VariaChronique

Le 15M n'a pas eu lieumouvements sociaux et démocratie à venir en Espagne[Record]

  • Carlos Benguigui

Le 15 mai 2011 restera gravé dans les esprits des jeunes générations. Ce fut le réveil collectif d’un peuple ensommeillé par presque trente ans de rêves : le rêve démocratique, celui de la Transition exemplaire, du progrès culturel et matériel, bref le rêve d’une prospérité à l’européenne. Mais la situation actuelle du pays a fait voler en éclats tous ces rêves. Le cadre fixé par la Constitution espagnole de 1978 n’a pas tenu ses promesses, et cette feuille de route constitutionnelle ouverte à son développement s’est figée comme la ligne à ne pas franchir. Depuis que le mouvement 15M a posé une « ouverture de possible », un vrai « événement », les tabous sont tombés, et l’avenir se remplit de nouveaux rêves : un nouveau rapport entre l’Église et l’État, la fin de l’impunité des élites politiques corrompues et de banquiers, une démocratie qui tiendrait ses promesses, l’éventuelle instauration d’une troisième République ? Cependant, ces rêves d’avenir se heurtent à la cruauté du contexte actuel : un taux de chômage qui atteint presque 28 %, 6.202.700 de chômeurs, presque 60 % chez les jeunes ; des familles qui sont expulsées de leurs maisons et qui resteront endettées à vie ; un parti au gouvernement qui qualifie de « nazisme pure » des mouvements sociaux qui ne font qu’exprimer le malaise de tout un peuple ; le retour de l’immigration de la jeunesse espagnole que l’on croyait révolue et une ministre qui n’hésite pas à l’appeler « mobilité extérieure »... Le 14 mars dernier la PAH (en espagnol « Plataforma de Afectados por la Hipoteca », « Plateforme des Affectés par l’Hypothèque »), un mouvement social qui milite pour le droit au logement depuis 2009, a obtenu une première victoire. La Cour de Justice européenne, saisie par un juge de Barcelone, a déclaré contraire au droit de l’Union la loi hypothécaire espagnole. Ce mouvement social, la PAH, a aussi réuni plus d’un million de signatures, tel que le stipule la loi espagnole, pour que le Parlement prenne en considération une initiative législative populaire concernant la loi de régulation des expulsions – malgré le fait que le gouvernement l’ait pratiquement ignoré dans la nouvelle version de la loi. Le yes we can qui avait valu à Obama son accès à la Maison Blanche s’est transformé en sí se puede pour redonner de l’espoir à tous ceux qui ne trouvent plus d’issue face à l’impasse. Comme l’écrivaient Deleuze et Guattari à propos de Mai 68, l’événement du 15M a été « comme si une société voyait tout d’un coup ce qu’elle contenait d’intolérable et voyait aussi la possibilité d’autre chose ». Le 15M a produit une reconversion subjective grâce à la révolution du numérique. En coordonnant les formes de protestation « classiques » avec les nouvelles opportunités offertes par les outils numériques, la multiplicité composite du 15M a produit une réterritorialisation de l’espace politique qui n’a pas été comprise par les pouvoirs publics. Ce mouvement social a montré que le modèle selon lequel cet espace serait basé dans l’accord rationnel communicatif, où le cadre du débat serait fixé en avance, n’est plus viable, car il ignore le caractère réticulaire de cette nouvelle territorialité ; une structure sans centre gravitationnel dont la représentation serait moins une pyramide qu’un rhizome. Grâce au 15M, la démocratie espagnole est sortie de sa coupable minorité. Cette reconversion a donné lieu, en élargissant les conditions de possibilité du débat politique, à une nouvelle subjectivité qui n’aura plus besoin de se laisser guider car elle a libéré la parole. Dorénavant, la classe politique et la presse espagnoles n’auront plus …

Appendices