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introduction

Les politiques d’éthique de la recherche s’appliquent avec plus de sévérité lorsqu’il est question de travailler avec des personnes considérées comme « vulnérables » (Mondain et Sabourin, 2009). La vulnérabilité de celles-ci est souvent évaluée dès les premières étapes de la recherche, au moment de la demande de certification éthique. Cette situation « peut exiger des efforts particuliers en vue de minimiser les risques pour les participants ou de maximiser les bénéfices potentiels » (Groupe consultatif interorganisme en éthique de la recherche, 2014 : 1). L’idée de consentir des « efforts particuliers » en matière d’évaluation éthique pour les recherches sur des sujets dits « vulnérables » semble faire consensus, ce qui paraît être moins le cas pour la définition et l’usage de la notion de vulnérabilité (Bracken-Roche et al., 2017). Cet article s’intéresse aux limites du recours à la notion de vulnérabilité dans deux projets de recherche portant sur l’itinérance et la précarité résidentielle. L’évaluation de la vulnérabilité des participants telle que préconisée en éthique de la recherche n’est pas sans risque de stigmatisation et d’imposition de sens. Les participants rencontrés ne se conçoivent pas nécessairement comme vulnérables et si c’est le cas, il ne s’agit pas d’un élément central de leur présentation de soi. La préoccupation éthique par rapport à la vulnérabilité des participants semble mettre paradoxalement l’accent sur une définition déficitaire et négative de ces derniers. La première partie de l’article traite du développement en parallèle qu’a connu, en bioéthique et en sciences humaines et sociales (SHS), la définition de la vulnérabilité. Elle est suivie de la présentation de deux projets de recherche sur la précarité résidentielle dans l’objectif de discuter des limites du recours à la notion.

1. définitions et usages de la notion de vulnérabilité

La notion de vulnérabilité est centrale dans les politiques d’éthique de la recherche, mais sa définition est loin d’être univoque. En fait, comme bien des notions, elle reste polysémique. Plusieurs définitions existent de la « vulnérabilité » selon les domaines de la vie sociale du monde juridique à celui de la recherche biomédicale, en passant par les sciences humaines et sociales (SHS) (Ennuyer, 2017) et la philosophie politique (Garrau, 2013). Elle peut prendre une acception philosophique très large comme constitutive de la condition humaine elle-même[1]. Cette première partie est un préambule obligé à propos des définitions et des usages de la notion. Il sera plus précisément question de la vulnérabilité en tant que concept développé en SHS et en tant que catégorie de la bioéthique. Les deux acceptions ne se recoupent pas nécessairement et semblent avoir connu des évolutions parallèles. La seconde semble s’être toutefois imposée à la première dans le cadre des politiques d’éthique de la recherche. La définition issue de la bioéthique tend ainsi à réguler le domaine des sciences humaines et sociales. Dans cette partie, il sera question de ces deux définitions et de leur application à la régulation de la recherche en SHS.

1.1 La vulnérabilité en sciences humaines et sociales

Dans le domaine des SHS, la notion de vulnérabilité a été l’objet de plusieurs définitions. Elle a été au centre de nombreuses réflexions en lien avec le domaine de l’éthique de la recherche en SHS, dont un numéro de la revue Ethica (Rondeau, 2016) et un dossier spécial de la revue Sociologie et sociétés (Mondain et Sabourin, 2009). La présente section ne peut rendre compte de la richesse des analyses développées à ce propos au cours de la dernière décennie. Elle se limite à situer les origines de la notion et à déterminer quelques éléments communs aux multiples assertions issues du champ des SHS.

Le terme « vulnérabilité » connaît une certaine popularité en France dans les années 1980 pour rendre compte de ce qui apparaît alors comme un « nouveau contexte sociétal » (Soulet, 2005 : 50). Le recours à cette notion serait solidaire de cette période qui voit les acquis collectifs remis en question, laissant les individus à leurs seules ressources pour affronter leurs défis. Soulet résume ainsi ce contexte :

Le contexte sociétal contemporain d’incertitudes et de reports de responsabilité sur les individus produit structurellement un univers de vulnérabilité pour tous dans la mesure où la société n’est plus tant à concevoir comme un univers de contrôle normatif des conduites de ses membres, mais comme un contexte d’épreuves et d’évaluations permanentes auxquelles doivent faire face les individus.

Soulet, 2005 : 49

Plusieurs auteurs associent l’émergence du vocable de la vulnérabilité à d’importantes transformations sociales dans les sociétés contemporaines. Par exemple, Genard se réfère à des changements survenus au cours de la seconde modernité, nommée aussi la « modernité avancée », pour expliquer l’émergence d’une « sémantique de la vulnérabilité, de la fragilité, de la souffrance » (Genard, 2009 : 28).

La notion de vulnérabilité se serait construite « de manière dynamique avec deux autres notions avec lesquelles elle est en débat : la pauvreté et l’exclusion sociale » (Thomas, 2010 : 17). Il décrit les mêmes populations « mises à l’écart de la société » (Ennuyer, 2017 : 367), visées par ces deux notions. La vulnérabilité renvoie aux notions d’insécurité, d’incertitude, de fragilité et de précarité (Ennuyer, 2017 ; Thomas, 2010).

Utilisé au pluriel ou/et substantivé, il forme à présent, avec ses synonymes les plus fréquents — fragile, précaire, faible — et ses antonymes — résistant et le néologisme résilient —, un ensemble de désignations et de qualifications enchevêtrées dans tous les discours publics concernant les pauvres

Thomas, 2010 : 23

Ces notions tirent leur origine du discours de l’économie du développement (Brodiez-Dolino, 2016 ; Thomas, 2010). La vulnérabilité désigne alors une diversité de risque allant des catastrophes naturelles aux crises économiques (Bourdelais, 2005 : 5), en passant par les changements climatiques (Rondeau, 2016). La vulnérabilité s’appuie aussi sur la réflexion en termes de risques, notamment sur les travaux de Beck sur la société du risque (Beck, 2015). La vulnérabilité se conçoit comme un potentiel (celui d’être blessé) davantage que comme un état de fait (être effectivement blessé). Elle se présente à la fois comme un état et comme un processus (Thomas, 2010 : 25). Contrairement aux notions de pauvreté et d’exclusion sociale, celle de vulnérabilité, de même que celles de fragilité et de précarité, permettrait de considérer un continuum de situations intermédiaires. Elle serait aussi relative à des contextes. Si bien qu’elle permet de reconnaître qu’un individu peut être vulnérable dans certains domaines de sa vie sociale, sans l’être nécessairement dans d’autres.

Par son universalité, cette notion a dès lors pour propriété d’être bien plus englobante que toutes les catégories antérieurement utilisées pour désigner les individus en difficulté, tout en s’appliquant aisément à l’action catégorielle.

Brodiez-Dolino, 2016

La vulnérabilité prend en considération aussi bien des dimensions biographiques que des dimensions structurelles. Soulet (2005) résume ainsi comment la notion articule les deux échelles en son sein :

La vulnérabilité est à saisir dans la relation entre un groupe ou un individu ayant des caractéristiques particulières (notamment un déficit de protection pour se garder de la potentialité à être blessé) et un contexte sociétal qui imprime la capacité à agir à partir de soi. Autrement dit, parler de vulnérabilité en soi n’a pas de sens dans la mesure où des individus singuliers sont vulnérables dans certaines conditions (variables et inégalement distribuées selon les individus) et dans celles-ci seulement.

