec sa fille :

On a pu rentrer complètement dans le côté câlin […], j’ai l’impression d’avoir développé une complicité, effectivement on se faisait un câlin, et quand on faisait un câlin, on rigolait, on déconnait, on faisait des selfies, on les regardait après… […] Cette tendresse, cette complicité, c’est quelque chose que j’avais pas avant, […], et c’est ce que j’ai le plus trouvé dans ces quatre mois.

Antoine valorise donc son congé parental comme l’occasion où il s’est rendu disponible pour sa fille, disponibilité non seulement temporelle mais aussi mentale, sans laquelle la relation père-enfant n’aurait pas pu être construite. Si la plupart des pères (ou des mères) n’ont pas un discours aussi emphatique que celui d’Antoine sur le congé parental, apparaît en filigrane l’idée qu’être présent au quotidien avec des enfants leur a permis d’atteindre une qualité de relation qu’ils n’avaient pas auparavant, même chez des parents qui étaient déjà présents au quotidien.

Pour les mères, le congé parental est souvent présenté comme une évidence, soit parce qu’elles n’envisagent pas de confier leurs enfants à un mode de garde payant (notamment pour les mères de classes populaires), soit parce qu’elles considèrent le congé maternité comme « trop court ». Le congé parental permet alors de créer une bonne relation « dès le départ » (lorsque le congé est pris dès le premier enfant) ou de « rattraper » un temps qui n’a pas été pris avec les enfants plus âgés. Par exemple, Élisa (en congé parental depuis un an pour son troisième enfant, trois enfants, testeuse de jeux vidéo, conjoint développeur informatique), qui n’a pas pu prendre de congé parental pour ses deux aînés (pour des raisons économiques et à cause de la réticence de son conjoint), estime qu’elle a des liens plus forts avec sa benjamine :

Comme je vois ma dernière tous les jours, je peux constater ses progrès, alors que les grands faisaient leurs progrès à la crèche, du coup c’est pas du tout la même interaction, je peux lui proposer des choses plus adaptées à ses besoins parce que je la vois évoluer. […] [Avec les grands, ] on n’a pas des petites interactions comme j’ai avec ma dernière.

Le congé parental permet aux parents d’être concentrés sur les enfants, sans être distraits par leur activité professionnelle, comme l’explique Charline (en congé parental pendant huit ans, cinq enfants, ancienne infirmière devenue mère au foyer, conjoint directeur des ressources humaines) : « le choix d’être à la maison, ça permet que tout le monde puisse se construire, à des âges où c’est important de ne pas être dans le stress et une vie trop tendue ».

Le congé est l’occasion d’un renforcement de la relation parent-enfant, grâce au partage avec l’enfant d’activités du quotidien et de temps « actif » ou de jeux. Ce temps actif n’est pas une conséquence mécanique du congé parental : les pères comme les mères déclarent devoir apprendre à se rendre disponibles pour les enfants ; disponibilité qu’ils estimaient ne pas avoir suffisamment quand ils étaient dans l’emploi, notamment pour les pères exerçant des activités professionnelles chronophages ou les mères qui n’ont pas pris de congé parental pour leur(s) premier(s) enfant(s). Cela manifeste le poids des normes de la « maternité intensive » (Hays, 1998) : les mères qui travaillent culpabilisent de ne pas passer tout leur temps avec leurs enfants, d’autant plus que la diffusion de thèses orthopsychanalytiques (Garcia, 2011) a ancré dans les représentations l’idée que les événements survenus dans la petite enfance ont un impact durable et potentiellement pathologique sur le psychisme, en particulier si la mère ne s’est pas « bien » occupée de l’enfant (Lee etal, 2014). Or, les pères en congé parental (Boyer, 2016b ; O’Brien et Wall, 2017) manifestent eux aussi une forme de « paternité intensive » durant la période du congé. Le dispositif semble donc contraindre l’usage du temps qui en est fait, et ce, indépendamment des rôles différenciés assignés aux hommes et aux femmes concernant la parentalité.

