Abstracts
Résumé
À partir de 1894 et jusqu’en janvier 1914, année où il meurt à Moscou au cours d’une tournée, le pianiste Raoul Pugno a voyagé à travers le monde en messager et en ambassadeur de l’art français. Le 17 novembre 1897, il débute à New York, à la salle Waldorf Astoria avec le violoniste Ysaÿe. Le 10 décembre 1897, ses débuts avec orchestre au Carnegie Hall, où il joue le Concerto de Grieg, révèlent aux Américains la grandeur musicale et humaine de cet artiste à l’image fort différente du virtuose séduisant et aux cheveux longs, mais attachant de par son enthousiasme unique pour la musique et par l’exubérance de son tempérament latin.
Pugno visite les États-Unis en trois occasions, de novembre 1897 à mars 1898 pour des concerts à New York et Chicago ; d’octobre 1902 à janvier 1903 ; de novembre 1905 à mars 1906, quand il traverse les États-Unis d’est en ouest jusqu’au Canada. Cet article traite de la triple aventure américaine de Pugno à travers la presse américaine et la correspondance du pianiste avec ses collègues et amis. C’est un récit à deux niveaux : le point de vue du pianiste parisien aux États-Unis, mais surtout celui des Américains qui nous racontent leur réception de la musique européenne, du jeu pianistique de Pugno, de son image, mais aussi de l’école française de piano et de la musique française. Les lettres du pianiste témoignent de son succès, mais aussi des difficultés et des déceptions qui marquent son rapport avec la société américaine. Les commentaires de la presse tracent un changement presque radical de la réception. Au cours de huit ans et demi, la presse surmonte une certaine méfiance suggérée par son aspect d’homme « normal » et, au moment du troisième et dernier départ de Pugno pour la France, elle salue le pianiste avec une vive admiration. Face à lui, les critiques laissent même suspendu leur jugement sur l’école française de piano, qui ne jouit pas chez eux de la plus haute considération.
Abstract
From 1894 until his death in January 1914 while he was on tour in Moscow, pianist Raoul Pugno travelled around the world as a messenger and ambassador of French art. On November 17, 1897, he performed his American debut at the Waldorf Astoria in New York, in a concert with violinist Eugène Ysaÿe. On December 10 of the same year, he had his debut with orchestra at Carnegie Hall, playing Grieg’s lone piano concerto. With seductive virtuosity and long, flowing hair, he showed himself to the American audience to be an artist of grandeur, both musical and human, who was appealing because of his unique enthusiasm for the music and his exuberant Latin temperament.
Pugno travelled to the United States three times: from November 1897 to March 1898 for concerts in New York and Chicago; from October 1902 to January 1903; and from November 1905 to March 1906, when he travelled across the United States from east to west, and up to Canada. This article discusses Pugno’s three American adventures through accounts from the American press and the pianist’s correspondence with friends and colleagues. It is a double-layered story: the Parisian pianist’s point of view in the United States, but, more importantly, that of the Americans who tell the story of the reception of European music, of Pugno’s pianistic style, his look, the French school of piano, and French music in general. The pianist’s letters expound upon his successes, but also upon the hardships and disappointments that coloured Pugno’s relationship with American society. The comments in the press show a radical change in his reception. Over eight and a half years, the press overcame its suspicions about his “ordinary” looks—when he left for France the third and last time, the press sent him off with admiration. Thanks to him, critics also suspended their opinions on the French school of piano, which previously were not held in very high regard.
Article body
« Jamais dans ces vingt-cinq années notre France n’a envoyé à l’étranger un champion plus valeureux, un messager plus beau, un témoin plus fidèle de son âme musicale régénérée » ; c’est en ces mots que le critique Camille Mauclair rend en 1919 un hommage posthume à son ami, le pianiste et compositeur Raoul Pugno (Mauclair 1919, 111).
Raoul Pugno naît en 1852 à Montrouge, dans la banlieue parisienne, d’un père italien, marchand de piano, et d’une mère originaire de Lorraine. Une fois terminées, alors qu’il est encore jeune, ses études de piano, d’harmonie et d’orgue au Conservatoire de Paris, il paraît promis à une intéressante carrière musicale, mais son engagement politique en faveur de la Commune lui vaut quelques jours de prison. Surtout, un exil artistique d’une vingtaine d’années le tiendra à l’écart de la culture officielle, jusqu’au 23 décembre 1893[1]. À cette date, âgé de 41 ans, il est appelé à remplacer le pianiste Louis Diémer, malade, dans le Concerto en la mineur de Grieg, avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. Pugno fait enfin ses débuts de concertiste, aussi tardifs qu’éclatants. Très rapidement, le pianiste devient une véritable idole du public parisien qui ne manque pas de manifester son enthousiasme et sa sympathie à un artiste doué d’un caractère joyeux, chaleureux et passionné. À partir de 1894 et pendant vingt ans, Pugno voyage à travers le monde en messager et en ambassadeur de l’art français. La presse contemporaine rend compte d’une activité très intense de concertiste menée dans les capitales musicales d’Europe. On signale sa présence en France, bien sûr, mais aussi en Italie (Milan, Rome, Bologne, Venise), en Allemagne (Francfort, Berlin, Hambourg), en Hollande (Amsterdam), en Belgique (Bruxelles, Bruges, Liège, Anvers), en Espagne et au Portugal (Madrid, Lisbonne, Porto), au Royaume-Uni (Londres, Liverpool, Glasgow, Édimbourg), en Pologne (Varsovie, Cracovie), en Russie (St Pétersbourg, Moscou), en Suisse (Zurich), de même qu’aux États-Unis (New York, San Francisco, Boston, Cincinnati, Ann Harbour) et au Canada (Montréal).
Voyageur infatigable[2], le pianiste visite les États-Unis à trois reprises : de novembre 1897 à mars 1898, il donne une série de concerts à New York et à Chicago ; puis, d’octobre 1902 à janvier 1903, et de nouveau de novembre 1905 à mars 1906, il traverse les États-Unis d’est en ouest, et se rend également au Canada. On se demanderait si Pugno a un imprésario ou si son collègue, le violoniste belge Eugène Ysaÿe, avec qui il entreprend son premier voyage américain, lui sert alors d’intermédiaire[3]. Les questions soulevées par l’aventure américaine du pianiste français sont nombreuses et je tenterai d’y répondre au cours du texte. En 1897, il maîtrise déjà un vaste répertoire, comprenant des pages choisies des xviie et xviiie siècles, de Mozart, de Beethoven, de Chopin, de Liszt et de Grieg, sans oublier ses propres compositions ; il se produit en solo, avec orchestre ou dans des formations de musique de chambre. Que va-t-il proposer au public américain ? Va-t-il respecter ses choix personnels ou va-t-il les adapter au goût des nouveaux auditeurs ? Comment va-t-il partager ses programmes entre récitals, musique de chambre et piano symphonique ? Alors qu’il est fidèle en Europe aux pianos Pleyel, sur quels instruments va-t-il jouer aux États-Unis ? Bien avant sa première aventure américaine, la France a couronné Pugno comme l’un de ses plus grands virtuoses : quels échos dans la presse française à cette entreprise d’autant plus exceptionnelle que déjà un demi-siècle s’est écoulé depuis les débuts newyorkais d’un autre pianiste français, Henri Herz (en 1845[4]) ?
J’ai consulté pour ce faire la presse américaine et la correspondance du pianiste avec ses collègues et amis, notamment deux lettres et une carte postale que Pugno envoie au début de l’année 1906 à la jeune compositrice Nadia Boulanger (1887-1979), avec laquelle il collabore professionnellement de 1905 à sa mort et à laquelle l’unit une longue amitié[5]. Ces écrits proviennent d’un lot de documents faisant partie du fonds Boulanger à la Bibliothèque nationale de France (BnF) à Paris ; longtemps inaccessible, cette correspondance apporte un témoignage inédit sur ces périodes importantes de la vie du Raoul Pugno[6].
