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À la veille des élections municipales de mars 2008, il convient d’effectuer une analyse du profil sociologique des maires urbains français, pour pouvoir mesurer l’ampleur éventuelle de ce renouvellement. Nous avons effectué une enquête statistique entre mars et décembre 2006 pour recueillir des données sur le profil des maires des 1881 communes de plus de 5000 habitants. Les résultats de cette enquête permettent de dresser le portrait de l’édile urbain en prenant en compte la configuration territoriale de la commune et la socialisation des maires.

1) Le protocole d’enquête

L’annuaire de Profession politique a été consulté, dans la mesure où il offre de nombreuses données réactualisées sur les communes françaises. Édité par la SEP (Société d’Édition Publique), groupe de presse spécialisé dans l’information du monde politique, Profession Politique est un quotidien-Internet, un hebdomadaire et une encyclopédie sur la vie politique française et européenne. Le site possède une base de données fournissant de nombreuses informations régulièrement actualisées sur le personnel politique français dont les maires de communes de plus de 2 500 habitants. Certaines lacunes de cet annuaire ont pu être repérées grâce à une recherche par traces numériques[1] sur les sites des communes (variation des moteurs de recherche pour éviter l’effet de dépendance informationnelle). Notre enquête a permis de classer les variables en deux catégories, d’une part celles concernant la sociologie des édiles (genre, âge, affiliation partisane, date d’entrée en mairie, date d’entrée en politique locale, cumul dans l’espace) et d’autre part celles permettant de repérer la configuration territoriale de la commune (taille de la commune, intercommunalité). L’analyse de cette enquête permettra de dresser un portrait des édiles urbains et de donner une photographie du pouvoir local.

2) Le genre

Selon les résultats de notre enquête, environ 7% des maires urbains sont des femmes, ce qui souligne la sous-représentation des femmes lorsqu’il s’agit d’accéder aux fonctions exécutives. Autant les femmes conseillères municipales sont nombreuses, autant leur accès aux fonctions exécutives leur est très restreint. De ce point de vue, les élections municipales de 2008 révéleront s’il y a un changement quantitatif significatif de leur accès à cette fonction. Nous savons qu’en 2001, 181 femmes ont été élues maires des communes de plus de 3 500 habitants contre 2 443 hommes, soit 6,9%[2].

Le tableau 1 recense la proportion des maires féminins et masculins en fonction de la taille de la commune.

Tableau 1 : Relation entre le genre et la taille des communes

Communes

Genre

Communes entre 5 000 et 9 999 habitants

Entre 10 000 et 29 999 habitants

Entre 30 000 et 49 999 habitants

Entre 50 000 et 99 999 habitants

Entre 100 000 et 199 999 habitants

Au-delà de 200 000 habitants

Total

Nombre de maires féminins

60

53

12

7

3

3

138

Nombre de maires masculins

900

613

125

71

26

8

1743

Total

960

666

137

78

29

1881

On remarque qu’il n’existe pas de relation spécifique entre la taille de la ville et l’accès genré aux exécutifs locaux. Ce n’est pas la taille qui explique réellement cette sous-représentation puisque parmi les villes de plus de 30 000 habitants, on recense 10% de femmes soit un score légèrement supérieur. La taille aurait même tendance à jouer en trompe-l’œil au regard de la réalité des femmes maires puisque les petites communes ne sont pas très propices à leur entrée en politique. Les grandes villes ne sont d’ailleurs pas forcément inaccessibles aux femmes à l’instar de Fabienne Keller à Strasbourg et Martine Aubry à Lille[3]. Lorsqu’on effectue une relation entre le genre, la date d’entrée en mairie, le cumul dans l’espace, la taille de la commune et le type d’intercommunalité dans laquelle est située la commune (sans structure intercommunale, communauté de communes, communauté d’agglomération, communauté urbaine et syndicat d’agglomération nouvelle), on constate que seule la date d’entrée en mairie est réellement significative. Ces femmes maires sont entrées récemment en politique puisque 67% d’entre elles ont pris leur fonction en 2001 contre 37% pour leurs homologues masculins ; en revanche, elles adoptent le même comportement politique que leurs homologues masculins en ce qui concerne la pratique du cumul des mandats (66% de maires femmes cumulent contre 73% des maires hommes). Le clivage a très peu d’influences sur l’accès des femmes aux fonctions de maire : parmi nos maires, le PCF arrive en tête du point de vue de la représentation féminine en milieu urbain (14,2% des maires PCF sont des maires femmes). Les maires divers gauche et socialistes n’ont que 7,1% de femmes tandis que les maires UMP / divers droite ont 7,7% de représentation féminine. Il s’agit donc bien d’une sous-représentation globale des femmes aux exécutifs locaux alors que dans le même temps, la part des femmes élues conseillères municipales progresse puisque pour les villes de plus de 30 000 habitants, elles sont 48%[4]. La représentation féminine la plus forte se retrouve au Parlement européen et dans les conseils municipaux. La discrimination la plus forte demeure malgré tout pour l’accès aux fonctions exécutives. Étant donné que l’ensemble des communes est intégré à une structure intercommunale[5], les clés d’un certain nombre de politiques publiques relèvent de ces établissements. Peu de femmes sont à la tête de ces établissements intercommunaux dont le rôle n’est pas assez visible des citoyens. L’élection au suffrage universel direct de ces structures permettrait certainement d’amplifier cet accès aux fonctions exécutives.

