Comptes rendus

Solenn Hellégouarch, Musique, cinéma, processus créateur. Norman McLaren et Maurice Blackburn. David Cronenberg et Howard Shore, Paris, Vrin, 2020 (coll. « MusicologieS »), 295 p., ISBN 978-2-7116-2887-2[Record]

  • Jason Julliot

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  • Jason Julliot
    Professeur agrégé, doctorant en musicologie, Université de Rouen et Université de Liège

Parmi les concepts fréquemment mobilisés dans l’étude des musiques à l’image, celui du duo occupe une place particulière. Qu’il se présente sous la forme du tandem jugé réducteur par Michel Chion ou sous celle de l’union quasi sensuelle encensée par N. T. Binh, le duo formé par un·e réalisateur·rice et un·e compositeur·rice n’en finit pas de reparaître et d’être questionné dans les recherches cinémusicologiques. Ainsi, Cécile Carayol et Jérôme Rossi écrivent dans l’introduction d’un récent ouvrage consacré à ce sujet que « ce type de liens possède quelque chose de fascinant en ce qu’il semble mêler inextricablement sentiments amicaux et collaborations professionnelles, [même s’il] faut se garder de toute valorisation excessive au sein de cette oeuvre éminemment collaborative qu’est le film ». Avant la parution du volume précité, peu de chercheurs et de chercheuses se sont intéressé·es dans le détail aux implications poïétiques et esthétiques de ces collaborations, comme l’explique Solenn Hellégouarch dans son ouvrage Musique, cinéma, processus créateur : Norman McLaren et Maurice Blackburn, David Cronenberg et Howard Shore, publié en 2020 aux éditions Vrin. Dans ce livre tiré de sa thèse de doctorat, la musicologue propose d’analyser les mécanismes qui déterminent la concrétisation d’une collaboration entre artistes de l’image et du son à partir de questions aussi fondamentales que complexes : « Comment passe-t-on de l’idée visuelle à l’idée musicale et qu’est-ce qui, dans l’image, provoque une musique ? […] Qu’est-ce qui, dans la musique, relance le travail de création filmique et qu’est-ce qui, dans les projets d’images, relance la création musicale ? » (p. 18). Pour ce faire, Hellégouarch étudie deux compositeurs canadiens, exemplaires par la durée et l’intensité des partenariats qu’ils nouent avec des réalisateurs : d’une part, Maurice Blackburn, musicien rattaché à l’Office national du film (ONF) ayant collaboré avec Norman McLaren entre 1947 et 1983, et, d’autre part, Howard Shore, éternel complice de David Cronenberg avec qui il explore des genres cinématographiques horrifiques et psychologiques entre 1979 et 2014. Si plusieurs des chapitres qui constituent cet ouvrage ont déjà été publiés sous forme d’articles au début des années 2010, l’autrice accomplit ici le tour de force de présenter avec grande précision la pensée de chacun de ces quatre artistes, le fonctionnement des duos qu’ils forment, mais également de contextualiser leurs réflexions esthétiques. Les études de cas qui y sont présentées montrent qu’au-delà des idiosyncrasies, il est possible de mettre en lumière des invariants prouvant que la compréhension d’un objet audiovisuel ne peut se passer d’une observation fine des collaborations interdisciplinaires. Après être revenue sur quelques tandems exemplaires (Hitchcock et Herrmann, Fellini et Rota, Greenaway et Nyman) et en avoir expliqué les modes de fonctionnement, Hellégouarch s’arrête en introduction sur plusieurs concepts incontournables, à commencer par celui de « complexe audiovisuel » (p.  19) : plutôt que de s’intéresser à la domination ou à la soumission de l’image par rapport à la musique, elle rappelle qu’il est pertinent d’en observer les interactions qui, elles seules, déterminent la construction du sens (p.  19-20). Plus encore, elle souligne que compositeur·rices et réalisateur·rices répondent, chacun·es avec leur mode d’expression — « idées en musique » et « idées en cinéma » — à un même problème (p.  22-24). L’analyse du discours des artistes, de la musique et des processus créateurs sont ainsi trois manières, pour la chercheuse, de cerner une même idée : celle à l’origine de l’oeuvre d’art étudiée. Dans ce préambule, elle avance en outre que les collaborations durables et fécondes partagent un certain nombre de traits communs, une hypothèse que la suite du livre confirmera. Parmi ceux-ci, l’autrice identifie notamment une sensibilité réciproque à …

Appendices