Le début américain (1897-1898)
Le 7 novembre 1897, Pugno débarque à New York en compagnie du violoniste Eugène Ysaÿe. Bien que l’Amérique commence à être visitée par un nombre remarquable d’artistes du Vieux Continent[7], le séjour d’un musicien européen aux États-Unis suscite toujours une certaine curiosité : partir en tournée au-delà de l’océan signifie mesurer son succès et sa valeur devant un nouveau public et le défi est à la fois culturel et financier. Pugno ne l’admet pas, mais sa passion de collectionneur pour les livres, tableaux et objets d’art laisse deviner l’attrait financier, légitime, que cette aventure peut exercer sur lui[8]. Un segment intitulé « Le profit des artistes[9] » publié par The Times le 2 novembre 1902 précise que la deuxième tournée américaine vaut à Pugno 30 000 dollars (O’Rell 1902a, 25[10]).
Les concerts sont en même temps l’affaire des musiciens (la lettre qu’il envoie à Nadia Boulanger le 14 février 1906 le prouve clairement[11]) mais aussi — voire surtout — de leurs imprésarios. Au moment de son premier voyage américain, Pugno n’a peut-être pas encore d’imprésario attitré ; en annonçant son arrivée aux États-Unis, la presse ne mentionne aucun agent[12]. Il serait possible que l’intermédiaire entre Pugno et l’Amérique ait été Ysaÿe lui-même (le violoniste en est à sa deuxième tournée américaine) ; le 24 janvier 1897, dix mois avant l’arrivée de Pugno à New York, le Los Angeles Herald avait publié le compte-rendu de ce que son correspondant à Bruxelles avait désigné l’événement le plus remarquable de l’automne musical belge, le concert d’Ysaÿe au théâtre de L’Ahambre, avec Pugno au piano (Moran 1897, 13). Le 20 juin 1897, le Los Angeles Herald nous apprend encore que R. E. Johnston, l’imprésario du violoniste bruxellois, est en train de négocier avec Pugno (Los Angeles Herald 1897, 14), une information que rien ne nous permet de confirmer.
Dès que la date des débuts américains du pianiste français est fixée (17 novembre 1897), la presse crée et maintient un climat d’attente qui peut déclencher des mécanismes imprévisibles du marché : les journaux américains (mais français aussi) anticipent à plusieurs reprises ce voyage. Déjà le 18 septembre 1897, The Scranton Republican annonce la visite américaine de quatre pianistes, dont deux, Raoul Pugno et Alexander Siloti, qui sont inconnus du public américain. Et lorsqu’au mois d’octobre 1897 Pugno donne ses derniers concerts parisiens avant son départ pour les États-Unis, la presse française ne perd pas l’occasion de rappeler à ses lecteurs les projets de leur artiste bien-aimé[13]. Amédée Boutarel fait l’éloge de Pugno, auquel il reconnaît « toutes les qualités du pianiste musicien : pose très personnelle et très classique du son et de la phrase, autorité sur lui-même toujours entière même dans la grande vélocité, sûreté magistrale dans les effets d’extrême douceur, jeu d’une tenue magnifique, virtuosité à toute épreuve, sentiment musical exquis » (Boutarel 1897, 344). Quatre ans seulement se sont écoulés depuis les débuts du pianiste à Paris : « Un hasard, presque le révéla : le lendemain il était célèbre, et alors s’alluma la fusée éblouissante de cette carrière, qui jaillit et emporta éperdument à travers le vaste monde un flamboiement de l’art français » (Mauclair 1919, 110).
Comment réagit la presse américaine face aux prestations de Pugno ? L’apparence physique du pianiste venu de Paris frappe d’abord un chroniqueur car elle ne correspond pas à l’image élégante du virtuose européen véhiculée par Paderewski depuis sa tournée triomphale de 1891. Pugno est décrit comme « un homme grand, imposant, aux traits bien marqués, avec une barbe brune[14] » (The New York Times 1897, 13).
Dix jours après son arrivée à New York, le 17 novembre 1897, Pugno donne son premier concert devant le public new-yorkais, en partageant la scène avec Ysaÿe[15], dans le cadre d’un concert organisé et dirigé par le chef d’orchestre hongrois Anton Seidl[16]. La salle Astoria, qu’on leur a réservée, est un salon de danse. Malgré la célébrité dont il jouit en France[17] (rappelons que le 31 juillet 1897, il a été décoré de la Légion d’honneur), Pugno n’est pas accueilli sans réserve par le public et la presse. Son aspect, sa « simplicité, pour ne pas dire sa nonchalance, ne facilitent pas son acceptation comme interprète soliste[18] » (The World 1897, 3). Il joue la version pour piano et orchestre de Liszt de la Fantaisie « Wanderer » de Schubert et on l’accuse de froideur, de jouer sans émotion ni passion. Les commentaires sont plus positifs lorsqu’il accompagne Ysaÿe dans un Rondo de Mozart : leur entente est jugée « parfaite[19] » (The World 1897, 3).
Le 10 décembre 1897, Pugno fait ses débuts avec orchestre au Carnegie Hall (Lahee 1922, 113) où il interprète le Concerto de Grieg avec l’orchestre de la New York Philharmonic Society dirigé à nouveau par Seidl[20]. Selon les archives en ligne de cet orchestre, Pugno visite New York à six reprises entre 1897 et 1905 : il y revient déjà le 7 mars 1898 avec le Chicago Symphony Orchestra dirigé par Theodore Thomas pour jouer les Variations symphoniques de Franck (1885) ainsi que le Concertono 5 en fa majeur, op. 103 de Saint-Saëns[21] (Chicago Symphony Orchestra 2011). C’est un crescendo : le public et la presse sont conquis par sa ferveur romantique, sa technique brillante et sa bravoure étonnante (Chicago Daily Tribune 1897, 1). Pugno est flatté par cet accueil. De sa résidence newyorkaise, entre la 5e Avenue et la 8e rue, le 24 décembre 1897, il écrit au directeur du Conservatoire de Paris, Théodore Dubois, qui lui avait sans doute accordé un congé pour la durée de cette tournée :
Mon cher Directeur,
Les centaines de lieues qui me séparent de mon cher Paris ne me brouillent pas la cervelle au point de me faire oublier ceux que j’y ai laissés, ceux qui veulent bien me témoigner de l’amitié, ceux que j’aime. Malgré le tourbillon de cette vie américaine, malgré l’émotion et la griserie des succès, ma pensée se tourne constamment vers le coin de terre chérie et pour ternir ma mélancolie, quelque peu accrue en ces jours de « Christmas », je n’ai qu’un remède : correspondre avec mes bons, mes vrais amis. […] J’ai joué ici, à New York, six fois déjà avec l’orchestre de Seidl, et j’ai eu cette vive joie d’être acclamé par cent musiciens exclusivement allemands. Je crois ne pas déshonorer le drapeau de notre Conservatoire. Au revoir, mon cher maitre [sic] et ami. Croyez-moi votre très dévoué et très reconnaissant Raoul Pugno.
Guilmant est venu me voir à mon 4e concert au Metropolitan, et Marteau arrive ici dans dix jours. Mais je ne le verrai pas, je serai parti pour Chicago[22]
Pugno da1897
Outre un rare témoignage direct du point de vue de Pugno sur sa tournée américaine, cette lettre porte les traces évidentes de sentiments partagés à l’époque qui précède la Première Guerre mondiale : patriotisme français et anti-germanisme latent.
L’admiration du public américain pour le musicien va se transformer en sympathie pour l’homme. La presse est dépaysée : cet artiste dont la figure est jugée « falstaffienne » n’a rien de ce qu’on pourrait attendre d’un pianiste inspiré et romantique, tel que se révèle Pugno. Le compte-rendu d’un de ses concerts est intitulé « Musicien aux cheveux courts[23] », avec un sous-titre emblématique : « Raoul Pugno ne ressemble pas à un artiste romantique[24] » (The Leader Democrat 1897, 11) : le stéréotype du pianiste romantique inspiré par Paderewski est encore ici présent. Le critique anonyme est évidemment étonné qu’un personnage si peu intéressant du point de vue physique puisse susciter un tel enthousiasme et il en déduit, presque résigné, que « au moins chez les hommes la chair n’interfère pas forcément avec la popularité. Assis au piano, M. Pugno n’était pas le genre de figure à séduire les coeurs des jeunes filles des concerts des matinées […]. Mais le public[25] ! » (ibid.).
