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À la fin des années 1970, les travaux de Pierre Bourdieu ont jeté les bases d’une nouvelle sociologie du goût. Bourdieu postulait l’existence de classes sociales stables et homogènes, se reproduisant dans le temps par la transmission d’un capital non seulement économique, mais surtout symbolique. La notion de capital symbolique suppose l’existence d’une culture légitime, c’est-à-dire de ressources culturelles (goûts, attitudes, connaissances, manières, etc.) dont l’acquisition est socialement reconnue comme désirable, mais qui demeurent inégalement distribuées en raison de modes exclusifs de transmission par la famille et par l’école. La sociologie bourdieusienne postule ainsi l’existence de fortes homologies entre l’espace des classes sociales, définies en fonction du volume et de la structure de leur capital, et l’univers du goût. Sa vision de la culture légitime, à la fois imposée et monopolisée par les classes dominantes, s’appuie sur le modèle de la culture générale hérité des Lumières qui suppose une familiarisation précoce avec les oeuvres de la culture savante occidentale.

Au cours des 20 dernières années, les éléments centraux de la sociologie bourdieusienne du goût ont fait l’objet de très intenses critiques. D’une part, dans le domaine de la stratification sociale, c’est la pertinence même du concept de classe sociale pour comprendre les formes contemporaines de l’inégalité sociale qui est remise en cause. Avec la multiplication des trajectoires individuelles liée notamment à l’entrée massive des femmes sur le marché du travail rémunéré, à la déstabilisation des structures familiales traditionnelles, à la multiplication des champs d’études et des filières professionnelles ainsi qu’à la précarisation généralisée de l’emploi, certains annoncent que le rêve méritocratique fonctionnaliste est aujourd’hui devenu réalité, en autant que les positions sociales sont maintenant distribuées principalement sur la base d’un mélange de chance et de talent (Schecter et Paquet, 2000). D’autre part, dans le domaine de la culture, nombreux sont ceux qui affirment qu’il n’existe plus dans les sociétés postmodernes de formes collectives d’exclusion dans la mesure où aucun critère absolu de goût n’arrive à s’imposer comme légitime (Pakulski et Waters, 1996, p. 122). Avec l’émergence de cultures jeunes, le brouillage des frontières entre culture savante et populaire, l’explosion d’affirmations identitaires multiples, la prolifération des objets de consommation et la fluidité des significations qui leur sont attachées, c’est la notion même de culture légitime qui est remise en cause. Tandis que certains déplorent l’effondrement des hiérarchies culturelles, voyant dans le « tout se vaut » postmoderne un appauvrissement de la « vie avec la pensée » (Finkielkraut, 1987) ou encore une régression vers les pulsions instinctuelles (Bloom, 1987), d’autres célèbrent les possibilités renouvelées d’autonomie individuelle hors des contraintes de la tradition ou de la distinction (Lipovetsky, 1987).

Les positions que nous avançons dans cet article vont à l’encontre de ces courants de fond de la pensée sociologique contemporaine. En effet, devant le brouillage actuel des hiérarchies culturelles et des mécanismes de transmission des inégalités, nombreux sont les auteurs qui vont conclure que l’on assiste actuellement à l’effondrement de toute forme structurelle d’inégalité sociale. Pourtant, s’il est aujourd’hui devenu plus difficile de concevoir l’existence de classes sociales homogènes et bien délimitées, cimentées par une même culture de classe et se reproduisant massivement dans le temps, les enquêtes sur les pratiques culturelles n’appuient pas les visions de la culture comme univers indifférencié, fragmenté à l’extrême et répondant uniquement au narcissisme individuel. Comment, entre la « grille de plomb » de l’analyse de Bourdieu (Lipovetsky, 1987) et l’indifférenciation postmoderne, continuer à penser les inégalités liées à la culture dans les sociétés où l’accès au savoir et à l’information est de plus en plus considéré comme un axe majeur de différenciation sociale (Castells, 1998) ? Tout en prenant acte à la fois de l’effritement actuel des hiérarchies sociales et culturelles et des limites du modèle bourdieusien, nous tentons dans cet article d’apporter quelques éléments de réponse à cette question.

Le point de départ de notre réflexion est la thèse, avancée notamment par Richard Peterson (1992), selon laquelle il existe dans le monde actuel une polarisation croissante entre une classe éduquée d’« omnivores » ou branchés culturels, dont les goûts et les pratiques sont éclectiques et diversifiés, et une classe moins éduquée d’« univores » ou exclus, dont les répertoires et les pratiques sont plus restreints. Notre principal objectif est de jeter un regard critique sur le corpus sociologique qui s’est construit autour de cette thèse au cours de la dernière décennie. Nous présentons deux pistes de recherche visant à mieux cerner, au-delà des régularités empiriques et des associations statistiques, les enjeux du discours actuel sur la diversité.

Notre première piste de recherche s’appuie sur ce qui a été avancé déjà par Peterson (1992), à savoir que l’on assiste actuellement à l’émergence d’une nouvelle forme de culture légitime, fondée non plus sur la familiarité exclusive avec les oeuvres de la culture savante occidentale, mais plutôt sur la valorisation de l’éclectisme et du cosmopolitisme culturels, que nous appelons plus précisément l’ouverture ostentatoire à la diversité (Fridman et Ollivier, 2002). Poussant plus loin l’analyse, nous explorons l’hypothèse selon laquelle cette nouvelle culture légitime s’inscrit dans un univers discursif plus large, fondé sur un ensemble hiérarchisé d’oppositions binaires dont les manifestations traversent l’ensemble de la vie sociale. On retrouve des termes à connotations positives tels que diversité, ouverture, éclectisme, cosmopolitisme, global, branché, éduqué, dominant et désirable qui se trouvent opposés à des termes aux significations négatives ou ambiguës tels que fermé, unitaire, homogène, local, exclusif, rétrograde, dominé et donc non désirable.

Notre deuxième piste de recherche se dessine autour de l’idée que l’accentuation symbolique de ces oppositions produit dans différents champs des effets remarquablement similaires. À travers une analyse exploratoire des débats actuels sur l’éclectisme des goûts et le cosmopolitisme politique, nous cherchons à montrer que l’opposition entre diversité et homogénéité offre un réservoir de significations socialement légitimes à partir desquelles s’articulent différentes stratégies statutaires et identitaires. Dans l’univers du goût, cette culture légitime présente comme allant de soi des valeurs plus étroitement liées aux ressources des groupes les plus privilégiés. L’ouverture ostentatoire à la diversité fonctionne ainsi comme capital culturel, au sens bourdieusien d’un élément culturel largement reconnu comme désirable mais dont les conditions d’appropriation sont inégalement distribuées dans l’espace social. Dans le domaine politique, les débats actuels sur le cosmopolitisme montrent que le discours de l’ouverture à la diversité peut être utilisé par des groupes — classes, nations, ethnies — différemment situés dans un champ donné pour légitimer leurs propres pratiques et dévaloriser celles de groupes avec lesquels ils sont en conflit.

