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Dès les premiers travaux sociologiques que T. Parsons a consacrés à la médecine en 1951, l’incertitude apparaît comme caractéristique intrinsèque à l’exercice de cette discipline et comme limite à la situation de médecin. C’est par l’utilisation de la statistique que cette incertitude a pu devenir scientifique et donc légitime, sans pour autant être totalement réductible. Sa traduction professionnelle repose sur un raisonnement probabiliste, sur lequel s’appuient les diagnostics, se prennent les décisions de traitement et se fondent les pronostics (Fox, 1988). Dans le cas de la grossesse et de l’accouchement, la question du risque est omniprésente, car historiquement l’obstétrique française s’est structurée à partir d’une conception de l’accouchement comme situation à risque vital pour la mère et l’enfant (Naiditch et Brémond, 1998).

Le premier plan « Périnatalité » est mis en place au début des années 1970, avec pour objectif de réduire les conséquences dommageables sur le plan humain, économique et financier des décès et des handicaps imputables à la grossesse et à l’accouchement (Combier et de Pouvourville, 1999). Plus récemment — les textes datent de 1998 — une réforme de la périnatalité a restructuré la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement en considérant, sur la base de données épidémiologiques, que le risque obstétrical est en grande partie prévisible et que les professionnels doivent orienter les femmes enceintes selon le niveau de risque évalué pour elles-mêmes et pour l’enfant à naître : à chaque niveau de risque (bas, moyen, haut) correspondent des maternités de niveau i, ii ou iii[1]. Il s’agit en quelque sorte de la mise en oeuvre d’un dispositif émanant de la « médecine des preuves » (Marks, 1999), puisque l’argumentation est fondée sur les résultats d’enquêtes montrant l’amélioration des taux de morbidité et de mortalité périnatales en cas de transfert avant l’accouchement (in-born).

Ce dispositif annoncé au départ, plutôt maladroitement, comme une « hiérarchisation des maternités[2] », repose sur une conception de la prise en charge des grossesses et des accouchements « en fonction des risques, avec un suivi de proximité réservé au bas risque et un suivi conjoint proximité-spécialisé pour les hauts risques » (HCSP, 1994 : 17), sachant que les grossesses dites à « haut risque » ne représentent que 2 à 3 % de l’ensemble des naissances. Cette transformation draconienne n’est pas seulement organisationnelle, elle traduit un changement radical de la définition du risque obstétrical et de sa gestion « en remettant en cause les principes mêmes sur lesquels repose l’organisation des soins obstétrico-pédiatriques » (Naiditch et Brémond, 1998 : 52).

Il ne s’agit pas ici d’étudier les raisons médicales ou les mécanismes qui ont conduit à ce changement de paradigme, mais plutôt d’analyser la nature de ce changement et ses conséquences sociales, avec la question sous-jacente de l’existence de segments professionnels (Bucher et Strauss, 1961) porteurs de projets différents[3].

Si la notion même de risque a été « conçue initialement comme un outil de réduction de l’incertitude » (Peretti-Watel, 2001 : 6), il n’en demeure pas moins que le risque est un terme hautement polysémique et les nombreux débats autour de « la société du risque » (Beck, 2001) en témoignent[4]. Bien que l’on puisse considérer que « le risque n’est rien d’autre que le travail de la société par lequel des peurs et des inquiétudes sont rendues perceptibles par une entreprise de domestication, de réduction continue de l’incertitude, de nomination du danger » (Gilbert, 1992), en médecine, l’acception la plus courante repose sur le raisonnement probabiliste qui s’est imposé depuis quelques décennies par le truchement de l’épidémiologie (Berlivet, 2001). Dès que l’on aborde la question du risque dans le domaine de la santé, on est confronté à la prégnance du paradigme épidémiologique, que ce soit à propos de « populations à risque », de « facteurs de risques » ou encore de « conduites à risque » (Peretti-Watel, 2004). Mais cette hégémonie du raisonnement probabiliste ne signifie pas qu’il y ait nécessairement consensus sur la définition du risque lui-même, la « boîte noire » qu’évoque A. Bourdin (2000), lorsque le risque est censé traduire la dangerosité d’une situation. Et c’est ce que l’on va montrer dans le cas de l’accouchement.

Les professionnels de l’obstétrique sont tous d’accord pour dire que « le risque zéro n’existe pas », ils considèrent que la grossesse et surtout l’accouchement peuvent représenter un danger pour la mère et l’enfant. Cependant, leurs analyses divergent quant à l’importance à donner à ce danger. Pour les uns, l’accouchement est et restera une situation à risque vital, marquée par une incertitude majeure impossible à quantifier; pour les autres, les risques liés à l’accouchement sont en grande partie prévisibles et conséquemment, il est possible d’orienter les femmes enceintes selon le niveau de risque estimé. Selon l’analyse de F. Ewald : « En soi, rien n’est un risque, il n’y a pas de risque dans la réalité. Inversement, tout peut être un risque; tout dépend de la façon dont on analyse le danger, considère l’événement » (Ewald, 1996 : 135). L’enjeu est de taille dans la mesure où il s’agit soit de renforcer le processus de médicalisation de la grossesse et de l’accouchement, soit d’encourager leur « détechnicisation » au travers des Maisons de Naissance, et à plus ou moins long terme, de redistribuer les compétences entre obstétriciens et sages-femmes.

L’omniprésence du risque et la logique de l’urgence

L’obstétrique française s’est structurée à partir d’une conception de l’accouchement comme processus physiologique comportant un risque vital pour la mère et l’enfant. Il faut savoir qu’à la fin des années 1960, la mortalité périnatale était l’une des plus élevées d’Europe, puisqu’elle atteignait 23 % et qu’à la fin des années 1980, la mortalité maternelle restait à un taux élevé — 9,3 pour 100 000 naissances contre 6 à 7 dans les pays du Nord de l’Europe — alors que, d’après le Rapport Papiernick[5] la sécurité maternelle avait été un objectif majeur pour l’organisation des maternités et l’abandon de l’accouchement à domicile (1992 : 4). Ces chiffres, considérés comme « mauvais », permettent de comprendre pourquoi la prise en charge des grossesses et des accouchements a été focalisée sur le risque couru par la mère et l’enfant. Même si cette conception « médicale » de la naissance a pu être contestée dans les années 1960-1970, non seulement par des parents, mais aussi par certains professionnels, elle continue à être largement présente et justifie le déroulement de tous les accouchements en un lieu médicalisé (99,5 % des accouchements se déroulent désormais dans un établissement sous contrôle médical). Comme le soulignent M. Akrich et B. Pasveer, il existe en France « un quasi-consensus autour de l’idée que tout accouchement est potentiellement risqué, même lorsque la grossesse s’est déroulée de façon normale » (1996 : 184), c’est-à-dire qu’il est couramment admis que n’importe quel accouchement peut basculer dans la pathologie de façon imprévisible : le cas de figure le plus fréquemment cité est celui de l’hémorragie de la délivrance, complication rare, mais qui entraîne encore actuellement des décès maternels. D’ailleurs, la plupart des obstétriciens interviewés, qu’ils travaillent au niveau i, ii ou iii, utilisent de façon rhétorique l’assertion selon laquelle « un accouchement ne peut être considéré comme normal que deux heures après la naissance ».

