Feuilleton

Séminaire pour masochistes[Record]

  • Gabrielle Goettle

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  • Gabrielle Goettle
    Journaliste à la « taz », Berlin

  • Traduit de l’allemand par
    Barbara Thériault

De la nécessité matérielle naissent certaines idées salvatrices. Comme celle de placer l’annonce suivante : Étonnamment, elle suscita un grand intérêt. La plupart de ceux qui ont appelé pour s’informer ne savaient toutefois pas de quoi il s’agissait. Plusieurs s’imaginaient une offre toute spéciale derrière le texte « codé ». Leur curiosité s’évaporait instantanément lorsque je leur disais qu’il s’agissait vraiment de simples conversations. Comme prévu, seuls des hommes se sont manifestés. Plusieurs étaient probablement des masochistes, fétichistes ou sadistes aguerris et pratiquants. Avec eux, ça se réglait très vite : lorsqu’ils entendaient que le prix s’élevait à 120 marks et qu’aucune femme ne serait présente, ils mettaient fin à la conversation téléphonique avec plus ou moins de courtoisie. À la fin, seuls cinq hommes décidèrent de participer. Avec eux aussi, il fallut éclaircir quelques malentendus. Celui qui s’était présenté comme fétichiste du caoutchouc demanda par exemple s’il pouvait venir « en tenue ». Je ne compris qu’après un moment de confusion le sens de sa question, et lui demandai de se présenter dans des habits plus conventionnels. Un autre, masochiste, informaticien et neveu d’un philosophe fameux, s’enquit avec prévenance s’il devait apporter des films ou si nous disposions d’assez de matériel. Informé que le programme ne prévoyait aucun film, il remercia poliment et promit de venir quand même. Mes connaissances de l’objet étaient hautement superficielles et de nature plutôt littéraro-philosophique. Je m’étais donc, du moins c’est ce que je pensais, préparée avec soin et avais non seulement lu de la littérature scientifique, mais aussi regardé quelques produits de l’industrie pornographique. Avec cette formation, je me croyais relativement à la hauteur de la rencontre imminente ; je comblerais les creux grâce à mon talent d’improvisation. Le samedi matin, ils sont tous arrivés à l’heure au rendez-vous, donc en même temps, ce qui sembla les embarrasser un peu. Ils s’assemblèrent autour de la grande table. Chacun choisit une des six places — la moins prisée s’avérant être celle qui me faisait face, de l’autre côté de la table. Ils étaient silencieux et, comme si ça avait été convenu d’avance, commencèrent à mettre sur la table la somme exacte demandée. Pendant que je laissais circuler une enveloppe pour l’argent, il m’est apparu que cette façon de payer à l’avance correspond aux pratiques des studios et des bordels. Je laissai glisser l’enveloppe pleine dans le tiroir de mon bureau le plus discrètement possible. En contrepartie, après quelques mots de bienvenue et d’introduction sur l’objectif du séminaire, je me lançai dans un discours. Il y était question de la problématique de la violence, de phantasmes de soumission, de marginaux sexuels, de révolution et de fascisme. Au milieu de mon monologue, je remarquai soudain que j’étais passée à côté du sujet — ou du moins des attentes du public. Le plus discrètement possible, je délaissai donc les grandes théories et en vins au concret : que chacun parle un peu de soi, de ses expériences et de ses problèmes. Il était plus qu’évident que tous brûlaient d’envie à la fois de se raconter et d’entendre les révélations des autres. Il semble que cette passion entraîne un certain isolement. L’ambiance était maintenant vivante, on distribua des tasses, on se versa du café ou du thé, et on ne parvenait pas à décider de qui commencerait à parler. Tandis qu’ils agitaient leurs cuillères dans leurs tasses, je demandai à mon voisin de droite de commencer. Konrad, 56 ans, était le plus vieux du groupe. Il était maigre, grand, marié, sans enfant et pâtissier de métier. Il portait un pull trop grand de ce vert bleu que les …

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