Soulet, 2005 : 50

Alors que la pauvreté et l’exclusion sociale laissent peu de place aux éléments singuliers dans la situation des individus, la vulnérabilité combinerait les deux. La notion rendrait compte, comme il est mentionné plus haut, d’un contexte sociétal où les exigences de la normativité contemporaine s’adressent avant tout aux individus. Les ressources pour répondre à ces nouvelles normes seraient toutefois distribuées de manière inégale entre les individus. Cependant, comme le résume (Brodiez-Dolino, 2016), « c’est d’abord la société qui vulnérabilise les individus, et non l’inverse ». Malgré ses multiples assertions, la vulnérabilité telle que définie dans le champ des SHS s’explique en relation avec le contexte social des individus (Garrau, 2013 ; Mondain et Ouédraogo, 2012 ; Zwick Monney et Grimard, 2015). Elle n’est pas une propriété des individus, mais plutôt un produit des sociétés.

1.2 L’origine biomédicale de la vulnérabilité en éthique de la recherche

En éthique de la recherche, la vulnérabilité prend un sens bien différent de celui proposé en SHS. La notion émerge du domaine de la recherche biomédicale. En étiologie, la branche de la médecine qui porte sur les origines des maladies, la vulnérabilité renvoie aux facteurs dits « internes » liés à la constitution biologique du patient dans l’explication du problème étudié par opposition aux facteurs « externes », comprenant les différents stress provenant de l’environnement. Ainsi deux patients peuvent être exposés à un stress similaire sans en être affectés de la même manière en raison de différences dans leur degré de vulnérabilité. Le sens accordé à la vulnérabilité en éthique de la recherche recoupe cette acception, mais se rapproche davantage de celle issue de l’épidémiologie, une autre branche de la médecine chargée d’étudier la maladie à l’échelle populationnelle (Gucher, Mallon et Roussel, 2006 : 8). La vulnérabilité s’apparente ici à la notion de « groupe à risque » (Lesemann, 1994). À partir d’une méthodologie quantitative, ces groupes sont objectivés par une démarche d’analyse croisée. Les « groupes à risque » identifiés par ce type de méthode ne sont pas des groupes dits réels ou dits « naturels » au sein desquels les membres entretiendraient des relations entre eux, mais plutôt des « agrégats statistiques », regroupés en fonction de leurs comportements à risque (Bracken-Roche et al., 2017 ; Leclerc, 1999 ; Lesemann, 1994). Cette méthode permet de cibler des groupes plus susceptibles de rencontrer certains problèmes sociosanitaires. La corrélation entre un comportement, par exemple l’abus d’alcool, et une variable sociodémographique, le fait d’avoir un faible revenu, peut donner, à tort, l’impression d’une relation de causalité. Le fait d’être « pauvre » conduirait à l’alcoolisme, raisonnement qui mènerait à privilégier une intervention ciblée vers ce « groupe vulnérable », mais aussi, à privilégier la recherche sur l’alcoolisme au sein de ce groupe construit. « Ces études (épidémiologiques) mettent en évidence des groupes statistiques dont la vulnérabilité est directement liée à leur condition de pauvreté » (Lesemann, 1994 : 583). Cette démarche d’identification de groupes cibles statistiquement construits s’inscrit dans la perspective de l’intervention sociale.

La perspective épidémiologique (…) met principalement l’accent sur les habitudes de vie, les comportements individuels à problèmes et la constitution de groupes à risque auprès desquels il convient d’intervenir

Corin, 1990 : 42

Cette approche épidémiologique est donc indissociable d’un objectif d’ordre normatif. Elle vise à l’identification des groupes-cibles, aussi nommés « groupes à risque », groupes vulnérables ou groupes fragilisés, sur lesquels intervenir. Le transfert du modèle biomédical dans les politiques d’éthique de la recherche semble aller de pair avec un emprunt de la démarche épidémiologique afin d’identifier et de désigner les groupes dits « vulnérables ». Comme le mentionne Otero (2013), l’existence réelle de ces groupes ou populations, au sens sociologique, dans lesquels se concentreraient certains problèmes sociaux, « reste à prouver » (Otero, 2013 : 352). Sur le plan épistémologique, ces « groupes vulnérables » demeurent des constructions statistiques et plusieurs critères leur manquent pour répondre à la définition sociologique de groupe (Leclerc, 1999), notamment une vie sociale commune et un sens minimal de leur identité.

1.3 La vulnérabilité : notion classificatoire en éthique de la recherche

Les deux définitions de la vulnérabilité que nous venons de présenter ont connu des développements parallèles. Dans le cadre de l’évaluation éthique, les projets en SHS portant sur des sujets humains sont jaugés à partir de concepts et de critères de la bioéthique. Dans les politiques d’éthique à la recherche, la notion est rarement dûment définie. Ayant mené l’étude en profondeur de onze politiques d’éthique de la recherche (cinq à l’échelle nationale et six à l’échelle internationale), Bracken-Roche et al. (2017) constatent que, si toutes les politiques font mention de la vulnérabilité, seulement trois politiques sur les onze définissent explicitement le terme (ibid. : 3). La vulnérabilité sous-entend implicitement un manque d’habileté du participant à défendre ses propres intérêts (Bracken-Roche, 2017 : 3). Plutôt que de fournir une définition explicite, ces politiques se limitent souvent à déclamer une énumération hétéroclite des groupes « vulnérables », une sorte de liste à la Prévert, où les minorités ethnoculturelles figurent à côté des personnes âgées et des personnes ayant une déficience intellectuelle. Des politiques comme la Déclaration d’Helsinki, l’Énoncé national australien et le rapport Belmont considèrent la vulnérabilité de certains groupes de participants comme un état permanent en les désignant par des qualificatifs comme « particulièrement vulnérable », « plutôt vulnérable » et « spécialement vulnérable » (Bracken-Roche et al., 2017 : 5). La définition de la vulnérabilité dans les politiques d’éthique à la recherche tend donc à s’éloigner de celle qui s’est popularisée à partir des sciences sociales en France.

La vulnérabilité s’apparente davantage à une notion « taxinomique et classificatoire » (Thomas, 2010 : 16) qu’à un concept scientifique dûment défini. À la différence de la notion de pauvreté, qui est mobilisée par les personnes concernées, la vulnérabilité n’est pas une « catégorie indigène » (Brodiez-Dolino, 2016), mais reste un terme technique utilisé par les chercheurs. Le terme est très exceptionnellement employé par les « vulnérables » eux-mêmes (Brodiez-Dolino, 2016). La désignation est une opération intellectuelle aux multiples conséquences, surtout dans le cas de « phénomènes sociaux problématisés » (Roy et al., 2018 : 40) et des populations qui les incarnent. La façon de définir et de désigner les groupes semble conduire au risque de « présumer d’emblée la vulnérabilité d’individus uniquement sur la base de leur appartenance à un groupe dit vulnérable » (Caldairou-Bessette et al., 2017 : 39). Avec bien des nuances, plusieurs auteurs font référence aux risques de stigmatisation des applications actuelles de la notion de vulnérabilité dans les politiques d’éthique (Bracken-Roche et al., 2017).