3) L’âge des maires urbains

La moyenne d’âge des leaders mayoraux avoisine les 60 ans, ce qui est légèrement au-dessus de la moyenne des autres types d’élus français[6] : 87% des maires urbains ont plus de 50 ans avec aux extrêmes deux maires de 87 ans et un maire de 31 ans. L’âge moyen des femmes maires est légèrement inférieur autour de 57 ans. Du point de vue du vieillissement des édiles locaux, on remarque qu’environ 80 maires urbains de droite (divers droite, UDF et UMP) ont plus de 70 ans[7] contre 55 pour la gauche (Verts, PCF, PS et divers gauche). La moyenne des maires urbains français reste relativement élevée, elle va de pair avec l’idée que le pouvoir local doit être confié à des gens d’expérience, d’autant plus que l’obtention d’une mairie est une position stratégique au sein du champ politique, tant sur le rapport aux autres collectivités territoriales que sur le positionnement au sein du parti politique.

4) L’affiliation partisane

L’appartenance partisane des maires est fortement dépendante de la taille de la commune. En effet, 20% des maires des communes étudiées se revendiquent sans étiquette ou proches d’un parti localiste ; la majorité de ces maires (97%) sont à la tête de communes de moins de 30 000 habitants. Nous avons constaté, parmi les maires étiquetés, une prépondérance pour la gauche avec 41% des cas dont 514 maires socialistes, 145 maires communistes, 11 maires Vert et 101 maires divers gauche tandis que les 39% de maires de droite se répartissent de la manière suivant : 462 maires UMP, 116 maires UDF, 153 maires divers droite et 2 maires Front National. Lorsque nous nous intéressons aux villes de plus de 30 000 habitants, la prépondérance de la droite sur la gauche est plus nette, puisque sur 255 mairies, 133 reviennent à l’UMP, l’ex-UDF et les Divers Droite tandis que le PS, les Divers Gauche et le PCF ne totalisent que 111 mairies. Nous constatons le faible nombre de maires se réclamant de partis régionalistes (ils sont trois) et de maires sans étiquette (huit cas) lorsqu’on est dans une configuration de ville moyenne. Cette photographie permet de poser les enjeux précis des élections municipales des 9 et 16 mars 2008 : le PCF aura des difficultés à maintenir son nombre important de mairies : s’il arrive à limiter la perte de mairies, il disposera de ressources suffisantes d’élus locaux pour escompter avoir encore une visibilité politique et médiatique. Le PS a des chances de confirmer son implantation locale et de devenir un contrepoids local à la politique du gouvernement, même s’il a besoin de regagner un nombre suffisant de communes de plus de 30 000 habitants. Le fait de disposer de la majorité des conseils régionaux et généraux et des communes urbaines lui permettrait d’asseoir sa position de partis d’élus locaux. Cette position n’est pas la plus propice à sa rénovation dans la mesure où le grand nombre d’élus locaux risquerait d’augmenter les rivalités internes. Quant aux forces centristes, le test local sera déterminant car un faible réservoir d’élus locaux rend difficile leur visibilité. Le Modem (Mouvement démocrate) créé par François Bayrou a peu de chances d’obtenir des mairies dans des villes de plus de 5 000 habitants. Quant au Nouveau Centre, il risque de prolonger son absorption par l’UMP si le nombre de mairies gagnées est insuffisant. Les Verts et le Front National n’ont aucune chance d’augmenter leur potentiel. La scène politique locale donne donc une idée très claire du rapport de forces politiques et confirme l’idée d’une bipolarisation de la vie politique française.