Avant que ne se mette en place le dispositif de hiérarchisation des maternités, toute femme enceinte pouvait décider de se faire suivre et d’accoucher où elle le souhaitait, en fonction de critères personnels. Toute grossesse, même à risque, pouvait être prise en charge par n’importe quel obstétricien, quel que soit l’équipement de la maternité. En cas de besoin, et souvent en urgence, le nouveau-né était alors transféré dans un service de réanimation néonatale, plus ou moins éloigné du lieu de l’accouchement. A contrario, à condition de prendre rendez-vous dès les tout premiers jours de la grossesse, si ce n’est, comme le dit ironiquement un obstétricien parisien, « dès les premières heures », une femme enceinte pouvait se faire suivre et accoucher dans un service hyperspécialisé, sans présenter la moindre pathologie, uniquement parce qu’elle préférait se trouver dans un environnement fortement médicalisé avec un plateau technique offrant un maximum de sécurité. D’ailleurs, ce chef de service reconnaît que l’on aboutissait à des aberrations, car dans sa maternité, maintenant de niveau iii, « on n’accouchait que des intellectuelles, des artistes et des professions libérales... sans jamais voir la moindre concierge du quartier, sauf si sa grossesse était pathologique ». Le dispositif fonctionnait sans réelle régulation avec, comme principe organisateur, l’imprévisibilité du risque et sa gestion dans l’urgence. Selon le même chef de service, la plupart des obstétriciens avaient pour philosophie : « Je me débrouille et puis si ça va mal, on voit. » Tant que le libre choix de la femme enceinte prévalait, aucun dispositif institutionnel n’organisait vraiment la prise en charge des grossesses pathologiques, seule « la conscience professionnelle guidait l’obstétricien confronté à une situation difficile », sachant qu’en médecine, et plus particulièrement au sein d’une même spécialité « ça n’est pas toujours facile de prendre la décision de passer la main [...] parce qu’on se sent... on a l’impression que si on demande à d’autres, c’est qu’on n’est pas assez compétent, et ça, c’est pas facile à faire admettre par des médecins! » (chef de service, maternité de niveau i). En fait, les obstétriciens avaient déjà l’habitude de transférer avant la naissance (in-born), mais seulement pour les cas qu’ils estimaient vraiment très risqués, en particulier quand la mère présentait une grave pathologie. En ce qui concerne les accouchements difficiles, ils n’hésitaient pas à les faire, quitte à transférer le nouveau-né (out-born) dans des conditions loin d’être idéales.

Comme l’affirment Naiditch et Brémond, « quand le risque est partout, il devient ingérable » (1998 : 59), c’est pourquoi, dans un tel cas de figure, la logique de l’urgence prévaut et la « sécurité de la naissance » est alors polarisée sur les équipements en matériel et en personnel. Le rapport Papiernik affirme que les experts judiciaires, lorsqu’ils analysent les causes des décès maternels, découvrent « très souvent un retard au diagnostic juste ou un retard à la réalisation du traitement adapté » ce qui, selon ce même rapport, « dépend moins de la technique médicale que de l’organisation des soins ». Le raisonnement se poursuit sur la difficulté de « la gestion des urgences » où il faut pouvoir « mesurer la gravité très vite, faire rapidement les gestes simples de diagnostic et de traitement adaptés » que « seuls des gynécologues-accoucheurs qualifiés » sont en mesure d’assumer. La démonstration conduit à défendre « la présence permanente sur place d’un obstétricien et d’un anesthésiste ». Cette conception du risque omniprésent et de sa gestion en urgence induit un raisonnement en termes de « moyens » puisque pour faire face à toutes les urgences obstétricales susceptibles de se présenter, seuls les établissements possédant un maximum de moyens techniques et professionnels pourront offrir la sécurité maximale...

Malgré la réforme de la périnatalité de 1998, cette conception du risque omniprésent n’a pas disparu, elle est encore fortement ancrée dans la représentation dominante de l’obstétrique. Ainsi, selon le groupe d’experts qui a rédigé le rapport du Haut Comité de la Santé Publique en 1994, la spécificité de cette spécialité tient d’abord à l’urgence :

L’obstétrique est une activité d’urgence, les accouchements ne sont pas programmés, et les complications obstétricales encore moins. C’est-à-dire que si les accouchements sont imprévisibles dans leur déclenchement spontané, ils le sont aussi dans leur déroulement. Dans une proportion — certes faible — les complications sont strictement imprévisibles, et d’une gravité extrême, justifiant une intervention souvent importante, qui pour avoir les meilleures chances doit être réalisée dans un délai de quelques minutes. Ceci justifie donc la présence permanente ou du moins l’accessibilité immédiate du spécialiste.

HCSP, 1994 : 38

Certains obstétriciens, exerçant plutôt dans des maternités de niveau i, s’appuient sur cette conception du risque omniprésent qu’ils seront forcément amenés à gérer dans les cas d’extrême urgence impossibles à transférer et s’insurgent contre l’orientation systématique des femmes « à risque », car ils craignent une déqualification professionnelle : « Si vous appliquez vraiment le dispositif, il faut réaliser ce que ça va entraîner : nous, les obstétriciens de niveau i, qu’est-ce qu’on va devenir? En quoi notre boulot sera différent des sages-femmes si on ne garde aucune patho et qu’on ne fait que de la physio? » (Notes prises au cours d’une réunion de la Commission régionale de la Naissance). Pour ne surtout pas devenir des « super sages-femmes », ces mêmes obstétriciens focalisent leur argumentation autour de l’omniprésence du risque et de la question de l’urgence incompressible : « C’est comme les hémorragies de la délivrance, moi je vous dis, la dernière je n’ai même pas pu la transférer, j’ai été obligé de lui enlever l’utérus ici, alors qu’elle était jeune, je n’avais pas le choix, alors que c’était une grossesse initialement normale, un accouchement NORMAL... » (chef de service, maternité de niveau i). En insistant sur le côté imprévisible des accouchements, sur la gravité de certaines complications et sur la nécessité de savoir réagir en urgence, la rhétorique professionnelle utilisée par ces obstétriciens, exerçant dans de petites maternités, s’appuie sur l’omniprésence du risque vital afin de défendre les compétences dont ils doivent pouvoir faire preuve, quel que soit leur niveau d’exercice puisque de toutes façons, certaines situations d’urgence imprévisibles continueront à être gérées dans les maternités de niveau i. Mais les obstétriciens exerçant dans les « petites maternités » ne sont pas les seuls à défendre cette définition du risque obstétrical, car elle est solidement ancrée dans la culture professionnelle de cette spécialité médicale qui, comme la plupart des autres spécialités, repose essentiellement sur une approche curative (Setbon, 1996).

Catégoriser le risque : gestion par niveaux et logique d’anticipation

Le dispositif de hiérarchisation des maternités est porteur d’un nouveau paradigme dans la mesure où il traduit une façon d’appréhender le risque radicalement différente de celle qui organisait le dispositif précédent : bien qu’il reste en partie imprévisible, le risque peut, dans la plupart des cas, être dépisté et évalué par une surveillance appropriée. Cette conception du risque obstétrical repose sur le postulat que le niveau de risque que présente une grossesse ou un accouchement peut être évalué et donner lieu à une orientation ciblée. Dès lors, seul le risque « imprévisible » et irréductible devrait être géré dans l’urgence, quel que soit l’équipement de la maternité. En revanche, toutes les grossesses et les accouchements pour lesquels le niveau de risque est prévisible devraient être pris en charge dans un lieu adapté.