La désignation a priori d’une population comme vulnérable peut lui porter préjudice (Favrat, 2015 ; Thomas, 2010). Les tenants des politiques d’éthique de la recherche semblent se retrouver ici dans une situation des plus paradoxales, où les mesures particulières à l’endroit des groupes désignés comme « vulnérables » seraient susceptibles d’avoir des effets négatifs anticipés sur ces derniers. Sur le plan de la recherche, comme pour les « groupes décrétés à risque », les « groupes vulnérables » représentent davantage des agrégats déduits et construits abstraitement par les politiques que des « groupes concrets directement identifiables sur un territoire donné » avec « une identité commune » (Lesemann, 1994 : 584-585). Cette tendance à associer des problèmes sociaux à des groupes spécifiques est critiquée par de nombreux auteurs qui ont employé une diversité de concepts pour la désigner : métonymisation chez Otero (2013), substantialisation des êtres chez Sabourin (2009) et réduction identitaire chez McAll (2017). Ennuyer (2017) énumère ainsi l’ensemble des groupes de personnes considérées comme « vulnérables » (personnes âgées, personnes déficientes ou en situation de handicap, chômeurs, pauvres, immigrés, mal-logés, etc.), pour montrer comment ils sont maintenus dans « une vision négative et déficitaire des populations et potentiellement stigmatisante » (Ennuyer, 2017 : 367).

Dans le cadre de la recherche au Canada, l’EPTC 2 se différencie des autres politiques d’éthique de la recherche par une définition de la vulnérabilité qui accorde de l’importante au contexte (Bracken-Roche et al., 2017). Il ne s’agit pas d’une étiquette apposée une fois pour toutes ou simplement déduite de l’association à un groupe considéré comme « vulnérable »[2]. Élaborée à l’échelle nationale, la politique reste toutefois interprétée et appliquée à l’échelle des institutions et de leurs comités éthiques qui gardent une grande marge de manoeuvre. La question se complique lorsqu’il s’agit d’études menées auprès d’individus et de groupes considérés comme « vulnérables » où le champ disciplinaire des sciences sociales se situe souvent à l’interstice des champs de l’intervention sociosanitaire. La définition donnée par les politiques peut s’harmoniser avec celle des SHS, comme dans le cas de l’EPTC 2, mais elle reste sujette à l’interprétation que peuvent en faire les différentes instances responsables de l’appliquer. À cette échelle, la vulnérabilité semble être toujours assimilée à une caractéristique des groupes. Plusieurs éléments sont susceptibles d’expliquer la diversité des modalités d’application des politiques éthiques. Taylor, Taylor-Neu et Butterwick (2018) avancent quelques explications de ces variations entre institutions. La façon d’organiser les CER peut donc varier considérablement en fonction du type de recherche et des disciplines représentées dans un établissement donné. Dans le contexte canadien, un écart important semble exister entre l’éventail des possibles permis par l’EPTC 2 et ce qui se fait concrètement dans la pratique par les CER (Bracken-Roche et al., 2017 : 2). Selon Bracken-Roche et al. (2017), il manque présentement d’études portant sur les différents contextes de régulation d’une même politique d’éthique pour comprendre le spectre complet des modes d’application de la notion de « vulnérabilité ». Il transparaît néanmoins une tendance à la considérer comme un attribut des personnes plutôt que comme une évaluation circonstancielle de la situation de ces dernières. En regard de ces constats, la réflexion en éthique de la recherche sur des sujets humains gagnerait à s’appuyer davantage sur les connaissances produites par les sciences humaines elles-mêmes et à faire mieux valoir son autonomie disciplinaire.

2. deux projets sur la précarité résidentielle dans des contextes sociogéographiques contrastés

Dans cette partie, il sera question de deux projets de recherche ayant impliqué des populations considérées comme vulnérables selon les politiques d’éthique de la recherche. Ces projets portaient sur des participants ayant connu des situations de précarité résidentielle dans des contextes sociogéographiques bien contrastés : le centre-ville de Montréal et la région Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine (GÎM). Il sera d’abord question de présenter les traits principaux de ces deux projets de manière à approfondir les enjeux d’éthique dans la recherche menée auprès de participants considérés comme « vulnérables ».

2.1 Le projet Chez Soi (2009-2013) — Centre-ville de Montréal

Le premier projet s’est déroulé à Montréal et s’adressait à des personnes en situation d’itinérance et présentant des problèmes de santé mentale. Dans le protocole de recherche, il est donné la description suivante du profil du participant recherché : « statut juridique d’adulte (âgé de 18 ans ou plus) ; respect de la définition d’itinérance absolue OU de mal-logé […] ; présence de tout trouble mental grave, qu’il soit ou non accompagné de toxicomanie, mais n’exigeant pas un diagnostic officiel au moment de l’acceptation dans le projet » (Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance et Institut universitaire en santé mentale Douglas 2009 : 7).

Le site montréalais est l’un des cinq sites de ce vaste projet pancanadien comprenant Moncton, Toronto, Winnipeg et Vancouver. Son objectif était d’évaluer un modèle d’intervention nommé Logement d’abord (Housing First) inspiré d’un modèle développé aux États-Unis, Pathways to Housing (voir Goering et al., 2012 : 162). Cette intervention, d’où son nom, consiste à placer directement, sans passer par les ressources intermédiaires, les personnes en situation d’itinérance dans un appartement subventionné. Le participant doit accepter d’être suivi à domicile par une équipe clinique, de manière plus ou moins régulière selon l’évaluation de ses besoins. Ce projet a reçu un important financement, près de 110 millions. Il fut parrainé par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) et financé par Santé Canada (SC). Il en sera davantage question plus loin dans ce texte. Ce sont 2 250 personnes qui ont participé à ce projet pancanadien. Pour le site de Montréal, 469 personnes ont été recrutées. Le projet comprenait un volet principal portant sur l’efficacité de l’intervention et s’inscrivait dans une démarche expérimentale d’« essai clinique randomisé ». Pour le volet montréalais, 283 personnes ont participé aux groupes expérimentaux alors que 184 personnes étaient dans les groupes témoins, c’est-à-dire « ayant recours au service habituel ».

En plus du volet principal, le site de Montréal comprenait dix-sept « sous-projets de recherche ». L’approbation éthique des études et sous-études liées au projet Chez Soi a été soumise au comité éthique de l’Institut en santé mentale Douglas. Parmi ceux-ci, un volet qualitatif « histoire de vie » a été ajouté dans les cinq sites. Ce volet a été proposé à un participant sur dix, comprenant des membres des groupes expérimentaux et témoins. Il comporte deux entrevues semi-dirigées de type récit de vie réalisées en deux temps : une à l’entrée dans le projet sur la vie du participant et une seconde dix-huit mois plus tard. À Montréal, ce volet a été conduit par le Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS). On compte 46 personnes ayant participé à ces deux entretiens (McAll et al., 2013 : 3). La sélection des participants a été réalisée par une équipe de recruteurs/intervieweurs dans une diversité de ressources en itinérance de la ville de Montréal. Les analyses ont été réalisées par une équipe comprenant un pair agent de recherche, une personne ayant connu l’expérience de la rue et des services de santé mentale. Ce fut un atout pour comprendre de l’intérieur certaines dynamiques et pour analyser les rapports entre le savoir académique et le savoir d’expérience, notamment celui des personnes utilisatrices de services (Godrie, 2014, 2015).