Le pianiste poursuit sa série de concerts que la presse documente fidèlement, avec une confiance qui s’accroît de plus en plus de la part des critiques. Si l’on insiste encore une fois sur l’aspect physique de l’homme, « tout le contraire du pianiste ordinaire », en ajoutant que « s’il avait les cheveux longs il donnerait l’image d’un génie[26] » (The Brooklyn Daily Eagle 1898, 7), les appréciations musicales sont sincères. La maîtrise du piano est synonyme de grande personnalité. La force au piano de Pugno rappelle celle d’Anton Rubinstein : « Il ne caresse pas les touches comme Paderewski ou Joseffy : il les commande. Parfois il les intimide. Son piano n’est pas sa maîtresse : c’est son armée de fonctionnaires[27] » (ibid.). Et pourtant la musique garde tout son pouvoir de suggestion.
Le dernier article concernant ce premier voyage américain de Pugno est une chronique anonyme publiée dans The Cincinnati Enquirer le 13 mars 1898 (1898a, 19). On ne connaît pas la date précise du départ du pianiste pour la France, mais évidement le retour est proche. Le 17 mars suivant, Pugno donne un récital au Odeon Hall, qui se trouve à l’intérieur du Conservatoire de Cincinnati[28] et ce sera peut-être le dernier concert de sa première aventure américaine. Cinq jours auparavant, la plupart des 1 500 places ont été déjà vendues, ce que la presse souligne pour remarquer la considération exceptionnelle dont le pianiste français jouit désormais de la part des Américains. À la fin du xixe siècle, la critique musicale n’a pas encore acquis aux États-Unis un statut d’autorité, et, afin que son éloge soit crédible, le chroniqueur du Cincinnati Enquirer fait appel à l’opinion d’un musicien, selon lequel Pugno serait l’équivalent d’un Rubinstein ou d’un Liszt de son temps (1898b, 24). Bien que grandiloquente, cette comparaison confirme l’intérêt des Américains pour cet artiste à la « célébrité universelle » et « au talent magique », capable de « transformer en être vivant un instrument qui n’est que trop souvent un tombeau pour rêveries mélodieuses ou l’intermédiaire odieux d’une musique lascive[29] » (ibid.) ; à l’évidence, le piano ne jouit pas chez ce chroniqueur d’une réputation édifiante ! Pour Pugno, cette parenthèse américaine se transforme donc en triomphe. Après presque cinq mois, Pugno peut recueillir en France et ailleurs en Europe les fruits du succès remporté en Amérique. La Gazzetta musicale di Milano, dans le compte-rendu d’un récital du pianiste à Varsovie, loue l’« individualité marquée » de son style, qui rend nouvelles toutes les compositions qu’il interprète[30] (Groër 1900, 46). Ses engagements à travers l’Europe s’intensifient de plus en plus. Au début de janvier 1901, pressé par une activité de concerts qui l’oblige à s’absenter trop souvent, il offre par lettre à Théodore Dubois sa démission du poste de professeur du Conservatoire : « Quel que soit mon attachement à cette grande Maison à laquelle je dois tant, je ne voudrais pas continuer à lui appartenir sans me consacrer tout entier à mes élèves » (Pugno da1901). C’est Antonin Marmontel qui prend les rênes de sa classe de piano.
La deuxième tournée américaine (1902-1903)
Lorsqu’il revient aux États-Unis en 1902, Pugno est un pianiste célébré des deux côtés de l’Atlantique. Le premier concert de sa deuxième tournée américaine est fixé au 17 octobre 1902, à Boston. L’accueil est digne des plus grands artistes et pour le concert suivant à New York le 21 octobre, au Carnegie Hall, beaucoup de musiciens viennent l’applaudir[31] (Chicago Daily Tribune 1902a, 5). Le concerto de Mozart qu’il interprète est jugé excellent du point de vue technique et pourtant gracieux et délicatement coloré (ibid.). Décrit comme un « interprète corpulent et paternel », son style offre pourtant une pureté et une légèreté rares ; Pugno déploie « une beauté de sonorités et une douceur qui fascinent les sens[32] » (Chicago Daily Tribune 1902b, 20), et il révèle un lyrisme exceptionnel et une beauté du legato qui enchantent l’auditoire (ibid.). Pugno alterne les concerts avec orchestre[33] avec des récitals aux programmes riches et variés, allant de Bach et Handel à quelques-unes de ses propres compositions, en passant par Beethoven, Schumann, Chopin et Liszt. Il met ainsi en valeur son aisance technique et ses dons d’interprète.
Après avoir offert dix concerts avec orchestre, vingt-huit récitals et cinq soirées musicales privées, Pugno s’embarque pour la France le 17 janvier 1903, sur le paquebot Finland. Le lendemain, The New York Times annonce son départ avec regret (1903, 34). Le deuxième séjour américain a été plus court que le précédent : trois mois seulement, à cause — lit-on — de l’impossibilité d’annuler un nombre remarquable d’engagements en Allemagne pris pour le début du mois de février. La tournée allemande est suivie d’une tournée en Russie, avec une prolongation à Londres et dans les régions françaises. « Il n’est pas prévu qu’il revienne dans ce pays [aux États-Unis] avant plusieurs années[34] », précise le New York Times (ibid.).
Un changement dans l’opinion des critiques après la deuxième tournée
La presse et le public ont été subjugués par le charme discret, la gravité et la fidélité à la partition de Pugno[35] et apprécient mieux son caractère. Après avoir critiqué son aspect, ironisé sur sa taille, sur sa barbe brune et ses cheveux courts, ses habits jugés trop peu élégants comparativement au raffinement de son art, le pianiste devient un exemple de style, comme nous le révèle un article publié le 17 janvier 1903 (le jour où il embarque pour la France) par le journal canadien The Winnipeg Tribune ; cet article est repris le 1er février suivant au Kansas dans les pages du Topeka Daily Capital (1903, 18) (voir fig. 1). On y voit sept musiciens célèbres, venus en visite aux États-Unis, dessinés par un portraitiste d’après une photo instantanée : les silhouettes de quatre pianistes (Ignace Jan Paderewski, Ossip Gabrilowitsch, Joseph Hoffmann et Pugno), deux violonistes (Jaroslav Kocian et Jan Kubelik) et du facteur français d’instruments Arnold Dolmetsch sont accompagnées d’un commentaire qui décrit chacun de ces personnages, avec ses vices, ses manies et ses bizarreries.
On peut y lire que Kocian a tout ce qu’il faut pour le succès : les cheveux longs, le talent et un nom difficile à prononcer ; Kubelik est déterminé et effronté, presque insensible et vénal (son regard quand « il extrait l’âme de son violon » est le même que lorsqu’il « extrait le grand dollar américain de sa grande poche américaine[36] » (ibid.)). Les pianistes sont les plus fustigés. Paderewski est dessiné près de l’objet qui l’amuse le plus, une table de billard ; son piano n’est en effet pour lui que l’instrument de sa fortune financière. Quant à Pugno, il est, en 1903, un homme de bientôt 51 ans ; sa maturité l’enrichit en raison de l’âge et de l’expérience. C’est un artiste sans extravagances, ni caprices, ni distractions, et pourtant assez élégant : « Quand l’appareil a photographié Pugno, le grand pianiste français était en train de se promener vêtu de son magnifique manteau de fourrure en fumant un perfecto[37] » (ibid.). La presse américaine n’avait pas jusqu’ici manifesté pour lui ce genre d’attentions. Très brièvement, on raconte qu’il est le fils d’un pianiste demeuré inconnu et qui habitait les faubourgs parisiens, et que « malgré les attractions joyeuses d’une grande ville, le jeune Raoul a étudié dur jusqu’à devenir célèbre[38] » (ibid.).