« Omnivores » et « univores »

La thèse d’une polarisation entre « omnivores » et « univores » culturels s’appuie sur une série d’enquêtes réalisées au cours des 20 dernières années (voir entre autres Peterson, 1992 ; Peterson et Kern, 1996 ; Bryson, 1996 ; Erickson, 1996 ; Donnat, 1994 ; Warde, Martens et Olsen, 1999 ; Holt, 1998 ; Seabrook, 2000). Réalisées dans différents pays d’Europe et d’Amérique du Nord, portant sur des différents sujets (connaissance et appréciation de genres culturels, connaissance et appréciation d’oeuvres et d’artistes, fréquentation de différents types de restaurants, attitudes à l’égard des objets de consommation) et utilisant une gamme d’outils méthodologiques (entrevues ethnographiques, analyse statistique de grandes enquêtes, histoire culturelle et sociale), ces enquêtes font état de résultats remarquablement similaires.

En effet, quelle que soit la mesure de position sociale utilisée (éducation, revenu, indice de statut socioéconomique ou catégorie socioprofessionnelle) ou de la représentation de l’espace social qui lui est associée (échelle linéaire de statut ou univers distincts fondés sur un ensemble plus complexe d’indicateurs tels que la profession, l’âge et le lieu de résidence), ces études démontrent que plus on s’élève dans l’espace social, plus les goûts sont diversifiés. Inversement, plus on descend dans l’échelle des ressources socioéconomiques et que s’accumulent les désavantages, plus les goûts sont restreints. Les travaux de Bryson (1996, 1997) ont montré de plus que les membres peu éduqués de minorités ethniques ou raciales font également état de goûts plus restreints. Selon Peterson (1992), l’opposition entre « omnivores » et « univores » se serait substituée à celle plus ancienne entre une élite culturelle snob d’une part, manifestant un goût exclusif pour les oeuvres de la culture savante classique ou d’avant-garde et méprisant les formes commerciales de la culture populaire, et la masse d’autre part, caractérisée par la consommation indifférenciée des produits médiocres de la culture commerciale. Dans son analyse des transformations du magazine The New Yorker, par exemple, John Seabrook affirme :

Pendant plus d’un siècle, c’est ainsi que le statut a fonctionné en Amérique. Vous accumuliez d’abord de l’argent dans une quelconque entreprise commerciale ; ensuite, pour consolider votre position sociale et vous distinguer des autres, vous cultiviez un dégoût pour les divertissements bon marché et les spectacles vulgaires de la culture de masse.

2000, p. 17, traduction libre

De nombreuses études indiquent également qu’en plus d’une ouverture à la diversité, le goût cultivé se caractérise par une attitude cosmopolite, c’est-à-dire par une préférence marquée pour l’exotique et le lointain (Warde, Martens et Olsen, 1999 ; Holt, 1998). En matière de goût, l’attitude cosmopolite se traduit ainsi par un effort de valorisation d’éléments culturels « très éloignés conceptuellement de ce qui est considéré comme la norme à l’intérieur d’une catégorie sociale donnée » (Holt, 1998, p. 13, traduction libre). Selon Holt (1998), la distinction entre local et cosmopolite serait l’un des axes majeurs de différenciation entre les groupes situés aux extrêmes de l’échelle sociale, les plus favorisés ayant par exemple tendance à préférer les cuisines ethniques ou encore les voyages axés sur une rencontre authentique avec des cultures locales éloignées. L’attitude cosmopolite contemporaine se distinguerait non seulement par les produits consommés, mais également par un mode particulier d’appropriation du lointain, fondé sur une volonté de vivre l’expérience de la diversité culturelle dans le respect de son authenticité et de son intégrité, par opposition à l’homogénéisation culturelle qui réduit les différences à un plus petit dénominateur commun (Bruckner, 1994).

Si l’hypothèse d’une polarisation des goûts entre « omnivores » et « univores », ou encore entre cosmopolites et locaux, est appuyée enquête après enquête, elle a par contre suscité des interprétations quelque peu divergentes. Une première interprétation, celle de Peterson, se situe dans le prolongement direct des thèses de Bourdieu sur le goût et la distinction de classe. Bien que les premiers travaux de Peterson (1992) se soient présentés comme réfutation partielle des thèses de Bourdieu sur le goût, ils ne remettent pas en cause la logique de la distinction comme principe explicatif de la consommation culturelle. Loin de marquer l’effondrement des hiérarchies culturelles et de la distinction de classe, l’opposition entre « omnivores » et « univores » est interprétée comme une transformation de ses manifestations en regard des changements actuels dans les relations sociales.

En effet, comment réintroduire un effet de rareté, source de profits symboliques de distinction, devant la multiplication de l’offre culturelle et l’effondrement des hiérarchies esthétiques liées à la culture classique ? La valorisation de l’éclectisme et du cosmopolitisme des goûts présente une solution partielle à ce problème de la distinction dans les sociétés postmodernes, puisque c’est une attitude qui exige la réunion de nombreux atouts en matière de capital culturel, de disponibilité personnelle et de proximité par rapport à l’offre culturelle (Donnat, 1994, p. 343). En ce sens, on peut affirmer que l’ouverture ostentatoire à la diversité reflète plus étroitement les ressources culturelles des classes les plus éduquées, en autant qu’elle présente comme désirables des attitudes qui leur sont plus facilement accessibles en raison de la plus grande diversité de leurs répertoires culturels. Holt (1998) souligne également que ce sont surtout les plus favorisés qui recherchent les mélanges éclectiques et qui font de la consommation un projet individuel d’actualisation de soi. L’éclectisme des goûts et le mélange des genres, loin d’être une caractéristique universelle du sujet postmoderne, apparaissent au contraire comme fortement tributaires de l’origine sociale et du capital culturel.

De la même façon, la prédilection pour l’exotique réintroduit dans l’univers du goût un effet de rareté lié au caractère lointain, et donc moins accessible, des éléments culturels qui sont considérés comme tels. En effet, ce sont surtout les plus privilégiés, disposant de vastes ressources culturelles et d’une grande capacité de voyager, physiquement et métaphoriquement, dans toute la complexité des différentes cultures, qui sont les mieux à même de développer une véritable sensibilité cosmopolite (Bruckner, 1994). Selon Helms (1988), plus la distance entre l’objet consommé et le lieu de consommation est grande, plus l’objet est investi d’un pouvoir mythique. Dans le domaine culturel, s’opère ainsi une certaine sacralisation du local, mais d’un local lointain ou passé, défini comme authentique, par opposition au local proche et contemporain souvent perçu comme banal, ringard ou kitch.

Ce goût ou l’exotique n’est pas un élément entièrement nouveau. En effet, dans un article sur la consommation de perles de verre par les autochtones en Amérique pendant la première période de colonisation européenne, Turgeon (2002) constatait que, déjà à cette époque, dans leur grande majorité, les perles de verre utilisées par ces derniers étaient d’origine étrangère. En France, les mêmes perles ne valaient pas grand-chose, car elles étaient considérées comme des imitations de pierres précieuses telles que les diamants, les émeraudes et les rubis. Ce qui est nouveau, par contre, ce sont les modalités d’appropriation de ces objets exotiques et le rapport d’amalgame idéologique qui s’opère avec d’autres terrains du social, au-delà de la consommation d’élite. Mais nous reviendrons sur la spécificité du cosmopolitisme contemporain plus tard.

