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L’augmentation des attentes liées à l’engagement des hommes auprès des enfants compte parmi les grands changements qui ont affecté la famille dans les dernières décennies. En effet, le mouvement féministe, dont ont découlé les modifications dans les rôles sexuels et parentaux, de même que la stabilisation des femmes sur le marché du travail ont engendré une présence accrue des pères auprès de leurs enfants (Snarey, 1993). Aussi, le désir des hommes d’établir un lien affectif avec leurs enfants et de maintenir une présence soutenue auprès d’eux est exprimé haut et fort (Lamb, 1999). Même si un écart persiste qui favorise les mères en ce qui a trait au temps investi auprès des enfants (Pleck, 1997), les pères s’occupent aujourd’hui davantage de leurs rejetons et ils en tirent des bienfaits sur le plan personnel. D’ailleurs, les recherches empiriques révèlent que les pères possèdent autant que les mères les compétences nécessaires à la parentalité (Lanoue et Cloutier, 1996; Marsiglio, 1995). La proximité affective du père avec ses enfants ainsi que sa capacité à soutenir ceux-ci financièrement comportent plusieurs bénéfices pour les enfants. Ces derniers ont plus de chances de réussir à l’école, c’est-à-dire qu’ils sont plus compétents sur le plan cognitif que ceux dont le père est absent (Snarey, 1993). Ces enfants présentent davantage de compétences sociales. En particulier, ils sont plus empathiques (Carpentier, 1992). Ils ont également une identité sexuelle mieux définie et sont moins rigides sur le plan des rôles sexuels (Pleck, 1997; Snarey, 1993). Ils sont enfin plus stables psychologiquement, c’est-à-dire qu’ils affichent moins de symptômes dépressifs et manifestent moins de problèmes d’externalisation (Marsiglio, 1995). À l’inverse, l’absence du père ou le faible niveau d’engagement de ce dernier sont associés à des symptômes dépressifs, à des troubles de comportement et à une faible estime de soi chez l’enfant (Phares, 1992).

À partir de ces informations voulant que les enfants gagnent à côtoyer leur père, on peut se demander dans quelles conditions les pères sont le plus susceptibles de s’engager. Autrement dit, quels sont les déterminants de l’engagement paternel? Les chercheurs Turcotte, Dubeau, Bolté et Paquette (2001) ont relevé dans la littérature scientifique un certain nombre de ces facteurs que l’on peut conceptualiser à partir des différents niveaux du modèle écologique (Bronfenbrenner, 1979). D’abord, sur le plan ontosystémique, les caractéristiques du père lui-même affectent son degré d’engagement. S’il attribue une place importante au rôle paternel dans son identité, s’il a le sentiment d’être compétent comme parent, le père tend à s’engager davantage auprès de ses enfants. Sur le plan microsystémique, les caractéristiques de la mère des enfants influent également sur l’engagement des pères. Ainsi, les pères sont plus actifs si la mère croit que la présence du père auprès des enfants est importante, qu’elle fournit à son conjoint un soutien en ce sens et encourage sa participation à l’éducation des enfants. On constate aussi qu’un emploi rémunéré de la conjointe constitue une dimension qui favorise la participation des pères. Les caractéristiques de la relation parentale ont une influence sur l’engagement paternel. Que les parents partagent ou non une relation conjugale ou coparentale, l’harmonie du lien joue un rôle important dans l’engagement paternel. Sur le plan des caractéristiques de l’environnement plus large, sur le plan mésosystémique, on retrouve comme facteurs ayant un impact positif sur l’engagement des pères: le soutien de la famille élargie et des amis ainsi que le soutien du milieu de travail du père. Enfin, un père engagé évolue dans un environnement macrosystémique où l’image médiatique de l’homme prend en compte son rôle de père et où les services éducatifs et sociaux sont favorables à l’engagement paternel.

La dimension des services offerts aux pères est souvent évoquée dans les recherches et les programmes de soutien à l’engagement paternel sont de plus en plus nombreux. Les programmes actuellement recensés sont centrés sur deux déterminants de l’engagement paternel : l’amélioration des connaissances et des habiletés individuelles des pères (Bolté, Devault, St-Denis et Gaudet, 2002; Dubeau, Turcotte et Coutu, 1999). Ils prennent souvent la forme de groupes d’entraide ou de groupes d’éducation semblables à ceux qui sont offerts aux mères. La plupart d’entre eux se déroulent dans le cadre des services sociaux et très peu dans d’autres milieux de vie des pères comme le milieu de travail ou les centres de loisir (Bolté et collab., 2002). Une faible proportion de ces programmes sont systématiquement évalués. Néanmoins, il se dégage des rapports de consultation un consensus quant à la difficulté de recruter les pères et de maintenir leur participation au sein des programmes (Arama, 1996; Bolté et collab., 2002; Dulac, 1997). Comment expliquer ces difficultés sur le plan de la participation ? Les services sont-ils adéquatement planifiés? Les intervenants prennent-ils les bons moyens pour rejoindre les pères? Les pères sont-ils intéressés à obtenir du soutien? La présente étude compare le point de vue des pères et celui des intervenants au sujet des services offerts. Elle fournit également un éclairage sur l’attitude des pères relativement à l’aide de leur entourage.

Objectifs de l’étude

Succinctement, les objectifs poursuivis dans le cadre de cette étude sont les suivants : 1. Évaluer les besoins des pères en matière de services et de soutien social; 2. Évaluer la perception des intervenants quant aux besoins des pères en matière de services.