Dans ce paradigme, la focalisation est moins sur le risque lui-même que sur le processus physiologique de la grossesse et de l’accouchement qui peut être potentiellement pathologique et dont le déroulement « normal » doit être régulièrement vérifié afin de dépister les risques de complications; cette conception justifiant la « surveillance médicale » régulière de l’ensemble du processus de gestation rejoint la théorie défendue par Arney (1982).

Lors de la Conférence de consensus consacrée à la « Prise en charge de la femme enceinte, de l’accouchement et du nouveau-né selon le niveau de risque » qui s’est tenue, à l’initiative du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, en décembre 1998, différents chercheurs de l’INSERM[6] sont intervenus pour faire le point sur la littérature internationale concernant la prise en charge du « haut risque » et du « bas risque ». On remarque d’ailleurs que le « risque moyen », censé correspondre à une prise en charge en maternités de niveaux ii, n’est pas discuté et l’on peut se demander à quoi correspond cette vacuité : s’agit-il d’une impossibilité médicale à définir cette catégorie ou bien d’un découpage technocratique difficile à mettre en oeuvre? Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question. Mais si l’on reprend les bilans présentés par H. Grandjean et al. (1998), il ressort que la catégorisation du risque relève d’un raisonnement fondé sur l’inclusion versus l’exclusion.

Le haut risque : une « vraie » catégorie?

Les grossesses à haut risque constituent un groupe hétérogène où sont incluses des pathologies maternelles (cardiopathies, diabète insulino-dépendant, hypertension gravidique, néphropathies, immunisation rhésus, HIV, etc.), pouvant mettre en jeu le développement et la survie du foetus; des malformations congénitales; des pathologies foetales nécessitant une prise en charge spécialisée dès la naissance; ainsi que les menaces d’accouchement prématuré sévères (MAP), dont les origines peuvent être très diverses et les conséquences dramatiques pour l’enfant, que ce soit en termes de survie ou de séquelles. Le repérage de ces grossesses à risque fait partie du travail clinique, tel que le pratiquent obstétriciens et sages-femmes, quel que soit le niveau de la maternité où ils exercent. En niveau iii, les sages-femmes ont l’habitude d’effectuer les consultations et de surveiller les grossesses « normales » jusqu’à l’accouchement s’il n’y pas de complications. Le suivi qu’elles effectuent est destiné « à s’assurer que tout va bien » : « Dès que je repère un truc qui ne me plaît pas, si le bébé paraît trop petit, ou si la mère me dit qu’elle est séropositive, je passe le relais à un obstétricien, ça n’est plus de ma compétence » (sage-femme, maternité de niveau iii). Dans les maternités de niveau i où l’enquête a été réalisée[7], c’est aux obstétriciens que revient ce travail d’identification. Depuis la mise en place de la réforme de la périnatalité, en cas de repérage d’une grossesse à « haut risque », ils sont censés orienter la femme enceinte :

Pour le haut risque, ça ne me pose pas trop de problèmes, car on le faisait déjà, on n’est pas dingue, on sait bien qu’une MAP (menace d’accouchement prématuré) à moins de 33 semaines ça s’oriente, donc on le faisait déjà, mais... ce qui coince c’est plutôt ce qu’il faut envoyer en niveau ii, je trouve ça excessif... je sais que les résultats sont meilleurs en transfert « in-born », mais quand même... Tant qu’à faire je préfère envoyer en niveau iii (obstétricien de maternité niveau i).

Où s’arrête le « haut risque »? Quelles sont les frontières de la catégorie? Pour un obstétricien responsable d’un des deux niveaux iii de la région : « Le haut risque? C’est la MAP sévère à moins de 28 semaines, c’est-à-dire les tout petits poids et c’est ce qu’on devrait avoir dans un vrai niveau iii! » Si les niveaux iii sont actuellement embouteillés, selon ce chef de service :

C’est parce qu’on aboutit dans certains endroits, à un dévoiement de la hiérarchisation des maternités, parce que, quand on disait les tout petits, c’était les moins de 1300 gr ou les très grands prématurés, moins de 28 semaines, que ceux-là accouchent in-born, d’accord! Mais on n’a jamais dit qu’il fallait que les autres accouchent in-born! Mais par extension, les collègues se sont dit « 1500 gr c’est pas plus mal qu’elle (la mère) accouche in-born dans la grosse maternité », et puis encore par extension, « cette femme qui risque de saigner parce qu’elle a un placenta praevia, c’est mieux qu’elle accouche en niveau iii parce qu’il y a un labo d’hémostase »... et donc on aboutit à un dévoiement de ce dispositif qui fait que dès qu’il y a un risque potentiel, on transfère! Alors des fois c’est l’obstétricien qui transfère parce qu’il se dit « oh lala, moi, je ne fais pas ça ici », et puis des fois c’est le pédiatre qui va dire « je ne m’occupe pas de cet enfant de 34 semaines, c’est trop petit »... De temps en temps ça peut aussi être l’anesthésiste, par exemple, une suspicion d’hématome rétroplacentaire, il y a risque d’anomalie de la coagulation, il va dire « on la césarise pas ici, c’est pour le CHU »... dans ces conditions, tout peut devenir du haut risque et on a un dévoiement total du dispositif!

Lorsque l’on examine les publications médicales sur le sujet (Grandjean et al., 1998) ou bien lorsqu’on demande directement aux professionnels ce que la catégorie inclut, le « haut risque » peut paraître consensuel, pourtant les propos tenus par ce chef de service de niveau iii montrent que les pratiques engendrées par cette catégorisation témoignent d’une inflation constante du contenu de la catégorie. Les raisons en sont multiples et tiennent autant aux différents acteurs impliqués qu’au dispositif lui-même.

En effet, comme le disait précédemment le chef de service de maternité de niveau i « Tant qu’à faire je préfère envoyer en niveau iii. » Ce choix préférentiel s’inscrit dans les rapports professionnels, voire concurrentiels, entre obstétriciens : si la spécialisation du niveau iii est admise, celle du niveau ii n’est pas aussi facilement reconnue : « Ils ont la néonat (nématologie), d’accord... mais en obstétrique, y a pas vraiment de différence... » (chef de service, maternité niveau i). En fait, il est plus facile de « passer la main », de transférer vers le niveau iii qui représente l’étape ultime de la spécialisation et de l’équipement technique, alors que le niveau ii a un statut ambigu, certes il possède des compétences pédiatriques que le niveau i ne peut offrir, mais, en obstétrique, la différence n’est pas assez marquée pour être acceptée. Quant aux questions organisationnelles, il est évident qu’elles interviennent :

Ils utilisent le dispositif quand ça les arrange (regard vers le magnétophone), je peux vous dire que les transferts un peu limites c’est plutôt le vendredi soir! On a généré, en médecine comme ailleurs, des réactions humaines de dévalorisation, d’utilitarisme... arrivés au vendredi soir quand ils ont des problèmes de garde, avec une petite bombe à 18/12 de tension, j’exagère à peine, ils vont l’envoyer direct au CHU! (chef de service, maternité de niveau iii)

Lorsque la sociologue évoque avec une surveillante de maternité de niveau ii, les propos de ce chef de service indiquant, dans la catégorie haut risque, « les transferts du vendredi soir », elle admet en riant qu’effectivement cette catégorie doit exister, car « quand on doit faire face à un week-end où on aura des problèmes pour assurer les gardes, on transfère plus facilement, car on sait que là-bas, (au CHU) ils ont toujours quelqu’un ». Autre élément qui est loin d’être négligeable et qui risque d’accentuer encore la tendance, c’est « la crainte du médico-légal » :

Le collègue en périph’ (périphérie), il se dit : « Si j’ai un problème dans ma mater de niveau i ou ii et si le juge me dit : pourquoi vous ne l’avez pas transférée? Je n’ai rien à répondre! Alors il ouvre le parapluie et ça part au CHU! On est très loin de la notion du transfert in-born... » (chef de service, maternité de niveau iii).