Il est également important de souligner que l’ouverture ostentatoire à la diversité n’est pas la seule stratégie de distinction qui s’offre aux élites culturelles. Loin d’être totalement indifférenciée, cette ouverture à la diversité chez les plus cultivés apparaît comme une disposition à géométrie variable, liée à des effets de distinction spécifiques relevant en partie de la dialectique du proche et du lointain. Par exemple, les travaux de Bryson (1996) indiquent que les genres musicaux les plus fréquemment rejetés par les plus tolérants sont les genres préférés par les moins éduqués (gospel, country, rap et heavy metal). Les genres qui sont les moins souvent rejetés par ces mêmes répondants (musique latine, jazz, blues, rythm and blues) sont ceux qui sont les plus appréciés par les individus issus de minorités ethniques noire et hispanique. Les dégoûts des personnes les plus tolérantes correspondraient aussi à des stratégies identitaires et statutaires qui valorisent un certain capital multiculturel tout en dévalorisant les genres appréciés par les moins éduqués, de qui ils sont plus proches dans l’espace social.

Une deuxième hypothèse interprétative, mise de l’avant par Bonnie Erickson (1996), se situe également dans le prolongement des thèses de Bourdieu sur la convertibilité du capital culturel en capital économique et social. Dans une étude des préférences culturelles dans les services de sécurité à Toronto, elle montre que les personnes occupant des positions dominantes (propriétaires et gestionnaires), en plus de connaître et d’aimer un plus grand nombre d’éléments culturels (revues culturelles et professionnelles, romans populaires et littérature, cinéma, restaurants, sports, etc.) comparé à ceux et celles occupant des positions subalternes, font également état de réseaux sociaux plus étendus, au sens où elles déclarent connaître un plus grand nombre de personnes dans un plus grand nombre de catégories sociales. Erickson en conclut que des répertoires culturels étendus représentent une source de profits non seulement symboliques, mais également matériels.

Dans cette perspective, la possession d’un capital culturel diversifié favoriserait l’insertion dans des réseaux sociaux plus larges, en permettant de naviguer plus facilement dans la multitude de micro-univers sociaux qui forment la trame de la vie sociale contemporaine. Le commentaire suivant d’un professionnel cambodgien d’origine chinoise, citoyen français travaillant à Singapour, illustre bien le rôle du cosmopolitisme culturel dans l’adaptation aux changements géographiques et sociaux des professionnels appelés à se déplacer fréquemment entre différentes cultures : « Lorsque nous étions en France, nous adorions manger de la cuisine asiatique. Maintenant que nous sommes à Singapour, nous voulons de la cuisine française » (Thompson et Tambyah, 1999, p. 29, traduction libre). Selon les auteurs, la consommation de cuisine asiatique en France et de cuisine française en Asie s’inscrit entre autres dans un effort conscient de minimiser de possibles difficultés d’ajustement lors des déplacements de la famille sur les deux continents. Ultimement, un capital social plus étendu favoriserait l’acquisition de capital économique ; de nombreuses études ayant démontré qu’un capital social composé de réseaux diversifiés de liens lâches, par opposition aux réseaux denses de liens primaires, sont essentiels à la réalisation d’objectifs tels que la réussite scolaire (DiMaggio, 1982), l’obtention d’un emploi (Granovetter, 1995) et le cheminement de carrière (Lin, 2000).

Sans remettre en cause le postulat du rôle essentiel de la culture dans la reproduction des inégalités sociales, qui est au coeur de l’analyse bourdieusienne, les travaux présentés ci-dessus prennent en compte les profondes transformations des relations sociales auxquelles on a assisté depuis la publication de La distinction il y a 25 ans. Dans un monde marqué par la multiplication des trajectoires sociales, la délégitimation des hiérarchies esthétiques, l’effritement des frontières entre les genres et l’individualisation des pratiques de consommation, l’ouverture ostentatoire à la diversité et des répertoires culturels étendus auraient remplacé la connaissance exclusive des oeuvres de la culture savante comme source de profits symboliques et matériels.

Il existe évidemment de nombreuses autres interprétations possibles des tendances actuelles à la valorisation de la diversité et du cosmopolitisme des goûts, qui font valoir que la recherche de profits symboliques et matériels ne constitue pas la seule, ni même la principale, finalité consciente ou inconsciente de la consommation culturelle. Ainsi, en s’appuyant sur les travaux de Bauman (1988), Warde, Martens et Olsen (1999) avancent l’hypothèse selon laquelle l’ouverture à la diversité constituerait une réponse à l’anxiété croissante liée à la multiplication des choix de consommation. Parce que la consommation est intimement liée à la construction de l’identité personnelle, elle représenterait une source d’anxiété d’autant plus grande que les choix sont aujourd’hui moins étroitement balisés par la tradition ou le statut social et que les individus sont présentés comme seuls responsables de leur propre destin :

Étant donné que les individus disposent d’une plus grande liberté dans la sphère de la consommation et que l’identité ne peut plus être garantie par la position sociale ni même lui être étroitement associée, des choix esthétiques malheureux vont transmettre des décisions regrettables et nuisibles sur le soi.

1999, p. 120, traduction libre

Dans ce contexte, la familiarité, même superficielle, avec une diversité d’objets culturels, alliée à l’idée selon laquelle toute expérience esthétique constitue une source d’enrichissement personnel, permettraient d’échapper à la nécessité du jugement esthétique et de réduire l’anxiété liée aux choix de consommation. On rejoint ici la thèse de Lipovetsky (1987) selon laquelle le monde actuel serait traversé par une tendance profonde à l’indifférence aux autres, corollaire d’un consensus largement partagé autour des valeurs d’ouverture et de tolérance, qui constitueraient les nouveaux fondements du lien social.

De la même façon, Thompson et Tambyah (1999) montrent que l’attitude cosmopolite des professionnels menant des carrières transnationales s’inscrit dans des projets identitaires complexes irréductibles à la logique de la distinction de classe. La valorisation du cosmopolitisme leur permettrait à la fois d’inscrire leur projet de vie dans un ensemble de significations socialement valorisées, de négocier les sentiments d’insécurité liés à un mode de vie marqué par l’isolement et la précarité d’emploi et de répondre aux besoins de la mondialisation néolibérale pour une main-d’oeuvre hautement spécialisée, dotée de grandes capacités d’adaptation culturelle et d’un très fort « capital de mobilité » (Allemand, 2004, p. 20).

D’autres auteurs soulignent la dimension de pouvoir symbolique qui sous-tend cette consommation cosmopolite. Ainsi, pour Cook et Crang (1996), la consommation interculturelle représente non seulement l’appropriation d’une autre culture, mais aussi l’appropriation d’un espace et d’un territoire. Dans une étude sur la consommation dans les restaurants ethniques, Turgeon et Pastinelli (2002) font remarquer que les individus ne s’identifient pas seulement à une culture à partir des nourritures qui lui sont propres, ils peuvent également s’identifier à elle en adoptant sa manière de manger ou même en s’appropriant délibérément la nourriture qu’un groupe rejette de manière explicite (en exprimant des dégoûts). Ainsi, si la nourriture était traditionnellement un élément distinctif des cultures nationales (clams du Massachusetts, pasties du Michigan, crawfish de la Louisiane, sirop d’érable du Québec, etc.), ce qui est plus récent c’est cette dynamique culturelle plus complexe qui implique une identification par la consommation et l’appropriation des plats et des manières de manger des autres cultures :

Tout comme les restaurants bourgeois du xixe étaient un lieu de consommation de la nation, à travers la représentation de la cuisine régionale (Aron 1975), les restaurants ethniques et leur version contemporaine, le restaurant international, sont devenus dans les sociétés postcoloniales un site pour la consommation du monde.