Il est difficile pour les parents, et en particulier pour les mères (sur lesquelles les injonctions à se réaliser par la maternité pèsent plus fortement ; Molinier, 2003), d’exprimer la pénibilité du travail domestique quotidien, et en particulier celui lié aux soins de l’enfant, puisque cette plainte contreviendrait à la norme de l’amour qui est censé guider la prise en charge de ce travail (Dussuet, 2005), mais aussi parce que les parents, en choisissant de prendre un congé parental, ont accepté d’endosser ce rôle de principal pourvoyeur de soins. Dès lors, le sentiment de solitude exprimé par les parents en congé ne survient donc pas en dépit de la présence de l’enfant, mais à cause de celui-ci, et manifeste l’écart entre l’injonction d’épanouissement et de plaisir d’être avec son enfant et le vécu quotidien de la charge de l’enfant (Senior, 2014).

2.2 … au détriment des liens conjugaux ?

Les parents en congé parental valorisent généralement le « soutien » de leur conjoint dans leur décision de prendre un congé et au quotidien, par les « coups de main » qu’ils peuvent donner dans la maison ou concernant la prise en charge des enfants. Du côté des conjoints (hommes et femmes), ceux qui ont été interrogés soulignent la quantité de travail domestique réalisée et la qualité de vie permise par la présence d’un des parents à la maison. À première vue, le congé parental permet donc une division du travail garantissant l’harmonie au sein du foyer. Cependant, l’implication différente des conjoints dans le travail domestique selon leur sexe peut émousser le lien conjugal.

Quelques couples rapportent une déliaison liée au décalage entre les attentes de chaque conjoint concernant la réalisation du travail domestique. Certaines mères reprochent ainsi à leur conjoint de ne pas « voir » le travail réalisé par elles et de ne pas les aider suffisamment. Par exemple, Valérie oscille entre valorisation de la compréhension de son conjoint et regret qu’il n’en fasse pas plus :

J’ai la chance d’avoir un compagnon compréhensif et à l’écoute même si parfois le discours n’est pas suivi des faits et qu’il se repose parfois un peu trop sur moi. […] Il se rend bien compte que parfois c’est difficile et que gérer le quotidien, c’est pas forcément marrant, mais parfois il se laisse un peu vivre… […] J’ai beau appeler le soir pour qu’on m’aide à mettre la table… Je mets la table parce que sinon on ne mangerait pas tous les soirs.

De même, Pascal (un enfant avec Peggie) explique qu’il était épuisé dans son emploi précédent (infirmier aux urgences et frontalier, il faisait des allers-retours entre la France et la Suisse) et qu’il n’était « pas du tout réceptif à la demande » de sa conjointe de le voir disponible quand il était à la maison :

Ça a mis notre relation à rude épreuve ! […] Peggie était tout le temps à la maison donc H24 avec les enfants, un peu compliqué à gérer aussi […]. Au début, j’ai pas nécessairement ouvert les yeux par rapport à ça, […] je n’avais pas la vision de Peggie, qui était d’être toujours, tout le temps avec des enfants. Plus ou peu de contact avec des adultes.

Les mères en congé parental attendent de leur conjoint qu’il « participe » aux tâches domestiques et parentales, c’est-à-dire qu’il fasse mine d’être de bonne volonté en les « aidant » ponctuellement et surtout les soutienne émotionnellement (Hochschild et Machung, 1989). Or, devenir mère en congé parental réintroduit les rôles de sexe traditionnels dans le couple, alors que le travail domestique était généralement partagé entre les conjoints auparavant (Brunet et Kertudo, 2010) : les conjoints limitent souvent leur prise en charge des tâches quotidiennes à du temps parental le soir et le week-end.

S’il y a un retour à la division sexuée du travail dans les couples où la mère est en congé parental, il n’y a pas pour autant inversion des rôles (Guichard-Claudic etal., 2008) dans les couples où c’est l’homme qui a pris le congé. Les conjointes des hommes en congé parental ont à coeur de « reprendre » leur rôle de mère et de « décharger » leur conjoint quand elles sont à la maison, selon l’éthique de la sollicitude attendue des femmes, comme en témoigne la conjointe d’Isaac (en congé parental pendant deux ans et demi pour le deuxième enfant, deux enfants, réceptionniste en entreprise, conjointe ingénieure), qui semble chercher à se convaincre qu’elle est une mère « présente », c’est-à-dire une « bonne » mère :

J’ai beau être une mère qui travaille, je suis quand même une mère très présente. C’est pas comme les vieux schémas archaïques, où le père il va juste au travail, il revient, il s’occupe pas des enfants… Moi, je suis quand même présente dans leurs vies, comme une maman qui travaille. Il y a plein de mamans qui travaillent et s’occupent aussi de leurs enfants, moi c’est juste que je… […] C’est moi qui fais les devoirs avec eux, je joue avec eux, le week-end je les ai quasiment tout le temps tout le week-end, ils font quasiment rien seuls avec leur papa, le soir… […] Il voit plus les enfants que moi, ça je suis d’accord. Mais après, dans l’éducation, il me laisse ma part, il me demande souvent pour des choses… Après, moi je suis aussi très impliquée dans l’école, des choses comme ça… Non, je suis une maman présente pour eux.