Cette question est directement évoquée par un médecin exerçant en maternité de niveau i : « Si, nous, on a un pépin, c’est qu’on est mauvais, si ça se passe au CHU, c’est parce que ça devait arriver... alors vous savez, la réaction est humaine : on prend le moins de risque possible. »

Dès lors, la question reste ouverte : comment définir la limite « inférieure » du haut risque? Il est clair que les indications de transfert contenues dans les modèles de convention constituent la base de la répartition des compétences entre les différents niveaux, mais appréhender cette catégorie en dehors des pratiques qu’elle induit localement reviendrait à limiter le « haut risque » à des critères strictement pathologiques, déconnectés de la réalité. Ce type de raisonnement s’inscrit dans une « conception gestionnaire de la médecine » (Ogien, 2000), qui occulte les contraintes concrètes pesant sur les professionnels et sur leurs décisions, sachant que ces éléments décisionnels, qu’ils soient professionnels, organisationnels ou médico-légaux, sont fortement imbriqués et peuvent engendrer au niveau de l’action des tensions et des comportements contradictoires : autant il peut être tentant pour un obstétricien exerçant en niveau i de garder certaines pathologies par intérêt intellectuel, par réticence à « passer la main », par non-reconnaissance de la « supériorité » obstétricale du niveau ii; autant il peut être tentant pour les professionnels des niveaux i ou ii, exerçant en public comme en privé, de « se débarrasser » d’une patiente, dont l’état demande une surveillance constante que l’on ne peut être certain d’offrir par manque de personnel, et qui peut, en cas de complications majeures, être à l’origine de poursuites médico-légales. Finalement, si la catégorie « haut risque » recouvre effectivement la menace sévère d’accouchement avant 33 semaines d’aménorrhée (SA) ou un poids de naissance inférieur à 1500 gr, sa mise en oeuvre relève d’arbitrages entre différents acteurs — obstétricien, pédiatre, anesthésiste, surveillante, etc. — où interagissent des logiques à la fois professionnelles, organisationnelles et médico-légales que les uns et les autres ne maîtrisent pas totalement, mais vont faire jouer selon l’intérêt qui est le leur à un moment donné, en fonction d’une situation particulière.

Le « bas risque » : une catégorie labile et discutée

Quelle définition peut-on donner du « bas risque »? En ce qui concerne la grossesse, l’analyse des propos tenus par les professionnels rencontrés conduit à deux types de formulation, fondés sur des raisonnements de nature différente. Dans un premier cas de figure, la réponse est ainsi formulée : ce sont « toutes celles qui ne sont pas à haut risque ». Cette définition « en creux » rejoint celle que Grandjean et al. (1998) ont repérée dans la littérature et qu’ils analysent comme une « définition d’exclusion ». Autrement dit, une grossesse est dite à bas risque si la mère est sans antécédents particuliers et si la grossesse ne présente pas de signes pathologiques. En fait, dans ce mode de raisonnement, c’est la recherche de pathologie versus son absence, qui structure la catégorisation. En revanche, dans le second cas de figure, on peut dire que le bas risque est défini « par inclusion » : « c’est ce qui concerne 90 % des femmes », ou encore « ce sont toutes les grossesses normales » (sages-femmes, maternité de niveau i), on a affaire ici à des professionnels dont le mode de raisonnement est plutôt centré sur la physiologie. Ces deux modes de raisonnement coexistent au sein de l’obstétrique et ne renvoient pas systématiquement à des formations professionnelles différentes.

Cependant, les uns comme les autres considèrent que le « bas risque » n’est pas une catégorie stable, c’est-à-dire qu’au niveau individuel, l’évaluation du risque a besoin d’être périodiquement actualisée pour continuer à être opératoire :

C’est pas parce qu’on aura estimé qu’à 2 ou 3 mois de grossesse, telle femme peut accoucher en niveau i parce qu’elle ne présente, à ce moment-là, aucun risque particulier que cette évaluation est valable jusqu’au bout... Il faut qu’on la voit régulièrement pour conforter l’évaluation... ça peut très bien, et heureusement, rester du bas risque jusqu’au bout, mais ça peut aussi glisser soit perfidement, soit brutalement dans la patho, avec des tas de trucs possibles comme l’apparition d’un diabète maternel ou d’une hypertension, un foetus trop petit... et c’est pour ça que le dépistage doit être bien fait et pas par n’importe qui! (obstétricien, maternité de niveau i)

En outre, une grossesse peut être considérée comme à bas risque et l’accouchement quitter le « bas risque » en cas de ralentissement important du travail, ou encore se révéler à « haut risque » en cas de procidence du cordon ou d’hémorragie de la délivrance. L’instabilité de la catégorie s’appuie non seulement sur ces variations, que l’on peut dire individuelles puisqu’elles peuvent survenir au cours d’une même grossesse, mais aussi sur les données produites par l’épidémiologie qui ont changé le regard médical et modifié les pratiques, le cas de l’accouchement podalique[8] en témoigne (Carricaburu, 2007). On peut donc dire que le bas risque n’est pas une catégorie stable sur le plan individuel, pas plus qu’il ne l’est dans la théorie obstétricale.

Si la labilité de la catégorie « bas risque » est admise par les différents acteurs, et établit le consensus autour de la nécessité d’une surveillance médicalisée de la grossesse, il n’empêche que son contenu et même la réalité de son existence, est un enjeu essentiel au sein de l’obstétrique, telle qu’elle se dessine actuellement. En effet, c’est bien parce que cette conception du risque obstétrical « catégorisable » par niveaux vient s’opposer à celle du risque omniprésent — donc uniquement gérable par des médecins spécialistes dans des lieux à haute technologie — et qu’elle réintroduit la physiologie de l’accouchement comme principe organisateur du dispositif, que peut s’ouvrir un espace où un discours de « dé-technicisation » de la naissance peut s’exprimer.

Entre hypermédicalisation et « dé-technicisation » de la naissance...

Si l’on admet que la restructuration de la périnatalité déplace le centre de gravité du dispositif plutôt vers la physiologie en considérant que le risque est « catégorisable par niveaux », alors que l’idéologie médicale du risque omniprésent et de sa gestion médicalisée est toujours présente chez les professionnels impliqués, on peut se demander comment se déroule la coexistence et ce qu’il en est dans les discours et dans les pratiques.