L’étude avait permis de dégager, entre autres, l’importance de la référence aux attributs de la vie dite « normale », définie principalement en termes de possession d’objets sociaux[3] (Lupien, 2013). Sur le plan clinique, une modification dans le discours des membres du groupe expérimental par rapport à l’expression de l’état de santé mentale avait été observée. Ils ont été ainsi trois fois plus nombreux que le groupe témoin à mentionner une amélioration de leur santé mentale et une diminution de leur niveau de stress. Les participants ont attribué ce changement à l’accès rapide au logement garanti par le projet, mais aussi à l’attitude des intervenants responsables du suivi qualifié dans le registre du respect de leur autonomie (McAll et al., 2013). La sous-étude confirmait en ce sens les hypothèses de l’étude principale avec quelques mises en garde à propos de l’importance de continuer à soutenir une diversité d’approches cliniques et de ne pas miser uniquement sur l’approche étudiée en raison de ses résultats positifs.

2.2 Le projet Entre mer et déboires (2014-2016) — Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine

Pour ce qui est de la GÎM, le projet se situe dans un cadre bien différent. Il s’agit d’une région rurale et éloignée des centres urbains où se disperse une population de 91 781 habitants, à peu près celle d’un quartier montréalais, sur une vaste superficie de près 20 072 km2, comparable à celle de la Belgique, ce qui donne une densité de population de 4,5 habitants par km2 (Institut de la statistique du Québec, 2017). Le projet visait à réaliser un portrait de la situation résidentielle de la région portée par le Groupe ressource en logements collectifs Gaspésie / Îles-de-la-Madeleine (GRLC-GÎM), financé par le Fonds Innovation sociale du Québec et réalisé par le Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable (CIRADD). Le premier objectif était d’actualiser le portrait du logement et de l’habitation qui avait été réalisé en 2005 (Houde, 2005). À travers cet objectif principal, s’est développé un volet qualitatif portant sur la précarité résidentielle de différents profils de population : personnes avec des problèmes de santé mentale, personnes âgées en perte d’autonomie, femmes victimes de violence conjugale et mères monoparentales. En réunion avec les partenaires de la recherche, l’objectif de ce volet a été défini ainsi : « connaître qui habite où et dans quelle condition, avec une attention particulière portée aux populations en situation de vulnérabilité sur le plan de la santé (physique et mentale) et de l’inclusion sociale » (Lupien, 2016 : 3). Des entrevues de groupe ont joint une quarantaine d’intervenants de première ligne sur les problèmes liés au logement. Quinze entretiens de type récit de vie ont été réalisés avec des personnes vivant ou ayant vécu des situations de précarité résidentielle. Le projet a été soumis au Comité d’éthique de la recherche (CER) du Cégep de la Gaspésie et des Îles selon les politiques institutionnelles en vigueur.

Le volet qualitatif a permis d’approfondir deux principales situations résidentielles : les immeubles à loyers multiples et les maisons unifamiliales. Ce type d’habitation locative dans le domaine privé est situé principalement dans les centres de services régionaux, localités de plus de 2 500 habitants. Il est décrit sous l’angle de l’insalubrité et des risques pour la sécurité, notamment en matière d’incendie, et représente souvent un espace de relégation et y habiter s’accompagne fréquemment d’un stigma, celui d’appartenir à une population dite « à problèmes » (santé mentale, consommation, pauvreté et violence conjugale). De l’autre côté, les maisons familiales se divisent en deux situations problématiques. La première est celle des maisons louées pour une partie de l’année, habituellement neuf mois, et devant être libérées pour une location touristique estivale plus lucrative. Les locataires dans ce type de situation se heurtent à une situation de précarité résidentielle chaque été. La seconde est celle des propriétaires aînés qui, avec l’avancée en âge, peinent à assumer l’entretien de leur domicile autant sur le plan de leurs capacités financières que physiques. Certains appréhendent la nécessité de devoir quitter leur maison sans pouvoir la vendre à prix raisonnable pour trouver un hébergement adapté à leurs besoins, souvent à l’extérieur de leur milieu d’appartenance. Cette dernière situation est à l’origine d’un projet de thèse en sociologie en cours (Lupien, 2019).

Ces deux terrains de recherche présentent de nombreux contrastes qui correspondent aux différences entre les milieux métropolitains et les milieux ruraux et éloignés. Les variables démographiques sont aux antipodes. La population de la GÎM représente celle d’un seul quartier de Montréal alors que sa superficie outrepasse plusieurs fois celle du centre urbain. Le thème de la recherche n’était pas tout à fait le même. L’itinérance représente le stade le plus aigu de la précarité résidentielle selon la typologie de la Fédération Européenne des Associations Nationales travaillant avec les Sans-abris (FENTSA, 2007). Les deux projets ont été menés dans des contextes organisationnels bien différents. Le projet Chez Soi se place dans l’univers de l’intervention en santé mentale, davantage institutionnelle, et le projet en GÎM relève du milieu de l’habitation communautaire. Ces faits ont une influence à considérer dans la variation des applications de l’évaluation de la vulnérabilité des participants à la recherche, dans l’esprit des constats de Taylor et al. (2018). Malgré toutes ces différences, il serait possible de consacrer un article uniquement à l’analyse comparative de ces deux terrains, qui partagent la similitude principale de concerner des milieux d’interconnaissance. Les petites collectivités rurales de la GÎM et le microcosme montréalais de l’itinérance ont en commun d’être des milieux sociaux où tout un chacun se connaît minimalement de vue. Ainsi, les deux projets permettent de faire de nombreux constats analogues en ce qui concerne les enjeux éthiques de la recherche auprès des personnes considérées comme « vulnérables ». La précarité résidentielle, considérant un spectre plus large de situations incluant l’itinérance, se présente comme une étiquette négative à laquelle un coût symbolique semble associé. La reconnaissance de la vulnérabilité des participants aux deux projets se situe en amont de la recherche, comme « approbation préalable », notamment au moment de la demande de certification éthique. L’accent mis sur la vulnérabilité des participants, aussi bien comme souci éthique que comme objet de recherche, pose certaines limites. Cette partie sera consacrée à la présentation de trois principales limites rencontrées dans le recours aux notions de précarité résidentielle et de vulnérabilité dans deux projets de recherche. La première limite rejoint les critiques exposées plus haut sur les risques d’étiquetage que comportent ces notions. La seconde limite se rapporte à la confusion qu’elles engendrent entre visée d’intervention et de recherche. Le caractère normatif de celles-ci rend difficile une prise de distance du chercheur par rapport au rôle d’intervenant. Enfin, la troisième limite concerne le peu d’espace réservé aux dimensions structurelles dans la prise en compte de la vulnérabilité en matière d’éthique.