La prise du congé parental a donc des effets différents sur le partage du travail domestique dans le couple en fonction du sexe du parent bénéficiaire. Dans les couples où la mère a pris un congé parental, les rôles deviennent plus traditionnels : les femmes investissent un rôle de « fée du logis », tandis que leur conjoint réduit son temps domestique à du temps parental. À l’inverse, les pères qui ont pris un congé en font certes plus en termes de tâches domestiques, mais leur conjointe a à coeur d’être autant investie auprès des enfants et dans une moindre mesure dans la prise en charge des tâches quotidiennes qu’elle ne l’était avant que le père ne prenne le congé. Le sentiment de solitude des mères en congé parental tient donc autant à leur investissement dans le rôle de pourvoyeuse de soins qu’à leur impression que ce travail n’est pas reconnu par leur conjoint, puisqu’il ne leur apporte peu ou plus d’aide pour les tâches ménagères, voire ne manifeste pas son soutien émotionnel relativement au travail domestique réalisé. À l’inverse, les pères en congé parental sont davantage épaulés par leur conjointe : leur sentiment de solitude pourrait alors être davantage l’expression d’une absence de modèle : comment incarner le rôle de pourvoyeur de soins quand on est un homme (Trellu, 2010) ?

L’expression du sentiment de solitude par les parents en congé parental recouvre des réalités différentes selon le sexe. Pour les mères, le congé est une période de « maternité intensive », conforme aux normes sociales contemporaines, et de dévotion à l’enfant et plus largement aux membres du foyer. La solitude provient du sentiment de « s’oublier », mais aussi d’un décalage entre les conjoints. L’expression de ce sentiment marque donc le travail émotionnel réalisé par les mères pour réduire la contradiction entre leur volonté de se dévouer totalement à l’enfant et au foyer pendant cette période, et leur désir que leur conjoint prenne sa part dans le travail domestique. À l’inverse, pour les pères, il s’agirait plutôt de la difficulté à concilier leur modèle intériorisé de paternité (disponibilité intermittente) et celui de parent en congé parental (disponible en permanence pour les enfants).

En effet, pour les parents des deux sexes, le congé est investi comme une période de « parentalité intensive » et de disponibilité constante à l’enfant. La valorisation du lien parent-enfant qui a pu se développer pendant cette période est cependant à considérer avec précaution : s’agit-il d’un des bénéfices de cette période, ou une autre modalité du travail émotionnel que les parents réalisent pendant cette période ? En effet, depuis les trente glorieuses, le travail est appréhendé comme un moyen privilégié d’épanouissement de soi (Lalive d’Épinay, 1998). Il s’agit donc pour les parents rencontrés de retrouver une source d’estime d’eux-mêmes pendant cette période d’inactivité, en valorisant les bénéfices du congé pour les enfants, mais aussi par des stratégies de résistance à l’isolement.

3. les stratégies de résistance à l’isolement

Face au risque d’oubli de soi, les parents en congé parental déploient plusieurs stratégies, par une sortie de l’isolement (par des contacts avec des proches ou l’organisation de sorties) et par la mise en place de « temps pour soi ».

3.1 Profiter des interstices de la présence intensive

Le premier type de stratégie de lutte contre le sentiment de solitude consiste à adapter le rôle de parent en congé afin de créer ou de recréer des liens de sociabilité pendant cette période, en profitant des siestes ou en faisant des activités d’extérieur avec les enfants.

Les moyens privilégiés de maintenir des contacts sont le téléphone ou Internet, évoqués par plusieurs pères de classes moyennes. Mohammed (en congé parental depuis trois ans pour son quatrième enfant, quatre enfants, gérant de manège, conjointe journaliste) réagit à la question d’un éventuel sentiment de solitude :

Alors on a un outil qui est extraordinaire, qui est Internet. J’ai des amis qui étaient à l’étranger, […] on se parlait via Skype ou… C’est des histoires de temps d’aménagement, pendant la sieste, s’il y avait moins à faire qu’à l’accoutumée…

De même, Nicolas (en congé parental pendant trois ans et demi, deux enfants, scénariste, conjointe comptable) déclare :

J’étais très téléphone. J’appelais ma mère, […] j’appelais mes parents quasiment tous les jours, à demander des news, leur raconter ma vie… C’est vrai que tu as envie de voir des gens quand même un peu. Tu es content quand tu peux communiquer avec un adulte !

