VariaEssai

Philip K. Dick, Philosophe S-F[Record]

  • Simon Critchley

…more information

  • Simon Critchley

  • Traduit de l’américain par
    Lucie Maurel Petetin

On peut raisonnablement affirmer que Philip K. Dick est l’auteur de science-fiction le plus influent de la seconde moitié du 20e siècle. Au cours de sa courte et fulgurante carrière, il écrivit 121 nouvelles et 45 romans. Son œuvre a connu le succès de son vivant mais son influence s’est accrue de façon exponentielle depuis sa mort en 1982. C’est probablement au travers de l’éblouissant succès des adaptations hollywoodiennes de ses travaux que l’œuvre de Dick est la mieux connue, notamment dans des films tels que Blade Runner – inspiré de Do Androids Dream of Electric Sheep? (Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?) – Total Recall, Minority Report, A Scanner Darkly et plus récemment, L’Agence (The Adjustment Bureau), que l’œuvre de Dick est la mieux connue. Pourtant, peu de gens sont prêts à le considérer comme un penseur. Ce qui serait une erreur. La vie de Dick, parsemée d’histoires rocambolesques de folie et d’intoxication, est depuis longtemps entrée dans la légende. Certains considèrent qu’une telle légende n’est bonne qu’à détourner l’attention du singulier génie littéraire de Dick. Jonathan Lethem écrit – à mon avis, avec raison – : « Dick n’était pas une légende et il n’était pas fou. Il a vécu parmi nous et c’était un génie. » Toutefois, la vie de Dick demeure un frein majeur à la reconnaissance de son œuvre. Tout tourne autour d’un événement que les « Dickheads » évoquent par l’expression « le poisson d’or ». Le 20 février 1974, à la suite d’une visite chez le dentiste qui lui avait administré une dose de thiopental sodique afin de traiter une dent de sagesse incluse, Dick reçut un choc puissant qui prit la forme d’une incroyable révélation. Une jeune femme vint lui porter dans son appartement de Fullerton, en Californie, un flacon de comprimés analgésiques. Elle portait une chaîne dont le pendentif était un poisson d’or, un ancien symbole chrétien qui avait été adopté par le mouvement de contreculture lié à la figure de Jésus à la fin des années 1960. Le poisson, d’après Dick, commença à émettre un rayon de lumière dorée et Dick fit soudain l’expérience de ce qu’il appela, avec un clin d’œil à Platon, l’anamnèse : la réminiscence ou ressouvenir complet (total recall) de la somme toute entière de la connaissance. Dick affirmait avoir accès à ce que les philosophes nomment faculté « d’intuition intellectuelle » : la perception directe par l’esprit d’une réalité métaphysique existant au-delà des écrans de l’apparence. Depuis Kant, de nombreux philosophes ont répété avec insistance qu’une telle intuition intellectuelle n’était accessible aux humains que sous la forme d’un obscurantisme frauduleux, habituellement une expérience religieuse ou mystique, tel Emmanuel Swedenborg et ses visions de l’armée des anges. C’est ce que Kant désigne par un terme allemand charmant, « die Schwärmerei », une sorte d’enthousiasme bourdonnant, où le sujet est littéralement en-thousiasmé par le Dieu, o theos. Balayant d’un brusque revers de la main les prudentes frontières et restrictions que Kant avait attribué aux différents domaines de la raison pure et pratique, au phénoménal et au nouménal, Dick revendiqua une intuition immédiate de la nature fondamentale de ce qu’il nommait « vraie réalité ». Toutefois, l’épisode du poisson d’or n’était que le commencement. Pendant les jours et les semaines qui suivirent, Dick fit l’expérience, et on peut dire qu’il l’apprécia, de quelques hallucinations psychédéliques emplies de mises en scène lumineuses fantasmagoriques qui duraient des nuits entières. Ces épisodes hypnagogiques continuèrent à se manifester ponctuellement – il entendait également des voix et faisait des rêves …

Appendices