La constance du travail, unie à la puissance de son tempérament latin, c’est-à-dire à sa capacité d’explorer une gamme de contrastes dramatiques avec une sensibilité très développée, lui vaut l’admiration incontestée des Américains. Pugno peut représenter un modèle à la fois dans la vie et dans l’art, son humanité devenant l’aspect le plus apprécié de son caractère. On loue sa capacité de jouir du succès sans se laisser submerger par la fièvre de la mondanité aveugle, ni perdre le goût de demeurer en contact avec les gens. Le 8 mars 1906, The Minneapolis Journal lui consacre un article intitulé « Pugno travaille fort[39] », où l’on apprend que « le grand pianiste français travaille le piano de sept à huit heures par jour[40] », sans compter le temps des répétitions et des concerts (1906, 8). Quelques années auparavant, The Musical World avait consacré deux longs articles anonymes à Pugno et aux pianistes qui viennent se faire entendre aux États-Unis (1903, 9-10 ; 1904, 3-5) ; on y jette un regard intéressant sur les différentes écoles de piano. Si, du point de vue individuel, Paderewski domine la scène (y compris en termes d’argent gagné et de conquêtes féminines…), le jugement sur les écoles de piano reste assez mitigé, car, d’après l’auteur du premier article, toutes les méthodes visent à atteindre les mêmes résultats, par des moyens différents. Si les Polonais s’affirment par leur sens poétique et les Allemands par la sincérité de leurs interprétations, le jeu des Français est marqué par une évidente élasticité du rythme qui dépendrait de la nature de leurs pianos (The Musical World 1903, 9-10). Les raisons de ces remarques sont évidemment liées au marché des instruments et cachent des raisons d’ordre économique et commercial. Outre les pianos Steinway, dont une firme existe à New York depuis 1853, les Américains sont assez fiers du succès des pianos Baldwin qui viennent de remporter un grand prix à l’Exposition universelle de Paris en 1900. La compétition est serrée : « le plus grand pianiste académique français, Raoul Pugno, professeur honoraire du Conservatoire de Paris, pianiste et compositeur célébré, aime et préfère les pianos Baldwin chez lui et à l’étranger[41] » (Concordia Blade-Empire 1912, 1). On ne sait pas si cette opinion a jamais été divulguée en France où la presse avait plutôt choisi un terme qui ne laissait aucune équivoque à cet égard : Pugno « pleyelait », ce qui confirme son lien spécial avec Pleyel[42]. Le nom de Pugno fait donc autorité, même si sa renommée ne suffit pas à sauver la réputation de l’école française de piano aux yeux des Américains. Tout en exprimant son admiration pour le niveau technique acquis, l’auteur de l’article exprime ses réserves sur le manque d’instinct tonal des pianistes français qui, à son avis, serait la conséquence du défaut de sonorité de leurs pianos. Et pourtant ils transforment un défaut en vertu :
Puisque la sonorité de leur piano offre moins de moyens pour les variations dynamiques, le sens des nuances doit être nécessairement développé et la finesse de la suggestion encouragée. Il en résulte que pour obtenir une même chaleur émotionnelle, il faut plus d’accents, une manifestation plus évidente de tempérament. Un rythme élastique, une subtilité d’accents, un sens dramatique des contrastes émotionnels, toutes ces qualités sont l’héritage naturel du tempérament latin[43]
The Musical World 1903, 10
Dans ce contexte Pugno est très bien jugé : sa technique développée ne craint aucune difficulté d’écriture car « il possède le feu et l’abandon d’un virtuose né et, en même temps, un sens inné et très solide du rythme qui ne le trahit pas dans les passages les plus difficiles[44] »
ibid.
La troisième tournée (1905-1906)
Deux ans et demi séparent la troisième tournée américaine de la deuxième. L’arrivée de Pugno, prévue pour l’automne 1905, est annoncée le 28 août de la même année dans The San Francisco Call : Pugno fait partie des pianistes (avec Harold Bauer, Alfred Heisenauer et le pianiste aveugle Edward Baxter Perry) que l’imprésario Will Greenbaum a engagés pour une tournée aux États-Unis (1905, 12). Pugno doit jouer avec divers orchestres symphoniques à Boston, Philadelphie, Cincinnati, New York et, pour la première fois, sur la côte ouest. Il débute sa troisième visite américaine au Carnegie Hall de New York, le 18 novembre 1905, avec l’Orchestre de la Société symphonique russe dirigé par Modest Altschuler ; il interprète le Concerto n° 2 de Rachmaninov (1900-1901), en première audition aux États-Unis[45] (Carnegie Hall da2016b). Le répertoire choisi par Pugno pour sa troisième tournée américaine est jugé intéressant par Howard Boardman, critique du Minneapolis Journal : le Concerto de Rachmaninov, les Variations symphoniques de Franck et la fantaisie Africa de Saint-Saëns (1891) (celle-ci également en première audition américaine), constituent trois exemples récents de piano symphonique (1905, 8). Boardman ne fait aucune mention de la Symphonie sur un chant montagnard français de d’Indy, jouée le 17 décembre 1905 avec le New York Symphony Orchestra (New York Philharmonic da2017b). Encore une fois, le pianiste français fait alterner les séances avec l’orchestre avec des récitals assez stimulants du point de vue historique, incluant des compositions de Bach, Handel, Rameau, Scarlatti et Couperin : Pugno est un enseignant, pas seulement un virtuose, et cela attire l’attention des étudiants et des passionnés de l’instrument. Ses programmes sont considérés comme « intéressants aussi bien qu’instructifs[46] » (The Indianapolis News 1905, 9) et plusieurs de ses concerts sont accueillis dans les auditoriums d’écoles de musique, dans le cadre de concerts « populaires », auxquels on accède avec un billet souvent à tarif réduit.
Cette troisième aventure se présente différemment des deux précédentes pour Pugno. Alors qu’il enseignait au Conservatoire de Paris, il avait l’habitude de préparer les concertos avec orchestre qu’il devait interpréter avec l’aide précieuse de quelques-unes de ses élèves : en effet, dans sa maison de campagne à Gargenville[47], il travaille sur un instrument spécial, le piano carré à double clavier que Gustave Lyon, directeur de la maison Pleyel, lui a offert (Berteaux 1946, 159). En 1904, il a rencontré la jeune et brillante Nadia Boulanger et c’est avec elle qu’il prépare les programmes concertos qu’il va jouer aux États-Unis[48]. La jeune musicienne, alors âgée de 17 ans, ne peut pas accompagner son mentor en tournée[49], et pourtant le pianiste ressent l’obligation morale de tenir sa collaboratrice au courant des concerts donnés de l’autre côté de l’Atlantique, de ce qu’ils ont « pioché ensemble » (Pugno da1906a). Le ton des deux lettres qu’il lui envoie au début de l’année 1906[50] est très affectueux et profondément respectueux de la qualité du travail accompli ensemble. Pugno souligne son estime envers sa « petite camarade de travail » (Pugno da1906b). Son récit est touchant : il lui raconte « l’ahurissement de [s]a vie, [s]a fatigue extrême » (Pugno da1906a), et se plaint du rythme américain qui « supprime de la vie tout ce qui n’est pas urgent, […] l’émotion, l’amitié, les propos tendres, les échanges, les effusions » (Pugno da1906b). Surtout, il lui révèle le mauvais accueil fait par la presse au Concerto de Rachmaninov ; certains critiques jugent la composition prétentieuse et trop exigeante pour un pianiste (ibid.). Pourtant, la considération de Pugno pour l’oeuvre demeure intacte, comme il l’écrit à Nadia Boulanger : « C’est un rubato perpétuel, surtout le premier morceau […]. L’adagio est un bijou — et le final que nous aimions moins fait un grand effet pianistique » (Pugno da1906a). En particulier, le pianiste aime « énormément » l’interprétation qu’en a donnée Altschuler, le « chef d’orchestre russe, ami intime de Rachmaninov, conduisant avec passion et connaissant l’oeuvre dans ses détails les plus petits » (ibid.). Dans la même lettre Pugno commente aussi l’accueil bienveillant reçu par la Symphonie sur un chant montagnard français de d’Indy (1896), et il regrette que cela soit survenu après le départ du compositeur pour la France[51]. Son commentaire sur la Symphonie de d’Indy révèle un homme sensible, raffiné et cultivé, qui s’y connaît manifestement en peinture : « C’est une belle fille, simple, habillée avec la palette richissime d’un Van Dyck ou d’un Isabey » (Pugno da1906a).