3.1 La vulnérabilité a priori des participants

La première limite de l’usage d’un vocable de vulnérabilité se situe au moment de la rencontre avec les participants. La lecture de la consigne tend à définir la situation résidentielle du participant sous un angle normatif. Cette situation est décrite dans un registre déficitaire et négatif. L’emploi de ce vocable n’est pas attribuable exclusivement au cadre éthique. Il trouve aussi son origine dans la manière de construire l’objet de recherche, centré sur l’étude de situations définies comme « posant problème ». Dans les deux projets, la recherche portait son regard sur des situations problématisées, que ce soit l’itinérance ou la précarité résidentielle, qui font l’objet d’une demande sociale. La vulnérabilité a priori des participants est loin d’aller de soi. L’expérience de recherche tend plutôt à montrer les inadéquations entre ce vocable de la « vulnérabilité » et celui des participants. Ne serait-ce que sur le plan narratif, la vulnérabilité n’appartenait pas au lexique des participants.

Plusieurs attitudes différentes, voire opposées, se dégagent du rapport des participants au thème de la recherche portant sur la précarité résidentielle.

Une première attitude de certains participant.es contraste avec l’accent mis sur leur vulnérabilité. Il s’agit d’une posture à l’opposé d’une présentation de soi dans le registre de la vulnérabilité-précarité-fragilité (Thomas, 2010). Ces participant.es mettent en avant leur action par rapport aux adversités rencontrées en lien avec le logement et l’habitation. Leur discours est un discours de « combattant ». Dans le projet Entre mer et déboires, le récit de certaines femmes en situation de monoparentalité prend des allures de récits de combat. C’est le cas de Jeanne[4] qui avait présenté tous les détails de ses recours auprès de la Régie du logement pour voir ses droits respectés par le propriétaire de son immeuble à loyers multiples. Les participantes ne se présentaient pas dans le lexique de la vulnérabilité, mais dans celui de la lutte nécessaire à mener pour leurs enfants. Les participantes adoptaient une attitude résolue et combattante dans leur récit. Il était question d’exposer leur démarche de recours de droits et les conditions difficiles de ce recours dans le contexte actuel du droit. Ces témoignages rejoignent les constats de recherche de Gallié (2016) sur l’accès limité des locataires au recours à la Régie en matière d’insalubrité. Certaines ont exprimé leur indifférence par rapport à la question de l’anonymat. Chez certaines, la situation d’entrevue semble avoir servi de tribune par rapport au droit des locataires. Cette façon de concevoir leur contribution à la recherche semble les éloigner du vocable de la vulnérabilité et de la précarité et les rapprocher de celui des revendications de droits. En ce sens, comme le soulignait Brodiez-Dolino (2016), la vulnérabilité n’est pas une « catégorie indigène », mais reste un terme de spécialistes apposé de l’extérieur sur les personnes désignées « vulnérables ». Les personnes ne se désignent pas elles-mêmes vulnérables ou précaires.

L’association au thème de la précarité résidentielle n’a pas été reçue de la même manière par l’ensemble des participants. Toujours dans le projet en Gaspésie et aux Îles, l’emploi du terme de « précarité résidentielle » a généré des situations de malaise, objectivées par les participant.es. Cette réaction semble avoir concerné principalement les participant.es avec un certain degré d’insertion socioéconomique marqué par l’occupation d’un emploi. La pénurie de logements qui frappe certaines sous-régions de la Gaspésie et des Îles crée des difficultés liées à l’accès au logement chez des personnes plus aisées et plus scolarisées. Des professionnels qui arrivent dans la région pour l’emploi peinent ainsi à se trouver un logement. Ils sont souvent dans une situation contractuelle et temporaire, et hésitent à procéder à l’achat d’une maison. L’éventail des possibilités de locations reste limité. Il est courant que les locations ne le soient que pour neuf mois, excluant la période estivale destinée à la location touristique. Pendant cette période, les locataires doivent se trouver un autre endroit pour vivre. En dépit d’un emploi bien rémunéré, des participantes comme Mélissa ont ainsi témoigné avoir vécu des situations pouvant être associées à la précarité résidentielle. « Je me disais la pauvreté et puis être sans emploi, ça ressemble à ça ! C’est tellement facile de se rendre là ! Avec un logement disponible et pas cher, je n’aurais pas eu ce stress-là », explique-t-elle. En début de carrière, professionnelle sans contrat permanent, l’absence de stabilité résidentielle est une difficulté de plus. Le récit des participant.es comme Mélissa contredit l’idée reçue qui associe nécessairement précarité résidentielle et défavorisation socioéconomique (Lupien, 2016 : 78). Le fait d’engager un entretien sur une situation problématique, ici la précarité résidentielle, crée un climat de justification chez les participant.es, qui est davantage palpable chez ce type de personnes. Si la notion de vulnérabilité au sens des SHS reconnaît que tout un chacun peut s’y être heurté dans un domaine de sa vie, l’idée d’être ou d’avoir été vulnérable reste difficile à admettre et amène certains participants à y résister. Cette façon de s’opposer aux étiquettes liées aux problèmes sociaux serait plus marquée chez les personnes ayant un statut et une position sociale à maintenir. Verhaegen (1985) avait remarqué la même dynamique par rapport au diagnostic psychiatrique, c’est-à-dire qu’il était davantage rejeté et contesté par les membres des classes moyennes et supérieures, pour qui l’étiquette aurait un coût symbolique et socioprofessionnel trop important. Il s’agit d’un aspect qui semble très peu abordé dans la réflexion sur l’éthique de la recherche.

Une autre tendance observée est sans doute celle de certains participants à confirmer cette interprétation de départ de l’entretien ou à ne pas la confronter. Elle est respectée par le participant, que ce soit par stratégie ou simple principe de civilité, pour ne pas contrarier le chercheur. Il s’agit d’un biais de « désirabilité sociale » largement documenté et qui ne concerne pas uniquement la recherche qualitative. En somme, l’accent mis sur la difficulté de sa situation vient suggérer un schéma narratif au participant. Comprenant que les attentes de l’entretien sont d’étayer le caractère indigne de sa situation résidentielle, certains se prêteront au jeu. Dans une situation où le cadre clinique est plus prégnant, comme ce fut le cas dans le projet Chez Soi, cette dynamique peut prendre une forme spécifique. Le participant peut se sentir incité à fournir des « histoires toutes prêtes pour les professionnels du social » (Lanzarini, 1996) ou encore un « récit de malheurs » (Laé et Numa, 1995). Il s’agit d’un type de discours mobilisé par les personnes pour s’assurer que leurs besoins seront entendus et satisfaits par les intervenants en l’adaptant aux attentes de ces derniers telles qu’ils les conçoivent.

Ce type de discours « stratégique » n’est en rien propre aux personnes en contexte d’intervention sociale et relève des règles d’interaction sociale de n’importe quel citoyen. Le participant répond à la demande du chercheur, qui l’adopte en fonction de la précarité résidentielle. Comme le souligne Thomas (2010), cette « incitation à témoigner de leur état » semble contribuer à « déposséder » les participants d’« eux-mêmes et de leur subjectivité » (Thomas, 2010 : 22). Ce type de malaise reste à la limite du dicible. Il semble parfois davantage le fait du chercheur. Il prend la forme de scrupule et de malaise. Il paraît que l’accent mis sur les problèmes vécus par le participant contribue à leur « désubjectivation ».

