VariaChronique

"Magic in the Moonlight" de Woody AllenUn imaginaire mettant en question la transcendance[Record]

  • Jean-Pierre Zarader

La force de Magic in the Moonlight, comme son charme, vient de ce que Woody Allen affirme, d’un même mouvement et avec une égale détermination, l’absence de toute transcendance – qui peut se résumer d’une expression et d’un nom, qui reviennent à plusieurs reprises dans le film, la « mort de Dieu » et Nietzsche, position incarnée en partie par Stanley –, et l’impossibilité, non pas de se passer d’illusions – ce qui correspondrait au discours d’un positivisme inversé que tiennent aussi bien le médecin de la clinique que Sophie, la jeune médium, qui joue sur la crédulité humaine –, mais de ne pas créer un imaginaire qui nous aide à affronter le réel, façon pour nous de lutter contre le destin. Un imaginaire, et pas seulement un produit de l’imagination, s’il est vrai que « l’imagination est un domaine de rêves, l’imaginaire, un domaine de formes ». C’est cet imaginaire, dans son opposition même à la fois au réel et à la transcendance, comme à toute croyance en un au-delà, que Woody Allen explore, ou dont il explore le domaine – un domaine qui, si l’on prend l’imaginaire en son sens large, générique et non spécifique, est en forme de diptyque : l’amour et l’art. Cela était déjà manifeste dans Midnight in Paris, et l’est encore plus dans Magic in the Moonlight. Ce qui intéresse Woody Allen, c’est l’imaginaire d’après la mort de Dieu, l’imaginaire d’un monde désenchanté, ce qui ne signifie pas qu’il ne puisse, au moins de manière infinitésimale, être ré-enchanté, celui des athées ou des agnostiques. Il rejette à la fois ceux qui veulent idéaliser le réel, les croyant, les crédules et les charlatans comme les pseudo médium et ceux qui entendent y demeurer de plain-pied, les hédonistes modernes pour qui la mort de Dieu n’est même plus un problème. En ce sens Woody Allen n’est pas très éloigné du Clint Eastwood de Hereafter qui récusait à la fois le charlatanisme des médium et autres voyants de l’au-delà et le scientisme bon teint et arrogant d’un producteur de télévision qui faisait profession de foi d’athéisme. Sans doute Clint Eastwood penche-t-il du côté de l’agnostique alors que Woody Allen penche du côté de l’athée, mais Magic in the Moonlight montre que l’athéisme de Woody Allen n’est pas exactement celui que Hereafter récuse. Ce n’est pas un hasard si dès l’ouverture et tout au long du film, Woody Allen prend soin de nous rappeler à la fois qu’il n’est pas de Grand Magicien et que dans la magie tout est factice et artificiel, comme dans le cinéma lui-même – mais cette facticité est la vérité même comparée à celle dans laquelle évolue Brice, le fils Catledge, l’ex futur époux de Sophie dont le réel est, malgré toute la pacotille de la chimère, plutôt sinistre. Il n’y a donc plus de miracles, mais il y a encore du merveilleux. Stanley est un prestidigitateur de génie, un magicien qui fait rêver les foules, comme Woody Allen est un magicien qui nous fait rêver avec ses films. Le regard que ce film porte sur le cinéma est somme toute, dans son parallèle constant avec la prestidigitation, assez humble et renvoie le cinéma à sa source, notamment à Méliès, même s’il pourrait paraître mégalomane puisque le cinéaste prend en un sens la place du Créateur. Le cinéaste est, à sa manière, un prestidigitateur et surtout un magicien, et le cinéma est une machine à rêves même s’il combine, c’est tout son art, le rêve et la forme, imagination et imaginaire. Tout y est faux, factice, sauf une …