Commencée à New York, la troisième tournée conduit successivement Pugno à Boston[52], Montréal[53], Détroit, Philadelphia, Cincinnati, Chicago, Ann Harbour, Minneapolis et San Francisco, d’où Pugno écrit par carte postale, le 18 mars 1906, à Nadia Boulanger : « Ma chère Nadia, je viens d’avoir en quatre jours, ici, 3 concerts qui ont été parmi les plus beaux de ma vie » (Pugno da1906c). Pugno joue en effet au Lyric Hall de San Francisco les 14, 16 et 17 mars 1906. Malgré le temps orageux et une modeste campagne publicitaire, la salle est comble ; les auditeurs se laissent ravir par les interprétations de celui que le San Francisco Chronicle présente comme « l’un des plus grands pianistes au monde[54] » (1906, 9). Harold Bauer est cité dans l’article, admettant qu’il « voyag[erait] de par les pays pour l’entendre jouer[55] » (ibid.). Les appréciations de la presse sont éloquentes : « ses interprétations sont si riches de couleurs, de sentiments et de joie de la musique […]. Pugno est un homme qui atteint les gens, quel que soit leur niveau de connaissance technique[56] » (ibid.). Encore plus éloquente est la réaction du public qui, à la fin de son dernier concert, refuse de quitter la salle. « Les auditeurs se pressaient dans les allées, comme hypnotisés, jusqu’à ce que finalement le pianiste ait été forcé de leur donner quelques minutes de plus de musique[57] » (The San Francisco Call 1906, 40).
Le 20 mars 1906, Pugno joue au Simpson Auditorium de Los Angeles, « non en pianiste mais en monarque[58] » (Los Angeles Herald 1906a, 8), le 22 à Redlands devant plusieurs critiques musicaux (Los Angeles Herald 1906b, 4), et le 23, il revient à Los Angeles pour son dernier concert dans cette ville. Bien que la lettre adressée à Nadia Boulanger nous apprenne qu’il quitte les États-Unis le 5 avril 1906 (après cinq mois passés sur le continent américain), les témoignages de la presse s’arrêtent au 23 mars 1906. Celui du Los Angeles Herald, daté du 20 mars, est le plus personnel ; ce long article, intitulé « Raoul Pugno est l’idole des milieux élégants[59] » (Chauvenet 1906, 9 ; voir figure 2), s’attarde sur le caractère paradoxal de cet artiste plein d’« audace » et têtu, et en même temps « délicat ». Doué d’un esprit extravagant, le pianiste peut être « cordial et correct, sceptique et enthousiaste, joyeux et tendre, surtout […] charmant, spirituel et séduisant[60] » (ibid.).
L’admiration du journaliste est flagrante : il fait l’éloge de cet homme jadis sans fortune, qui incarne aujourd’hui le modèle de l’homme « moderne », « un homme d’action et d’études ; qui aime la chasse et les livres, l’escrime et les sports en alternance avec la conversation, un bon voyager [sic] […] et Parisien dans l’âme et le coeur[61] » (ibid.).
La générosité du pianiste se mesure à l’aune du programme en trois parties choisi pour ce concert : en première partie, le Prélude et fugue en fa mineur de Bach, la Gavotte en sol majeur de Handel, la Sonate en la majeur, K. 24 de Scarlatti, et la Sonate en do dièse mineur, op. 27 n° 2 de Beethoven ; en deuxième partie, la Ballade n° 1 en sol mineur, l’Impromptu posthume, le Scherzo n° 2 en si bémol mineur, Berceuse, Andante spianato e grande polacca brillante, op. 22 de Chopin ; et en troisième partie, des extraits des Phantasiestücke [NDLR : aussi orthographié Fantasiestücke], op. 12 (« Des Abends », « Grillen », « Ende von Lied ») de Schumann, la Sérénade à la lune de Pugno et la Rhapsodie hongroise n° 11 de Liszt. La célébrité ne diminue en rien cette générosité naturelle :
Bien qu’il soit une idole des milieux élégants à Paris, il aime rester à la campagne pour méditer sur ses débuts, quand il déjeunait avec 20 sous — lorsqu’il avait la chance de déjeuner — et dormait dans un grenier. Car, pendant ses vingt premières années, Pugno, comme beaucoup de ses rivaux, dût combattre la pauvreté et travailler durement pour gagner son existence et son pain quotidien. Aujourd’hui il est célébré mais se montre accueillant envers les jeunes artistes pauvres. Surtout, il a cette suprême vertu que Napoléon estimait être la plus grande, et qui affirme « Il est heureux » — très heureux, et pourtant digne de sa célébrité[62]
Chauvenet 1906, 9
Conclusion
Le récit des trois tournées de Pugno aux États-Unis raconte une amitié qui se développe entre un artiste et un public. Leur rencontre n’a rien du coup de foudre ; au contraire, les liens se tissent peu à peu. Le succès du concertiste au piano est le fruit d’une conquête longuement souhaitée : il lui a fallu attendre la pleine maturité de l’artiste (fin décembre 1893) pour que le piano, longtemps utilisé pour son travail de compositeur de morceaux de salon et d’opérettes, devienne enfin « l’instrument de sa gloire et de sa fortune » (Mauclair 1914, 18). Au moment de la première tournée américaine, on n’a reçu en Amérique que de faibles échos des succès du pianiste en France et en Europe, comme l’absence possible d’un imprésario le laisse présumer. Pugno débarque à New York en compagnie du violoniste Eugène Ysaÿe ; chez les Européens, ce duo est une association de virtuoses au pur service de la musique de chambre, où le violoniste et le pianiste se trouvent au même niveau, mais la notion même de musique de chambre telle que la conçoivent Ysaÿe et Pugno (et telle que nous la concevons aujourd’hui) est trop récente pour que les Américains puissent l’avoir déjà assimilée. Si le professorat de Pugno au Conservatoire de Paris semble faire autorité, le musicien n’est encore pour eux que le pianiste « accompagnateur » d’Eugène Ysaÿe. Au début, la réception de Pugno par les Américains souffre de certains préjugés que le pianiste désamorce l’un après l’autre. Pugno conquiert finalement l’admiration des mélomanes américains grâce à son talent et à son pouvoir de communication humain et artistique, à une obstination qui fait de lui l’exemple réussi de l’homme nouveau, celui qui réalise son destin en ne s’appuyant que sur sa volonté et son talent. Son succès est la preuve que le dur travail et les sacrifices peuvent porter fruit même dans le domaine de l’art ; cet art qui, selon l’écrivain Paul Bourget, a besoin de « forts lutteurs toujours pensifs et sérieux qui chérissent le Beau d’une immense tendresse » (1885, 72). Pugno est un lutteur qui a l’âme et le corps robustes, ainsi que les Américains le remarquent. Ses origines italiennes ne sont pas rappelées par hasard et les vicissitudes du pianiste peuvent évoquer l’odyssée de nombreux Américains, émigrés d’Italie pour échapper à une vie de misère. On relève son aspect d’homme « normal » en comparaison des purs génies qui visitent les États-Unis au même moment que Pugno. Ce dernier garde intacte son humanité et, par son charme « paternel » et tendre, il séduit son public : les Américains en particulier qui, bien que jugés par le pianiste lui-même peu sensibles à manifester leurs sentiments[63], se laissent toucher par la sincérité d’un art qu’il communique à tous avec le plus haut respect. L’obstination n’est qu’un aspect de la personnalité de l’artiste. Pugno a besoin de goûter toutes les nuances de la vie : le travail et le repos, la musique et la table, les voyages et le séjour à la campagne dans sa résidence de Gargenville, où le pianiste se consacre à la chasse et accueille des amis et collègues pour partager la musique et les dîners. Au mois de septembre 1905, à la veille de son troisième départ pour les États-Unis, le mensuel Musica lui consacre un article intitulé « Raoul Pugno, maire de Gargenville », illustré d’une amusante photo prise dans les rues du village où Pugno préside un banquet populaire, assis humblement parmi ses concitoyens, « à côté d’un officier et coiffé d’un feutre mou » (Musica 1905, 144). Pugno montre — d’aucuns diraient exhibe — sans réserve la simplicité de ses manières. La presse française souligne ce trait tout en le louant : « une telle bonhomie est le complément délicieux d’une légitime renommée » (ibid.). Deux ans plus tôt, la rentrée de la deuxième tournée américaine coïncidait avec la consécration en France du personnage public, qui attire aussi l’attention de la chronique mondaine ; en 1903, dans un article de Musica sur les vacances des musiciens français célèbres, la pose officielle et discrète des Saint-Saëns, Massenet et Reyer contraste avec la pose exubérante de Pugno serrant un fusil de chasse, accompagné de son chien (Musica 1903, 189).