Cette première limite, nous l’associons à l’évaluation a priori de la vulnérabilité des participants. Dans le contexte d’entretien semi-dirigé, la vulnérabilité est une forme de postulat implicite concernant les participant.es. Dans une étude sur la précarité résidentielle, et cela semble encore plus vrai en ce qui a trait à l’itinérance, il va presque de soi que les participant.es sont « vulnérables ». Il est à mentionner que le processus de certification éthique contraint aussi le chercheur à reconduire cette évaluation de la vulnérabilité des participants, qu’il le fasse de bonne foi ou de manière stratégique. Dans une démarche d’approbation réalisée avant d’être sur le terrain, la vulnérabilité tend à être déduite de l’appartenance à certains groupes sociaux comme nous l’avons expliqué plus haut. La recommandation de l’EPTC 2 à prendre en considération le contexte et la situation particulière des individus pour évaluer leur vulnérabilité reste de ce fait une déclaration de principes. L’évaluation des projets ne se fait pas sur l’évaluation d’individus, mais sur la base de leur appartenance à des groupes sociaux dits « vulnérables ». Ainsi, une recherche sur la précarité résidentielle suppose, comme son objet l’indique, de s’adresser à des personnes renvoyant aux termes connexes de la vulnérabilité. La situation de chaque participant n’est pas évaluée à la pièce, mais plutôt en bloc. La consigne rédigée pour un entretien semi-dirigé est la même pour tous les participants. Elle n’est pas variable selon le degré de vulnérabilité des participants. Les dispositions en matière de services d’aide sont aussi les mêmes. Le face-à-face se réalise dans un cadre fixé d’avance. Le chercheur arrive avec ses formulaires de consentement éthique, sa consigne de recherche et sa grille d’entretien. Ce matériel, selon les prescriptions de son comité éthique, a été produit dans l’optique de joindre des participants potentiellement vulnérables ou considérés comme plus vulnérables que la majorité des citoyens. Le problème de l’évaluation de la vulnérabilité des participant.es demeure entier. Il porte toujours en lui des risques de stigmatisation et d’imposition de sens. Comme nous l’avons présenté, le qualificatif de « précarité résidentielle », certes moins lourd que celui d’itinérance, n’est pas évident à assumer pour les participant.es et donne lieu à diverses postures de leur part. D’une bonne intention, celle de ne pas blesser des personnes considérées comme plus susceptibles de l’être, on risque de faire passer la reconnaissance de la « plus grande vulnérabilité » avant celle de la simple égalité citoyenne. Pour reprendre la formule de Thomas, on risque de faire endosser une position insupportable « aux vulnérables en les désignant et les traitant comme tels, et non comme des égaux en droits et libertés, à l’exhibition stigmatisante » (Thomas, 2010 : 17).

3.2 L’ancrage clinique de la vulnérabilité

Une autre limite de l’usage de la notion de vulnérabilité concerne sa proximité avec le modèle clinique et biomédical. Le modèle biomédical limite les enjeux éthiques de vulnérabilité au cadre de la relation entre l’enquêteur et l’enquêté. Le modèle dyadique, propre à la relation clinique, constitue le centre de référence dans les politiques d’éthique de la recherche et empêche d’élargir la réflexion sur les relations qui le dépassent. Par exemple, les approches en sociologie tendent à considérer le contexte plus large des rapports sociaux. Elles s’intègrent plutôt mal dans les limites d’un cadre « individualisant » que la régulation éthique impose implicitement. La relation entre le chercheur et le participant peut aussi être confondue avec le modèle de la relation d’aide. La frontière peut être délicate entre l’interaction de recherche et l’interaction thérapeutique (Caldairou-Bessette et al., 2017 ; Knowles, 2000 ; Velpry, 2008). L’influence de la dynamique clinique transparaît dans les récits de vie des deux projets.

Dans le cadre des entretiens de récit de vie du projet Chez Soi, plusieurs détails ont brouillé la distinction entre visée de recherche et visée clinique. Dans le contexte d’une étude clinique, il a été difficile pour les intervieweurs de différencier leur rôle de celui d’un intervenant. Dans leurs notes de terrain, les intervieweurs « ont confessé avoir eu de la difficulté à distinguer ces deux volets (recherche et clinique) » (Lupien, 2013 : 81). Ils font mention de situations où les participants ont exprimé « une telle détresse qu’ils ne pouvaient pas ne pas intervenir » (Lupien, 2013 : 81). Devant un participant qui confie des idées suicidaires, par exemple, il semble difficile de se limiter à interrompre l’entrevue. La situation continue souvent sur le mode de la relation d’aide. Elle implique de demander quels sont les besoins de la personne et de la mettre en contact avec une référence. Ce passage de l’entrevue à la relation d’aide n’est pas dûment défini dans le rôle du chercheur. Certains chercheurs en sciences sociales peuvent être plus ou moins outillés pour composer avec ce type de situation. Dans ce cas, la vulnérabilité du participant peut engendrer celle du chercheur, qui peut éprouver un sentiment d’inadaptation face à ce type de situation pour lequel il n’est pas formé.

Dans le projet Entre mer et déboires, la situation résidentielle de certains participants rencontrés était particulièrement grave et pouvait même laisser craindre pour leur sécurité matérielle. Le cas d’un participant, dont l’appartement sous le sien avait été sinistré par un incendie, représente un exemple de ce type de situation qui incite le chercheur à sortir de son rôle. Il est difficile de se contenter de mener une entrevue sans proposer un minimum de soutien à des participants faisant face à ce genre de problème. Dans le cas présent, la situation du logement du participant n’avait pas significativement changé depuis l’incendie, ce qui signifie que les conditions étaient toujours présentes pour que l’incident se reproduise, notamment à ce qui en était du circuit électrique de l’immeuble. Une telle situation se rapproche de celle qui exige une assistance à une personne en danger. Cela dit, les ressources restent limitées pour appuyer les personnes. La région de la Gaspésie et des Îles ne dispose pas d’association de défense des droits des locataires. Ce rôle est assumé par des organismes communautaires pour lesquels ce n’est pas le mandat premier. Ayant entendu le récit complet du participant, le chercheur peut ressentir de l’impuissance à ne pas l’aider davantage. Les remerciements et l’assurance que sa contribution sera utile à la recherche sont des paroles souvent bien peu satisfaisantes pour le participant. Ce dernier peut avoir des attentes plus urgentes et plus concrètes dans l’immédiat que la progression de la connaissance. Dans le projet en Gaspésie et aux Îles, plusieurs participants demandaient des conseils juridiques alors que d’autres pouvaient demander un appui financier pour assumer leur défense juridique. Le chercheur n’a pas les moyens de répondre à ce type de demande même si l’entretien lui a permis de comprendre dans les moindres détails la situation du participant.

