IV. Dossier spécial : les actualités de SimmelTraduction inéditeIV. Special Report: Simmel' News

Georg Simmel, Transformation des formes culturellesGeorg Simmel, Transformation of Cultural Forms[Record]

  • Barbara Thériault

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  • Traduction de l’Allemand par
    Barbara Thériault
    Université de Montréal

Article publié dans l’édition du matin du Berliner Tageblatt, le 27 août 1916 [deuxième supplément] sous le titre « Wandel der Kulturformen ».

Le texte est paru le 27 août 1916 sous le titre « Wandel der Kulturformen » dans le quotidien Berliner Tageblatt, où Simmel publiait assez souvent des essais. On ne dispose pas de précisions sur l’histoire du texte. Il est toutefois à supposer que Simmel l’a tiré des études sur la théorie de la culture qu’il menait depuis 1915 et qui aboutiront dans la formulation du plus étendu « Der Konflikt der Kultur » paru en 1918 (voir GSG 16), dont il partage la thématique. Dans « Transformation des formes culturelles », Simmel présente une synthèse de sa dernière conception de la crise de la culture moderne. Elle ne contemple pas seulement le contraste entre la culture objective et la culture subjective de l’individu, mais aussi le conflit entre la « vie et les formes » dans l’ensemble du processus culturel. Simmel se penche ainsi sur une série de phénomènes de la culture de l’avant-guerre qui illustrent cette évolution. Il n’y a plus en revanche de référence à la guerre et à sa signification pour la culture. Simmel se trouve désormais au-delà de la phase initiale de rapport émotionnel au conflit et commence à développer des positions plus critiques. Depuis la publication des essais sur l’« Idée d’Europe » et sur l’« Europe et l’Amérique » (voir GSG 13) dans le même quotidien, il a subi une action judiciaire pour « attitude antipatriotique ». Par conséquent son discours se fait plus prudent et se concentre sur la « crise de la culture » avant l’éclatement de la guerre.

Simmel considère que, dans les sociétés complexes, le constat marxien du conflit entre formes et forces productives ne se laisse plus limiter au seul domaine de l’économie. Chaque sphère de la différenciation fonctionnelle connaît son antagonisme entre les énergies créatives et les structures institutionnelles qui les abritent. Le « conflit entre la vie et les formes » devient alors le chiffre de toute la modernité. Le rythme de vie de la culture consiste dans la recherche continuelle des limites des formes culturelles établies et amène à l’institutionnalisation de nouveaux styles, formes et modalités expressifs. L’élément vitaliste de la culture moderne est pourtant hypertrophique. La condensation de l’esprit créateur dans des nouvelles synthèses culturelles devient alors de plus en plus difficile. L’immobilisme du déjà vu ou, à l’autre extrême, le refus de toute dotation de forme prennent le pas sur la culture. À la suite de la contradiction de ses éléments constitutifs, celle-ci se trouve prisonnière d’une impasse de son cycle d’évolution. Ici comme dans « Der Konflikt der Kultur » de 1918, tant le naturalisme que l’expressionnisme, le futurisme que les nouvelles formes de la religion non confessionnelle font objet de critique. Malgré leurs différences, ces phénomènes sont à voir selon Simmel comme autant de symptômes de la stagnation du processus créatif de la vie culturelle de son époque qui oscille entre une forme sans expression et une expression sans forme. Si même la logique binaire de la science et de la philosophie n’arrive plus à saisir la réalité ultime du monde, c’est que celui-ci a perdu le moteur dialectique de sa construction. La médiation entre les philosophies de Kant et de Bergson opérée par Simmel lui permet de développer le diagnostic de la crise de la modernité, mais non d’en indiquer la solution. Seulement une nouvelle synthèse de la culture pourrait relier synoptiquement la fluidification et la condensation des styles culturels, l’institutionnalisation et la désinstitutionnalisation continuelle des liens sociaux modernes. Pour Simmel, une telle synthèse n’est toutefois plus à repérer dans l’horizon historique de la Première Guerre mondiale où il écrit son essai sur la transformation des formes culturelles. Alors que la modernité assume plus que jamais la physionomie d’un Janus Bifrons entre liquidité sociale et sclérose culturelle, c’est à la sociologie de relever le défi du diagnostic simmelien.

