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Introduction

Les ruptures d’union font aujourd’hui partie intégrante du paysage familial. Dans les faits, elles constituent une issue de plus de la moitié des unions. Toutefois, si les séparations et les divorces sont très visibles aujourd’hui, il n’y a pas lieu de considérer ce phénomène comme étant nouveau puisque, de tout temps, il y a eu des couples qui se sont séparés; avec ou sans le consentement des pouvoirs civils et religieux (Hahlo, 1975). Toutefois, l’ampleur du phénomène est nouveau et ce n’est que récemment que le divorce par consentement mutuel a été introduit. Au Canada, la Commission de réforme du droit a procédé, au cours des années 1970, à des études visant à modifier la loi de 1968. Après avoir été soumise à l’examen public et critiquée par de nombreux groupes de pression, au nombre desquels il faut mentionner les groupes de défense des droits des pères (Dulac, 1989), cette loi, entrée en vigueur en juin 1986, a éliminé en grande partie la notion de faute matrimoniale en plus de préciser les règles de procédure quant aux pensions alimentaires et aux droits de garde. La nouvelle loi simplifiait également les procédures. Ainsi, si les parties s’entendent, il n’est plus requis de se présenter en personne à la cour. Le juge peut accepter les témoignages sous forme de déclarations assermentées écrites. Au Québec, la médiation gratuite est d’ailleurs un outil permettant de favoriser, avec plus ou moins de succès (Dulac et al., 2007), ce type d’entente. Aujourd’hui, cette forme de divorce, dit par affidavit, représente la grande majorité des cas, soit près de 80 %. Par contre, si les parties ne peuvent s’entendre, il faut qu’elles aillent devant la cour pour expliquer les raisons qui les amènent à vouloir divorcer, établir leur capacité d’élever les enfants et faire connaître leurs besoins et leurs ressources, selon la nature du conflit. Ici, les parties ont souvent recours à un avocat et c’est le tribunal qui va statuer sur la garde, les pensions et les autres mesures accessoires. Il parait important de rappeler que seulement 35 % de tous les cas de rupture au Québec font aujourd’hui l’objet d’un jugement devant les tribunaux, et 15 % requièrent qu’un juge tranche un litige (Québec, 2002).

Dans le cadre d’une étude portant sur l’offre et la recherche d’aide des pères en rupture d’union, et compte tenu de tous les changements législatifs entourant les séparations, il nous est apparu important de connaître plus en détail le point de vue des usagers des organismes de défense des droits sur les rapports entretenus avec la justice et plus particulièrement avec les professionnels du droit. Lors de la collecte des données, nous avons perçu que certains pères ayant vécu une expérience négative avec les acteurs du système de justice avaient perdu toute confiance envers cette institution. Comment de simples citoyens en viennent-ils à perdre confiance aux institutions et plus particulièrement au système juridique, pilier social de la démocratie? On peut penser que l’effritement de ce sentiment serait en lien avec une tendance de la société occidentale dans son ensemble (Adorno, 2006). Pour ces pères, au premier chef, c’est la fragilisation de la famille patriarcale et la remise en cause des stéréotypes sexuels qui semblent les tourmenter. Mais on peut ajouter que pour ces pères il existe aussi le besoin de s’orienter dans un monde de plus en plus complexe, parce que justement ils ont perdu une partie de leur contrôle sur ce monde. Or, notre analyse révèle qu’on retrouve ces dimensions dans les propos des pères lorsqu’ils parlent des pertes vécues au moment de la rupture.

Dans le présent article, nous présenterons le modèle d’analyse, le contexte dans lequel notre questionnement a pris forme et plus particulièrement la question de la perte du sentiment de confiance envers la justice. Par la suite, nous exposerons les résultats obtenus. La discussion qui suivra nous permettra alors d’identifier les limites de l’étude et les éléments suscitant l’érosion du sentiment de confiance envers les institutions juridiques. Avant de conclure, nous ferons état de certaines pistes pour contrer cette érosion, notamment par les propos des hommes qui ont vécu une expérience positive avec le système.

L’étude sur les demandes d’aide des pères en rupture d’union

Afin de mieux connaître la réalité des pères, nous avons réalisé une enquête sur le terrain au moyen d’entretiens semi-dirigés faits auprès d’usagers d’un groupe de soutien et de défense des droits. Le choix de rencontrer individuellement ces pères se justifie par le fait qu’ils sont le mieux placés pour nous renseigner sur leur vécu à l’intérieur de tels groupes.

Rappelons tout d’abord qu’au moment de l’étude il existait, au Québec, onze (11) organismes communautaires qui travaillaient spécifiquement auprès des pères vivant une rupture d’union. Ils ont une vocation de soutien et de défense des droits. Ils sont présents dans cinq des dix-sept régions administratives du Québec. C’est la région de Québec qui compte le plus d’organismes (n=5/ 45 %), vient ensuite celle de Montréal (n=3/ 27 %) alors que la Mauricie, l’Estrie et l’Outaouais en ont chacune un. Ces organismes sont relativement récents puisque la date de fondation de la plupart d’entre eux est postérieure à 1995 (Dulac, 2004). Néanmoins, dans plusieurs cas, les confrontations et récriminations entre homministes et féministes sont toujours à l’ordre du jour. Les revendications des groupes militants constituent un discours qui critique l’action féministe en droit ainsi que dans le domaine public (Boyd, 2004). On s’attaque par l’entremise de communiqués de presse[1], et de plus en plus directement par la voie des tribunaux[2].

Mentionnons également que si les deux tiers des organismes communautaires pour pères en rupture d’union offrent des services de défense des droits, la moitié de ces organismes offrent aussi de l’aide sous forme de soutien, de suivi psychologique ou de thérapie. Ces derniers font un travail de promotion, de prévention et d’information relativement à la problématique des ruptures d’union auprès d’une clientèle masculine en croissance constante (Dulac, 2004). Une telle situation s’explique aisément si on considère que les associations et les organismes non gouvernementaux constituent désormais un pilier fondamental du développement social. Il est, par ailleurs, reconnu que les groupes de pères au même titre que les autres groupes communautaires sont désormais chargés de la sous-traitance des problèmes sociaux (Gauchet, 2002).

Les hommes que nous avons rencontrés ont été sélectionnés à partir de la banque des usagers de l’organisme montréalais Pères séparés inc. qui, comme son nom l’indique, vient en aide aux pères séparés ou divorcés. La décision de sélectionner les répondants auprès de la clientèle des Pères séparés inc. n’est pas le fruit du hasard. L’organisme, en raison de sa situation géographique dans l’est de Montréal, constituait une cible de choix. De plus, il est de loin celui qui, parmi les ressources destinées aux pères en rupture d’union, offre la plus grande diversité en termes de services d’aide et de soutien (Dulac, 2004). De surcroît, l’organisme, plutôt progressiste, a une approche de non-confrontation avec les ex-conjointes et travaille les pertes et le deuil chez ses clients en s’inspirant de la pratique mise au point à cet égard par Jean Monbourquette (1994).

Le plan d’échantillonnage prévoit un nombre de cas suffisant pour permettre d’atteindre une large part de la variété des situations vécues. Nous avons constitué l’échantillon selon les variables suivantes : la scolarité, le statut socioéconomique, la situation maritale et de garde, ainsi que l’âge des enfants. L’organisme Pères séparés inc. informait les membres en leur expliquant les objectifs de la recherche et la méthodologie utilisée. Le chercheur principal contactait ensuite chacun des volontaires afin de confirmer leur participation et fixer un rendez-vous pour réaliser les entretiens. Le chercheur principal a fait la cueillette des données au moyen de rencontres individuelles dont la durée variait d’une heure trente à deux heures. Chaque entretien comprenait une partie questionnaire et une partie entrevue. Le questionnaire a permis de recueillir les données relatives aux aspects sociodémographiques, économiques ainsi que ceux portant sur les conditions de vie des sujets. Les données qualitatives et les autres volets concernant la réalité du divorce et la recherche d’aide ont été recueillis lors de l’entrevue. Tout a été retranscrit intégralement afin de permettre l’analyse du matériel par thème. Tous les membres de l’équipe ont participé à l’interprétation des résultats.

L’échantillon final comprend 22 pères séparés ou divorcés ayant au moins un enfant mineur. L’âge des pères interrogés se situe de 28 à 64 ans. L’âge varie selon les groupes suivants : 2 ont de 25 à 34 ans, 13 de 35 à 44 ans, 6 de 45 à 54 ans et 1 de 55 ans à 64 ans. Parmi ces pères, 12 d’entre eux étaient mariés et 10 vivaient en union de fait. Sur ces 22 hommes, seulement 3 d’entre eux (2 mariés, 1 conjoint de fait) n’ont pas eu recours aux services d’un avocat. Pour ce qui est des 19 autres pères, certains d’entre eux ont eu recours aux services de plus d’un avocat, ce qui totalisait des rencontres avec 25 avocats.

Notre recherche s’est attardée à saisir l’action des processus sociaux chez des sujets singuliers autres que les leaders de ces groupes, lesquels font souvent la manchette des journaux. Ce qui nous intéresse, c’est de donner la parole aux acteurs anonymes de ces groupes de manière à saisir la problématique vécue par les usagers et les situations qui peuvent les amener à radicaliser leurs discours et leurs actions. Bref, il ne s’agit pas de réhabiliter ces groupes, mais plutôt de mettre les pieds sur le terrain où naît et où croît la confrontation avec l’ex-conjointe, le ressentiment et même la haine envers les tribunaux et autres institutions démocratiques.