Lorsque la grossesse et l’accouchement sont conçus comme des situations où le « risque est omniprésent », la surveillance régulière et médicalisée est une évidence qui s’inscrit dans l’évolution biomédicale, telle que nous la connaissons depuis cinq décennies et qui constitue le contexte de formation et d’exercice qu’ont connu les professionnels concernés. Dans cette logique, comme on l’a déjà dit, la focalisation est bien davantage sur la recherche de pathologie que sur la surveillance d’un processus physiologique. Pour comprendre comment cette idéologie médicale peut s’articuler avec la réforme de la périnatalité, telle qu’elle est actuellement mise en place, il est nécessaire de dissocier le dispositif lui-même de la conception du « risque catégorisable » sur laquelle il est fondé.

Au cours des entretiens, aucun des professionnels n’a manifesté de réactions vraiment hostiles à l’égard de la hiérarchisation des maternités, quel que soit le lieu d’exercice et quelle que soit la conception de la grossesse et de la naissance qu’ils défendent par ailleurs. Cela ne signifie pas forcément que ces professionnels sont enthousiastes ou qu’ils ne sont pas critiques sur les modalités de mise en oeuvre ou sur les conséquences attendues, mais il ressort un relatif consensus à l’égard du dispositif, consensus fondé sur des évolutions qui traversent l’ensemble de la médecine. D’abord, du point de vue médical, tous évoquent la supériorité du transfert « in-born » sur le transfert « out-born » : les résultats des études épidémiologiques sont connus, ils ne sont pas contestés et on peut donc dire que l’evidence-based medicine relègue ce que N. Dodier (2003) appelle « la médecine de tradition » au second plan. Quant à la hiérarchisation des maternités, elle est considérée comme « un bon système » qui induit « un meilleur suivi » : « Le principe est bon puisqu’il permet de mieux orienter les femmes en fonction de leur niveau de risque et de diminuer encore le nombre de grossesses patho (pathologiques) qui ne sont pas suivies là où il faut » (chef de service, maternité de niveau iii). Alors que le dispositif est présenté dans les décrets sur la sécurité de la naissance sous une forme de « réseau », les professionnels le perçoivent plutôt comme un système destiné à construire des « filières efficaces de prise en charge » (obstétricien, maternité de niveau ii). En fait, malgré « l’habillage réseau » de ces textes (Naiditch et Brémond, 1998), obstétriciens et sages-femmes voient dans la réforme de la périnatalité un dispositif vertical, dont le sommet est occupé par les services à haute technologie; ils ont conscience que ces textes « renforcent le rôle, et même on peut le dire, confortent le pouvoir, du CHU » (obstétricien, maternité de niveau ii). La « hiérarchisation » n’est pas vraiment contestée, elle est plutôt évoquée avec fatalité comme un « état de fait déjà là depuis longtemps » (obstétricien, maternité privée de niveau ii), ce que confirment les propos d’une sage-femme, surveillante dans une maternité de niveau i, située à une cinquantaine de kilomètres du CHU : « J’ai toujours connu ça, vous savez, nous ici, pour le CHU, on n’existe pas! Ici, pour eux, c’est la brousse, ils ne savent même pas ce qu’on fait... » En fait, si personne ne s’érige vraiment contre cette hiérarchisation des maternités, on peut avancer l’idée que ce dispositif ne fait qu’entériner un système déjà fortement médico-centré sur les services les plus spécialisés et les plus dotés techniquement, dont le prestige est proportionnel au niveau de spécialisation (Herzlich, 1973; Chauvenet, 1978). D’ailleurs, cette hiérarchisation n’a pas été mise en place contre la volonté des spécialistes hospitaliers et l’un des responsables du Collège national des Gynécologues et Obstétriciens français l’exprime clairement quand il affirme au cours de l’entretien : « Ce dispositif correspond à nos idées ».

« Pas d’obstétrique à bas risque... »

Si la hiérarchisation fait l’objet d’un relatif consensus, l’évocation des niveaux de risque — et surtout du « bas risque » — déclenche des réactions beaucoup plus tranchées, en particulier de la part des obstétriciens et quel que soit leur niveau d’exercice. L’un des entretiens réalisés avec un chef de service d’une maternité de niveau iii, située dans un CHU, est particulièrement intéressant, car ce médecin défend la hiérarchisation des maternités parce qu’elle « va dans le bon sens », mais prend vigoureusement position contre « le bas risque en obstétrique » alors que c’est cette catégorie qui justifie l’existence du niveau i, premier maillon de la hiérarchisation. Cette position peut paraître contradictoire, pourtant on va voir qu’elle traduit au contraire une grande cohérence de pensée et un véritable projet pour l’obstétrique.

L’argumentation contre le « bas risque » débute ainsi :

Le problème c’est qu’on ne peut pas tout prévoir en obstétrique! Et là on arrive au bas risque... Y a-t-il une obstétrique à bas risque? Ma réponse est non! Bien sûr, on peut prévoir un certain nombre de choses, mais on ne peut pas prévoir par définition l’imprévisible, et en obstétrique, comme en pédiatrie néonat, il y en a de l’imprévisible! Ou alors on admet qu’il peut y avoir un certain pourcentage de casse accidentelle! Mais à ce moment-là, il faut que ça soit écrit... Le jour où la nana [sic] va arriver avec une poche des eaux rompue et une procidence du cordon, dans une mater (maternité) de niveau i avec un pédiatre qui n’est pas sur place, un bloc fermé, on sait très bien qu’on ne peut pas faire une césarienne dans les 10 minutes qui suivent... parce que ça, c’est complètement imprévisible! Donc si socialement on admet qu’il y ait un peu de casse, on peut faire de l’obstétrique à bas risque... Le haut risque, ça peut se prévoir, en fonction des antécédents, des pathologies, mais parmi les femmes qui accouchent, une sur deux est primipare, donc aucun antécédent obstétrical alors que la majorité des incidents et des accidents ne sont pas vraiment prévisibles, c’est souvent juste avant le travail ou pendant le travail... Le bas risque, pour moi c’est de la foutaise, ça n’existe pas!

Encouragé à poursuivre son raisonnement, il défend l’idée que les petites maternités, les niveaux i, faute de pratiquer assez et, en particulier par manque de pédiatre, sont « dangereuses ». Pour étayer sa position, il explique longuement le projet de thèse qu’il a conçu et encadre au moment de l’enquête :

J’ai un interne qui fait sa thèse sur le bas risque, je lui ai demandé de procéder de la façon suivante : on va décider d’une population à bas risque de la façon la plus draconienne possible : pas de primipare, que des multipares ayant déjà eu une grossesse normale et un accouchement normal, sans antécédent d’hypertension, sans antécédent de diabète, sans antécédent d’hémorragie, sans antécédent de forceps, sans antécédent de césarienne bien sûr, et si pour la grossesse actuelle, il y a une suspicion de retard de croissance, suspicion de macrosomie[9], si le terme est dépassé, s’il y a prématurité, on exclut! On ne garde vraiment que le plus « bas risque » possible qui arrive en travail et là on regarde le nombre d’interventions médicales... Eh bien, on a quand même : 5 % de césariennes, 7 % de forceps, de 3 à 4 % de cas où on est obligé de mettre une main dans l’utérus pour faire une DARU[10], et dans combien de cas on transfère le gamin? Il y en a encore 3 %! Donc vous voyez en définissant un bas risque le plus bas possible, on a encore un nombre d’interventions médicales pas négligeable du tout, ça veut bien dire que le bas risque obstétrical c’est de la foutaise! C’est de la mathématique absurde que de vouloir identifier du bas risque, du moyen risque et du haut risque, ce sont des fantasmes de technocrates!