Turgeon et Pastinelli, 2002, p. 265

Finalement, dans une logique plus durkheimienne que bourdieusienne, Erickson (1996) suggère que des répertoires culturels diversifiés favorisent le maintien de liens sociaux qui transcendent les divisions de classe. Les événements sportifs, par exemple, sont très largement connus, appréciés et discutés par l’ensemble des participants à son enquête. Elle affirme que ces éléments culturels jouent un important rôle de facilitation des rapports sociaux au travail en fournissant des sujets de conversation qui établissent l’appartenance à un univers culturel commun. Erickson souligne ainsi le rôle essentiel joué dans toute collectivité par une culture commune, partagée par le plus grand nombre, source d’un sentiment d’appartenance collective.

À notre sens, ces interprétations ne sont pas nécessairement contradictoires. Comme l’ont affirmé de nombreuses critiques de l’approche bourdieusienne, on ne peut réduire le rapport à la culture au principe explicatif unique et totalisant de la compétition statutaire. Au contraire, les arguments que nous avançons ici supposent que la valorisation de la diversité culturelle s’inscrit dans un processus complexe et multiforme de transformation historique et sociale. On peut ainsi l’envisager à la fois comme manifestation de l’achèvement du projet moderne d’autonomie individuelle (Lipovetsky, 1987), comme réponse à l’anxiété suscitée par la multiplication des choix de consommation (Warde, Martens et Olsen, 1999), comme expression de projets identitaires individuels inscrits dans la mondialisation néolibérale (Thompson et Tambyah, 1999) et comme « lubrifiant » conversationnel facilitant les relations de travail entre groupes socioprofessionnels (Erickson, 1996). Cependant, parce qu’elle s’inscrit dans un ensemble de significations socialement valorisées et parce qu’elle suppose l’accès à des ressources culturelles, sociales et économiques inégalement distribuées, l’appréciation de la diversité et du cosmopolitisme produit aussi, et de façon souvent indépendante de la volonté ou de la conscience des agents, des effets de distinction.

Au-delà de leurs profondes divergences, ces interprétations révèlent un ensemble de facteurs dont l’action combinée contribue à la prégnance du thème de la diversité et du cosmopolitisme dans le discours social contemporain. Tout comme l’éloge de la diversité dans le domaine du goût semble constituer la clé de voûte d’une nouvelle culture légitime, nombre d’auteurs voient dans le cosmopolitisme « la nouvelle idée maîtresse » permettant de comprendre les dimensions politiques, identitaires et sociales des transformations sociales actuelles (Beck, 2001). Dans la prochaine section, nous explorons l’idée selon laquelle la valorisation de l’éclectisme et de la diversité s’inscrit dans un mouvement de fond de la pensée contemporaine. À travers une analyse de quelques exemples tirés du discours d’institutions, notamment les médias, les maisons d’enseignement, les agences gouvernementales et le monde universitaire, qui contribuent à définir la culture légitime, nous offrons une analyse sommaire des dispositifs discursifs qui constituent l’ouverture à la diversité en attribut éminemment désirable et qui définissent, de façon implicite, l’homogène et l’unitaire comme indésirables.

L’ouverture ostentatoire à la diversité : nouvelle culture légitime, nouveau discours social

Dans un article publié dans le quotidien Le Devoir au printemps 2001, le journaliste George-Hébert Germain décrivait en ces termes l’artiste Lewis Furrey : « C’est un junkie culturel, le genre qui voit tout, lit tout, écoute tout, du lourd et du léger, de l’ancien et du moderne, du très pointu et du gros épais. Le gars capable de fréquenter Bach et Eminem, Gladiator et Andromaque, Harlequin et la Pléiade dans la même journée » (Germain, 2001c). Dans un autre article, le même journaliste faisait valoir la variété des préférences musicales de l’animateur de journal télévisé Stephan Bureau, intitulant son article « Du violoncelle au rap » en référence aux genres musicaux très disparates choisis par l’interviewé pour accompagner l’entretien (Germain, 2001b). Dans un article sur l’auteur de chansons Luc Plamondon, le journaliste affirme : « Luc adore les sombres ruines et les villages fantômes autant que les grands hôtels lumineux et luxueux (...) il aime les cretons autant que le caviar, les grosses villes sales et brutales autant que le fond des bois. Il veut toujours goûter à tout, être de toutes les fêtes et en même temps avoir la sainte paix » (Germain, 2001a). Au-delà de leur caractère purement descriptif, ces entrevues ont aussi un effet normatif, en autant qu’elles présentent sous un jour uniformément favorable les préférences éclatées de personnes jouissant d’une certaine reconnaissance sociale.

Dans le domaine économique, on assiste au même phénomène, en autant que l’ouverture à la diversité est présentée comme la clé du succès pour les entreprises et les sociétés nationales. Par exemple, dans l’étude sur les pratiques culturelles des jeunes Québécois de 15 à 35 ans publiée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec en juin 2000, on affirme, en introduction :

La capacité d’adaptation du Québec aux changements profonds qui touchent de la même façon l’ensemble des pays industrialisés dépend à la fois des compétences et de la qualification acquises par la population de même que de sa capacité collective d’ouverture sur le monde. Qui mieux que les jeunes, avec la créativité, le dynamisme et l’esprit d’innovation qu’on leur reconnaît est en mesure de faire face à de nouvelles réalités ? Quelle plate-forme autre que celle de la culture, lieu privilégié d’intégration sociale des jeunes, offre de meilleures chances d’actualiser leur potentiel ? (...) Les pratiques culturelles des jeunes, riches et diversifiées, sont un atout majeur du développement social et économique du Québec.

Séguin-Noël et Garon, 2000, n.p., nos italiques

Dans ce texte, on retrouve les éléments clés du discours actuel sur la diversité. On y affirme, premièrement, que la capacité d’adaptation au changement d’une société repose en grande partie sur les compétences et l’ouverture au monde de sa population. Deuxièmement, l’ensemble du rapport suppose que l’acquisition de ces compétences passe par l’accès à la culture, au sens de pratiques qui comprennent aussi bien la lecture et la fréquentation des musées que l’écoute de la télévision et l’usage des technologies d’information et de communication. Troisièmement, on en conclut que l’ouverture sur le monde et la diversité des pratiques culturelles, surtout chez les jeunes, constituent la clé du développement économique et social de demain (Séguin-Noël et Garon, 2000).

Ces propos rejoignent ceux que l’on retrouve dans un supplément publicitaire du magazine hebdomadaire du New York Times sur « Le pouvoir et la raison d’être de la diversité », où l’on affirme que « les entreprises qui font de la diversité un de leurs objectifs fondamentaux sont sur une voie d’accès direct au succès à long terme ». Elles sont en mesure « d’embaucher de meilleurs employés, de répondre plus efficacement à la demande des consommateurs, d’attirer les investisseurs et ultimement de battre la compétition » (2001, p. 69, traduction libre). Ici encore, l’ouverture à la diversité au sein des entreprises est présentée comme désirable, non comme attribut des élites culturelles, mais comme stratégie gagnante dans la société du savoir.