Les résultats de l’étude

D’entrée de jeux, nous avons constaté que les relations avec les professionnels du droit s’inscrivaient dans une trajectoire de demande d’aide plus large qui met en scène plusieurs acteurs individuels et groupes d’entraide. Nous présenterons ici les résultats de l’analyse des propos recueillis qui concernent les acteurs du système juridique (principalement les avocats et puis les juges). Nous analyserons successivement les motifs de consultation d’un avocat, tels qu’invoqués par les pères, les moyens mis en oeuvre pour trouver leur avocat ainsi que l’aide offerte et reçue de la part de ces derniers. Ensuite, nous aborderons la question des critiques faites à l’endroit des avocats. Enfin, nous traiterons des interventions légales en ce qui concerne les accusations de violence conjugale dont certains pères ont fait l’objet. Il s’agit d’un ensemble de domaines qui peuvent nous aider à comprendre pourquoi certains pères perdent confiance dans le système de justice et en viennent ainsi à radicaliser leurs positions.

Les motifs de consultation d’un avocat

Alors qu’un petit nombre de cas de divorce fait l’objet d’un jugement devant les tribunaux, il est impératif de connaître les raisons pour lesquelles les pères en rupture d’union consultent un avocat. Quoiqu’elles soient extrêmement diversifiées, certaines similitudes peuvent être constatées. Ainsi, on peut regrouper les motifs de consultation au sein de certaines catégories que nous présentons dans le tableau 1.

Tableau 1

Motifs invoqués par les pères séparés pour consulter un avocat

Motifs

Rationnel

L’homme est interpellé par une requête par affidavit de la part de l’ex-conjointe.

Se demande que faire avec la requête.

Juge exagérées les demandes de l’ex-conjointe (concernant les biens ou les enfants).

L’homme souhaite entreprendre des procédures.

Absence potentielle des enfants liée au déménagement de l’ex-conjointe

Déménagement de l’ex-conjointe sans laisser d’adresse.

Demande un arbitrage à cause d’un niveau de conflit élevé.

L’homme souhaite recevoir des informations, des conseils et un accompagnement.

Besoin d’un avis sur un projet d’entente.

Besoin d’être guidé, car il se défend seul.

L’homme est insatisfait quant au travail d’un précédent avocat

Actions de l’avocat ne correspondent pas à ce que l’homme souhaite.

L’homme croit qu’il sera mieux représenté par une femme.

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Les pères interrogés invoquent quatre types de motifs pour consulter un avocat. Voyons ce que l’analyse révèle en détail. Tout d’abord, ils consultent en réaction à une requête par affidavit provenant de leur ex-conjointe. Ce premier type de motif constitue une situation quasi généralisée au sein de ces groupes. Le fait de recevoir un affidavit de divorce provoque diverses réactions de la part des conjoints. Mais ce ne sont pas tous les hommes qui s’engagent dans une « carrière » de militant des droits des pères. L’éventail des réponses des hommes va de l’indifférence à la colère, en passant par la fuite ou par le militantisme au sein des groupes de défense des droits des pères (Dulac, 1996). Dans l’étude actuelle, nous constatons que, réagissant à une démarche légale amorcée par leur ex-conjointe, les hommes consultent un avocat pour deux raisons.

Tout d’abord, parce qu’ils ne savaient que faire des documents reçus. L’extrait suivant illustre bien ce propos :

Au travail, je regarde le papier. Je me mets à lire ça puis c’est séparation. Puis, il y avait toutes sortes de choses écrites là-dessus. J’avais une violence conjugale dans la requête, avec tous les qualificatifs, là : violent, contrôlant, etc. Puis, je ne sais pas quel genre de garde, là, mais supervision. Le gros kit était là. Là, je n’ai pas compris pourquoi, mais j’ai pris le téléphone. Je l’ai appelée. Je lui ai donné un tas de bêtises. J’ai dit : « Attends une minute, je m’en viens ». Là, j’étais comme en « criss ». Je suis descendu à la maison puis, quand je suis arrivé, la police était en avant de la porte. C’était deux policières. Elles m’ont dit : « Monsieur, vous ne pouvez pas entrer. Si vous traversez la barrière, je suis obligé de vous arrêter. Vous êtes mieux d’aller voir un avocat avec ce papier-là. » J’étais vraiment perdu. J’étais vraiment déboussolé. Je capotais. Puis, à partir de là, je suis allé voir un avocat, pour me rassurer. Je lui ai dit : « Bon, regarde, j’ai la requête de madame, ici. Qu’est-ce que je fais avec ça? »

No 004

Ensuite, parce qu’ils jugent exagérées les demandes formulées par l’ex-conjointe au sujet du partage des biens ou des modalités de garde. Voici, dans cet ordre, des extraits qui font état des sentiments des pères à cet égard :

Ce qui fait qu’en tout cas, j’ai pris son papier puis j’ai lu ça. Ce n’est pas une expérience qui est bien drôle quand tu reçois ton papier à la maison. Ça dit que ta femme veut se séparer puis c’était tellement gros puis exagéré les revendications là-dedans. Elle demande de l’argent pour les enfants. Elle demande de l’argent pour elle. Elle demande la maison. Elle demande l’auto. Ce qui fait que c’était vraiment très, très exagéré. Surtout la maison parce que j’ai mon bureau dans cette maison-là, avec un laboratoire puis des équipements. Là, tu te dis : « Bien là, il faut absolument que j’aille me défendre. » Ce qui fait que suite à cette lettre-là, je n’ai pas eu le choix de me prendre un avocat puis de répondre à ça.

No 021

Elle m’a dit, un soir, qu’elle s’était fait proposer d’aller travailler en France. Elle dit : « Je t’enverrai les enfants, un mois, pour les grandes vacances d’été. » J’ai dit : « Non, non, ça ne marche pas de même, là ». À l’époque, on était en garde partagée. Puis là, une semaine après avoir dit non à son départ, elle a envoyé une requête modifiant la garde, pour qu’elle ait la garde légale des enfants. Puis, bon, toute une histoire a commencé. Elle avait un avocat. J’ai pris un avocat.

No 010

Alors que certains pères consultent un avocat en réaction à des démarches entreprises par leur ex-conjointe, d’autres sollicitent l’aide d’un avocat dans le but d’entreprendre des procédures légales à la suite d’une séparation physique du couple, ce qui constitue un second type de motif. Cette perspective, plus active, présente trois cas de figure. Le premier, montre que l’initiative de l’individu est motivée par la crainte de perdre le contact avec ses enfants à la suite du déménagement fortuit de l’ex-conjointe :

Ce qui fait que pendant que moi je magasinais une maison pour moi et une maison pour elle en banlieue de Montréal, elle s’est acheté une maison à Shawinigan, puis elle a voulu déplacer les enfants. J’ai réussi à la bloquer parce que ma plus vieille a des difficultés scolaires. Il était hors de question pour moi qu’elle change d’école en plein mois de mars. Donc, elle est partie, à Shawinigan, toute seule. Bien, avec son conjoint. Sauf que là, dans sa tête, mon ex, à la fin de l’année scolaire, elle les prenait puis moi, je n’avais plus de rapport dans le décor, sauf, payer ma criss de pension. Ce qui fait qu’évidemment, moi, j’ai reparti mon dossier en cour avec une avocate.

No 018

Dans certains cas, l’envoi d’une requête par les pères s’avère être le seul moyen de conserver le contact avec les enfants parce que la mère est déménagée sans laisser d’adresse :

Un moment donné, la peine de ne pas voir les enfants, c’était en train de me tuer « ben raide ». Ce qui fait que là, j’ai pris une avocate. Elle a envoyé une mise en demeure à madame comme de quoi on lui mettait une charge d’enlèvement si elle ne se présentait pas. On avait envoyé la lettre au domicile de ses parents parce qu’on savait bien que ses parents avaient un contact avec elle.

No 013

Le choix des pères d’entreprendre des procédures peut également être intimement lié au niveau élevé de mésentente avec l’ex-conjointe, accentué par l’échec de la médiation. Comme nous l’avons montré dans un article antérieur (Dulac et al., 2007), certains pères ont une idée préconçue de la médiation; ils associent cette dernière à une occasion permettant de gérer le conflit ou de débuter une thérapie conjugale, dans l’optique avouée ou non d’une reprise de la relation. Dans ces cas, l’échec de la médiation est lié à des attentes irréalistes qui ne font qu’alimenter la colère, laquelle est transportée devant les tribunaux, en espérant que ces derniers répondront à leurs attentes. Ils décident alors de demander à l’appareil judiciaire de servir d’arbitre que ce soit pour le partage des biens ou pour la garde des enfants :

La tension était très élevée entre nous. Il commençait à avoir des engueulades parce que le partage des biens ne se faisait pas de façon équitable, et puis c’était de plus en plus tendu. On s’était mis d’accord sur le lieu de garde pour que les enfants puissent naviguer avec notre difficulté puis, tout d’un coup, elle change d’avis complètement. Alors, j’ai perdu les pédales. J’étais vraiment fâché. Je suis allé à la maison. On s’est engueulé. Alors, j’ai pris ma fille dans mes bras et je l’ai amenée chez moi. Puis là, elle m’a accusé de kidnapping. Une semaine après, je suis allé voir un avocat puis je lui ai expliqué. J’ai dit : « Je veux commencer les procédures du divorce. Je veux me divorcer. » Même si j’avais parlé avec d’autres pères avant et la plupart disent qu’ils favorisent beaucoup plus la mère puis que tu n’auras pas la garde partagée, mon idée de la demander c’est que je voulais simplement être égal à elle. Donc, tout ce que je voulais faire, c’est de passer un message parce que je me sentais comme un manipulé dans cette relation, de un, et de deux elle ne me respectait pas.

No 015

Pour d’autres pères ayant participé à notre étude, les raisons de consulter un avocat sont d’une tout autre nature et constituent alors un troisième groupe de motifs : la recherche d’informations, de conseils et d’accompagnement. Ces pères se démarquent en étant les plus déterminés dans leurs démarches. Ici, deux cas de figure ont été trouvés : soit qu’ils ont des ententes à l’amiable avec leur ex-conjointe et demandent un avis juridique dans le but d’être rassurés; soit qu’ils se défendent seuls et demandent à leur avocat de les guider. Les extraits suivants constituent des exemples pour chacune de ces situations :

Je n’ai pas pris d’avocat parce qu’au début on voulait régler ça à l’amiable. C’est elle qui a pris une avocate. Donc, les procédures étant commencées, je suis allé consulter une avocate avec un projet qui était pas mal avancé.