Plusieurs mères se sont constitué un réseau de sociabilité avec d’autres mères, ce qui leur permet d’organiser des sorties ponctuelles avec elles. Par exemple, Laetitia (en congé parental pendant un an pour son troisième enfant, trois enfants, employée de ménage à domicile, conjoint chef pâtissier) raconte :

Au travail, j’ai eu la chance de rencontrer une maman comme moi, des enfants du même âge, deux filles et un garçon, et on se voyait toutes les deux, c’était notre échappatoire, on allait au parc et on se voyait, les enfants étaient ensemble. Parce qu’elle aussi, elle avait son dernier qui n’était pas scolarisé. Mais toujours avec les enfants. On s’est jamais dit : « Tiens, on laisse les enfants aux hommes et on va boire un café toutes les deux ».

Ces sorties peuvent également prendre la forme d’activités destinées aux enfants, comme Karen (en congé parental pendant deux ans pour ses deux derniers enfants qui sont jumeaux, quatre enfants, chargée de clientèle dans une banque, conjoint ingénieur) qui explique qu’elle allait tous les matins dans des lieux d’accueil parents-enfants pour discuter avec d’autres mères ou des professionnels de la petite enfance :

À cause de cet isolement, je me forçais tous les matins à sortir, c’est pour ça tous ces centres parents-enfants, pour voir du monde, pour sortir ; et c’est vrai que j’étais très active dans l’école de mes filles pour justement voir des gens, faire autre chose que enfants, enfants, enfants. C’était toujours en rapport avec les enfants, mais pour sortir à des réunions, voir comment on organise des activités avec les enfants… […] Les lieux d’accueil parents-enfants, les maisons vertes ou bleues de Françoise Dolto, j’y allais quand j’avais besoin de parler, de vider mon sac, il y avait vraiment une oreille attentive [chez les professionnels]. C’est des lieux géniaux pour les parents, c’est vital je dirais.

Quelques autres mères et un père mentionnent avoir fréquenté des lieux d’accueil parents-enfants, des maisons vertes, des ludothèques ou des rencontres parents-enfants organisées par la Protection maternelle et infantile, pour « sortir de l’exclusion sociale » (Iris, en congé parental pendant six mois, un enfant, assistante de gestion administrative, conjoint développeur de logiciels). Cependant, ces sorties constituent rarement un rempart contre la solitude, dans la mesure où elles sont « lestées » des enfants et ne sont pas codées comme du temps pour soi.

Enfin, quelques parents valorisent la mobilité que leur procure le congé parental, qui leur permet de retrouver des amis, notamment pour le repas du midi. Par exemple, Martine (en congé parental pendant deux mois, un enfant, chef de produit dans une entreprise d’agroalimentaire, conjoint contrôleur de gestion) explique qu’elle allait souvent manger avec des amies ou son mari pendant que sa fille dormait dans la poussette et qu’elle se baladait dans l’après-midi, ce qui pouvait être l’occasion de voir des amies également jeunes mères « pour ne pas être seule avec [s]on bébé ».

Quelques enquêtés parviennent donc à surmonter l’isolement de la situation de parent au foyer en développant des liens avec d’autres parents de jeunes enfants (notamment pour les mères), ou en maintenant des liens avec des amis ou leurs parents à distance par le téléphone ou en se déplaçant. Cependant, ces contacts sociaux ne s’improvisent pas : ils sont souvent calés sur les périodes sans travail parental contraint comme les repas, en milieu de matinée ou d’après-midi (pour les sorties) ou pendant la sieste (pour le téléphone). Ils diffèrent légèrement en fonction du sexe du parent : les mères mettent en place des sorties avec leurs enfants, tandis que les pères cherchent plutôt à réactiver des liens indépendants de leur statut de parent.

3.2 Se créer du temps

Un deuxième type de stratégie consiste à renoncer à la disponibilité permanente, en se créant des moments pour soi.