Dans le domaine de l’éducation, on peut citer l’exemple des très populaires programmes de baccalauréat international destinés aux élèves des cycles primaire, secondaire et collégial, qui visent explicitement le développement de la tolérance et d’une meilleure compréhension interculturelle.

Le bi met fortement l’accent sur les idéaux de la compréhension internationale et de la formation de citoyens du monde responsables afin que les élèves qui suivent ces programmes fassent preuve d’une pensée critique et d’une attitude bienveillante envers autrui, qu’ils continuent à apprendre tout au long de leur vie et qu’ils participent de façon éclairée aussi bien à la vie locale qu’aux affaires mondiales, étant conscients d’appartenir à une communauté humaine qui unit tous les peuples, tout en respectant la diversité des cultures et des attitudes qui sont la richesse de la vie.

obi, 2002, n.p., nos italiques

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la valorisation de la diversité se retrouve aussi au coeur des stratégies publicitaires des entreprises internationales, surtout celles qui visent le très lucratif marché mondial des jeunes. Dans son bestseller No Logo, Naomi Klein souligne que devant la multiplication des revendications identitaires des jeunes, « il n’y avait qu’une chose à faire : toute entreprise prévoyante devait intégrer, dans son identité de marque, des variations sur le thème de la diversité » (Klein, 2001, p. 148).

Même s’ils reposent sur des règles d’énonciation différentes de celles de la publicité ou du journalisme culturel, les travaux des sociologues de la culture contribuent à l’articulation de cet univers discursif, en autant qu’ils attachent uniformément à la diversité des connotations positives, notamment en employant des termes tels que « tolérance » et « intolérance » pour caractériser les différentes attitudes selon le niveau d’éducation. Tout en dénonçant les nouvelles formes d’inégalités sociales entraînées par la valorisation de la diversité, ces travaux contribuent néanmoins à renforcer l’association entre ce qui est diversifié, dominant et désirable. Ils démontrent, d’une part, que l’ouverture à la diversité et la tolérance sont des attributs propres aux groupes dominants ou majoritaires, sur le plan socioéconomique ou ethnique/racial, et, d’autre part, que ces attitudes constituent dans le monde actuel une importante source de profits symboliques et matériels. Nous reviendrons sur ces résultats de recherche dans la prochaine section.

Enfin, la rhétorique de la diversité se retrouve également au coeur des débats sur le cosmopolitisme dans la pensée politique contemporaine. Dans son ouvrage sur l’Amérique postethnique par exemple, David Hollinger (1995) oppose deux conceptions du multiculturalisme. D’une part, le multiculturalisme cosmopolite reposerait sur une conception individualiste et volontariste de l’identité, où chaque individu se composerait à la carte, à partir des divers éléments de son patrimoine culturel, une identité qui lui est propre. Le cosmopolitisme mènerait alors à l’émergence ex nihilo, au gré des accidents de l’histoire et de la géographie, de nouvelles communautés ethniques ou culturelles. À cette conception fluide et hybride de l’identité cosmopolite, Hollinger oppose le multiculturalisme pluraliste, fondé sur « les revendications de la tribu et de la nation » (2001, p. 238) et visant la préservation d’identités collectives primaires, homogènes et permanentes, ancrées dans une mémoire commune et tournées vers la survivance. Pour Hollinger, le multiculturalisme cosmopolite est infiniment préférable à la position pluraliste, puisqu’il entraîne une profonde intégration sociale et qu’il réduit les possibilités de conflit entre collectivités ethniques, raciales ou culturelles. L’opposition entre cosmopolitisme et pluralisme reproduit encore une fois l’opposition entre cultures ouvertes, éclectiques et désirables d’une part et celles qui sont perçues comme homogènes, intolérantes et fermées sur elles-mêmes d’autre part.

Au-delà de leur caractère anecdotique et nécessairement limité, ces exemples illustrent néanmoins ce qui nous apparaît comme une tendance forte du discours social dans le monde actuel. Dans tous les cas, l’ouverture à la diversité est présentée sous un jour invariablement positif : tantôt comme une source de pouvoir et de statut, tantôt comme marque distinctive des élites culturelles branchées, ou encore comme clé de la réussite individuelle, comme moteur du développement économique et social des nations et comme moyen d’accroître la compréhension entre les peuples. Ce qui se met ainsi en place, c’est un dispositif discursif qui amalgame, par glissements successifs, des termes tels que diversité, ouverture, cosmopolitisme, éduqué, branché, éclairé, dominant et désirable, qui se trouvent opposés à d’autres termes tels que fermeture, repli sur soi, intolérance, exclu, dominé et donc non désirable. En somme, des univers sémantiques bien différenciés qui constituent des visions légitimes et, par opposition, des représentations illégitimes d’un certain type de relations sociales.

L’éloge de la diversité apparaît ainsi comme figure clé d’une nouvelle forme de culture légitime fondée sur une transformation de l’idéal de la personne cultivée, en phase avec les exigences d’un monde globalisé, où les classes et les cultures ne sont plus ni étanches ni homogènes, et dans lequel dominent les notions de flexibilité et d’adaptation au changement. Alors que la conception classique de l’homme cultivé supposait une familiarité avec les oeuvres de la culture savante occidentale, la personne cultivée du nouveau millénaire serait celle qui connaît et qui aime, même de façon superficielle, un mélange éclectique de formes artistiques issues d’univers culturels traditionnellement considérés comme distincts. Pour reprendre l’expression qui sert aujourd’hui à identifier la chaîne culturelle de la radio d’État canadienne, la culture légitime n’est plus celle de « la Culture », mais bien celle de « toutes les cultures ». Alors que les guerres internationales et les luttes de décolonisation qui ont marqué le xxe siècle ont ébranlé l’idéal des Lumières selon lequel la « vie avec la pensée » (Finkielkraut, 1987) constituerait un gage de moralité, de justice et de paix sociale, l’idée qui s’impose aujourd’hui est que c’est l’ouverture à la diversité et le mélange des cultures qui mèneront à la compréhension mutuelle et à l’harmonie entre les peuples.

Sans nier qu’un capital culturel diversifié représente un net avantage dans le monde contemporain, et sans nier non plus que l’ouverture à la diversité soit dans tous les domaines de la vie sociale infiniment préférable à l’intolérance, il faut néanmoins reconnaître que se met en place un ensemble de notions hiérarchisées qui orientent et structurent les stratégies individuelles et l’action collective. Parce qu’elle s’impose comme allant de soi et comme universellement désirable, la rhétorique de l’ouverture à la diversité délimite un ensemble de stratégies considérées comme plus ou moins légitimes. Elle offre ainsi un puissant répertoire de significations mouvantes qui deviennent autant d’enjeux de lutte entre des groupes sociaux possédant un pouvoir inégal de définition de soi. Comment, en effet, s’opposer aujourd’hui au principe de l’ouverture tous azimuts sans apparaître comme totalement rétrograde ? Dans cette configuration discursive, toute attitude ou revendication qui semble aller à l’encontre du principe de l’ouverture, par exemple des dégoûts pour certains genres musicaux ou encore l’affirmation d’identités collectives fortes, se trouve facilement assimilée au pôle de la fermeture et de l’intolérance. L’acceptation massive de la valeur de la diversité et du cosmopolitisme dans des champs aussi diversifiés que le marketing, l’éducation et les sciences sociales suggère même qu’un nouveau sens commun est en voie de s’installer. Devant ce qui semble relever du sens commun, et donc de l’évidence, notre métier de sociologue nous dit qu’il faut se méfier. Dans le reste de cet article, nous nous interrogeons donc sur les intérêts et les rapports de pouvoir qui sous-tendent cette nouvelle légitimité, d’abord dans le domaine du goût et ensuite dans le champ politique.