Gregor Fitzi

Université de Oldenburg

Le schéma marxiste du développement économique : les forces économiques de chaque période historique font naître une forme de production qui leur est appropriée, mais à l’intérieur de laquelle elles prennent une ampleur qui n’y trouve plus sa place ; elles font éclater la forme et en créent une nouvelle. Ce schéma est valable bien au-delà du domaine de l’économie. Il y a inévitablement un conflit entre la vie, qui s’étend et déferle avec une énergie toujours renouvelée, et les formes de son expression historique qui perdurent avec uniformité et rigidité. Ce conflit traverse, bien qu’il demeure par endroits latent, toute l’histoire de la culture. En ce moment, ce conflit me paraît être vigoureusement à l’oeuvre au sein d’un grand nombre de formes culturelles. Le naturalisme artistique qui se propagea vers la fin du siècle dernier était un signe que les formes de l’art qui prévalaient durant le classicisme ne pouvaient plus absorber l’expression débordante de la vie. On eut l’espoir de pouvoir contenir cette vie dans une représentation immédiate de réalités données, autant que possible sans l’intervention d’une intention humaine. Le naturalisme a échoué du point de vue des besoins décisifs, comme semble le faire l’expressionnisme actuel qui a remplacé la représentation immédiate de l’objet par le processus psychique et son expression tout aussi immédiate. Parce que l’émotion intérieure s’y prolonge dans une création extérieure, en quelque sorte sans considération pour sa forme propre et les normes objectives qui s’y appliquent, on croyait avoir enfin produit l’expression appropriée — sans déformation par des formes extérieures — de la vie. Or, il semble que l’essence de la vie intérieure réside précisément en ce qu’elle ne trouve toujours son expression que dans des formes marquées par une légalité, un sens, une stabilité, des formes autonomes et indépendantes de la dynamique psychique qui les a créées. La vie créatrice produit constamment quelque chose qui n’est pas, en soi, la vie ; quelque chose contre lequel elle ne manque pas, d’une manière ou d’une autre, de se heurter fatalement, quelque chose qui lui réclame son indépendance. Elle ne peut s’exprimer, sinon dans des formes ayant une existence intrinsèque et une signification autonome. Cette contradiction est la véritable et perpétuelle tragédie de la culture. La vie qui déferle du génie et des époques d’exception parvient à la création d’une forme heureuse et harmonieuse ; elle conserve en elle, pour un temps du moins, la vie, et ne se fige pas dans une forme qui lui serait toujours plus hostile. Dans la plupart des cas, une telle contradiction est cependant inévitable. Là où l’expression de la vie, pour éviter cette contradiction, se présente pour ainsi dire dans une nudité, sans forme, il ne résulte absolument rien de compréhensible, qu’un verbiage et non une expression articulée. Au lieu d’une forme unie, certes caractérisée par des contradictions et des durcissements, il ne résulte finalement qu’un chaos de fragments de formes atomisées. Le futurisme s’est avancé jusqu’à l’extrême conséquence de notre situation artistique : il est le désir passionné d’expression d’une vie que les formes héritées ne parviennent plus à contenir, qui n’en a pas encore trouvé de nouvelles où s’établir et qui, pour cette raison, veut trouver sa possibilité pure d’existence dans la négation de la forme ou dans une forme tendancieuse et absconse. Il entre en contradiction avec l’essence même de la créativité, précisément pour échapper à cette autre contradiction qui lui est inhérente. Nulle part ailleurs sans doute que dans certaines exécutions du futurisme ne trouve-t-on avec autant d’acuité l’illustration que la vie est encore une fois devenue prisonnière des formes qu’elle avait érigées en …

Appendices