Vingt-sept parents en congé ont recours à des modes de garde ponctuels pour se décharger de l’enfant de manière ponctuelle (treize mères et neuf pères) ou plus permanente (cinq pères dont les enfants étaient à la crèche cinq jours par semaine). Cette décharge ponctuelle de l’enfant (le plus souvent une journée ou deux demi-journées à une halte-garderie ou chez une grand-mère) est cependant employée différemment par les pères et les mères. Les pères déclaraient presque systématiquement en profiter pour prendre du temps pour eux. Par exemple, Kévin (en congé parental depuis un an pour son deuxième enfant, deux enfants, ingénieur du son, conjointe directrice de crèche) explique : « la plus jeune est certains jours dans une des crèches du réseau de crèches de sa mère. […] Histoire que moi de temps en temps je puisse faire quelques autres trucs. » Les mères partagent le plus souvent ce temps entre des tâches domestiques et du temps pour elles (souvent converti en travail esthétique ; Braizaz, 2017). Par exemple, Peggie explique que la journée où ses enfants sont à la halte-garderie et à l’école, elle s’efforce de faire ses corvées domestiques le matin pour « penser à [elle] l’après-midi » : « des trucs tout bêtes, me faire le brushing, me faire les ongles… [rire]. Avoir un moment, une soupape, même si c’était une heure ou deux avant d’aller chez l’orthophoniste ou aller chercher le petit. »

Plus largement, la plupart des parents s’efforcent de conserver une activité personnelle, qui se déroule dans un espace et un temps différent du temps familial. Plusieurs parents font du sport ou ont une activité artistique comme du théâtre ou de la musique un soir de semaine ou le week-end. Pour quelques autres, le congé a été l’occasion d’un investissement associatif accru, comme Élisa ou Charline : « Je sais que si je restais chez moi, je m’embêterais. Si je m’engage aujourd’hui [dans des associations et dans ma paroisse], c’est que c’est intéressant mais aussi que ça permet de sortir de chez soi et de rencontrer des gens, ça évite de déprimer tout seul dans son coin. » Ces projets (souvent tournés vers soi pour les pères, tournés vers la communauté pour les mères) ne sont cependant pas donnés à tout le monde : il faut pouvoir s’autoriser à endosser une autre identité que celle de parent en congé parental pendant cette période. Les pères incluent du temps personnel dans leur rôle de parent en congé parental[7]. Concernant les mères, celles qui profitent de cette période pour s’investir dans des activités communautaires sont aussi celles qui viennent des milieux les mieux dotés de notre échantillon, et celles qui se projettent le plus dans un rôle de femme au foyer : il semble qu’elles aient investi leur congé non comme une parenthèse, mais comme un rôle pérenne, d’où les aménagements qu’elles ont réalisés pour lutter contre le risque de l’isolement, non à la marge (sorties avec les enfants) mais au coeur même de leurs journées.

Ce temps personnel n’est pas forcément destiné à rencontrer d’autres adultes. Par exemple, deux mères vont seules à la piscine pendant que leurs enfants sont en halte-garderie. Le temps solitaire est alors présenté comme une ressource, comme pour Simon (en congé parental pendant un an, deux enfants, livreur à vélo, conjointe merchandiser) : « j’ai réussi à avoir une maison de campagne, que je rénove, donc de temps en temps je pars, j’aime bien. Parce que c’est vrai que je suis tout seul, et ça me fait plaisir de temps en temps. » De même, Valérie note avec amusement : « ce matin, j’étais toute seule devant ma machine à coudre, c’était très bien. Enfin seule ! » [rire]

Le temps pour soi constitue un refuge pour le parent en congé parental, afin de se reconstituer une identité personnelle en marge du rôle statutaire de parent en congé. Tous les parents essayent de s’en réserver, ne serait-ce que pour « tenir » (comme dans le cas de Benjamin, qui parle du risque de devenir « la chèvre de la maison »), même si les pères éprouvent moins de culpabilité à ce sujet que les mères.

3.3 Le retour au travail

La possibilité de se réserver du temps pour soi semble paradoxalement facilitée par la reprise d’une activité salariée, alors même que de nombreux parents interrogés déclarent avoir pris le congé justement parce qu’ils avaient le sentiment de manquer de temps lorsqu’ils étaient encore en activité.