No 014

Je ne suis pas représenté par un avocat actuellement. J’ai mené la barque par moi-même, mais je suis supervisé, c’est-à-dire que mon avocat va intervenir quand on va aller au front. Parce que, s’il y a un procès, je ne serai pas en mesure de mener moi-même la barque.

No 012

Finalement, en ce qui concerne la quatrième catégorie de motifs, certains participants rapportent avoir eu recours aux services d’un avocat parce qu’ils étaient insatisfaits du travail fait par le précédent avocat. Dans un premier cas, un père rapporte que son avocat ne voulait pas aller dans le même sens que lui :

Je persistais à réclamer une garde partagée et je trouvais que c’était le mieux parce que je m’étais toujours occupé des enfants. Je ne travaillais pas à temps plein. J’étais disponible. C’était normal que je continue. Donc, j’ai persisté à vouloir réclamer une garde partagée. J’ai changé d’avocat. Je n’étais pas satisfait du mien.

No 008

Dans un autre cas, un homme a estimé, lors d’un retour devant les tribunaux, qu’il serait mieux défendu par une femme que par un homme. Il explique ses raisons en ces termes :

L’autre chose à faire pour un homme c’est de prendre une avocate. Parce que les femmes se comprennent mieux. Souvent, eux autres, les femmes, ont des avocates. C’est la psychologie féminine puis les émotions qu’elles partagent.

No 022

Nous pouvons donc constater que les pères en rupture d’union peuvent consulter un avocat pour plusieurs raisons. Nous retenons, que dans la majorité des cas, soit ils consultent dans une optique réactive (répondent à la requête de l’ex-conjointe), active (choisissent d’entreprendre les procédures), soit ils souhaitent simplement être guidés (informations, conseils et accompagnement). Ils mentionnent comme motif la crainte de perdre le contact avec leur enfant ou le lien qui les unit à l’ex-conjointe. Nous croyons qu’il y a un lien entre les deux éléments. En effet, comme nous l’avons montré antérieurement, pour la majorité de ces pères le rapport à l’enfant est médiatisé par la mère. En perdant le lien marital qui les lie à la mère, plusieurs estiment alors perdre le lien qui les attache à l’enfant (Dulac, 1996).

Comment les pères trouvent-ils leur avocat?

Pour les pères rencontrés, les moyens utilisés pour trouver leur avocat ne semblent pas être d’une grande importance puisqu’une bonne proportion (40 %) n’en fait pas mention. Il n’en demeure pas moins que les données recueillies nous transmettent des informations des plus intéressantes quant aux trajectoires de recherche d’aide des pères en rupture d’union. Le tableau 2 illustre les moyens utilisés par les pères séparés pour trouver leur avocat.

Tableau 2

Moyens utilisés par les pères séparés pour trouver leur avocat

Moyens

Rationnel

L’homme trouve par lui-même.

Recherche dans le bottin téléphonique.

Magasinage parmi plusieurs avocats.

L’homme trouve grâce à la référence d’un tiers.

Référence par un professionnel de qui l’homme reçoit d’autres services : (avocat, notaire, psychologue)

Référence d’un membre du réseau naturel : (frère, ami, connaissance)

L’homme trouve par le biais d’un organisme ou d’une institution.

Référence de l’aide juridique.

Référence par un organisme de défense de droits des pères.

-> See the list of tables

Ainsi, les personnes interrogées ont décrit trois catégories de moyens utilisés pour trouver un avocat. D’abord concernant la première catégorie de moyens, certains hommes (n=3) nous ont dit avoir trouvé leur avocat par eux-mêmes. Dans ce cas, l’obtention de la référence se fait exclusivement avec l’annuaire téléphonique. L’homme appelle un ou plusieurs avocats jusqu’à l’obtention d’un rendez-vous.

Cependant, un participant nous a décrit une pratique bien particulière. Ce dernier, avant de confier son dossier à un avocat, a « magasiné » longtemps. Il est d’ailleurs le seul de tous les sujets interrogés à avoir fait une telle démarche. L’extrait suivant, tiré des propos de cet homme, décrit les raisons de cette pratique et la façon dont il a procédé :

Il faut que je vous dise une affaire avant que je termine. Comment j’ai choisi un avocat, parce que c’est important. Moi, j’ai décidé de faire une entrevue avec l’avocat avant de l’engager. J’ai trouvé des avocats qui te donnent 30 minutes pour discuter des affaires gratuitement. Ça m’a donné une opportunité pour avoir le feeling. Je voulais être capable de travailler avec cette personne-là. Est-ce qu’elle va me comprendre? Est-ce qu’elle va me mettre à l’aise ou est-ce que ça va être un peu comme mon ex? C’est surtout de ça que j’avais peur. J’ai fait une entrevue avec à peu près une douzaine d’avocats avant de trouver une avocate. En plus, elle était haïtienne. Donc, je me suis dit : « S’il y a quelqu’un qui est capable de comprendre les injustices, ça doit bien être elle ». Je me sentais tellement à l’aise avec elle que j’ai commencé à pleurer dans son bureau. Puis, je lui ai posé une question pour être sûr qu’elle était capable de se défendre. J’ai dit : « J’ai entendu dire que je ne devrais pas engager quelqu’un d’une race noire, que ça peut jouer contre moi à cause des préjugés. » Et j’ai bien aimé sa réponse. Pour moi, ça voulait dire qu’elle serait capable de faire face à n’importe quoi. Puis, je l’ai engagée parce que je trouvais que c’était la seule qui m’écoutait.

No 017

Une seconde catégorie de moyens utilisés, et ce pour près de la moitié des consultations (n=7) est d’avoir trouvé leur avocat grâce à la référence d’un tiers. Ce référent est, soit un professionnel de qui l’homme reçoit déjà des services (avocat, notaire, psychologue), soit un membre de son réseau naturel (frère, ami, connaissance). L’extrait suivant constitue un exemple type de ce cas de figure :

Au début, je ne connaissais pas les avocats. Puis, il n’y a pas grand monde qui va, non plus, faire confiance à un avocat (rires). J’ai donc demandé à un de mes frères qui était déjà séparé : « Connais-tu quelqu'un? » Il m’avait dit qu’il avait déjà fait affaire avec une avocate puis que ça c’était bien passé. Je l’avais appelée puis elle était en congé de maternité, mais elle a dit : « Bien, il y a certaines personnes que je connais que tu pourrais peut-être appeler. ». On a donc appelé les personnes qu’elle nous avait suggérées puis, un moment donné, on est tombé sur une avocate qui était dans mon coin. Puis, j’ai commencé à faire affaire avec elle.

No 013

Une troisième catégorie de moyens utilisés par les participants de l’étude (n=5) consiste à passer par le biais d’un organisme ou d’une institution. Pour deux consultations, les sujets ont rapporté avoir eu recours à l’aide juridique. Il est à noter que dans ces cas, les hommes y avaient droit, ce qui a pu être déterminant dans leur choix de recourir à cette institution étatique. Dans les autres cas, ils ont trouvé leur avocat auprès d’organismes communautaires autres que les groupes de défense de droits et d’aide. Le présent extrait illustre bien l’expérience rapportée par ces sujets :

J’ai appelé un premier organisme. Je pense que je suis allé deux fois. J’avais jasé avec le responsable. Il m’avait donné une référence d’avocat. Donc, ça a été ma première consultation. Je veux dire qu’il connaissait, puis qu’il avait confiance. Puis, je suis allé dans un autre organisme où il y avait des avocats que l’on pouvait consulter, demander des conseils et de l’information.

No 009

Bien que ce ne soit pas tous les hommes qui aient mentionné les moyens utilisés pour trouver leur avocat, les données recueillies montrent que la majorité d’entre eux estiment avoir les compétences et les ressources nécessaires afin de dénicher la personne qui saura bien les défendre. Toutefois, en demandant à un tiers digne de confiance de leur recommander un avocat qui saura les défendre adéquatement, ces hommes nous laissent penser que, dans les faits, ils sous-estiment peut-être leurs moyens (matériels, psychologiques, etc.) de trouver le bon avocat. De plus, ces hommes nous ont révélé que la confiance qu’ils accordaient au référent pouvait être induite par la relation qu’ils avaient avec ce dernier ou par une certaine expertise que les pères séparés accordent à ce référent. Dans les deux cas, les pères disent accorder une grande importance à cette confiance.

D’un autre côté, on aurait pu penser que les groupes de défense des droits exercent une influence notable sur le choix d’un avocat, en partant du postulat que ces groupes disposent d’un réseau d’avocats-conseils mis à la disposition des membres. Toutefois, notre étude ne confirme pas cette hypothèse puisque ce rationnel ne représente que quelques cas (3). Cela nous laisse néanmoins perplexes lorsque l’on sait que, par exemple, le groupe le plus radical présent au Québec, Fathers-4-Justice, a récemment troqué les costumes de super héros pour l’arme juridique (Cauchy, 2007).

L’aide offerte et reçue

Qu’en est-il de l’aide reçue et des services offerts par les avocats? Nous avons pu constater que, pour chaque consultation, les avocats peuvent offrir plusieurs services aux pères. Nous avons regroupé les services offerts pour l’ensemble des consultations documentées (n=24 puisqu’un sujet n’a pas fait état des services reçus). Le tableau 3 présente les trois types d’aide ayant été décrite par les pères et que nous allons maintenant détailler.

Tableau 3

L’aide et les services offerts par les avocats

Type d’aide

Services offerts.

Aide liée aux procédures légales

Représentation à la cour.

Préparation de procédures et de documents.

Définition de la stratégie à adopter (avocat plus directif).

Offre de conseils (client plus libre).

Aide liée à la négociation

Négociation avec l’autre parti.