Lorsqu’il lui est demandé si sa démonstration a pour objectif de remettre en cause le niveau i, sa réponse ne s’encombre pas de périphrases : « Le niveau i est dangereux » — argument que l’on trouve d’ailleurs chez d’autres obstétriciens; dont certains exercent pourtant en niveau i :

Le système idéal, c’est des mater (maternités) conséquentes, mais pas énormes, des mater à 5000 accouchements on ne les tient pas... Il faut un certain volume, de 2000 à 3000, avec du personnel, une hiérarchie qui s’intéresse vraiment à l’obstétrique de très près, avec une sécurité correcte au niveau des anesthésistes et des pédiatres et puis des mater pour les tout petits, ce qu’on appelle des niveaux iii, des vrais niveaux iii... Le volume crée la décence dans le travail, à 2000 ou 3000 on va avoir un personnel décent!

Le raisonnement est construit sur une dissociation entre le dispositif et l’idéologie qui le sous-tend : la hiérarchisation des maternités peut être considérée comme une réforme bénéfique, alors même que le risque catégorisable, qui en est le principe organisateur, n’est pas accepté dans son intégralité. En fait, le schéma qu’envisage cet obstétricien exerçant en CHU n’est pas très éloigné de celui qu’avait proposé le « rapport Papiernick » en 1992, qui préconisait deux niveaux de maternités : les « centres » et les « antennes », mais aussi la fermeture des maternités ayant moins de 1500 naissances à leur actif. C’est en raison de ces propositions jugées « excessives » et contestées essentiellement par les petites et moyennes maternités, que les pouvoirs publics avaient reculé. Il n’empêche que les idées contenues dans ce rapport continuent à circuler et ne sont nullement ébranlées par l’idéologie du « bas risque » et l’on va d’ailleurs voir que les positions ont plutôt tendance à se radicaliser.

Contre les Maisons de Naissance...

Avant d’aborder le contenu des entretiens, voyons quelles sont les positions défendues publiquement. Lors des 31e journées de la Société française de Médecine périnatale qui se sont tenues à Lille en novembre 2001, l’une des deux controverses prévues dans le programme concernait les Maisons de Naissance. Le Pr René Frydman[11], alors conseiller auprès du ministre de la Santé, a présenté le point de vue « pour les maisons de naissance » et le Pr Loïc Marpeau[12] celui « contre les maisons de naissance ». Il s’agit de communications effectuées en présence de professionnels de l’obstétrique et publiées dans les actes de la conférence.

Le Pr Frydman définit ainsi la Maison de Naissance. C’est :

un lieu ouvert à des femmes enceintes volontaires dans la mesure où la grossesse et l’accouchement restent dans le cadre de la physiologie. Ce lieu doit être à proximité immédiate d’une maternité avec le plateau technique minimum. Une convention doit lier la maternité et la Maison de Naissance de telle sorte que les critères médicaux d’inclusion à la Maison de Naissance soient définis en commun entre les responsables de la maternité classique et les sages-femmes qui gèrent en toute autonomie administrative la Maison de Naissance; les femmes doivent choisir librement cette prise en charge puisque si elles sont assurées d’avoir un suivi global pas la sage-femme de leur choix, elles renoncent au recours à l’anesthésie péridurale, au profit d’autres analgésies ne nécessitant pas la présence d’un pédiatre[13].

À partir d’une telle définition, le débat est lancé et le Pr Marpeau construit un véritable réquisitoire contre les Maisons de Naissance. Reprenant d’abord les définitions anglo-saxonnes des Free-standing Birth Centers et des Home-like Birth Centers, les premières étant extra-muros et les secondes intra-muros et même souvent contiguës à une maternité, il expose différentes enquêtes, réalisées au Québec ou aux États-Unis. En ce qui concerne le second type — intra-muros, ce qui correspondrait au projet ministériel — il explique ironiquement que ces Maisons de Naissance « se distinguent des maternités classiques par... l’ameublement, la décoration, les éclairages et par moins d’interventions médicales ». Puis il expose les résultats d’une analyse effectuée en 2001 à partir de cinq études randomisées en soulignant que l’auteur montre que « le taux élevé de transfert rend difficile l’interprétation des résultats, mais qu’il y a un moins grand nombre de péridurales, d’anomalies du rythme cardiaque foetal et de directions du travail dans le groupe le moins médicalisé » et de conclure « on s’en serait douté! » Il souligne qu’il y a « une tendance non significative à une mortalité périnatale supérieure » que « les taux de césarienne, d’hémorragie de la délivrance, de réanimation néonatale, d’Apgar[14] inférieur à 7 à 5 minutes et d’admission en soins intensifs sont identiques ». Viennent ensuite des considérations concernant les problèmes que posent ces Maisons, en particulier en ce qui concerne la sécurité : le Pr Marpeau remarque qu’il faut une sélection rigoureuse des patientes, un taux élevé de transfert, une contiguïté de la Maison de Naissance et de la Maternité conventionnelle pour avoir des résultats voisins de ceux obtenus dans les services classiques. Quant aux avantages « théoriques » que ces Maisons de Naissance sont censées offrir, il s’agit essentiellement de la satisfaction de la mère qui serait supérieure, mais ce chef de service se demande ce que deviendraient ces résultats si l’hôpital pouvait bénéficier des mêmes conditions d’accueil, c’est-à-dire d’une sage-femme par parturiente... Enfin, il examine l’un des arguments avancés par ceux qui défendent les Maisons de Naissance et qui concerne les excès de la « médicalisation poussée qui peut en effet produire des interventions excessives envahissantes, voire franchement iatrogènes; éloigner la grossesse et l’accouchement physiologiques de l’interventionnisme du corps médical et confier ce travail exclusivement aux sages-femmes pourraient alors limiter ces risques ». Laissant passer quelques secondes, il enchaîne en disant « ceci reste à démontrer ».

Toujours dans le registre de la iatrogénie, il synthétise les différentes critiques qui circulent actuellement sur les obstétriciens et s’emporte en déclarant qu’il :

[...] est inconvenant de reprocher aux obstétriciens, dans le même temps, de faire trop et pas assez de césariennes, d’intervenir trop tôt et trop tard sur une anomalie du rythme cardiaque foetal, d’être un dangereux acrobate des forceps et de ne plus savoir les utiliser, d’être un maniaque de l’épisiotomie et de n’avoir pas su éviter une déchirure, d’être toujours là et de ne pas être disponible.

Ayant « conquis son public », selon un obstétricien présent dans la salle, il termine sa prestation en fustigeant les « apôtres » des Maisons de Naissance et conclut sur un ton sarcastique : « Faut-il, pour avoir des rideaux aux fenêtres et un personnel suffisant, tenir des congrès nationaux, agiter des épouvantails et revenir sur des acquis fondamentaux? » (Marpeau, 2001 : 267).