Ouverture ostentatoire à la diversité et cosmopolitisme culturel

En regard de ce qui précède, on peut affirmer que le succès de la thèse « omnivores »-« univores » repose en partie sur le fait qu’elle propose une image simple et forte des transformations sociales actuelles, qui s’inscrit de surcroît dans une configuration discursive émergente qu’elle contribue à articuler davantage. En ce sens, l’image d’une polarisation entre « omnivores » et « univores » proposée par les recherches sociologiques sur le goût va bien au-delà d’une simple description de la réalité empirique. En effet, elle contribue à rendre légitime ce glissement sémantique qui associe l’ouverture à la diversité à ce qui est dominant et à ce qui est désirable. D’une part, elle lie la consommation culturelle des plus éduqués au pôle socialement valorisé de l’ouverture, tandis qu’elle relègue les pratiques culturelles des moins éduqués et des minorités culturelles à celui de la fermeture. D’autre part, elle renforce l’idée selon laquelle le multiple et l’éclectique sont nécessairement désirables, en autant qu’elle met l’accent uniquement sur les bénéfices matériels et symboliques liés à un capital culturel et social diversifié. Or, ces deux propositions sont loin d’être évidentes.

En ce qui concerne l’association des goûts dominants au pôle socialement valorisé de l’ouverture, les enquêtes démontrent que l’éclectisme des plus éduqués est loin d’être uniforme. Comme l’ont démontré Bryson (1996) et Holt (1998), le goût pour l’exotique et le lointain, c’est-à-dire pour ce qui est conceptuellement éloigné de l’univers culturel ambiant, introduit d’importantes variations dans l’indifférencié du tout culturel. Peterson et Simkus (1992) ont également démontré que le goût pour la culture savante continue d’ancrer le pôle supérieur des hiérarchies esthétiques et de fonctionner comme capital culturel, dont la connaissance confère, notamment dans le milieu scolaire, d’importants avantages (Soares, 2002 ; Sullivan, 2002). Finalement, en utilisant des techniques d’analyse factorielle, Donnat (1994), Coulangeon (2003) et van Eijck (2001) ont répertorié une diversité d’univers de goût opposant notamment les goûts « omnivores » mais classiques des diplômés universitaires plus âgés aux goûts tout aussi « omnivores » mais plus éclectiques des diplômés plus jeunes. Il existe donc une pluralité de manières d’être « omnivores » qui ne sont pas équivalentes entre elles.

Quant au goût « univore », on peut affirmer qu’il souffre, dans les travaux actuels, de la même sous-spécification que le goût populaire dans la théorie de Bourdieu, en autant qu’il est principalement caractérisé par le manque et la négativité. Par exemple, l’utilisation par Bryson (1996) de termes tels que « tolérance » et « intolérance » pour décrire les goûts des plus et des moins éduqués est particulièrement malheureuse en raison des connotations positives et négatives qui leur sont attachées. On tombe facilement dans un certain misérabilisme (Passeron et Roman, 2002), qui valorise la consommation culturelle des plus éduqués et analyse celle des moins éduqués uniquement sous l’angle d’un manque de ressources. Si l’on accepte, avec Passeron, que la culture est le moyen de penser comme vivables les conditions dans lesquelles on vit (2002, p. 156), on peut concevoir le rapport à la culture des personnes ou groupes qui sont désavantagés sur les plans économique, culturel et social non pas comme déficience par rapport à l’idéal de l’ouverture, mais comme s’inscrivant dans des stratégies identitaires et statutaires ayant une logique et une cohérence qui leur sont propres. Nous reviendrons plus loin sur cette question.

De plus, comme la plupart des enquêtes sur les pratiques culturelles ne distinguent pas entre les répertoires culturels, c’est-à-dire cette partie du capital culturel qui se réfère à la connaissance des arts et de la culture, et le goût, qui repose sur la capacité de juger, de distinguer et de hiérarchiser, elles ne permettent généralement pas de déterminer si l’éloge de la diversité chez les plus éduqués relève d’une plus forte adhésion au principe même de l’ouverture à la diversité ou si elle reflète tout simplement les plus vastes ressources culturelles dont ils disposent. L’étude de Donnat, qui est l’une des seules à explorer systématiquement le rapport entre les dimensions cognitive et normative des pratiques culturelles, souligne que les gens ont massivement tendance à aimer ce qu’ils connaissent (1994, p. 37). Cela suggère que si les personnes plus favorisées ont des goûts plus diversifiés, c’est d’abord et avant tout parce qu’elles ont des connaissances culturelles plus étendues. Ainsi, on peut imaginer qu’une personne ayant des connaissances limitées des arts et de la culture affirme aimer tous les genres artistiques, mais que ses goûts tels que mesurés dans les enquêtes soient plus restreints en raison de ses connaissances culturelles plus limitées. Une vedette de la musique country traditionnelle affirmait ainsi récemment en entrevue radiophonique aimer « tous les genres de musique », mais les exemples fournis appartenaient tous au domaine de la pop légère (Céline Dion et Isabelle Boulay) plutôt que de s’étendre par exemple à la musique classique, jazz ou afro-cubaine. Dans ce cas, les goûts « univores » des moins éduqués et des minorités culturelles ne seraient pas fonction de leur plus grand degré d’intolérance, et donc d’un refus de principe de l’ouverture à la diversité (Bryson, 1996), mais tout simplement une expression de connaissances plus restreintes du monde des arts et de la culture. Loin d’indiquer une différence fondamentale d’attitude opposant ouverture et tolérance d’une part au repli sur soi et à l’intolérance d’autre part, l’expression de goûts et de dégoûts apparaîtrait comme étant au moins en partie liée aux différences de volume et de diversité du capital culturel, et donc à la position dans un espace social à multiples dimensions. Si tel est le cas, le discours savant sur les pratiques culturelles viendrait renforcer une certaine forme de domination culturelle, en associant les pratiques des moins éduqués et des minorités culturelles au pôle moins valorisé et donc illégitime de l’intolérance et de la fermeture.