Production d’avis juridique sur un projet d’entente.

Demande d’avis d’experts.

Aide psychologique et de soutien

Soutien quant aux agissements de l’ex-conjointe.

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Un premier type d’aide regroupe les services reliés aux procédures légales. On y retrouve l’ensemble des services inhérents à une démarche juridique. Le service le plus fréquent dans cette catégorie est la représentation à la cour (n=11), où les avocats accompagnent leurs clients lors des audiences et parlent en leur nom. Viennent ensuite la préparation de procédures et de documents (n=9), puis l’offre de conseils (n=7).

Au sujet de ce service, une distinction se doit d’être faite avec le précédent service de cette catégorie soit, définir la stratégie à adopter (n=6). En effet, dans le cas où c’est l’avocat qui définit la stratégie à adopter, ce dernier est plus directif. Cette attitude est fréquemment une initiative de l’avocat, tel que le montre l’extrait suivant :

J’ai reçu un affidavit de son avocat qui ne précisait rien sur les droits de visite. Donc, j’ai été pendant 21 jours sans pouvoir voir mon enfant. L’avocat que j’avais, il me conseillait de ne pas le voir pour ne pas causer des problèmes et d’attendre qu’il y ait une rencontre qui se fasse. Puis, il y a eu la garde supervisée. Mon avocat m’a dit : « Tu n’as pas le choix, tu ne peux pas avoir la garde partagée. Avant un an, tu oublies ça. On l’aura plus tard. » Puis, il a ajouté : « Dis-toi que plus ça va prendre du temps, meilleur ça va être. Puis, avec la supervision des amis, tu vas avoir des témoins qui vont pouvoir témoigner à la cour si jamais en médiation ça ne fonctionne pas. »

No 005

Il se peut aussi que le client soit en attente d’une attitude directive. Dans certaines situations, les pères demandent à l’avocat d’établir un « plan de match » et même de leur dire que faire. En bref, d’obtenir des conseils :

Perdre à la cour, ça a été une grosse claque pour mon ex. En sortant du Palais de justice, elle est allée à notre maison, même si elle ne restait plus là depuis un bout de temps, puis elle y est entrée par infraction. Une fois dans la maison, elle m’a appelé sur mon cellulaire pour me dire qu’elle était dans la maison avec sa mère puis qu’elle était pour sortir toutes les affaires de la maison et qu’elle était pour se suicider. Là, j’ai pris panique. J’ai appelé mon avocat puis il m’a dit : « Appelle la police puis l’ambulance tout de suite. »

No 021

En ce qui concerne les conseils, on peut penser que les pères usent de leur liberté dans la décision d’utiliser ou non les stratégies suggérées par l’avocat. Toutefois dans la majorité des cas où ils reçoivent des conseils de la part de leur avocat, les pères choisissent de les suivre comme en témoignent les extraits suivants :

Je suis allé voir un organisme où il y avait des avocats que l’on pouvait consulter. Il y en avait plusieurs là-bas qui m’ont donné des conseils puis de l’information. Mais, il y a surtout une avocate qui m’avait donné un bon tuyau. Étant donné que la tension était élevée avec mon ex et qu’il commençait à avoir des engueulades, elle m’a dit : « De la manière que je vois ça, tu es mieux de sortir. Va-t’en de là parce que ton ex, un moment donné, elle peut t’accuser de violence. Même si c’est faux, tu vas te faire arrêter puis tu vas perdre la garde de tes enfants. »

No 001

Suite à un jugement, j’ai été voir l’avocat puis je lui ai dit : « Qu’est-ce que je fais? Est-ce que je vais en appel? » Mais là, on a eu une bonne idée. On a suivi les conseils du juge qui a suggéré guérison de la rancune puis tout ça. Faire les démarches qu’il suggérait.

No 022

Cependant, en dernière instance, le jugement des pères est prééminent et il n’est pas rare que certains refusent de suivre les avis de leur avocat :

Suite aux agissements de mon ex, mon avocat voulait porter plainte à la D.P.J. puis démontrer qu’elle n’était pas saine d’esprit puis qu’elle n’était pas apte à garder les enfants. Mais, je ne me voyais pas embarquer dans une histoire abracadabrante où je serais venu, selon les recommandations de l’avocat, lui enlever les enfants. Je ne voulais pas m’insérer dans une dynamique de conflit. Ça aurait été encore dix fois pire.

No 021

Un second type d’aide regroupe les services liés à la négociation. Cette compilation inclut toutes les actions relatives à un rapport de force dans une négociation avec la partie adverse. Concrètement, les hommes interrogés nous ont rapporté que leur avocat avait négocié fermement avec l’autre parti. L’extrait suivant illustre un cas où un avocat a rendu un tel service à son client :

On avait négocié quelque chose en médiation mon ex et moi. Après avoir réfléchi, il y avait des choses qui ne me plaisaient pas. Donc, avec mon avocat, j’ai ajouté des choses après la médiation. Puis, on a négocié dans le corridor du palais de justice. À la fin, juste pour me faire chier, elle changeait d’idée pour les vacances. On avait négocié tout l’avant-midi puis, à l’heure du dîner, mon avocat a dit : « Bon, on va aller voir le juge cet après-midi. C’est lui qui va trancher pour les vacances. » En fin de compte, l’après-midi, quand son avocate est arrivée, elle a dit : « ok, regarde, on va signer. C’est correct, là ».

No 005

Dans ce genre de négociation, les avocats mettent leur expertise à la disposition de leur client. Ainsi, des pères ont rapporté avoir demandé un avis juridique sur un projet d’entente précédemment ébauché par un avocat et l’ex-conjointe. Contrairement à l’exemple précédent où l’avocat négociait pour son client, ici c’est l’homme lui-même qui assure ce rôle, demandant en quelque sorte à l’avocat de valider sa démarche, tout en vérifiant si ses droits ont été respectés et cela au bénéfice des deux partis. C’est ce qu’évoque l’extrait suivant :

Je suis allé consulter une avocate avec un projet qui était pas mal avancé, là, que j’avais entre les mains. Moi, c’était pour savoir qu’est-ce que je peux faire avec ça, puis savoir qu’est-ce que je pouvais répondre aux arguments de l’avocate de mon ex. Savoir qu’est-ce qu’elle me suggérait. J’ai passé une couple d’heures avec elle. On a fait des scénarios de pension et tout ça. Un moment donné, elle m’a dit : « Avec ce que vous me racontez, vous devriez signer. Vous devriez renoncer à son fond de pension. » Ce qui fait que moi, j’avais ça entre les mains. J’ai pris le temps des fêtes pour y penser puis, quand je suis retourné la voir, j’ai décidé de régler ça. Elle m’a dit : « Je pense que vous prenez une bonne décision. »

No 014

Mentionnons que dans un petit nombre de cas (n-3), l’avocat a demandé un avis d’expert (psychologue, travailleur social, etc.), lequel peut se traduire par un témoignage de l’expert ou simplement par la production d’un rapport, comme c’est le cas des demandes d’expertise psychosociale. Cependant, les participants à notre étude s’entendent pour dire que cela ne semble pas être porteur de résultats probants, ce qui pour certains constitue un élément de frustration supplémentaire tel que nous le rapporte cet homme :

Mon avocat a demandé une évaluation psychologique qui a recommandé la garde partagée et qui a demandé à ce que les enfants demeurent dans le quartier. Le juge n’a pas regardé le rapport. S’il l’a regardé, en tout cas, il considérait que ce n’était pas important parce que quelque temps plus tard, mon ex est déménagé dans une autre région avec les enfants. Donc, la garde partagée venait de prendre le bord.

No 016

Finalement, en plus d’offrir une expertise légale, certains pères nous ont rapporté que leur avocat a exercé leur profession de telle manière que cela a eu l’effet d’un soutien psychologique, ce qui constitue un troisième type d’aide. Cela prend essentiellement la forme d’un soutien quant aux agissements de l’ex-conjointe (n=2). Bien qu’un tel geste ne corresponde pas à ce que l’on s’attend habituellement d’un avocat, nous avons constaté que le travail transparent, persévérant et calme, la vulgarisation des procédures, la présentation de la jurisprudence et l’explication des lois pouvaient réduire l’angoisse et la détresse des pères, particulièrement lorsque la relation avec leur ex-conjointe est conflictuelle. L’extrait suivant illustre bien cette situation :

Mon ex, les semaines où j’avais les enfants, elle venait stationner en face de chez moi, dans son auto. Puis elle restait là, elle attendait. Elle sortait de la voiture, avec son appareil photo et elle nous photographiait. Pour, souffler un peu, raconter ces histoires-là, j’appelais mon avocat. Il me disait : « Reste calme. Ce n’est pas le moment que tu traverses la rue puis que tu ailles lui mettre une paire de baffes parce que tu vas te retrouver derrière les barreaux. »

No 010

En somme, les services rendus par les avocats aux pères séparés sont en lien avec les procédures légales, le processus de négociation ou le soutien psychologique. Toutefois, même si les services rendus sont diversifiés et de qualité, il importe de connaître les critiques des pères, parce que c’est là que se situe la source potentielle de frustration et de mécontentement qui peut amener certains pères à se radicaliser.

L’appréciation négative de l’expérience

À première vue, on constate que pour les 25 consultations répertoriées, les pères sont majoritairement satisfaits puisque, pour 64 % (n=16) des consultations, ils ont qualifié positivement leur relation avec leur avocat. En contrepartie, et c’est ce qui nous intéresse le plus, 36 % (n=9) des répondants sont plutôt critiques. Il est à noter que le type d’union dans lequel vivaient les hommes avant la rupture n’a aucune influence significative sur leur appréciation de l’aide qu’ils ont reçue de leur avocat. Mentionnons également que les pères qui n’ont pas apprécié leur expérience sont plus explicites sur les raisons d’une telle évaluation. Les critiques que nous avons recensées portent sur le travail des avocats, le fonctionnement du système légal ainsi que sur les résultats attendus, tel que nous le montre le tableau 4 :

Tableau 4

Motifs invoqués par les pères qui n’ont pas apprécié leur expérience avec leur avocat

Motifs reliés

Rationnel

À l’avocat et à son travail

L’avocat s’est mal acquitté de ses tâches.