Tout comme les mères en congé parental qui gèrent leur congé sur un mode « défensif » ou « anomique » (Brunet et Kertudo, 2010), la majorité des parents de notre enquête laissent entendre que « la situation d’inactivité professionnelle leur procure un épanouissement personnel très relatif et présente même un caractère sclérosant » (p. 52). Si les pères comme les mères déclarent pour la majorité d’entre eux avoir envie, voire hâte (selon la durée de leur congé), de retravailler, les mères se justifient davantage sur ce point, souvent sur le ton de la plaisanterie, pour minimiser leur « manquement » à leur rôle de mère. Elles sont nombreuses à déclarer, comme Peggie : « j’ai trouvé mon équilibre, je sais que j’adore mes enfants, j’aime m’en occuper, mais je ne peux pas faire ça tout le temps, il faut que j’aille travailler, il faut que je fasse autre chose pour être bien avec les enfants ». Il s’agit de ne plus « tourner en rond », se sentir utile, retrouver une vie sociale… L’activité professionnelle est ainsi présentée par de nombreuses mères comme une ressource identitaire, qui leur permet de résister à l’envahissement du rôle statutaire de mère et de « s’épanouir », d’être « autre chose qu’une mère ». En effet, les mères déclarent plus souvent que les pères être conscientes du risque d’être absorbées par le foyer et chercher à s’en protéger, d’autant que dans quelques cas elles ont vu l’identité personnelle de leur mère (au foyer) disparaître (pour reprendre les termes de Singly). À l’inverse, les pères ne présentent pas la fin de leur congé comme la délivrance d’un rôle pesant, mais plutôt comme l’opportunité de se « changer les idées » et d’échapper à un quotidien vécu comme répétitif.

Pour la majorité des parents en congé parental rencontrés, le congé parental n’est pas une entrée vers la situation de parent au foyer, mais constitue une parenthèse. Cela justifie l’investissement de cette période comme celle d’une parentalité intensive, intensité qui crée elle-même le besoin de ne pas être réduit au rôle statutaire de parent, en reprenant le travail. On peut donc distinguer deux modalités d’investissement du rôle de parent en congé parental : un mode « total », notamment pour les femmes de classes populaires ou de classes moyennes, où le congé parental est « un temps si court » qu’il doit être mis entièrement au service des enfants et du foyer, et un mode « distancié », pour les hommes et des femmes mieux dotés de notre échantillon, qui s’autorisent une indisponibilité ponctuelle, au nom d’une autre conception du rôle de parent en congé parental (valorisation du travail parental comme premier par rapport au travail ménager pour les pères, investissement de l’associatif pour les mères « au foyer », ou vécu du congé parental sur le mode de « vacances » dans le cas de Martine).

Si la solitude est souvent présentée comme pesante pour les parents en congé parental, elle n’est pas une fatalité. Certains parents estiment y échapper, comme Élisa : « avec ma fille, je ne suis jamais vraiment seule. Je vais rechercher de la solitude pour avoir du calme, ou si j’ai besoin de discuter je vais aller sur Facebook. » Ces parents disposent de ressources qui leur permettent de prendre de la distance par rapport au rôle intériorisé de parent en congé parental qui devrait consacrer son temps de congé à ses enfants et au foyer. C’est le cas des mères les mieux dotées socialement (comme Élisa ou Charline, dont les parents appartiennent à la petite bourgeoisie) et des pères, qui limitent considérablement leur disponibilité aux tâches ménagères par rapport aux mères rencontrées. Les ressources financières interviennent également, dans le cas des pères qui ont recours à une crèche à plein temps en parallèle de leur congé. Pour les parents moins bien dotés, les stratégies de résistance à l’assignation au foyer sont plus « familiales », qu’il s’agisse de confier ponctuellement les enfants à leur mère ou à leur belle-mère, ou d’aménager le travail parental en y incluant des sorties. Concernant la possibilité de créer de nouveaux liens, sans surprise, ce sont les mères les mieux dotées qui semblent y parvenir avec le plus de facilité, par leur investissement associatif. Dans une moindre mesure, quelques mères de classes moyennes y parviennent également en investissant des lieux autour des enfants, comme Valérie ou Karen. Pour d’autres parents, le congé parental peut être l’occasion de réactiver ou de maintenir des liens plus anciens.

