PrésentationGoûts, pratiques culturelles et inégalités sociales : branchés et exclusContent[Record]

  • Viviana Fridman and
  • Michèle Ollivier

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  • Viviana Fridman
    Département de sociologie
    Université du Québec à Montréal
    C.P. 8888, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) Canada H3C 3P8
    vivifridman@yahoo.com

  • Michèle Ollivier
    Département de sociologie
    Université d’Ottawa
    C.P. 450, succursale A
    Ottawa (Ontario) Canada K1N 6N5
    ollivier@uottawa.ca

Avec la publication de La distinction en 1979, Bourdieu ouvrait un nouveau champ d’investigation en sociologie, au carrefour de la sociologie de la culture et de celle de la stratification sociale. S’inspirant à la fois de la perspective marxiste sur les classes sociales et les idéologies, selon laquelle les formes de la conscience reflètent les conditions matérielles d’existence, et de la conception wébérienne du statut, qui voit dans les styles de vie un élément essentiel de la compétition statutaire, Bourdieu a constitué le goût en objet central d’une sociologie de la domination. Vingt-cinq ans après la publication de La distinction, ce numéro spécial de Sociologie et sociétés présente une réflexion sur la pertinence de la sociologie bourdieusienne du goût dans des sociétés qui ont connu, depuis, d’importantes transformations sociales et intellectuelles. Malgré leurs divergences, les textes de ce numéro s’inscrivent pour la plupart dans le prolongement critique des thèses de Bourdieu, en autant que les auteurs placent la socialité du goût, et particulièrement les questions liées à la légitimité et à la domination culturelles, au coeur de leur réflexion. C’est donc la pertinence même d’une sociologie du goût, au sens d’une réflexion sur les conditions sociales d’exercice du jugement esthétique, qui est réaffirmée dans ces textes. C’est cette même conviction d’une sociologie du goût à la fois possible et essentielle qui constitue le point de départ de La distinction. Au-delà du caractère fugace, voire frivole, de son objet d’étude, la sociologie du goût jette un éclairage tout à fait particulier sur les rapports de pouvoir et la constitution du lien social. En effet, si certains critiques ont souligné le caractère réducteur de l’approche bourdieusienne, en avançant que le goût ne peut être considéré ni uniquement sous l’angle de la compétition statutaire ni comme expression, même inconsciente, d’un désir de maximisation de profits matériels et symboliques, plusieurs reconnaissent le caractère novateur de certaines de ses composantes. Laissant derrière elle les notions plus générales d’idéologie et d’hégémonie, qui faisaient déjà partie du vocabulaire de la sociologie critique depuis de nombreuses décennies, l’approche bourdieusienne a mis en lumière les processus sociaux structurant les choix et les préférences esthétiques, traquant ainsi certains effets de domination jusque dans les replis les plus intimes de la vie quotidienne — qu’il s’agisse de la sélection d’une filière d’enseignement, des préférences culinaires ou encore des choix en matière musicale. Le concept de capital culturel a ainsi mis l’accent sur les mécanismes de constitution et de transmission d’un patrimoine non seulement économique, mais aussi symbolique, renouvelant profondément les concepts mêmes de classe sociale et de domination de classe. Alors que de nombreux sociologues célèbrent la désarticulation des structures, concept clé sur lequel s’était édifiée la sociologie classique, et la montée de l’individualisme qui en constitue le corollaire, la thèse bourdieusienne du caractère relationnel et structuré du jugement de goût peut même être perçue aujourd’hui comme subversive (voir Guy Bellavance, Myrtille Valex et Michel Ratté dans ce numéro). Quoiqu’ils se situent, d’une façon ou d’une autre, dans le prolongement de la réflexion amorcée par Bourdieu dans La distinction, les textes n’en appellent pas pour autant à l’immobilisme intellectuel. Si les critiques des insuffisances du modèle bourdieusien sont connues, la réflexion sur le travail de reconstruction reste en grande partie à faire. Comment, en effet, appréhender les inégalités sociales liées à la culture, dans un monde où l’idée même de structure, et a fortiori celle d’homologie entre ces structures, apparaît de plus en plus désuète ? Comment saisir ces inégalités alors que le concept même de classe sociale ne suffit plus à rendre compte de phénomènes tels …

Appendices