L’homme n’a pas apprécié la relation avec l’avocat.

Au fonctionnement du système et à ses coûts

L’homme sent qu’il n’a pas sa place dans le processus (les négociations se font entre les avocats ou par comparutions à la cour)

L’homme juge que les procédures sont trop longues.

L’homme a des difficultés financières et ne peut plus payer son avocat.

Aux résultats obtenus

Le juge semble ne pas considérer ce que l’homme et son avocat déposent en preuve au tribunal.

L’homme n’a pas plus de droits d’accès à ses enfants après sa comparution à la cour.

L’avocat n’a pas répondu aux attentes exprimées.

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Un premier type de critiques s’adresse aux avocats et porte sur la tâche et la relation. Premièrement, certains pères mentionnent que leur avocat a mal rempli les tâches qui lui incombaient. Les extraits suivants constituent des exemples de cette critique :

Lors du deuxième jugement, j’ai demandé une garde partagée. La juge m’a dit que ce n’était pas correct d’envoyer des enfants à la garderie puis que la distance était trop grande entre nos maisons. Là, j’étais en colère. C’était comme, en beau « criss », là parce que j’avais été mal conseillé. Mon avocate aurait dû me dire : « Écoutes la distance ne marche pas, là. ». Puis, elle aurait dû me dire : « Écoute, va voir un psychologue ou bien va chercher de l’aide ». Parce qu’en plus, elle a alimenté ma colère. Parce qu’elle a dit : « Attends, on va en faire une requête, nous autres. Dis-moi qu’est-ce que madame fait de pas correcte ». Puis, ce qu’elle me disait, ce n’était pas ça que je voulais. Il n’y a personne qui me demandait si j’en avais envie, qu’est-ce que je voulais pour les enfants.

No 004

Je me suis retrouvé en cour parce que c’est moi qui demandais le divorce. J’avais un avocat, qui n’était pas spécialisé en droit familial, qui était complètement pourri là-dedans. Lui, il était convaincu que j’allais avoir la garde parce que mon ex avait un passé psychiatrique, tentative de suicide, etc. Mesures intérimaires, ça a duré 20 minutes devant le juge puis elle a eu la garde. Parce que lui, au lieu de miser sur la capacité parentale, il l’a traitée quasiment de folle devant le juge. Ce qui fait que le juge, il n’a pas tellement apprécié mon attitude, son attitude. Elle, elle a joué sa « game ». Donc, le juge, il a dit : « Madame, vous ne travaillez pas. Monsieur, vous travaillez. Les enfants vont aller chez madame. »

No 018

D’autres pères critiquent la relation, en mettant le blâme sur la nature et la qualité des contacts :

J’ai senti avec ma première avocate qu’elle était là pour m’aider, puis qu’elle n’était pas là pour me surfacturer, contrairement à mon deuxième avocat. C’est le sentiment que j’ai eu. Puis là, il me disait : «On va demander une expertise psychosociale puis là… » Puis là, ça ne finissait plus. Je sentais que ça s’étirait, ça s’étirait, ça s’étirait puis ça ne finissait plus. Puis, je ne me suis pas senti à l’aise avec lui en tant que tel.

No 020

Le second type de critiques fait par les pères concerne le fonctionnement du système légal. Ces critiques concernent le processus, les procédures et les coûts. Ainsi, certains ont senti ne pas avoir de place dans le processus pour exposer leur point de vue, que ce soit lorsque les avocats des deux parties se rencontraient pour négocier entre eux ou lors des comparutions en cour. L’extrait suivant illustre les sentiments vécus par un participant qui s’est retrouvé écarté de la démarche :

Quand j’ai reçu l’affidavit de son avocat, rien n’était précisé sur les droits de visite des enfants. Donc, j’ai été pendant 21 jours sans pouvoir voir les enfants parce que l’avocat que j’avais, il me conseillait de ne pas voir les enfants pour ne pas causer des problèmes. Donc, c’était très difficile, cette situation-là, qu’elle quitte et que je n’ai aucune permission de voir les enfants. Lorsqu’il y a eu une rencontre entre avocats, ce n’était pas une comparution, là au Palais de justice, mais dans les corridors. Puis, il y a eu de quoi qui s’est signé bien vite, écrit à la main. Il y avait des droits de visite, une fin de semaine sur deux. Il n’y avait rien concernant le partage des biens, encore, là. On n’était pas là. Il y a eu un calcul de pension alimentaire que je devais verser, vu qu’elle avait une garde presque complète. Ça a été très rapide puis expéditif. Il n’y avait aucune médiation possible, là. On se sent vraiment impuissant là-dedans.

No 008

Les autres critiques formulées à l’endroit du système légal concernent la longueur des procédures. En effet, pour le père, un règlement rapide est vu comme un signe d’affirmation de soi ou simplement une stratégie visant à réduire le stress ou la souffrance lié au deuil de la relation. Toutefois, certains pères ont vécu ces solutions rapides, tels que la contestation, le refus de négocier ou la fuite, comme autant de stratégies perdantes visant à acheter la paix pour en finir le plus vite possible. On sait d’ailleurs que les hommes en état de crise cherchent des solutions immédiates et permanentes à leur situation (Dulac, 2001). Lorsque survient une rupture, ils sont alors plus ou moins enclins à tout faire pour régler le problème le plus rapidement possible.

Si la longueur des procédures peut être une source de frustrations qui amène les hommes à mettre soudainement fin aux démarches entreprises par leur avocat, un autre chemin est loin d’accélérer nécessairement les procédures, en plus d’avoir des coûts tout aussi grands en terme de stress :

Mon avocat, j’ai senti qu’il n’était pas bon pour… Bon, il disait : « On va demander une expertise psychosociale ». Puis là, ça ne finissait plus, je sentais que ça s’étirait, ça s’étirait, ça s’étirait puis ça ne finissait plus. Je ne me suis pas senti à l’aise en tant que tel. Donc, j’ai choisi de me défendre moi-même. C’est plus difficile, mais soit tu acceptes le stress ou soit tu payes pour te faire défendre puis finalement, l’avocat ne connaît pas ta cause comme tu peux la connaître autant.

No 020

Pour d’autres pères, particulièrement chez ceux où la rupture implique de pertes financières importantes, les honoraires des avocats deviennent un frein à la poursuite des procédures. C’est ce qu’a vécu le participant suivant, contraint à la faillite :

Ce qui fait que, après avoir englouti 11 000 dollars de bel argent pour payer mon avocat, bien, j’ai décidé de me défendre moi-même puisqu’il n’y avait plus rien qui marchait. J’ai dit à mon avocat : « Bien arrête, je ne suis plus capable de payer, là, puis j’ai fait faillite puis, bon. ». Là, tout a tombé. Donc, avec l’aide d’organismes, j’ai commencé à me défendre moi-même, puis j’ai rédigé moi-même les procédures, puis j’ai envoyé ça à son avocat.

No 016

Le troisième type de critiques fait par les pères qui n’ont pas apprécié leur relation avec leur avocat porte sur les résultats escomptés. Dans un premier cas, les pères associent directement leur appréciation négative au fait qu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils avaient demandé au tribunal, c’est-à-dire, l’accès à leurs enfants tel qu’en témoigne l’extrait suivant :

Dès le début de la rupture, mon ex est parti dans une maison pour femmes battues. Ça a pris deux mois avant que j’aie des nouvelles de mon fils. Je ne savais pas où est-ce qu’il était. J’avais peur qu’elle déménage avec lui. Donc, j’avais beaucoup d’anxiété. Lorsque j’ai réussi à avoir des nouvelles, je pouvais juste avoir mon fils une heure par semaine, sous supervision. C’est humiliant parce que je m’occupais du fils le soir. Je lui donnais son lait, son bain, je le couchais. Puis, du jour au lendemain, tu ne le vois plus puis lorsque tu le vois c’est une heure, une visite supervisée par une travailleuse sociale. C’est insultant. Puis, lorsque je me suis présenté en cour, je n’ai pas réussi à avoir plus d’accès. J’ai pris mon mal en patience. J’ai enduré l’entente que j’avais signée vite à ce moment-là.

No 011

Les plus agressifs manifestent une attitude très négative. Ce sont les mêmes qui rapportent que leur avocat n’a pas répondu à leurs attentes générales. Ce père souligne en quoi il n’a pas obtenu ce qu’il souhaitait :

J’ai reçu une lettre de l’huissier exigeant telles et telles affaires. À ce moment-là, je n’ai pas eu le choix de trouver un avocat pour faire face à la musique. Mais, quand on rentre avec les avocats, là, c’est la chose à ne pas faire. Ça n’aide pas du tout, absolument pas. Quand on embarque là-dedans, on a l’impression que les avocats vont faire le travail. Ils ne font pas le travail. Ils ne font absolument rien. Ils ne font que la paperasse, finalement, que l’on ne connaît pas assez. C’est pour ça que l’on va chercher un avocat parce que l’on ne sait pas comment se battre en cour, comment présenter notre cas en cour. Mais avec lui, je n’ai pas eu plus la garde… 

No 022

Dans un autre cas, les pères critiquent le fait que le juge n’ait pas pris en compte les éléments de preuve fournis par l’avocat au tribunal. Cela peut à la fois renvoyer à la faible force de conviction de certains avocats, mais aussi à la vraisemblance que peuvent avoir les preuves fournies aux yeux des juges. C’est ce qu’évoque l’extrait ci-dessous :

Après avoir reçu son affidavit, je me dis : « Bien là, il faut que je me défende. Ça n’a aucun bon sens. » J’ai pris le bottin téléphonique, appelé un avocat puis, finalement, j’ai englouti, là-dedans, quelque chose comme 11 ou 12 000 $ qui ne m’ont apporté strictement rien. Moi, ce que je voulais, c’est la garde partagée. J’avais déjà magasiné des maisons sur la rue à côté pour que l’on puisse, avec l’enfant, être dans le même quartier. Mon avocat a demandé une évaluation psychologique qui a recommandé la garde partagée et qui a aussi demandé à ce que les enfants demeurent dans le quartier. Le juge n’a pas regardé le rapport. S’il l’a regardé, en tout cas, il considérait que ce n’était pas important parce qu’en novembre de la même année, mon ex est déménagée dans une autre région. Le juge a accepté qu’elle aille là-bas, même si le psychologue, il était dans le passage puis, il attendait juste de pouvoir venir témoigner pour dire que c’était irresponsable pour les enfants, que ce n’était pas bon pour les enfants de partir du quartier puis d’être déracinés, surtout dans une période où, il y a une séparation.