Par ailleurs, il est aussi frappant de constater que les travaux portant sur la thèse « omnivores »-« univores » acceptent généralement l’idée selon laquelle l’ouverture à la diversité serait universellement désirable. Or, de nombreuses recherches démontrent que l’ouverture tous azimuts à la diversité culturelle ne représente pas toujours la meilleure stratégie pour les groupes occupant une position de moindre pouvoir dans un espace donné. Par exemple, les débats sur les avantages et les désavantages de l’éducation bilingue en milieu minoritaire indiquent que l’apprentissage précoce d’une langue seconde peut avoir des effets additifs ou soustractifs selon les circonstances (Landry et Allard, 1999). Dans des conditions où la langue première est florissante et protégée par des institutions culturelles fortes, l’apprentissage d’une langue seconde viendrait ajouter une compétence additionnelle sans réduire le bagage des acquis de base. Par contre, dans les situations où la langue première est faiblement implantée, l’éducation bilingue pourrait avoir des effets soustractifs, entraînant la disparition de la langue première ou encore une connaissance imparfaite des deux langues. Dans ce dernier cas, l’ouverture à la diversité, surtout si elle est interprétée du point de vue de l’ouverture sans entrave à la culture dominante, ne constitue pas nécessairement pour les groupes minoritaires une source d’enrichissement culturel.

De la même façon, la controverse autour du statut culturel du spanglish en territoire américain illustre bien les tensions entre différents types de stratégies identitaires. Des positions qui sont devenues très répandues dans le champ des études culturelles et postcoloniales réclament la légitimité de cette langue parlée par la minorité la plus importante aux États-Unis, comme un espace d’addition d’éléments culturels et d’enrichissement de compétences. Cette représentation fait partie d’un discours plus large de valorisation du métissage et de l’hybridité, qui ne prend pas toujours en compte le contexte social dans lequel l’usage d’une langue minoritaire mène soit à l’enrichissement, soit à l’enfermement culturel. Mais la défense du statut linguistique des langues hybrides n’est pas un phénomène nouveau. Déjà Bourdieu, dans « Ce que parler veut dire » (1984), critiquait sévèrement les positions de certains sociolinguistes qui défendaient l’égalité de la valeur des slang ou des dialectes des groupes minoritaires, car, même avec les meilleures intentions, ils ne tenaient pas compte du caractère socialement illégitime de ces manières de parler qui s’avéraient stigmatisantes et qui renvoient toujours à un espace de soumission hiérarchique, qui réduit la mobilité sociale ascendante du groupe, et de soustraction culturelle.

Il n’est ainsi pas étonnant que dans les débats actuels sur la diversité culturelle et le commerce international, ce soient surtout les entités transnationales occupant des positions de force dans les marchés mondiaux qui réclament, en s’appuyant sur le principe d’ouverture, l’abolition des barrières nationales et la libre circulation des produits culturels. Il n’est pas non plus étonnant que les tenants d’un contrôle national aient remplacé le terme « exemption culturelle » par celui de « diversité culturelle », qui a l’avantage d’inscrire les mesures protectionnistes vers le pôle socialement valorisé et légitime du discours sur la diversité. Dans le même sens, Paola Melchiori (2000), dans une analyse des débats sur l’adoption d’une langue commune de communication parmi les féministes de l’ex-Yougoslavie, souligne que l’utilisation de l’anglais ou du serbo-croate était principalement revendiquée par les femmes occupant dans ce champ une position privilégiée, en autant qu’elles étaient plus cultivées, plus riches, plus « nomades » ou encore plus « avancées » du point de vue de l’analyse féministe. Elles se percevaient comme « “capables” de se “soulever” au-dessus de l’appartenance “primaire” à une nation-terre-langue, au nom d’une appartenance plus vaste au peuple des femmes » (2000, n.p.). Melchiori conclut que dans les relations interculturelles comme dans les relations commerciales ou interpersonnelles, c’est souvent la partie la plus forte qui peut le plus facilement se réclamer de l’ouverture, puisque pour pouvoir être ouvert à l’autre il faut au préalable ne pas se sentir menacé. Ici encore, dans les situations de pouvoir inégales entre groupes sociaux, l’ouverture à la diversité telle que définie par les groupes dominants ou majoritaires ne représente pas toujours la meilleure stratégie pour les groupes minoritaires dont la culture n’est pas en position de force dans les échanges.

En simplifiant quelque peu, on peut interpréter la tendance « univore » des moins éduqués et des minorités culturelles comme relevant de deux types possibles de stratégies : soit comme expression d’une adhésion aux principes d’ouverture et de tolérance reposant sur une connaissance plus limitée des arts et de la culture, soit comme stratégie identitaire de reconnaissance par l’affirmation d’une différence. Ces stratégies renvoient à deux types idéals de réponses possibles, identifiés par les analystes de la stratification sociale, qui s’offrent aux dominés face aux systèmes de légitimation des inégalités : d’une part, la stratégie du parvenu, qui suppose l’acceptation plus ou moins inconditionnelle des schèmes dominants et, d’autre part, celle du paria, menant à l’élaboration de systèmes de représentation qui s’y opposent radicalement (voir notamment Parkin, 1971 ; Jasso, 2000 ; Ollivier, 2000). Le choix plus ou moins conscient entre ces deux stratégies dépend de facteurs dont l’analyse dépasse le cadre de cet article. L’important ici est que chacune d’entre elles, loin d’exprimer une attitude de fermeture et d’intolérance, comme le laissent entendre certains travaux inspirés de la thèse « omnivores »-« univores », devienne intelligible à la lumière des configurations de pouvoir dans lesquelles elle s’insère. Ces deux stratégies renvoient à deux moments distincts des revendications identitaires, qui supposent qu’il est tout aussi légitime de réclamer « le droit d’être égaux quand la différence nous infériorise » que de se vouloir « différents quand l’égalité nous décaractérise » (De Sousa Santos, 2001, p. 56).

L’ouverture à la diversité et le cosmopolitisme politique

Il existe un remarquable parallélisme entre le discours sur la diversité dans le domaine du goût et les débats sur le cosmopolitisme dans le champ politique[2]. Ce qui nous intéresse ici, au-delà des multiples acceptions de la notion de cosmopolitisme politique que nous ne pouvons évidemment pas résumer ici, c’est l’accent sur la recherche d’un nouveau mode de vivre ensemble transnational, fondé sur un idéal d’ouverture et de dialogue dans le respect des différences culturelles. Dans le cadre des débats sur l’intégration sociale de la différence, on oppose fréquemment le cosmopolitisme politique aux particularismes radicaux qui enferment chaque culture dans sa spécificité et qui mènent trop souvent à de sanglants conflits ethniques ou nationaux (Hollinger, 2001). Or, on prend bien soin de se distancer en même temps de l’universalisme abstrait des Lumières qui, au nom de la civilisation, a servi de caution aux conquêtes coloniales.