5) La date d’entrée en mairie

Nous avons constaté que les générations politiques étaient relativement équilibrées puisque 31% ont accédé à cette fonction pour la première fois en 2001, 27% en 1989. Certes, la date d’entrée en mairie est un élément important pour la carrière d’un homme politique. L’aura d’un responsable politique se mesure souvent à sa longévité et à se réélections sur le terrain local. En France, l’accès à une mairie est l’un des éléments déterminants de la carrière d’un homme politique. La décentralisation a accentué cette réalité dans la mesure où les élus locaux ont eu une responsabilité accrue. La rivalité avec le pouvoir administratif (le préfet) s’est amoindrie et leur influence sur la scène publique est devenue plus forte. La date moyenne d’entrée en mairie remonte en moyenne à 1995 pour l’ensemble des maires de communes de plus de 5000 habitants. À la fin de l’année 2006, 47,6% des maires ont moins de dix années de mandat[8], sachant que nous avons distingué la date d’entrée en mairie et la date d’entrée en politique locale ; 37,4% des maires ont entre dix et vingt ans de mandat et 15% ont une expérience de plus de vingt ans. Par rapport aux données d’Éric Kerrouche et d’Élodie Guérin-Lavignotte, nous percevons que plus la taille de la commune augmente et plus la longévité du mandat politique est patente[9]. En d’autres termes, le mandat de maire est peu accessible aux nouveaux entrants, la conquête d’une ville nécessitant une expérience et une connaissance du milieu politique local.

6) Le cumul dans l’espace

Le cumul dans l’espace reste l’une des singularités françaises[10]. Parmi les maires de communes de plus de 5 000 habitants, nous avons recensé uniquement le phénomène de cumul de fonctions électives et exécutives (présidents et vice-présidents de structures intercommunales) pour les maires urbains français[11]. Il s’avère que 28% des maires urbains ne cumulent, 47% cumulent une fonction, 24,5% cumulent deux fonctions et 0,5% plus de deux fonctions. L’étiquette partisane n’a aucune influence sur cette réalité sociologique du pouvoir local : l’enjeu pour un maire est d’augmenter son influence en cumulant des fonctions lui permettant d’avoir plus de poids dans la conduite des politiques publiques[12]. Afin de mesurer les variables explicatives du cumul dans l’espace, nous avons procédé à une régression logistique permettant de mesurer l’évolution des relations entre plusieurs variables : le cumul dans l’espace a été pris comme variable indépendante alors que la date d’entrée en politique locale, la date d’entrée en mairie, le type d’intercommunalité, l’étiquette partisane[13], le genre, l’âge des maires et la taille de la commune ont été pris comme variables dépendantes. Le tableau 2 rend compte des résultats de cette régression logistique qui permet de déterminer les variables expliquant le recours au cumul des mandats.

Tableau 2 : facteurs explicatifs du cumul des mandats pour les communes françaises de plus de 5 000 habitants

Nombre d’observations=1494

LR chi2(7)=215.94

Prob > chi2=0.0000

Log likelihood=-762.04064

Pseudo R2=0.1241

Cumul dans l’espace

Coefficient

Erreur Standard

z

[95% Conf. Interval]

Date d’entrée en politique locale

-.0668

.0136***

-4.92

-.093 -.040

Date d’entrée en mairie

.0115

.0148

0.78

-.017 .041

Type d’intercommunalité

.4867

.0782***

6.23

.333 .640

Etiquette partisane

.3045

.0817***

3.73

.144 .465

Genre

.3507

.2539

1.38

-.147 .848

Âge

.0401

.0083***

4.81

.024 .056

Taille des communes

.5366

.0977***

5.49

.345 .728

Constante

30.71

19.37

1.59

-7.25

P***<.001

Régression logistique réalisée à l’aide du logiciel Stata

Source : base de données créée avec Julien Dewoghélaëre (mars-décembre 2006)

Les résultats sont significatifs pour la date d’entrée en politique locale, le type d’intercommunalité, l’étiquette partisane, l’âge et la taille des communes. Plus les maires cumulent de mandats, plus la date d’entrée en politique locale est ancienne et plus la structure intercommunale est forte (le cumul des maires urbains est plus visible dans des structures de type communauté d’agglomération) et plus le maire affiche son appartenance partisane. La taille des communes est plus grande et les maires sont plus âgés, preuve que le cumul suppose de l’expérience dans la carrière politique. En revanche, la date d’entrée en mairie n’est pas un facteur explicatif du cumul de mandats. Ce n’est pas parce que le maire est en fonction depuis longtemps qu’il cumule obligatoirement.

Conclusion

Le profil sociologique des maires urbains ne risque guère de varier au lendemain des municipales de mars 2008 d’autant qu’une grande majorité des maires actuels se représentent. Si les maires sortants possèdent toujours un avantage dans la campagne, leur réélection marquerait une grande continuité de la structure du pouvoir local. Le contexte politique permettra de savoir si la gauche serait capable de reprendre un nombre important de mairies de communes de plus de 30 000 habitants pour pouvoir asseoir sa domination sur le plan local. L’intercommunalité est l’une des clés de la conduite des politiques publiques tout en étant peu visible des citoyens[14]. Le cumul des mandats ne diminuera pas, ce qui accentue l’idée de professionnalisation de la politique : le responsable politique doit être en mesure d’augmenter ses ressources et de cumuler des mandats pour multiplier ses chances de promotion politique.