Qu’il soit en France ou en Amérique, Pugno reste fidèle à lui-même, ne renonce jamais à son exubérance, son physique imposant témoignant de sa vitalité. La presse française contribue rapidement à son aura médiatique, alors que les Américains ont eu du mal à reconnaître en lui un artiste hors commun parce qu’ils le jugeaient, justement, trop proche du commun des mortels. Si les uns exaltent sa normalité, son besoin de détente, ses moments d’oisiveté, les autres l’admirent pour son acharnement au travail, l’importance qu’il accorde à la discipline. Le succès ne change pas le point de vue de l’homme, et cela ressort clairement des lettres adressées à Nadia Boulanger. Celles-ci nous racontent l’autre visage de l’aventure américaine du pianiste, ses frustrations et ses déceptions, en nous restituant en détail et avec une profonde sensibilité l’arrière-plan de cette expérience[64].
Appendices
Annexes
Annexe 1. Lettre de Raoul Pugno à Nadia Boulanger, 13 janvier 1906, fonds Nadia Boulanger, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique, Paris
Grand Hotel
Cincinnati, samedi 13 janvier 1906
Ma chère Nadia,
Depuis longtemps je me promets de vous écrire pour vous donner des nouvelles des oeuvres que nous avons travaillé ensemble. J’eusse dû le faire beaucoup plus tôt, car vous vous êtes montrée parfaitement gentille et dévouée que vous auriez dû, la première, savoir ce qui s’est passé. Mais vous devez vous douter de ce qu’est ma vie depuis neuf semaines que je suis arrivé. C’est ce soir un 21e Concert (7e avec orchestre). Si vous ajoutez à cela les distances formidables qu’il faut franchir, les invitations impossibles à refuser, les dîners, les répétitions, les Conservatoires à visiter, les auditions à donner, vous comprendrez facilement l’ahurissement de ma vie, ma fatigue extrême, et les heures très rares que je puis donner aux amis qui sont là-bas, de l’autre côté.
Le Rachmaninoff n’a pas eu le don de plaire à la critique new-yorkaise. L’exécution au concert a provoqué un vif enthousiasme et j’ai débuté par un énorme succès, mais les critiques qui se ressemblent partout — ignorance et rosserie mélangées — ont trouvé que le Concerto n’avait pas besoin de venir de si loin, qu’il n’y avait là rien de sensationnel, etc., etc. Bref, une foule d’appréciations sans queue ni tête que je me dispense de vous dire.
Ce qui importe — à vous et à moi, qui aimons l’oeuvre — c’est qu’elle donne bien à l’orchestre ce que l’on attend d’elle. J’avais un chef d’orchestre russe, ami intime de Rachmaninoff, conduisant avec passion et connaissant l’oeuvre dans ses détails les plus petits. C’est un rubato perpétuel, surtout le premier morceau, et l’interprétation ainsi conçue m’a plu énormément.
L’adagio est un bijou — et le final que nous aimions moins fait un grand effet pianistique. Bref, on me le demande à la Philarmonique de Londres et ce sera pour moi curieux de constater l’effet produit dans cette seconde audition. Pour la Symphonie sur des airs montagnards de d’Indy, c’est assez curieux que ce soit justement après son départ (à d’Indy) qu’il ait obtenu un vrai succès.
Je dois dire que pour les deux concerts d’orchestre que d’Indy a conduit, la presse américaine a manqué de goût, de tact et de courtoisie. Les programmes étaient peut-être un peu durs à digérer pour ce public qui est encore fort jeune en musique, mais quand il s’agit d’une personnalité comme d’Indy, il semble que le respect dû au talent considérable de ce dernier, doit s’imposer à tous. Bref, d’Indy est parti le jeudi et le samedi, j’ai joué avec Damrosch la Symphonie sur des airs montagnards. Nous y avons apporté, Damrosch et moi beaucoup de dévouement et de foi, et l’exécution a été fort belle. J’aime énormément cette oeuvre. C’est une belle fille, simple, habillée avec la palette richissime d’un Van Dyck ou d’un Isabey. Et voilà, chère petite, le résultat obtenu avec ce que nous avons pioché ensemble.
Autrement, tout le reste suit son cours normal. […] Je joue mardi 18 à Montréal. Puis je reviens jouer à Philadelphia avec orchestre, le 19 et le 20. Le 21 je joue à New York, le 22 à Brooklyn et je repars le 23 dans l’ouest. Encore Chicago, Cincinnati, Ann Harbour, etc. etc.
Je commence à ressentir vigoureusement le mal du pays, mais de cela, il ne faut pas parler car, il me faut de la force et de la patience encore pendant des semaines. C’est si loin, que quand vous recevrez ces lignes, tout ce que je viens de vous énumérer sera déjà un fait accompli.
[…] Il est question de trois concerts à La Havane[…]. Enfin, rien n’est décidé.
[….] Allons, chère enfant, je joue ce soir, il me faut travailler et me reposer, à bientôt.
Écrivez, et ne vous étonnez pas de mon silence, ma vie plaide pour moi et m’excuse. Mes meilleures amitiés autour de vous et croyez à mes sentiments très affectueux
Raoul Pugno
[…]
Annexe 2. Lettre de Raoul Pugno à Nadia Boulanger, 14 février 1906, fonds Nadia Boulanger, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique, Paris
Hotel Lafayette Brevoort
New York, 14 février 1906
Ma chère Nadia,
Je veux répondre courrier par courrier à votre lettre du 2 février, aussi bien, j’ai quelques jours de répétitions avant de recommencer de plus belle, et j’ai, au moins, le temps de ne pas trop vous écrire de style nègre.
J’espère bien que vous n’avez pas pensé une seconde que j’avais oublié ma petite camarade de travail mais que j’étais tellement surchargé de besogne que je devais nécessairement négliger les meilleurs de mes amis. […] Dans ce pays, on supprime de la vie tout ce qui n’est pas urgent, or on finit par gagner ces moeurs de brutalité et d’égoïsme, l’émotion, l’amitié, les propos tendres, les échanges, les effusions, tout cela leur paraît suprêmement inutile. Encore un mot sur Rachmaninoff. Il devait venir en février, mais il ne vient pas, la presse qui a accueilli si misérablement sa belle oeuvre l’a probablement fait réfléchir. D’ailleurs, c’est un encombrement d’artistes, ici à ne pas croire, et vous pouvez imaginer que les déceptions augmentent de jour en jour. Weingartner (l’admirable chef d’orchestre) coûte un déficit de 35 000 dollars (175 000 francs) pour les douze concerts qu’il a conduits. Saponoff est parti samedi dernier renonçant à une série de concerts avec orchestre parce qu’on ne pouvait pas lui assurer son cachet. Par cela même, le pianiste russe Lhevinne va se trouver dans un gros ennui.
Le jeune Arthur Rubinstein ne jouera pas quinze concerts. Voyez, chère petite, que tout n’est pas rose dans le métier de virtuose.