La charge est rude, mais le ton n’a rien à voir avec ce que l’on peut entendre dans certains entretiens, en particulier contre les sages-femmes puisque ce sont elles les véritables porte-parole de ce projet :

Les sages femmes qui s’expriment sur ce sujet ne reflètent certainement pas la base... C’est une bande d’agitées... Ce sont les mêmes qui, il y a quelques années, nous reprochaient à nous les médecins d’être des vrais salauds et de ne pas nous préoccuper de la douleur des femmes, ce sont les mêmes énervées qui font des projets de maisons maternelles, bien sûr sans anesthésiste et sans péridurale, et qui vous disent : « En cas d’hémorragie de la délivrance, on peut faire une délivrance artificielle à cru! » Ça oui, on peut le faire! Au Congo, on le fait et ailleurs aussi bien sûr... mais quand même! Je trouve ça scandaleux...

Quant aux femmes susceptibles d’être intéressées par un accouchement démédicalisé, selon ce chef de service, exerçant en niveau iii, leur nombre sera nécessairement réduit :

Ça ne pourra intéresser que peu de femmes : d’abord, il faudra les sélectionner à bas risque et c’est très difficile, et en plus il faudra qu’elles soient volontaires... et elles ne sont pas folles les femmes, vous pensez qu’actuellement les femmes voudront accoucher dans un merdier pareil? Sans péridurale? Sans anesthésiste? Sans pédiatre? Ça sera une usine à gaz! Enfin, que ce soit les sages-femmes porteuses de ce projet ou les femmes décidées à se passer de la technologie obstétricale, elles sont, les unes et les autres, accusées d’avoir une « mentalité sectaire » : avant, il y avait l’accouchement à domicile pour certaines cinglées et maintenant on va créer une strate supplémentaire totalement inutile et dangereuse [...] et qui va accoucher là-dedans? Une bande sectaire, c’est littéralement une attitude sectaire de gens qui détestent les toubibs, on va rendre à l’accouchement sa physiologie, son naturel (ton ironique) contre le salaud de médecin aux dents longues, qui crée de la iatrogénie, c’est complètement absurde!

Ce point de vue, défendu avec véhémence, a le mérite d’exprimer clairement ce que pensent et ce que formulent d’autres obstétriciens dans des termes moins virulents, mais néanmoins sévères à l’égard des sages-femmes :

Je trouve curieux que notre ministre se laisse embarquer dans un projet aussi grotesque... quant à ces pauvres sages-femmes toujours mécontentes de leur sort... ce n’est certainement pas en défendant des projets tous plus foireux les uns que les autres qu’elles se feront « reconnaître », puisque c’est ça qu’elles cherchent...(obstétricien, maternité de niveau ii)

Pourtant, ces Maisons de Naissance, telles qu’elles sont définies par le conseiller du ministre, ne représentent pas une réelle contestation de la « médicalisation » de la naissance puisqu’elles doivent se trouver dans l’enceinte d’une maternité et que les sages-femmes françaises appartiennent au corps médical[15]. Cependant, elles induisent une remise en cause radicale du recours croissant à la technique pour tout accouchement et c’est pourquoi ces futures Maisons de Naissance provoquent des réactions très vives. Les obstétriciens se sentent attaqués non seulement dans leur rôle, puisqu’on « leur reproche tout et son contraire », mais aussi parce qu’ils y voient une atteinte aux « progrès de l’obstétrique »; il s’agit pour certains d’une « démarche obscurantiste » qui ne « peut aboutir qu’à des catastrophes ». Ce n’est pas le risque omniprésent, imprévisible et irréductible qui est mobilisé pour dénoncer « l’irresponsabilité des sages-femmes qui vont entraîner des femmes influençables » vers une « régression sans précédent » mais l’irréalité médicale du « bas risque ». Elle constitue le pivot de l’argumentation utilisée par les professionnels hostiles à ce projet : si le bas risque est réellement impossible à définir — et l’on a vu l’énergie que peuvent y consacrer certains obstétriciens — sélectionner une population susceptible d’être orientée vers ces Maisons de Naissance deviendra une gageure impossible à tenir. La crainte du médico-légal étant utilisée de façon tactique : « Les juges ne s’y tromperont pas, ils opposeront les principes d’obligation de moyens et de sécurité » (Marpeau, 2001 : 266).

Pour le « bas risque » et les Maisons de Naissance...

Si l’on reprend les termes du débat, on peut dire que la catégorie du « bas risque », comme nous l’avons déjà vu, peut être définie « par exclusion », si le raisonnement est centré sur la recherche de pathologie ou bien « par inclusion », si la naissance et l’accouchement sont appréhendés avant tout comme des processus physiologiques. Discuté, et même parfois rejeté, le « bas risque » fonde la hiérarchisation des maternités et en particulier le niveau i, qui, si la catégorie devait être supprimée, n’aurait pas d’autre alternative que de devenir du niveau ii ou de disparaître. Par conséquent, défendre l’existence du « bas risque » représente un enjeu sur plusieurs plans.

D’abord, il s’agit de plaider pour le maintien de maternités de proximité auxquelles sont attachés les professionnels qui y travaillent et les habitants de zones souvent rurales qui acceptent mal l’idée d’être obligés de faire des trajets importants pour avoir accès aux soins. Différentes mobilisations de la population locale ont eu lieu (Lamure, Decazeville, Céret, etc.) pour empêcher la fermeture d’établissements jugés selon le nombre annuel d’accouchements (moins de 300) et non selon les résultats obtenus, que ce soit en termes de mortalité, de morbidité, de césariennes ou de transfert néonatal[16]. Comme le dit une sage-femme exerçant dans une petite maternité, « la charge affective est forte », d’autant que la fermeture de la maternité est en général mauvais signe pour la survie de l’hôpital lui-même. Dans un article au titre un peu mélodramatique « la fermeture des maternités de proximité : des femmes et des enfants vont-ils mourir? », un démographe montre que, contrairement à l’Allemagne, la France a une faible densité de population et une distance moyenne entre villes importantes de 100 à 120 km, où pourraient être désormais concentrées les maternités. Il en déduit que les temps de transport seraient alors supérieurs au maximum des 30 minutes conseillées et prévoit « que des femmes et des enfants mourront » si les pouvoirs publics s’obstinent dans ce projet de fermeture des maternités de proximité[17].

Parallèlement, il s’agit de défendre une certaine idéologie de la naissance où « la convivialité n’exclut pas la sécurité », sans pour autant rejeter la technologie médicale, mais en « limitant autant que faire se peut son utilisation systématique » (surveillante, maternité de niveau i). Exercer dans ces petites maternités est souvent présenté comme « un vrai choix » et par exemple, pour cette sage-femme exerçant depuis 11 ans en maternité de niveau i, il « serait hors de question de retourner bosser à l’usine du CHU » : « notre boulot ici est vraiment du boulot de sage-femme puisqu’on a du bas risque : on fait un vrai travail d’accompagnement, on reste la plupart du temps dans la physiologie et c’est quand même à ça qu’on a été formé, nous les sages-femmes ». Une autre défend « la globalité de la naissance » et reprend l’un des slogans, brandi au moment des grèves du printemps : « je refuse le démoulage industriel des bébés ». Le « bas risque » est revendiqué comme le domaine de compétences des sages-femmes où il est possible de privilégier l’environnement de la naissance et les rapports avec « la femme qui est en train de devenir mère ». Évidemment, ce sont les sages-femmes qui affirment la spécificité du niveau i et du « bas risque » puisqu’elles y trouvent un espace à leur mesure.