Dans une zone de flou entre objectif de recherche et objectif normatif d’intervention (Caldairou-Bessette et al., 2017 ; Ramognino, 2009), de nombreux dilemmes éthiques peuvent être rencontrés dans le cadre de projets de recherche qualitatifs menés auprès de populations en situation dite de « vulnérabilité ». La reconnaissance de leur « vulnérabilité » implique des efforts pour minimiser les effets négatifs de la recherche sur ceux-ci. Il reste que les politiques d’éthique à la recherche livrent peu de précisions sur les moyens d’y parvenir. Il est question de vaguement recommander la personne à un organisme qui a été mandaté dans le processus de certification éthique. Bracken-Roche et al. (2017) ont montré que la définition de la vulnérabilité et l’explication de la vulnérabilité des groupes désignés sont très peu explicitées et les manières d’intervenir auprès d’eux ne le sont pratiquement pas. Le passage du chercheur dans la vie de participants dits vulnérables comporte certainement des risques, mais le maintien de leurs conditions de vie comporte peut-être plus de risques sur le long terme pour ces mêmes participants. L’exemple du participant sinistré permet de saisir cette situation particulière. L’intérêt du chercheur pour la condition du participant a rendu possible la demande d’une certaine assistance. Le chercheur est non seulement poussé à sortir des sentiers battus et confronté à son impuissance, mais il doit composer avec des situations où la prudence de l’inaction s’apparente à une démission sur le plan éthique. La vulnérabilité inattendue du chercheur se révèle face à la vulnérabilité présumée des participants. La question de la distance du chercheur par rapport à son objet d’étude n’est pas qu’une question méthodologique. Il apparaît que le seul fait d’« accueillir le témoignage de la personne souffrante est porteur d’une responsabilité fondamentale » (Caldairou-Bessette et al., 2017). La méthodologie qualitative, comme l’entretien semi-dirigé mobilisé dans les deux projets présentés ici, implique une relation de proximité qui peut être plus exigeante que la seule administration de questionnaires, qui est le modèle implicite sur lequel se fondent les politiques d’éthiques. Agissant dans un contexte marqué par les restrictions budgétaires dans les services publics, le chercheur, déjà perçu comme un intervenant, est davantage sollicité par les participants en situation de « vulnérabilité », ce qui accroît cette confusion de rôles. Ce dernier point ouvre la porte à la prochaine limite qui concerne le peu de place accordée aux dimensions structurelles et politiques de la vulnérabilité.

3.3 Et les dimensions structurelles et politiques

Les dimensions structurelles chères à la définition provenant des SHS se voient très peu mobilisées. Dans le cadre du processus éthique, les implications éthiques se limitent à celles concernant les interactions entre chercheurs et participants et un espace limité concerne les impacts éthiques de la recherche à l’échelle structurelle et politique. Les situations de précarité résidentielle présentées par les participants engagent des dimensions qui dépassent l’échelle individuelle. L’éthique de la recherche se limite aux relations liées au contexte de recherche, principalement entre le chercheur et le participant. La définition biomédicale de la vulnérabilité est celle qui prédomine dans l’éthique de la recherche. Dans les situations sociales étudiées, la vulnérabilité ne serait être uniquement conçue comme un degré individuel de potentiel à être blessé. La définition des SHS fait ressortir la dimension sociale et structurelle de cette vulnérabilité. La vulnérabilité de l’individu est fonction de la place qu’il occupe dans la structure sociale. Par exemple, dans le projet Entre mer et déboires, si certaines situations de logement insalubre existent, c’est en vertu d’un contexte plus large composé par le cadre réglementaire municipal et par l’état du marché locatif régional. Les variables structurelles « vulnérabilisent » les individus (Brodiez-Dolino, 2016). Aborder ces questions soulève des enjeux politiques au-delà des enjeux éthiques. Par exemple, l’accent mis sur la question de la santé mentale des personnes itinérantes possède une dimension politique intrinsèque. Elle place l’itinérance sur le terrain de la santé mentale. Les acteurs du milieu communautaire de Montréal ont vu dans le projet une manière de repsychiatriser l’itinérance. La situation rappelle les luttes dans le champ de l’intervention en santé mentale décrites par Boudreau (1984) dans son histoire de la psychiatrie québécoise. L’insistance sur la santé mentale est aussi perçue comme un signe de psychologisation des problèmes sociaux. Elle tend à mettre de l’avant l’histoire individuelle du sujet et participerait à la dépolitisation des enjeux (Demailly, 2005). Concernant la question de l’itinérance, elle diminue l’importance de celle de l’accès structurel au logement dans l’explication de l’itinérance. En privilégiant l’angle de la déficience individuelle, l’approche en termes de santé mentale conduirait à occulter les responsabilités politique et sociale des institutions (Sicot, 2001). La santé mentale des personnes en situation d’itinérance deviendrait ainsi un argument pour négliger les causes structurelles prédominantes du problème de l’itinérance, comme le manque d’emplois, les salaires inadéquats pour les travailleurs sans qualification et semi-qualifiés, et la diminution de l’accès à des logements à prix modiques. Le cadrage de la situation aurait été au centre des tensions entre les acteurs dans le champ de l’itinérance dans le projet. Fleury et al. (2014) donnent un bon aperçu des enjeux politiques soulevés durant l’implantation du projet Chez Soi à Montréal. La question du logement social aurait été au coeur des différends entre les tenants du projet et le milieu communautaire en itinérance. Les tenants du projet proposaient de recourir au marché locatif privé alors que les acteurs du communautaire prônaient le logement social. Fleury et al. (2014) ont expliqué que les tensions dans la promotion de ce type de logement recoupaient les oppositions sociopolitiques entre une approche néolibérale et une approche sociale-démocrate. Cette opposition entre acteurs impliqués dans un même projet de recherche montre dans quel contexte le chercheur doit souvent manoeuvrer. Le fait de mener une recherche sur la santé mentale dans le champ de l’itinérance implique de se situer par rapport à des enjeux en matière de politique sociale, aussi bien dans la définition des problèmes que dans les solutions proposées. Il n’est pas évident de réaliser une démarche scientifique quand elle risque d’être associée à l’un ou à l’autre des camps en opposition.

Dans le cas du volet qualitatif du portrait résidentiel de la GÎM, la détermination de l’objet, dans le contexte participatif d’un comité de suivi, a aussi été influencée par des dimensions politiques et stratégiques. Le choix des objets est également influencé par les partenaires qui sont de plus en plus inclus dans les projets, projets conditionnels à leur participation (Bernheim et Ouellet, 2015 ; Lajoie, 2009). La réalisation du portrait répondait à la nécessité de rassembler et d’analyser des données récentes sur l’habitation et le logement dans l’optique de promouvoir la mise en oeuvre de projets de logements collectifs. Avec les modifications du programme AccèsLogis, nécessitant une part accrue de contribution du milieu, plusieurs projets d’habitation communautaire se sont vus compromis. Certains le sont toujours à ce jour. Le projet de recherche est donc à situer dans ce contexte plus large de représentations politiques des acteurs régionaux du logement. La recherche a surtout porté sur les populations vivant des situations résidentielles problématiques. Les acteurs soutenaient implicitement le fait que le logement privé répondait difficilement aux besoins de ces populations. Le thème de la précarité résidentielle a connu une forte approbation de la part des membres du comité. Plusieurs groupes ont été identifiés en fonction de leur problème en matière de logement. La définition de l’objet de recherche s’est ainsi rapidement muée en construction de l’échantillon des participants potentiels. Le souci de faire reconnaître des situations invisibles, plus ou moins reconnues par les pouvoirs locaux, comme l’itinérance en milieu rural, était au centre des préoccupations des acteurs du communautaire. Comme dans la plupart des recherches partenariales, s’est posée la question de l’autonomie des chercheurs en sciences sociales et du maintien d’un rôle différencié de celui de l’intervention ou de la gestion des problèmes sociaux. Dans ce cas, la démarche qualitative a heureusement eu une réception favorable du comité de suivi.