No 016

Ainsi, il apparaît que l’appréciation négative des services offerts par l’avocat est intimement liée aux attentes qu’ils entretiennent vis-à-vis de leur démarche. Bien que ce fait apparaisse évident pour la catégorie des critiques qui concernent les résultats attendus, il n’en demeure pas moins que lorsqu’un père critique son avocat, il met en relief ses attentes envers ce professionnel du droit : régler rapidement, gérer le conflit conjugal et finalement de recevoir du counseling et un soutien psychologique.

Violence conjugale et accusation criminelle

Lorsqu’un couple se sépare, il peut arriver que les conjoints n’aient pas seulement à faire face à la justice civile, mais aussi à la justice criminelle. Dans notre étude, certains hommes (n=5) mentionnent qu’en plus des démarches légales liées à la séparation, ils ont eu à consulter un avocat pour faire face à des accusations de violence conjugale. Bien que nous n’ayons, dans notre échantillon, qu’une faible proportion de cas ayant vécu une telle situation, ils illustrent des scénarios qui contribuent à l’érosion du sentiment de confiance en la justice et nous avons donc traité ces cas à part.

De prime abord, nous avons constaté que dans ces cas, c’est la femme qui a appelé les policiers afin de déposer une plainte pour violence, soit une nouvelle conjointe dans un cas et l’ex-conjointe dans 3 cas. Pour ces quatre cas, les hommes rapportent un haut niveau de conflit avec la plaignante. Dans un autre cas, les accusations portées par l’ex-conjointe se retrouvaient dans l’affidavit demandant la séparation et n’ont pas nécessité d’intervention policière.

Avant de regarder plus en détail les éléments qui ont mené à une intervention policière, rappelons que dans ce type de conflit, le travail des policiers n’est pas d’intervenir sur la dynamique conflictuelle, mais plutôt de s’assurer de protéger les victimes d’actes criminels. De plus, avec l’évolution des pratiques policières en matière de violence conjugale, les policiers sont tenus de transmettre eux-mêmes les plaintes au procureur de la Couronne lorsqu’un geste criminel est posé dans ce contexte (Gauthier, 2001). Ainsi, lorsqu’ils sont appelés sur les lieux d’un conflit conjugal, les policiers vont s’attarder aux gestes commis. Les policiers ne joueront pas aux thérapeutes conjugaux, comme peuvent s’y attendent les pères interrogés. On doit souligner que, tout comme dans le cas des médiations (Dulac et al., 2007), les pères interrogés ont souvent des attentes irréalistes qui ne correspondent pas au mandat des divers intervenants. Face aux policiers, Buchbinder et Eisikovits (2004) constatent que les conjoints adoptent une stratégie de protection de l’identité parce qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas se voir comme étant une personne fautive. Ainsi, tentent-ils de nier ou de minimiser les faits. Les attentes des hommes ne correspondent pas à l’idée qu’ils ont de la fonction du policier, c’est-à-dire d’agent de protection du citoyen vulnérable, ce qui pourrait expliquer pourquoi bon nombre d’entre eux considèrent les accusations injustifiées. Quoi qu’il en soit, notre analyse ne porte pas sur la crédibilité du témoignage des hommes ou de savoir s’ils ont raison ou tort de juger les accusations injustifiées (Dulac, 2000). Notre intérêt est tout autre, nous voulions cibler l’origine des conflits qui surviennent dans certaines situations de séparations et qui entrainent une perte de confiance envers les institutions démocratiques telles que la force policière.

Donc, parmi les récits des pères qui ont eu à faire face à des accusations criminelles, nous avons constaté que le niveau de conflit était élevé dans tous les cas où des policiers étaient intervenus (n=4). Dans ces situations, les conflits concernaient soit les détails d’intendance des enfants ou soit la relation entre les conjoints ou ex-conjoints. Pour le premier cas de figure, l’analyse des propos des pères montre que la capacité de gérer et de prendre en charge les enfants (garde, visite, pension, etc.) peut être plus difficile pour les ex-conjoints au moment de la séparation, car ils sont plus vulnérables, plus à risque de commettre des actes violents. Les extraits suivants illustrent cet état de fait :

J’ai téléphoné à mon ex pour lui dire que je voulais aller voir les enfants. Elle ne voulait pas parce qu’elle attendait quelqu’un pour souper. J’ai dit que j’y allais quand même parce que c’était mes enfants. Ce qui fait que j’arrive là puis elle essaye de me dire de m’en aller. Elle me crie après comme elle a toujours fait, me pousse. Puis, elle s’est écoeurée. Elle est partie en pleurant chez les voisins puis elle a appelé la police. Quand ils sont arrivés, ils m’ont arrêté. Ils ont pris la déposition de madame puis de son chum qui est arrivé par après. Moi on ne m’a posé aucune question. On m’a tout simplement dit d’embarquer dans l’auto.

No 002

À l’anniversaire de ma fille, je l’appelle pour savoir à quelle heure elle veut que j’aille la chercher. Elle me répond que sa mère lui a dit qu’elle n’avait pas le droit de venir me voir. Je lui ai dit que ce n’était pas vrai et elle est allée interroger sa mère. Là, sa mère prend le téléphone, me dit de ne plus appeler et elle raccroche. Je rappelle encore une fois. Elle raccroche. Alors, j’ai décidé d’aller voir ma fille pour lui dire qu’elle pouvait venir avec moi. Je vais à la maison puis toute sa famille commence à m’insulter. Alors, je dis à mon ex que je veux voir ma fille, mais elle ne voulait pas. Là, mon petit gars sort de la maison puis il me dit que sa soeur est au parc. Alors, je le prends et on s’en va au parc. Mon ex suit derrière moi et les insultes commencent. Puis, dans la rue, elle prend ma chemise puis elle la déchire et commence à crier comme une folle. Au parc, je vois ma fille et je lui dis que je passe la prendre le vendredi parce que mes visites sont encore actives. Mon ex, elle flippait. Elle l’a prise, puis elle a couru à la maison appeler la police. Quand la police est arrivée, moi, je suis là, avec la chemise toute déchirée, mais la femme pleure alors, ils m’ont arrêté. J’étais vraiment bouleversé. Ça m’a détruit complètement.

No 015

À propos des conflits liés à la relation entre les conjoints, nous avons observé dans les témoignages des deux pères qui nous ont rapporté ce type de conflit que l’un d’eux avait eu une dispute avec sa conjointe du moment :

Alors, ce jour-là, elle me reprochait de ne pas l’avoir appelée, que ça voulait dire que je ne l’aimais plus. J’avais mon gars. Je lui faisais à souper. Je lui pose une question puis, elle me traite de bon à rien, m’arrache la fourchette des mains et commence à bousculer des choses dans la cuisine. Je lui ai dit que je ne lui demandais pas de faire le souper, que j’allais le faire moi-même. Elle a claqué la porte du micro-ondes de toutes ses forces. Là, je lui ai demandé de partir parce qu’elle devenait violente. Mais elle n’est pas sortie. Elle a pris le chaudron puis elle l’a claqué sur le rond. Là, j’avais peur qu’elle prenne soit les couteaux, le chaudron ou d’autres choses. Je lui ai redemandé de partir. Elle ne bougeait pas. Puis là, j’ai voulu mettre ma main sur son bras. Elle a levé les poings sur moi. Ce qui fait que là, j’ai pris ses bras puis je l’ai reculée de la cuisine. Là, elle dit : « Tu m’as touché. Je pourrais appeler la police. » Je lui ai demandé une troisième fois de partir. Elle a dit : « Ça ne se passera pas de même. On va voir qui est-ce qui va sortir d’ici en premier ». Elle a appelé la police. Quand les policiers sont arrivés, ils ont dit qu’ils ne feraient rien si je sortais. Je leur ai répondu qu’elle n’habitait même pas ici, que c’était ma maison puis que j’étais avec mon enfant. Ils ont dit qu’elle avait des droits et ils m’ont carrément arrêté. Au poste, ils m’ont dit que si j’avais tenu ses bras, j’avais commis mon crime, mais je l’avais juste repoussée.

No 009

Pour l’autre père, le conflit avec l’ex-conjointe portait sur le lieu de résidence que cette dernière convoitait :

Au moment de la séparation, on avait signé une entente tous les deux comme de quoi, c’était elle qui s’en allait, qu’elle me laissait les enfants puis qu’elle s’en allait en logement, dans un autre bloc que j’avais. Ça, ça a bien été sauf qu’un moment donné, elle s’était fait un copain un peu plus sérieux. Donc, son copain il préférait venir habiter ici et non pas dans le bloc parce qu’il voulait aller habiter avec elle. Ce qui fait que, grosso modo, ce qui est arrivé, c’est qu’elle a décidé de me faire sortir par les policiers. Elle est venue chez moi un matin en disant qu’il fallait que je parte. Puis là, la bagarre a poigné. Elle s’est jetée encore sur moi, une autre fois de plus. Puis, bien là, j’ai réagi. Je l’ai poussée. C’est là qu’elle a dit qu’elle allait appeler les policiers. Je lui ai dit de le faire parce que c’est moi qui avais les marques sauf que je ne savais pas que c’était les gars qui sortaient systématiquement. Ce qui fait que les policiers sont venus. Ils sont partis avec moi. J’ai fait de la prison pendant trois heures. J’ai rencontré un enquêteur. Ils m’ont fait sortir tout de suite. Là, je suis allé à mon poste de quartier, voir des policiers que je connaissais pour la faire sortir, étant donné que l’on avait une entente. Puis, effectivement, ils ont fait sortir madame.

