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Cet ouvrage est une histoire du service social depuis ses origines, en Angleterre, à la fin du XIXe siècle, jusqu’à l’année 2002 au Québec. Cette histoire retrace l’évolution des pratiques du service social, lesquelles sont replacées et commentées par l’auteur dans les contextes sociaux, économiques et politiques qui les ont générées et portées. La profession du service social est ainsi présentée comme étant le produit d’une société, parfois même comme celui d’une culture ou d’une civilisation. Ainsi, même si l’ouvrage se limite globalement au cas du Québec, il fait largement référence à d’autres sociétés. Celles-ci, qu’il s’agisse de l’Angleterre, de la France, du Canada anglophone ou des États-Unis, sont présentées comme ayant produit un type de service social dont les origines et les développements historiques sont fort semblables à ceux du Québec, du moins dans leurs aspects axiologiques. Les pratiques concrètes, cependant, sont analysées en détail pour la société québécoise et font ressortir la spécificité du service social par rapport à cette société et à son histoire. Tout au long de son exposé, en effet, l’auteur décortique les phases par lesquelles sont passées non seulement les pratiques, mais aussi les idées et les idéaux qui ont fait du service social québécois ce qu’il est aujourd’hui devenu.

Le livre contient neuf chapitres dont les trois premiers fixent les habituels préalables à ce genre d’ouvrage. Ce sont ces premiers chapitres qui délimitent l’objet d’étude, déterminent le cadre théorique et, de façon relativement élaborée, retracent ce que l’auteur nomme l’effort social qui, avant le XXe siècle, a mené à la naissance formelle du service social. Le quatrième chapitre, quant à lui, est précisément consacré à cette apparition du service social dans l’histoire du Québec et couvre la période qui s’étend de 1900 à 1939. Chacun des chapitres suivants forme une tranche historique d’environ dix années. L’auteur décrit en détail, commente abondamment et analyse sommairement l’évolution des idées, du contexte et des pratiques qui ont caractérisé le service social de chacune des décennies à l’étude. Les cinq derniers chapitres portent sur les années 1940 à 2002.

Sur le plan de la méthodologie, la démarche consiste en une vaste analyse de contenu portant sur l’évolution des pratiques sociales, principalement au Québec. La recherche documentaire qui alimente cet ouvrage est énorme, et la vision synthétique qui se dégage du livre est impressionnante. Comme peu d’ouvrages, jusqu’ici, ont tenté une telle synthèse et un tel regard historique sur la profession du service social, celui de Robert Mayer doit se limiter à une recherche davantage descriptive qu’analytique. Malgré cela, l’auteur amorce avec beaucoup de pertinence et une prudente rigueur plusieurs hypothèses d’analyse et beaucoup d’essais d'interprétation, en cours de description. Ces amorces d’analyse et d’interprétation s’appuient sur le postulat initial selon lequel le service social est la production historique d’une société qui engendre ses propres problèmes sociaux et qui doit par la suite transiger avec ceux-ci de différentes façons. Le service social est présenté comme étant historiquement l’une des voies donnant accès à l’analyse, à la gestion et à la solution de ces problèmes sociaux. Chacun des chapitres est la présentation détaillée de ce que fut et de ce qu'a fait le service social dans le contexte économique, social et politique d’une décennie donnée de l’histoire du Québec. Globalement, l’ouvrage nous présente une information extensive, détaillée et précise sur la naissance du service social professionnel québécois d’abord, et ensuite sur son enracinement profond dans cette société au cours de sa « révolution tranquille ». L’auteur s’attarde aussi sur les réformes technocratiques des années 70 suivies des crises qui ont marqué la profession et, dans une certaine mesure la société québécoise en entier, ces crises étant encore au rendez-vous de l’histoire dans les années 2000.

Malgré la densité de l’information fournie, le livre de Robert Mayer est relativement facile d’accès. Une écriture scientifique souple en facilite la lecture. Puisque le texte est la plupart du temps descriptif, il n’a pas cette aridité conceptuelle qui rebiffe souvent les lecteurs moins avertis de certains ouvrages plus théoriques. Mais surtout, l’auteur a pris la précaution d’insérer, à la fin de chaque chapitre, d’ingénieux tableaux synoptiques. Ces derniers, tout en faisant le résumé des chapitres, permettent au lecteur de revoir les faits historiques qui ont marqué la décennie étudiée. De plus, ces tableaux permettent de regarder ces faits historiques en parallèle avec une certaine nomenclature des pratiques modélisées les plus populaires auprès des travailleurs sociaux de cette période. Sous cet angle, le livre est un véritable manuel d’enseignement.

On peut donc dire de cette vaste synthèse qu’est le livre de Robert Mayer qu’elle fait tenir ensemble tout à la fois les contextes sociopolitiques, les problèmes sociaux engendrés par ces contextes, les politiques sociales qui en découlent et, dans ce système complexe, les actions des travailleurs sociaux. Il s’agit là d’un travail de géant. Ce livre extrêmement bien documenté ne propose peut-être que très peu d’explications vraiment nouvelles à celui qui, depuis longtemps, surveille l’évolution du service social au Québec ou ailleurs. Par contre, l’ouvrage offre cette vue d’ensemble, cette perspective globale sur lui-même dont le service social avait besoin depuis si longtemps et qu’il n’avait pas su produire jusqu’à aujourd’hui. De là découle l’influence que ce livre ne manquera pas d’avoir. Non seulement servira-t-il magnifiquement l’enseignement de l’histoire du service social aux travailleurs sociaux débutants, mais il sera aussi le manuel de tous ceux et celles qui continuent de s’interroger sur le sens et la profondeur de leurs racines professionnelles.