Si le principe cosmopolite de l’ouverture à l’autre demeure en lui-même un objectif souhaitable à l’ère de la mondialisation des échanges économiques et culturels, le contenu et les modalités d’application de ce principe demeurent l’objet de nombreux débats. Ainsi, ce que nous souhaitons souligner ici, c’est que l’un des enjeux majeurs de ces débats, comme dans le domaine du goût, est précisément la capacité de désigner certaines attitudes comme correspondant à l’idéal d’ouverture, et donc comme étant désirables et légitimes, tout en disqualifiant les positions rivales en les associant à la fermeture et au repli identitaire. Ainsi, tout en reconnaissant les nombreux avantages liés aux identités fluides et hybrides, plusieurs auteurs dénoncent les dangers liés à l’adoption universelle du modèle cosmopolite d’intégration sociale. Will Kymlicka (2001), par exemple, nous fait remarquer que le cosmopolitisme à l’américaine défini par Hollinger (1995), lorsqu’il est exporté dans l’arène internationale, est parfois utilisé pour discréditer les revendications des minorités nationales et pour légitimer la destruction de leurs institutions politiques et culturelles. Contrairement aux groupes issus de l’immigration, les minorités nationales ont systématiquement été incorporées aux États-nations à la suite d’une conquête militaire. Partout dans le monde, des minorités nationales continuent à se définir comme des nations et à revendiquer le droit à une existence collective ancrée dans la mémoire. Kymlicka souligne que le multiculturalisme cosmopolite américain tient pour acquis son propre droit à l’existence. Le multiculturalisme cosmopolite est ainsi considéré comme acceptable à l’intérieur des frontières territoriales stables et permanentes de l’État-nation américain, où il s’inscrit dans un projet national fort, celui du melting pot où viennent se fondre les groupes issus de l’immigration.

Pour Kymlicka, il ne s’agit donc pas d’opposer, comme le propose Hollinger (1995), deux modèles mutuellement exclusifs d’intégration, l’un collectif et rétrograde, l’autre ouvert à la différence. Il s’agit plutôt de reconnaître que la gestion de la différence ne peut que s’opérer à l’intérieur d’un projet, que la société dominante considère comme allant de soi, mais qui pour les groupes moins puissants — petites nations, cultures minoritaires, classes dominées — ne peut que se construire à contre-courant, dans l’affirmation d’une identité collective particulière dont la légitimité n’est jamais acquise. La société américaine, forte du prestige et du rayonnement de sa propre culture, n’a pas besoin de se penser comme différente ni d’affirmer sa spécificité culturelle puisque celle-ci s’impose comme allant de soi. Le point aveugle du modèle cosmopolite d’intégration, c’est donc ce refus de reconnaître que l’ouverture à l’autre suppose nécessairement l’existence d’une collectivité ayant ses propres caractéristiques catalysant l’intégration. Dans les « petites sociétés » (Finkielkraut et Robitaille, 2000) dont la culture n’est pas en position de force dans le marché identitaire mondial, l’ouverture à l’autre va nécessairement de pair avec une réflexion sur les fondements du vivre ensemble. Comme dans le domaine du goût, on peut ici reconnaître chez les groupes dominés ou minoritaires deux types de stratégies possibles. Une première stratégie consiste à remettre en question, de façon plus ou moins radicale, les fondements des représentations dominantes, comme le fait Kymlicka (2001) lorsqu’il nie que les revendications identitaires des minorités nationales soient un signe de repli sur soi. Une deuxième stratégie consisterait à redéfinir la culture dominée en des termes qui se rapprochent du pôle ouvert/dominant/désirable de l’univers discursif de l’identité et de la nation. C’est cette deuxième stratégie que dénonce Thériault (2002) dans sa critique du thème de l’américanité dans le discours social sur l’identité québécoise, en autant que cette américanité met de l’avant le caractère hybride et les racines continentales de l’identité, tout en minimisant l’héritage canadien-français perçu comme ethnique et rétrograde.

C’est là que se pose le paradoxe de l’ouverture à la diversité et du cosmopolitisme. En effet, plus les cultures s’ouvrent à la diversité et aux mélanges hybrides, moins elles deviennent spécifiques et plus elles se ressemblent. Dans le cosmopolitisme culturel, se pose ainsi très clairement la question de la survivance des imaginaires locaux. Comme l’a très bien souligné Hannerz, dans la ligne de ce qui avait déjà été avancé par Lévi-Strauss (1971 et 1983), l’attitude cosmopolite dépend de façon impérative de la préservation de ces espaces d’authenticité locale, qui échappent aux forces homogénéisantes de la mondialisation. « Pour les cosmopolites, par contre, la diversité a une valeur intrinsèque, mais ils ne peuvent réaliser cette valeur (…) que si d’autres personnes réussissent à tailler des niches particulières pour leur culture et à les préserver. Cela signifie qu’il ne peut y avoir de cosmopolites sans cultures locales » (1990, p. 250, traduction libre). Cette position n’échappe toutefois pas à un certain paternalisme, en autant que l’attitude cosmopolite demeure trop souvent associée aux élites éclairées tandis que les cultures locales, considérées comme authentiques et devant être préservées, sont fréquemment celles des autres.

Conclusion

Ce sont ces multiples convergences du discours social dans différents champs qui nous portent à croire que l’on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de culture légitime, qui s’inscrit elle-même dans une configuration discursive plus large. Dans les débats sur le cosmopolitisme politique comme dans ceux portant sur le goût, se met ainsi en place un discours sur la diversité qui tend à polariser les représentations dans deux univers sémantiques opposés et chargés très fortement de valeurs hiérarchisées : celui de la pluralité, côté positif, contre celui de l’homogénéité, perçu de manière négative. Dans le domaine du goût, la capacité d’appréciation et de consommation d’une multiplicité d’oeuvres d’art et de produits culturels apparaît comme l’idéal de la nouvelle personne cultivée, respectueuse de la différence issue de tous les clivages culturels, qu’ils soient ethniques ou de stratification sociale. Dans l’univers politique, la pluralité est aussi naturellement perçue comme une valeur incontestable, rejetant sous l’étiquette de l’intolérance rétrograde les initiatives qui cherchent à mettre en valeur certains régionalismes.

Loin de marquer l’effondrement de toute forme structurelle d’inégalité sociale, l’érosion des barrières de classe et le déclin de la culture générale classique semblent donner naissance à une nouvelle hégémonie discursive dans laquelle s’inscrivent de nouvelles formes de rapports de pouvoir. La rhétorique de la diversité réussit à s’imposer comme naturellement désirable à la fois parce qu’elle constitue, à un certain niveau de généralité, une représentation adéquate de la réalité empirique et aussi parce qu’elle incarne, dans le contexte actuel de la mondialisation des cultures, une attitude intrinsèquement positive de tolérance et d’ouverture à l’autre. Sans s’imposer comme une grille de plomb aux agents sociaux par l’entremise d’habitus de classe, de genre ou d’ethnicité cohérents et intériorisés, la rhétorique de la diversité nous semble néanmoins constituer un nouvel ensemble de significations à partir desquelles s’articulent des stratégies d’acceptation, de refus ou de contournement. Contre la tendance actuelle à valoriser, de façon indifférenciée, tout ce qui se présente comme relevant de la diversité, du pluralisme ou encore du métissage, il nous semble essentiel de replacer ces discours dans le contexte social de leur production et de chercher à mettre au jour les enjeux de pouvoir qui les sous-tendent.

On peut se demander si cette tendance forte à valoriser positivement le discours de la diversité est la pointe de l’iceberg d’une véritable hégémonie discursive ou s’il s’agit tout simplement d’un effet de mode éphémère et sans conséquences. Notre intuition nous mène à lire l’ensemble des indices relevés comme indicateurs d’un nouveau discours de légitimité à l’oeuvre, comme des éléments de justification de ce qui nous semble lié, dans les termes de Bourdieu, à une distribution inégale de capital symbolique. Dans le contexte de la mondialisation économique et culturelle, ainsi que de la rencontre des cultures qui sous-tend le discours actuel, cette question risque de demeurer longtemps un sujet d’actualité.