No 018

Finalement, le dernier père qui a dû composer avec la justice criminelle a reçu des accusations de la part de son ex-conjointe par l’entremise des documents légaux déposés lors de la séparation. Pour cet homme, la façon de procéder de son ex-conjointe fut intimement liée à son séjour dans une maison d’hébergement pour femmes victimes de violence :

Au moment de la séparation, mon ex est partie de la maison. Elle m’a appelé, me disant que ça ne marchait plus puis qu’elle pourrait s’organiser toute seule, que je lui paie une pension alimentaire. Je lui ai demandé où elle était. Elle m’a répondu qu’elle était dans une maison de femmes battues et que c’était la seule place où elle pouvait habiter. Elle m’a aussi dit que j’allais recevoir des papiers par la poste. Mais dans ma tête les maisons d’hébergement c’était un groupe de féministes, toutes des enragées, qui ne règlent aucun problème. C’était ma perception dans le temps. Là, je me suis dit qu’il fallait que je quitte l’appartement le plus rapidement possible. Que je ne pouvais pas laisser le petit se faire garder par des mesdames, avec des cas extrêmement graves de femmes qui sont battues puis qui ont réellement des problèmes! Je me suis sous-loué un appartement pour deux mois avant de me trouver autre chose dans les entourages de l’appartement. Là, elle a résilié le bail pour annuler les trucs de la maison de femmes. Mais là, elle était au courant de tout. Elle était organisée. Elle avait son avocate, déjà. Puis, dans la requête, j’avais une violence conjugale sur le dos, avec tous les qualificatifs, là : violant, contrôlant, patati, patata puis, elle demandait une garde supervisée.

No 005

Dans leurs récits, les hommes se présentent comme les victimes d’une conjointe ou d’une ex-conjointe mal intentionnée, d’un système utilisé par l’ex-conjointe afin d’en arriver à ses fins. De ce fait, ils minimisent les gestes inacceptables qu’ils ont pu poser. Ce que l’on observe, c’est que les pères se cramponnent au contexte relationnel conflictuel de la rupture alors que les policiers, tel que nous l’avons mentionné, ciblent des comportements précis et des gestes considérés comme criminels. Les pères ne réalisent pas que les policiers n’ont pas à jouer le rôle de thérapeutes conjugaux. Les policiers, représentants de l’ordre et de la justice, sont alors mis par ces pères aux bancs des accusés.

Discussion des résultats

Nous en sommes maintenant à observer comment les résultats obtenus dans le cadre de notre étude nous informent de l’érosion du sentiment de confiance qu’ont certains pères envers les institutions judiciaires. Nous préciserons quelques limites à notre étude, et puis nous conclurons avec les aspects positifs provenant de commentaires de pères satisfaits du travail de leur avocat. Nous y présenterons quelques idées permettant de redonner confiance en la justice chez ces pères qui vivent une rupture d’union.

Les limites de l’étude

Tout d’abord, soulignons que comme toute recherche utilisant des données qualitatives, la généralisation statistique des résultats que nous avons obtenus serait hasardeuse. Ensuite, il convient de s’entendre, que nous n’avons pas interrogé les mères afin de valider les histoires de chaque participant. À ce chapitre, il convient d’accorder notre confiance à la parole des pères qui est totalement crédible comme nous l’avons montrée antérieurement (Dulac, 2000). Finalement, il est important de rappeler que seulement un petit nombre de cas se retrouvent devant les tribunaux. Nous ne voulons pas ici minimiser la souffrance des hommes qui ont recours aux services d’aide. Cependant, de telles proportions nous laissent croire que bien que les ruptures d’unions soient régies par un ensemble de lois, les acteurs du système de justice n’ont pas la même emprise sur toutes les ruptures.

L’érosion du sentiment de confiance

L’analyse des propos des pères indique une forte érosion du sentiment de confiance dans les institutions ce qui, selon notre interprétation, pourrait expliquer pourquoi certains pères radicalisent leurs positions et tentent de commettre des gestes d’éclat. En effet, la confiance, au sens le plus large du terme, constitue une donnée élémentaire de la vie en société. Luhmann (2006) montre qu’elle est indispensable à toute action humaine, puisqu’elle stabilise l’horizon de nos attentes, en réduisant la complexité du monde à un nombre de variables plus ou moins maîtrisables par l’esprit humain. La confiance a également pour effet de réduire le risque d’affrontement. Cependant, ce mécanisme de réduction de la complexité est un investissement risqué, parce que les individus n’ont aucune garantie que leur confiance sera honorée.

Lorsque la vie quotidienne se complexifie (comme dans les cas de rupture et de divorce), le consensus diffus de confiance dans les institutions peut s’effondrer ou encore être ramené à des prémisses décisionnelles extrêmement formelles (gérer la crise, trouver un avocat, etc.). Le saut opéré entre des croyances universellement partagées et fondées sur la confiance ne permet plus de combler l’abîme grandissant entre la situation précédant la rupture et l’après rupture. La confiance devient alors pour ainsi dire privatisée, psychologisée et renvoie alors à l’expérience vécue individuellement par les personnes (Luhmann, 2006 : 57)

Cette complexité, les hommes que nous avons rencontrés la décrivent très bien lorsqu’ils abordent les raisons de consulter un avocat ainsi que les moyens mis en oeuvre pour trouver ce dernier. En effet, les situations de rupture, en raison de leurs enjeux psychosociojuridiques, complexifient la réalité des hommes séparés qui pour toutes sortes de raisons feront appel à un avocat. De plus, il nous apparaît que l’aide offerte part les avocats, peut complexifier le processus de la rupture : composer avec les aspects inconnus et inaccessibles du domaine légal; composer avec les pertes et les deuils; connaître ses obligations et ses droits et s’assurer que les droits sont respectés.

Avec l’accroissement de la complexité de la vie, des situations nouvelles issues des ruptures d’union, s’accroît également le besoin de réassurance par rapport au présent et le besoin de confiance dans les institutions telles que la justice et ses représentants. Les institutions sociales auxquelles une personne accorde sa confiance acquièrent par là un statut, mais sont particulièrement sensibles aux perturbations que vivent les individus qui enregistrent chaque évènement comme une remise en question de la confiance.

D’une certaine manière, on peut dire que l’expérience négative des pères avec les avocats et le système de justice agit comme un test par rapport au consensus concernant la confiance dans ces institutions. Dans de telles situations, on constate que les pères se retrouvent désillusionnés quant à leur idéal de justice et sont déçus que leurs attentes ne soient pas comblées. D’ailleurs, les hommes interrogés ont démontré que les critiques touchaient autant les avocats que l’organisation du système légal.

Quoique cela ne fût pas abordé directement dans ce texte, il est intéressant de noter que la colère et les récriminations concernent aussi les juges. Pour ceux qui critiquent le fonctionnement du système légal, le juge représente non seulement la personne qui a tranché en leur défaveur, mais également celui qui consacre les préjugés défavorables envers les hommes en matière de garde (Gascon, 2001). En effet, les pères insatisfaits ont reproché au juge de ne pas considérer les expertises présentées ou d’écouter leurs témoins. Or, ce qui se passe, c’est que les juges tranchent au sujet d’un conflit qui n’a pu être résolu, ce qui fait que le juge est perçu comme partial par la partie qui n’a pas gain de cause. Le juge, tout comme les autres intervenants, porte alors l’odieux de la situation et des frustrations qui en découlent. Ces frustrations contribuent, de façon importante, à l’érosion du sentiment de confiance dans les institutions, ce qui fait que les organismes de défense des droits utilisent ces sentiments afin de gérer la crise à leur avantage.

Un autre problème concerne la question de la garde des enfants, question qui est au coeur des revendications des groupes de défense des droits des pères. Au Québec, il y a distinction entre la garde et l’autorité parentale, la première n’étant qu’un aspect du second. Ce qui pose problème dans la tête de bien des individus, c’est la confusion évidente qui entoure les effets idéologiques de l’attribution de la garde à l’un ou l’autre des parents et dans le cas qui nous concerne, à la mère. Cette confusion et les confrontations qui en résultent seraient, selon nous, grandement diminuées, si les pères étaient mieux informés de manière à changer leur perception des rôles parentaux. On peut donc s’interroger sur le rôle d’éducation que peuvent jouer ces organismes de défense de droit et d’aide des pères en rupture d’union. Si comme le postulent ces groupes, la coparentalité est souhaitable socialement, il conviendrait que ces groupes, s’ils veulent vraiment aider les pères, agissent de manière à faire du parent non gardien un coresponsable de l’éducation et des soins de l’enfant et cela nonobstant les conditions atypiques d’exercice de la paternité.

Toutefois, un tel réaménagement du rôle parental peut s’avérer difficile, voire impossible, dans les situations conflictuelles ayant mené à des accusations de violence conjugale. Bien que dans les résultats obtenus, les pères jugent les accusations sans fondement, notre objectif n’est pas d’évaluer qui a raison et qui a tort. Nous cherchons plutôt à saisir, à la lumière du matériel, comment les pères, dans ces situations particulièrement graves, en viennent à considérer qu’il y a une alliance entre le système de justice et leur conjointe. Car cela est un argument récurrent chez les groupes de défense des droits et des pères, dont les membres vont commettre des gestes d’éclat, notamment en montant sur un pont[3]. De plus, nous ne perdons pas de vue que, dans des séparations conflictuelles où les visions opposées de deux partis s’affrontent et que chacun cherche à établir un rapport de force en sa faveur, il est possible que l’appel à des agents de contrôle social se fasse de façon mal intentionnée. Bien que ce ne soit pas une tendance, il faut admettre qu’une telle situation est du domaine du possible, mais reste tout de même au niveau de l’hypothèse faute de données tangibles et d’études sérieuses.