[…]
Je ne partirai d’ici que le 5 avril, j’arriverai donc en France dans les environs du 13.
[…]
Voici l’heure de s’habiller, au revoir chère Nadia, mes meilleurs compliments pour votre chère mère et votre gentille soeur, et croyez-moi, votre très affectueusement dévoué
Raoul Pugno
[…]
Note biographique
Titulaire des prix de Piano et Composition au Conservatoire de Bari (Italie) et docteur de recherche en musicologie à l’École pratique des hautes études (EPHE, Paris iv), Fiorella Sassanelli a été pensionnaire du programme « Profession culture » de la Bibliothèque nationale de France pour inventorier un complément du Fonds Nadia Boulanger et la correspondance professionnelle d’Igor Markévitch. En tant que pianiste, elle a enregistré pour la première fois les mélodies de Raoul Pugno (Digressione Music). Spécialiste de la musique française du xxe siècle, elle a participé à plusieurs colloques internationaux en Italie, à Londres, à Paris, à Cracovie, à Bruxelles et à Montréal. Elle est professeur d’accompagnement au piano au Conservatoire Nino Rota de Monopoli.
Notes
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[1]
Le 12 mai 1871. Pugno est désigné membre de la Commission d’aide à l’art musical et aux artistes, deux jours après la révocation d’Émile Perrin à la tête de l’Opéra. Le 22 mai, jour du premier concert, au profit des veuves et des orphelins du personnel de l’Opéra victime de la guerre, Pugno devait diriger des compositions de Beethoven, de Gossec, et aussi deux de ses propres compositions : Hymne aux Immortels (1871, sur un texte de Victor Hugo) et Alliance des peuples (1871, sur un texte de David Gradith). Le 21. mai, les troupes de Versailles entrent dans Paris, le concert est supprimé et Pugno est emprisonné pendant quelques jours. Pour gagner sa vie il accepte un poste d’organiste, puis de maître de chapelle à l’église de Saint-Eugène, en se produisant en même temps comme pianiste et chambriste, notamment dans le cadre des concerts du cercle La Trompette. Sa renommée de communard lui ferme les portes de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, et il travaille comme compositeur d’opérettes au service des théâtres des Bouffes-Parisiens et de la Renaissance. Pendant longtemps Pugno est étiqueté comme organiste : le 23 août 1891, LeMénestrel annonce qu’au mois d’octobre suivant, le musicien va inaugurer un cours d’orgue chez lui après avoir acheté un Cavaillé-Coll d’une femme décédée (1891, 271). Entretemps, en 1892, le Conservatoire l’intègre dans son corps enseignant, d’abord comme professeur d’harmonie. En 1896, Pugno hérite de la classe de piano (réservée aux femmes) laissée vacante par la mort d’Henri Fissot.
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[2]
Il a confié au Minneapolis Journal : « [j]e voyage environ sept mois par an […] et le fait de voyager est devenu pour moi ma seconde nature, sans que cela ne me fatigue ». (1906, 8 : « I travel on the average, seven months in the year […] and touring has almost become a second nature to me and does not fatigue me in the least ». Toutes les traductions sont de l’auteure sauf indication contraire.
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[3]
En 1896, ce même Ysaÿe (1858-1931) avait connu un grand succès lors de ses propres débuts américains. Voir Stockhem 1990.
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[4]
Après Herz, Pugno est en effet le deuxième pianiste français qui voyage aux États-Unis (Herz 1866).
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[5]
Nadia Boulanger est à ses côtés lorsque Pugno meurt le 2 janvier 1914 dans une chambre de l’Hôtel Métropole, à Moscou. Les deux musiciens avaient quitté Paris, en train, le 13 décembre 1913, pour donner des concerts à Berlin, Varsovie et Moscou.
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[6]
Les deux lettres adressées à Nadia Boulanger sont reproduites en annexe 1 et 2. Les documents en question ont été enfermés pendant trente ans dans une valise à la Bibliothèque nationale de France. Ils concernent la vie sentimentale de Nadia Boulanger et aussi la soeur cadette de Nadia, la compositrice Lili Boulanger, prix de Rome en 1913 et morte à l’âge de 24 ans en 1918. Voir Laederich et Stricker 2014.
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[7]
On pense notamment aux pianistes Busoni, Paderewski, Rosenthal, Rubinstein et Rachmaninov ; aux violonistes Kreisler, Kubelik, Kocian, Parlow ; au chef d’orchestre Stokowski ; aux chanteurs Calvé, Litvinne et Melba ; et aux Italiens Caruso et Tamagno.
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[8]
Les photos de son domicile parisien, au 60 rue de Clichy (disponibles sur gallica.bnf.fr), témoignent de la richesse de l’intérieur de l’appartement. En 1917, sa femme Marie Pugno fait vendre aux enchères presque l’intégralité des biens ayant appartenu à son mari. Les catalogues de vente sont éloquents à ce sujet : beaux-livres anciens et modernes concernant la musique, les arts et le théâtre (Bibliothèque nationale de France 2016a), estampes modernes (Bibliothèque nationale de France 2016b), tableaux modernes, pastels, aquarelles, dessins (Bibliothèque nationale de France 2016c).
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[9]
« Artists’ Profit ».
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[10]
L’article, écrit par un correspondant à l’étranger, mêle différents sujets de l’actualité européenne. Il est repris, le même jour, dans The Atlanta Constitution (O’Rell 1902b,10).
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[11]
Voir l’annexe 2.
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[12]
Au contraire, les imprésarios Henry Wolfsohn et Will Greenbaum s’occuperont de Pugno respectivement au moment du deuxième et du troisième voyage. (Democrat and Chronicle 1902, 17 ; The San Francisco Call 1905, 12).
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[13]
Les concerts ont lieu chez Colonne le 17 et le 24 octobre 1897. Annonce parue dans Le Ménestrel (1897, 319).
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[14]
« M. Pugno is a tall, powerfully built man, with clean-cut features and a heavy, brown beard ».
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[15]
Ysaÿe, de son côté, avait déjà débuté sa tournée américaine le 12 novembre précédent en jouant avec la Philharmonic Society au Carnegie Hall (Philharmonic Society of New York da1897a). [NDLR : Les références identifiées par les lettres da se trouvent dans la section « Documents d’archives » de la bibliographie, au nom de leur auteur ou de l’organisation qui a produit le document.]
-
[16]
D’après The Musical World (1904, 4), les débuts américains de Pugno remonteraient plutôt à l’année 1894, mais aucune autre source ne confirme cette donnée.
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[17]
L’histoire de l’interprétation musicale nous apprend que Pugno et Ysaÿe auraient formé le premier véritable duo de musique de chambre (Stockhem 1990, 155-157). Un an avant leur arrivée à New York, ils ont présenté à la salle Pleyel à Paris une série originale de quatre soirées (du 9 au 18 mai 1896) intitulées « La sonate ancienne et moderne », au cours desquelles ces deux solistes de haut niveau ne jouent que des sonates pour violon et piano, et aucune oeuvre en solo. Le succès de ces séances impose le duo Ysaÿe-Pugno comme la référence en matière d’interprétation de sonates (ibid.). Certaines sources sont d’avis que si la pratique de la musique de chambre, telle que nous l’entendons, a une date de naissance, ce serait le 9 mai 1896.
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[18]
« [a] simplicity, not to say, nonchalance, about Mr. Pugno which does not facilitate his acceptance as a solo interpreter ».
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[19]
« flawless ».
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[20]
Le concert est redonné le jour suivant. La copie numérisée du programme du concert est disponible dans les archives en ligne de la New York Philharmonic (Philharmonic Society of New York da1897b).
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[21]
Le programme du concert est disponible en ligne (Carnegie Hall da2016a). Les Variations de Franck sont l’une des compositions préférées du pianiste français.
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[22]
Pugno mentionne l’organiste, compositeur et pédagogue Alexandre Guilmant (1837-1911), son collègue au Conservatoire, et le violoniste Henri Marteau (1874-1934), brillant élève de jadis, devenu virtuose de l’instrument.