conclusion

Le congé parental constitue une situation d’isolement, par les contraintes temporelles et matérielles de prise en charge du jeune enfant. Ce dernier entrave les mouvements du parent, tant par le rythme qu’il impose en termes d’alternance éveil/sieste que par le matériel à prendre en cas de sorties. Cependant, ces obstacles semblent pouvoir être levés facilement, en prenant le risque de diminuer le confort de l’enfant (en le faisant dormir dans une poussette par exemple) pour s’autoriser à sortir. Le sentiment de solitude n’est donc pas provoqué mécaniquement par les conditions de vie du congé, mais découle de la difficulté du parent à s’abstraire de la « charge mentale » (Haicault, 1984) de l’enfant. En effet, les parents rencontrés investissent le congé sur le mode d’une parentalité intensive. Si le congé parental n’est pas codé socialement comme un « passage obligé » (pour les mères) comme c’est le cas en Finlande avec le congé de maternité, on peut néanmoins observer des parallèles entre leurs expériences (Martiskainen, 2011). Dans les deux cas, le congé est pensé comme un temps « court ». Pour les mères en congé parental, ce sentiment de brièveté est associé à la rapidité de l’évolution de l’enfant, comme Valérie et Juliette (en congé parental pendant six mois pour son deuxième enfant, deux enfants, juriste dans la fonction publique, conjoint géomètre) qui disent avoir pris le congé pour ne pas passer à côté des « premières fois » de leurs enfants. Pour les pères (notamment les pères cadres de notre échantillon), cette brièveté renvoie à un congé court (six mois en moyenne pour ces pères, contre deux ans pour les pères rencontrés), vécu comme une parenthèse dans leur trajectoire biographique pour se consacrer à leur paternité, comme dans le cas d’Antoine. Le temps court du congé (à l’échelle de la trajectoire biographique du parent) est alors adjoint implicitement de l’injonction hédoniste « d’en profiter », et passer le plus de temps possible avec l’enfant. Ainsi, la volonté des parents de jouir de ce temps avec leurs enfants se transforme en contrainte, dans la mesure où tout le temps du parent devrait être consacré à l’enfant, sur le modèle de la « maternité intensive » et de la « disponibilité permanente », afin de garantir le bien-être de l’enfant. Cette présence intensive à l’enfant (sur le plan matériel et de l’investissement mental du congé) conduit à une diminution de l’identité personnelle au profit du rôle statutaire, d’où la plainte des parents en congé du manque de temps pour soi (et du temps de couple). Dans cette perspective, le temps « solitaire » (qu’il soit passé dans une situation d’isolement ou avec d’autres adultes) est construit comme l’opposé du temps parental, et comme l’occasion d’être autre chose qu’une mère ou qu’un père.

Dès lors, la plainte de la solitude exprime le paradoxe ressenti par les parents entre la joie qu’ils estiment qu’ils devraient ressentir à être à plein temps auprès de leurs enfants, et le vécu des journées : la lassitude liée à des journées répétitives, une fatigue qui serait physique mais pas mentale, le manque de challenge intellectuel… Ces points négatifs sont souvent mis en opposition avec l’activité professionnelle, qui permettrait de rompre avec l’ennui de journées qui se ressemblent et de parler avec d’autres adultes. Or, plutôt qu’une opposition entre isolement du congé parental et sociabilité de l’activité professionnelle, ce qui apparaît en filigrane, c’est plutôt la possibilité de ne pas être réduit à un rôle statutaire et de pouvoir exprimer son identité personnelle et y consacrer du temps (notamment pour les mères).

Les parents en congé ne sont pas égaux devant ce risque en fonction de leur sexe. Les mères, du fait des représentations sociales associées à la « bonne » maternité, sont plus susceptibles d’adhérer à cet idéal de la dévotion maternelle aux enfants, mais aussi au foyer. De fait, leur temps « libre » comporte souvent un moment consacré aux tâches ménagères, et les sorties qu’elles organisent incluent souvent les enfants. À l’inverse, les journées ou les semaines des pères comportent souvent des moments de « temps pour soi », puisque le rôle de père n’est pas construit sur ce modèle de dévouement, mais au contraire sur une disponibilité conditionnelle. Au-delà des rôles et des représentations intériorisées par les parents en congé, cet écart entre pères et mères peut être renforcé par l’attitude des conjoints. En effet, si les pères en congé manifestent une inversion du genre, c’est moins vrai pour leurs conjointes : elles sont davantage susceptibles de prendre en charge les tâches ménagères et parentales le soir et le week-end, et de comprendre le « besoin de solitude » de leur conjoint. À l’inverse, les mères en congé regrettent que leur conjoint ne les aide pas davantage à la maison.