Ainsi, à l’égard des résultats obtenus en ce qui concerne la relation entre les hommes et les acteurs du système de justice (avocats et juges), il nous apparaît que les groupes de défense des droits et d’aide aux pères en rupture d’union peuvent induire positivement ou négativement les résultats de ce test vécu individuellement, par le type d’intervention et de services qu’ils offrent à leurs membres. Cependant, même si les groupes extrémistes de défense des droits des pères ne donnent pas leur accord de confiance aux institutions, cela n’ébranle pas la vision commune du monde qu’a l’ensemble de la société. Ces organismes ne font alors que s’exclure eux-mêmes de l’humanité rationnelle (Luhmann, 2006 : 17). De plus, pour la majorité des pères, cela ne les empêche pas de tirer profit de l’aide de leur avocat afin de contrer l’érosion du sentiment de confiance dans les institutions judiciaires.

Contrer l’érosion du sentiment de confiance : l’exemple des satisfaits

Nous avons remarqué, au travers du discours des pères qui ont apprécié leur expérience avec leur avocat, que l’érosion du sentiment de confiance envers la justice était soit faible ou absente. Rappelons que cette situation correspond à la majorité des pères que nous avons rencontrés. Bien que les raisons sur lesquelles ils s’appuient soient moins explicites que les pères plus critiques, il n’en demeure pas moins que nous pouvons les regrouper en trois catégories selon les éléments invoqués, comme nous le montre le tableau 5.

Tableau 5

Motifs invoqués par les pères qui ont apprécié leur expérience avec leur avocat

Motifs d’appréciation

Rationnel

Concordance entre les demandes et les services offerts par son avocat

Le père reçoit les conseils souhaités (avis juridique, afin de se défendre seul).

L’avocat demande la modification de garde que le père souhaite.

L’avocat dirige le père dans une situation critique où ce dernier ne sait pas quoi faire.

Le père voit qu’il obtient des gains

La stratégie proposée par l’avocat s’avère plus avantageuse.

Le père obtient des avantages quant aux tribunaux (mieux représenté, verdict favorable)

La relation élargie avocat client

L’avocat soutient l’homme psychologiquement.

Le père a l’impression que l’avocat est juste au niveau des honoraires (sentiment de ne pas être surfacturé, référence vers un avocat moins expérimenté)

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D’abord, nous avons pu constater que certains des participants interrogés ont apprécié le travail de leur avocat parce qu’ils ont constaté une concordance entre leurs demandes et les services offerts par l’avocat : conseil, actualisation, orientation.

Dans les cas où les demandes des pères concernent des conseils ou des avis juridiques sur une entente élaborée à l’amiable et dans le cas où ils assument seuls leur défense. Pour d’autres pères, leurs demandes portent sur le statut de garde qu’ils souhaitaient pour leur enfant. Ainsi pour tel ou tel participant, l’avocat accepte de demander une garde partagée même s’il n’était pas convaincu que son client aurait gain de cause. Finalement, certains hommes interrogés nous ont rapporté que leur avocat a su les diriger lors des situations critiques où ils ne savaient que faire et ils s’en sont alors remis à la stratégie proposée par l’avocat.

Dans bon nombre de situations, il existe un écart entre les demandes des pères et ce que l’avocat propose comme solution. Étrangement, ce décalage peut se révéler une expérience positive. En effet, les pères nous ont rapporté que même si leur avocat a agi différemment de ce qu’ils souhaitaient, cela a influencé positivement leur appréciation des services rendus, car ils ont obtenu des gains. Ces gains sont de deux ordres. Premièrement, il est arrivé que la stratégie à long terme proposée par l’avocat se soit avérée plus avantageuse que l’obtention de résultats immédiats. Pour d’autres, les gains obtenus par leur avocat sont davantage liés au fait d’entreprendre des démarches légales en étant soutenus et représentés par un spécialiste. Deuxièmement, l’appréciation positive se situe au niveau de la relation élargie avocat-client, spécifiquement le soutien psychologique et les stratégies pour qu’ils paient moins d’honoraires. Si pour certains cela a été d’être orienté vers un avocat moins expérimenté, pour beaucoup, le sentiment que l’avocat n’allait pas les surfacturer les a amenés à avoir une appréciation positive du travail de ce dernier.

Nous retenons donc que près du 2/3 des pères séparés apprécient positivement leur expérience avec leur avocat et qu’un tiers l’apprécie négativement. Dans les deux cas, il est possible de dégager des motifs d’appréciation précis qui sont liés soit à l’avocat, soit aux gains souhaités par l’homme ou soit au fonctionnement du système légal.

En ce qui concerne les juges, la satisfaction est plutôt mitigée. En effet, bien que certains des pères se soient montrés satisfaits des jugements rendus (n=6), il importe de commenter leur appréciation par les deux éléments suivants. D’abord, pour la moitié de ces pères, ce jugement favorable fut obtenu lors d’une deuxième, voire d’une troisième comparution. Ils ont donc dû faire preuve de détermination et persister dans plusieurs démarches, autant au point de vue juridique que psychosocial. Cette tendance, constatée chez ce petit nombre de sujets, peut nous laisser penser que certains pères doivent « mériter » le droit d’accès ou de garde des enfants. Ensuite, certains pères se sont vu recevoir un jugement favorable, car leur ex-conjointe s’est vu être prise en défaut par le juge.

Nous pouvons également constater, à la lumière des propos des satisfaits, que la question des attentes peut également être considérée comme fil conducteur pour les différents motifs d’appréciation. Pour les hommes rencontrés, le fait que leurs attentes envers le système judiciaire aient été comblées peut être considéré comme un facteur évitant l’érosion du sentiment de confiance. Nous tenons à mentionner que, selon nous, les organismes de défense de droits des pères peuvent également jouer un rôle important au niveau des attentes des pères et influencer, favorablement ou non, le sentiment de confiance que les hommes ont envers les institutions.

Conclusion

La confiance repose sur la quantité d’information dont une personne dispose pour agir avec un succès garanti. Toutefois, un organisme d’aide et de défense peut interpréter le monde de manière sélective, extrapoler l’information qu’il possède, réduire l’extrême complexité du monde à un ensemble de variables qu’il peut contrôler et avec lesquelles il peut s’orienter à des fins idéologiques. C’est de cette façon qu’il acquiert les possibilités structurées pour agir. La réduction peut déboucher sur un accord intersubjectif entre les participants et conduire à des connaissances cautionnées de l’intérieur du groupe et qui pour cette raison sont expérimentées comme vraies, même si elles sont socialement objectivement fausses, par exemple l’idée du complot contre les pères et la victimisation des hommes.

Dans une situation de grande complexité comme la rupture d’union, l’individu cherche des points d’appui objectifs, du moins au sein de sa projection subjective du monde, pour déterminer si la confiance est justifiée ou non. À ce chapitre, les pères en rupture d’union qui vivent une expérience négative dans leurs rapports avec l’institution de la justice deviennent plus méfiants. La confiance est de l’information extrapolée, elle repose sur le fait que celui qui fait confiance est déjà au fait de certaines caractéristiques générales, qu’il est déjà informé, même si ce n’est que superficiellement, de manière incomplète et insuffisante de l’action des institutions. Ici, les pères ont le sentiment que leurs attentes ont été trahies, même si leurs attentes étaient irréalistes, par exemple le désir d’un règlement rapide sans négociation, l’adéquation de la garde avec l’autorité parentale (parce qu’en perdant la garde ils pensent perdre l’autorité) ou la confusion du rôle de l’agent juridique ou le policier.

Le rôle joué par les organismes qui désirent aider les pères est alors central, car ces organismes agissent à titre « d’outil » permettant de traiter avec les institutions. De Gauléjac (1996), parle alors de contre-transfert institutionnel pour décrire l’influence de ces intermédiaires, et plus particulièrement des leaders qui orientent (consciemment ou inconsciemment) à partir des instruments qu’ils offrent (ou non) à leurs membres et qui permettent la maîtrise de la situation (aspects matériels objectifs) et sa normalisation (aspects subjectifs, affectifs, psychologiques).

Lorsqu’un groupe offre des outils adéquats, il renforce éventuellement la confiance dans son potentiel de saisie et de réduction de la complexité de la vie, renforce les états positifs (sentiment, ressenti, etc.) et permet ainsi de vivre et d’agir sainement relativement à une plus grande complexité des évènements. Pour faire référence à une théorie psychologique connue, la confiance renforce la « tolérance » à l’égard de la polysémie, à la complexité du monde. Comme le dit Luhmann (2006 : 16), on a besoin de confiance pour la compréhension d’un avenir dont la complexité demeure plus ou moins indéterminée.

Ainsi, devons-nous constater que, bien que la position de certains membres d’organismes de défense de droits des pères se radicalise, notamment parce que nous avons observé une érosion du sentiment de confiance envers les institutions judiciaires, il n’en demeure pas moins que certains éléments de la trajectoire de demande des pères en rupture d’union peuvent contrer ce phénomène. Il nous apparaît primordial que, dans un premier temps, l’intervention auprès des hommes en rupture d’union tienne compte des besoins des hommes, particulièrement de leurs craintes vis-à-vis de la rupture. Par la suite, l’action des organismes se doit de jouer un rôle de médiateur et de facilitateur entre le père et le système juridique afin que ce dernier reprenne du pouvoir sur sa situation et non sur les individus (conjoints et enfants). Voilà précisément ce que nous retenons de l’expérience des pères en rupture d’union et de notre questionnement sur l’érosion du sentiment de confiance envers la justice.