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[23]
« Musician with Short Hair. »
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[24]
« Raoul Pugno Is an Unromantic Looking Artist. »
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[25]
« in the case of men, at least, flesh does not necessarily interfere with popularity. Seated at the piano, M. Pugno was not the sort of figure to win the heart of matinee girls [...]. But the audiences! »
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[26]
« quite the opposite of the customary pianist; yet if he will only wear his hair long he will have immediate recognition of a genius ».
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[27]
« He does not caress the keys like Paderewski or Joseffy; he orders them. Sometimes he bullies them. His piano is not his mistress: it is his army of retainers ».
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[28]
Le Conservatoire de Cincinnati est un des premiers conservatoires américains à se doter, en 1884, d’une salle de concert (Senefeld 2013).
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[29]
« universal fame » ; « the magic of his talent » ; « transforms into a living being the instrument which is only the grave of melodious reveries or the odious medium of musical lasciviousness ».
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[30]
« egli possiede una individualità molto spiccata, tutta sua, e tanta espressione e fuoco che ogni composizione da lui eseguita sembra cosa affatto nuova e desta viva impressione ».
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[31]
Walter Damrosch conduisait le New York Symphony à l’occasion de ce concert (New York Philharmonic da2017a). La soirée ne s’inscrit pas dans la série des concerts en souscriptions et les archives du New York Philharmonic ne possèdent pas de copie numérisée du programme.
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[32]
« portly, paternal performer » ; « a tonal gentleness and smoothness that charm the senses ». Le compte-rendu se réfère à un concert donné à l’Auditorium de Chicago sous la direction de Theodore Thomas. Pugno est alors en route vers Montréal où il donne un récital le 17 novembre 1902.
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[33]
Les 19 et 20 décembre 1902, Pugno se fait entendre avec le New York Symphony conduit par Walter Damrosch, dans le Concerto n° 4en do mineur, op. 44, de Saint-Saëns (Philharmonic Society of New York da1902).
-
[34]
« It is not expected that he will return to this country for several years to come ».
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[35]
Il est possible de juger de cet aspect puisqu’à cette époque remontent les enregistrements de Pugno conservés sur des rouleaux Welte-Mignon, certains disponibles sur internet. La collection complète est conservée à la Bibliothèque nationale de France.
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[36]
« This is how Jan Kubelick [...] looks when he is extracting the soul from his violin and the great American dollar from the great American pocket ».
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[37]
« When the camera clicked on Pugno, the great French pianist was taking a walk clad in his magnificent fur lined overcoat, and smoking a perfecto ».
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[38]
« Despite the attractions of the great city’s gay life, young Raoul studied and became famous ».
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[39]
« Pugno Works Hard. »
-
[40]
« Great French Pianist Practices Seven to Eight hours a Day. »
-
[41]
« The greatest academic musician of France, Raoul Pugno, Honorary Professor of the Conservatoire, Paris, celebrated pianist and composer, uses and prefers the Baldwin piano at home and abroad ».
-
[42]
« Il faut entendre Pugno pleyeler du Mozart ! Il est, je crois, le seul qui ait encore le sens de ces concertos divins, spirituels et tendres, jolis et voluptueux à la façon d’une fête galante de Watteau. Que sous ses doigts la Romance du Concerto en ré est douce, mélancolique et touchante ! » (Stoecklin 1911).
-
[43]
« As their piano tone offers less material for dynamic variation, the sense of nuances must be correspondingly developed, the finesse of acute suggestion must be encouraged. Therefore, to obtain an equal emotional warmth, there must be a greater range of accent, a more obvious manifestation of temperament. An elastic rhythm, subtlety of accent, a dramatic sense of emotional contrast, all these qualities are the natural inheritance of the Latin temperament ».
-
[44]
« he has all the fire and abandon of a born virtuoso, and at the same time his bed-rock sense of rhythm never seems to desert him in the most complicated passages ».
-
[45]
Le Concerto avait été créé à Moscou en 1901, avec le compositeur au piano.
-
[46]
« the most interesting as well as instructive ».
-
[47]
Gargenville est un village situé à quelques dizaines de kilomètres de Paris ; Pugno en a été le maire entre 1904 et 1908.
-
[48]
L’été 1904 la mère de Nadia Boulanger, Raïssa, déménage avec ses deux filles, Nadia et Lili, à Gargenville. Elle loue une maison proche de la Maison Blanche des Pugno. Ce premier séjour d’été (dans ce village les Boulanger vont acheter en 1908 une maison dite « Maisonnette ») marque le commencent d’une intense amitié entre les deux familles.
-
[49]
En 1905, pour son dix-huitième anniversaire, Nadia Boulanger demande à sa mère la permission de suivre Raoul Pugno et sa famille en tournée aux Pays-Bas. Raïssa accepte.
-
[50]
Ces deux lettres sont reproduites en annexe.
-
[51]
Le 1er et le 2 décembre 1905 Vincent d’Indy arrive exprès à Boston pour diriger le Boston Symphony Orchestra spécialement invité par son chef Wilhelm Gericke (1845-1925). Le programme du concert comprend le Scherzo de L’apprenti sorcier de Dukas, « Psyché et Eros » de Psyché de Franck, la suite de Pelléas et Mélisande de Fauré et deux de ses propres compositions, la Symphonie no 2 et Istar (Boston Symphony Orchestra da1905). La critique n’est pas favorable à d’Indy (Mitchell 2014 ; Schwartz 2006, 339).
-
[52]
Boston est la seule ville où Pugno joue en formation de chambre, en interprétant la Sonate de Franck (1886) avec le violoniste Willy Hess, premier violon du Boston Symphony Orchestra et professeur de violon à l’Université Harvard (The Boston Daily Globe 1905, 3).
-
[53]
Après ses débuts montréalais du 17 novembre 1902, Pugno revient dans cette ville canadienne au mois de janvier 1906. Les sources consultées divergent à propos de la date précise du concert : le 10 janvier 1906 selon Lefebvre et Pinson (2009, 209), le 16 janvier 1906 d’après Sandwell (1907, 224), le 18 janvier 1906 d’après la lettre du pianiste à Nadia Boulanger datée du 13 janvier (Pugno da1906a). [NDLR : L’équipe éditoriale souhaite remercier les bibliothécaires de la Marvin Duchow Music Library à l’Université McGill, particulièrement Madame Melanie Preuss, pour leur aide précieuse dans la complétion de la référence de Sandwell.]
-
[54]
« one of the world’s greatest pianists ».
-
[55]
« Harold Bauer said that he would travel across countries to hear him play ».
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[56]
« his interpretations are so full of color and sentiment and the very joy of music [...]. Pugno is a man to reach the people whether their knowledge be technical or not ».
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[57]
« the members thronged the aisles as if hypnotized till finally he was forced to give them a few more minutes of his music ».
-
[58]
« he stood forth before his audience no longer as a pianist but as a monarch ».
-
[59]
« Idol of Smart Set Is Raoul Pugno ».
-
[60]
« correct, skeptical and enthusiastic, gay and tender, and, above all, charming, spiritual and seducing ».
-
[61]
« a man of action and of study; loving hunting and sports intermingled with conversation; a “bon voyager” [sic] [...] and Parisian in heart and soul ».
-
[62]
« He is an idol of the smart set in Paris, but he loves to be in the country to meditate on the time of his debut, when he breakfasted for 20 sous—that is, when he was fortunate enough to breakfast—and slept in a garret. For, during his first twenty years, Pugno like many of his rivals, had to battle against poverty and had to work hard for existence and his daily bread. Now he is celebrated: but, moreover he is hospitable to poor young artists. He has above all that supreme virtue which Napoleon prized greater than all, for it heralds “He is happy”—extremely happy, and well worthy of his fame ».
-
[63]
Dans sa lettre du 14 février 1906 adressée à Nadia Boulanger, il écrit sur les Américains que « l’émotion, l’amitié, les propos tendres, les échanges, les effusions, tout cela leur paraît suprêmement inutile » (Pugno da1906b).
-
[64]
L’auteure souhaite remercier Catherine Massip pour la révision linguistique.
Bibliographie
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