Ces deux exemples montrent à quel point la recherche en SHS peut révéler des situations politiques délicates lorsqu’elle est menée auprès d’une population considérée comme « vulnérable ». Dans le cas de la précarité résidentielle, la question politique du logement occupe une place centrale. Les constats du chercheur peuvent amener à un recadrage de la situation problématique et influencer les solutions préconisées. Dans les deux projets, la question du logement social s’est imposée dans les discussions. Dans le cas du projet Chez Soi, la solution d’offrir un logement sur le marché privé a heurté les acteurs du secteur communautaire. Ces derniers y voyaient un déni de l’expérience de la réalité du terrain marqué par une pénurie de logements sur le marché privé. Ils se demandaient comment le projet allait réussir à trouver suffisamment de logements disponibles sur le marché privé pour ses quelque deux cents participants. Pour ce qui est du projet en GÎM, le logement social apparaît comme une solution pour les besoins des populations que le privé ne peut combler. L’option n’est pas présentée en opposition, mais en complémentarité. Le développement de projet de logement social s’est trouvé récemment limité par des modifications dans les ajustements du programme québécois AccèsLogis, à la suite des mesures de restriction budgétaire du gouvernement libéral en 2015. La dimension politique des projets de recherche augmente le nombre d’éléments à prendre en considération sur le plan éthique. Elle place le chercheur dans une position inconfortable par rapport aux « commanditaires des recherches et des pouvoirs » (Desclaux, 2008 : 82), mais aussi par rapport aux participants. Pour ce qui est des commanditaires, le chercheur risque de perdre son autonomie. Il lui faut négocier sa marge de liberté (Bernheim et Ouellet, 2015 ; Lajoie, 2009). La question de l’autonomie de la recherche est aussi liée à la qualité des nouvelles connaissances produites.

Dans le cadre actuel de l’éthique de la recherche, la prédominance du modèle bioéthique aurait pour conséquences de mettre l’accent sur les risques potentiels de la recherche. Cette orientation, sans doute valable pour l’expérimentation de médicaments, conduirait la recherche en sciences sociales à éviter les remises en question et à adopter une attitude d’autocensure. Taylor, Taylor-Neu et Butterwick (2018 : 9) y décèlent une forme de « conservatisme latent » qui s’immisce dans l’esprit des chercheurs et des comités d’éthique à la recherche. Elle se traduirait par la tendance à résister au changement soudain dans les politiques. À ce titre, les règles d’éthique de la recherche protégeraient davantage les institutions en place que les participants aux études. Selon ces critiques, le modèle biomédical sous-tendrait une posture sociopolitique implicitement conservatrice, axée sur la défense du statu quo, sous couvert de préoccupations éthiques. Le vocable de la vulnérabilité semble s’inscrire dans cette orientation. Selon Thomas (2010), la terminologie associée à la vulnérabilité participerait des « nouveaux appareils post-démocratiques » reposant sur une « citoyenneté palliative » (Thomas, 2010 : 14). En considérant les participants comme « vulnérables », leurs potentiels politiques comme citoyens et sujets de droit se verraient occulter. Ils ne seraient plus des citoyens ayant des droits, mais des objets de l’intervention régulatrice de l’appareil sociosanitaire.

conclusion

La vulnérabilité peut prendre des sens différents selon les divers domaines où elle est mobilisée, comme nous l’avons vu dans la première partie de l’article. En SHS, la vulnérabilité est une notion issue de l’économie du développement. Celui-ci cherche alors à rendre compte d’un « nouveau contexte sociétal » où les individus sont renvoyés à eux-mêmes pour affronter les évènements de la vie. Le vocable de vulnérable, assorti de ceux de « précaire, fragile, faible » (Thomas, 2010 : 23), concerne ces individus dont la position structurelle empêche de répondre aux nouvelles normes de performance et de réalisation de soi. La vulnérabilité des individus reste déterminée par la société. En se rapportant aux deux projets analysés, il apparaît que cette définition de la vulnérabilité reste marginale dans l’évaluation éthique de la recherche. La vulnérabilité rejoint davantage la conception issue de la bioéthique. La vulnérabilité des participants à la recherche reste déduite de l’appartenance à des groupes dont le tableau statistique montre une association plus forte entre un comportement problématique et une caractéristique sociodémographique. Ces groupes « vulnérables » sont des constructions statistiques qui tendent à devenir des catégories classificatoires orientant l’intervention. Dans les politiques d’éthique de la recherche, la vulnérabilité des participants tend à être évaluée à partir de leur appartenance ou non à ces « groupes à risque ». Cette façon de procéder comporte des risques de porter préjudice aux participants que la mesure voulait protéger. Des auteurs (McAll, 2017 ; Otero, 2013 ; Sabourin, 2009) ont dénoncé cette manière de faire qui tend à associer des problèmes sociaux à des groupes spécifiques et à contribuer à leur stigmatisation. Malgré les dispositions de l’EPTC 2 dans le contexte canadien, la prise en compte de la vulnérabilité semble déduite de la seule appartenance à des groupes dits « vulnérables ». Le contexte présent de la régulation éthique présente donc un problème d’éthique dans l’évaluation de la vulnérabilité des participants. La situation fait ressortir un point de critique récurrent soulevé par les SHS à propos de l’hétéronomie des principes de régulation éthique de ses activités scientifiques. Le fait que la vulnérabilité est une notion ayant fait l’objet d’une riche réflexion en SHS rend l’application de son acception bioéthique encore moins légitime. L’analyse des limites de cette application dans deux projets de recherche confirme certains points de critique provenant de la littérature consultée en première partie. Elle fait aussi ressortir de nouveaux éléments. L’a priori de vulnérabilité concernant les participants se voit démenti par certains participants qui se présentent dans un registre opposé de la lutte pour les droits. L’accent mis sur la vulnérabilité suscite des résistances et, chez ceux qui l’acceptent, il semble lié aux soucis de ne pas décevoir l’intervieweur, dans le sens des analyses de Lanzarini (1996) et Laé et Numa (1995). L’usage de la notion de vulnérabilité inscrit la dynamique de recherche dans un cadre plus près de la clinique. Il conduit à le limiter à la relation dyadique entre chercheur et participant. Du constat du caractère étroit de la notion, se pose la question de la reconnaissance des dimensions politique et structurelle liées à la vulnérabilité. Celles-ci, pourtant au coeur de la définition issue des SHS, ne sont pas traitées spécifiquement dans le présent cadre éthique. Les exemples tirés des deux projets présentés dans cet article illustrent la situation qui caractérise la régulation du champ disciplinaire des SHS, qui doit renoncer à sa propre définition de la vulnérabilité pour recourir à celle élaborée dans un autre champ disciplinaire, celui de la recherche biomédicale. Il est espéré que cet article, s’appuyant sur l’expérience de deux projets de recherche, puisse humblement contribuer à remettre de l’avant les contributions des SHS sur la vulnérabilité dans la discussion sur l’éthique de la recherche.