Pourtant, dans ces petites maternités, où l’on a affaire à du « bas risque », la pratique des césariennes « de sécurité », des déclenchements et des accouchements programmés n’est pas absente, et les sages-femmes n’hésitent pas à tenir un discours critique à l’égard de la médicalisation jugée « abusive » qu’elles subissent à défaut de pouvoir l’éviter (Carricaburu, 2005). Certaines critiquent ouvertement cette « hypermédicalisation de la naissance », cette « technicisation », cette « robotisation » et se disent prêtes à remettre en question l’utilisation systématique du monitoring, du toucher vaginal, de la position allongée pendant le travail et même pour l’accouchement... pour revenir à une naissance « plus physiologique ». Ce discours centré sur l’idée d’un retour à une naissance qui serait « démédicalisée » n’est pas nouveau, il existe depuis les années 1960-1970, Frédéric Leboyer[18] et Michel Odent de la Maternité de Pithiviers en étant les porte-parole français les plus connus. « C’est ce qu’on appelait la tendance écolo de la profession de sage-femme », disait en souriant une surveillante qui, après vingt-deux ans de pratique en niveau iii se sent « de plus en plus en phase avec cette conception de la naissance », ce qui concrètement se traduirait pour elle par un « véritable engagement en faveur des Maisons de Naissance... si le projet voit le jour! » En fait, si l’on admet que le dispositif de complémentarité des maternités — pour ne pas dire de hiérarchisation — reconnaît la légitimité du « bas risque », le discours de « dé-technicisation » s’en trouve lui-même légitimé et peut quitter le registre de « la naissance écolo » pour trouver son expression dans les Maisons de Naissance, où pourrait être réhabilité « l’art de la physiologie » (Akrich, 1998).

Au moment où la « controverse » évoquée plus haut était mise en scène, ces Maisons étaient encore à l’état de projet, et la mise en place d’expériences « pilote » était à l’étude au Ministère : six ans plus tard, aucune d’entre elles n’est encore ouverte... Une expérimentation est prévue par le nouveau plan Périnatalité et doit être réalisée en 2007, les décrets étant annoncés pour le mois de juin[19]. Mais la controverse n’en est pas éteinte pour autant. Ces dernières années ont vu se dérouler des États Généraux de la Naissance en 2003 et 2006 et se créer un Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) regroupant plus de 130 associations « d’essence citoyenne émanant de champs associatifs différents, mais qui ont tous à un titre ou à un autre une action dans le domaine de la naissance[20] ». Ce collectif est devenu en peu de temps un acteur incontournable qui entend défendre la création de Maisons de Naissance, dont la définition est devenue elle-même un enjeu. En effet, le CIANE, s’appuyant sur l’appellation « Maison de Naissance », définie par le réseau « birthcenter-Europe » et déposée en France à l’INPI[21] par le Groupe National de Travail sur les Maisons de Naissance défend la Maison de Naissance comme « une structure autonome, située en dehors des établissements hospitaliers » alors que la position ministérielle est de considérer que ces Maisons de Naissance doivent être attenantes aux unités de soins. Ce collectif dénonce les « pôles physiologiques » prévus par un certain nombre de maternités qui « s’autodésignent maison de naissance » et que le CIANE qualifie de « désignation trompeuse », il conteste la légitimité de cette appellation dans le plan Périnatalité 2005-2007.

Les avantages des « Maisons de Naissance » sont au coeur du débat dans la mesure où elles apportent des possibilités de réponse à certains des problèmes qui agitent actuellement le monde de l’obstétrique. Elles permettraient d’aider à résoudre le déficit en obstétriciens et en anesthésistes puisqu’elles fonctionneraient sans la présence de ces spécialistes, sous la seule responsabilité des sages-femmes, sachant que les femmes qui souhaiteraient y accoucher ne pourraient pas avoir recours à l’analgésie péridurale. Deuxième argument, celui « des économies », même s’il est contesté par les opposants, il ne peut être balayé, car un accouchement réalisé par une sage-femme est moins coté que celui réalisé par un obstétricien... Et l’on peut supposer que l’absence de moyens techniques aurait nécessairement des répercussions en termes budgétaires. Enfin, troisième argument qui n’est pas des moindres, ces Maisons de Naissance donneraient satisfaction non seulement à de nombreuses sages-femmes, mais aussi à une certaine « demande sociale », qui exprime le souhait d’une naissance plus « naturelle ». Cependant, la localisation de ces Maisons, en dehors de l’hôpital ou bien attenantes aux maternités, polarise les tensions. Dans le premier cas de figure, elles sont géographiquement et juridiquement indépendantes, sous la responsabilité exclusive des sages-femmes, comme en Grande-Bretagne, et favorables à une réelle autonomie de pratique des sages-femmes; alors que dans le second cas, elles restent sous la responsabilité et l’autorité des obstétriciens, ce qui finalement leur permettrait de préserver leur hégémonie sur l’ensemble du processus de la naissance.

Conclusion

D’après l’enquête réalisée, il semble y avoir un consensus professionnel sur ce que sociologiquement on peut considérer comme une réelle « hiérarchisation » des maternités qui ne fait somme toute que conforter un système déjà fortement médico-centré sur la spécialisation et l’équipement technique. Cette hiérarchisation est fondée sur des données épidémiologiques et une définition probabiliste du risque qui se traduit par trois niveaux différents. Or ces trois niveaux de risque sont loin de faire l’unanimité des professionnels concernés. C’est la catégorie du « bas risque » qui est source de controverse, car elle représente une double menace pour les obstétriciens : menace de se voir réduits à de « super sages-femmes » pour ceux qui exercent dans les maternités de niveau i; menace pour le groupe professionnel lui-même qui redoute d’être à terme dépossédé de son hégémonie sur la naissance. En effet, cette catégorie du bas risque ouvre non seulement un espace où un discours de « dé-technicisation » de la naissance peut s’exprimer, mais aussi un espace d’appropriation pour les sages-femmes qui voient l’opportunité que pourrait représenter la présence des Maisons de Naissance comme étape d’un processus d’autonomisation de leur groupe professionnel. L’ultime argument que peuvent alors opposer les obstétriciens hostiles à une nouvelle répartition des compétences avec les sages-femmes consiste à tenter de démontrer que le bas risque n’existe pas. In fine, la définition du risque obstétrical dans son acception probabiliste, même si elle a justifié la réorganisation de la périnatalité, n’a pas totalement éliminé l’idée du risque ubiquitaire qui peut être réactivé par la rhétorique du groupe social dominant lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts. Ces deux définitions du risque obstétrical traduisent des « idéologies obstétricales » en tension, incarnées dans la controverse larvée autour des Maisons de Naissance, radicalisant ainsi les positions des uns et des autres sur la question de la technicisation de la naissance et du maintien ou non, à plus ou moins long terme, des 80 % de grossesses et d’accouchements « physiologiques » dans le giron des obstétriciens.