Méthode utilisée pour la recherche

Échantillon de pères

Le recrutement des pères s’est effectué par l’entremise de six centres de la petite enfance (CPE) de la région de l’Outaouais. Cette méthode comporte l’avantage de contourner le biais souvent associé à des méthodes de recrutement volontaire comme des annonces dans les journaux et sur des affiches[1]. Les critères suivants ont été appliqués afin de constituer un échantillon homogène : 1. Le père est en situation biparentale; 2. Il a au moins un enfant biologique; 3. Il est père d’un enfant ayant entre un et cinq ans; 4. Il occupe un emploi rémunéré. Au total, 15 pères participent à l’étude. Tous ces pères répondent aux critères précédemment mentionnés et ils consentent librement à participer à la recherche. La rencontre avec les participants, d’une durée d’environ une heure et demie, se déroule à leur domicile.

Échantillon d’intervenants

L’échantillon d’intervenants est divisé en deux : des intervenants dont le travail s’adresse directement aux pères et des intervenants qui offrent des services plus largement destinés aux familles. Au moment de la collecte de données, tous les intervenants de la région de l’Outaouais qui offraient un service destiné aux pères ont été sollicités pour participer à l’étude. Cinq types de ressources forment ce sous-échantillon. Celui-ci se compose d’un groupe de défense des droits des pères séparés, d’un service offert aux conjoints violents, d’un groupe de soutien pour pères en CLSC et de deux ressources communautaires (maison de la famille et association de famille monoparentale) qui offrent des activités destinées aux pères. Les caractéristiques spécifiques de ces ressources sont décrites dans un autre article (Devault, 2000). Mais les pères ne sont pas seulement susceptibles de fréquenter les ressources destinées aux pères. Ils peuvent se rendre au CLSC ou dans une maison de la famille, ils peuvent fréquenter un CPE ou un centre de loisirs. Certains pères sont aussi appelés à être en contact avec les centres jeunesse et des organismes communautaires dont la mission vise à soutenir les familles. Puisque nous voulions avoir le point de vue d’intervenants de milieux variés qui oeuvrent auprès de pères dans différents contextes, nous avons procédé à une seconde vague de recrutement auprès d’organismes dont les activités s’adressent aux familles de manière plus globale. Six intervenants composent le second sous-échantillon. Ils viennent d’un CPE, d’un CLSC, d’une maison de la famille, d’un organisme communautaire familial, d’un centre jeunesse et d’un centre de loisirs. Ainsi, un total de 11 personnes (6 femmes et 5 hommes) forment l’échantillon d’intervenants. Ces personnes ont été appelées par téléphone pour établir le moment de l’entrevue semi-structurée d’une durée approximative d’une heure et demie chacune. La rencontre s’est déroulée sur les lieux de l’organisme de rattachement de l’intervenant.

Collecte des données et stratégies d’analyse

Les pères commencent par remplir un questionnaire destiné à recueillir des informations sociodémographiques (âge et sexe de l’enfant, statut marital, degré de scolarité, revenu familial, type et nombre d’heures de travail). L’entrevue, enregistrée sur bande audio, porte sur les besoins en matière de services (soutien semi-formel et formel) et sur les sources de soutien social informel dont le père dispose. Pour mesurer les besoins sur le plan des ressources semi-formelles (c’est-à-dire communautaires) et formelles (c’est-à-dire institutionnelles), on demande d’abord aux pères de répondre à la question suivante : « Quelles ressources parmi les suivantes correspondent à un besoin chez vous en tant que père? ». Cinq types de services leur sont présentés : 1) aide à domicile; 2) séances d’information sur des sujets liés aux enfants ou au rôle parental; 3) groupes d’entraide entre hommes; 4) groupes d’activités pères-enfants ou activités familiales; 5) ligne téléphonique d’information à l’intention des parents. Les pères ont à juger de la pertinence de chaque type d’activité en fonction de leurs besoins et à justifier leur réponse. Dans un deuxième temps, on demande aux pères de tracer le portrait des sources de soutien informel dont ils disposent dans leur entourage. Dans ce dessein, on distingue en premier lieu, avec les pères, les personnes de leur entourage qui au cours de la dernière année ont offert un soutien quelconque qui, selon eux, les a aidés dans leur rôle de parent. Les sources potentielles de soutien sont représentées par la conjointe, la famille ou la belle-famille, les amis et les collègues de travail. Puis on précise les formes d’aide reçues en recourant aux quatre grands types de soutien social proposés par Barrera (1986) : le soutien émotionnel (être écouté, réconforté…), informationnel (recevoir des informations, des conseils), l’accompagnement social (avoir la compagnie de personnes pour faire des activités sociales et de loisir) et l’aide concrète (obtenir un coup de main pour déménager, peindre, garder les enfants…). De leur côté, les onze intervenants ont à se prononcer sur les besoins des pères en matière de service seulement, à l’aide des cinq mêmes types de ressources présentés aux pères.

L’ensemble de ces entrevues est retranscrit systématiquement à partir de l’enregistrement sonore. On procède par analyse de contenu des 15 entrevues avec les pères et des 11 entrevues des intervenants (Bardin, 1996). Ainsi, après la lecture de chaque entrevue, on détermine d’abord les thèmes émergents. À l’aide de l’analyse transversale on peut ensuite vérifier les recoupements de thèmes entre les entrevues. On crée ainsi des catégories de réponses représentatives du contenu de toutes les entrevues. Les résultats de ces analyses servent à procéder à des comparaisons entre les entrevues menées auprès des pères au sujet de leurs besoins et celles qui analysent la perception des intervenants sur le même sujet.

Résultats

La présentation des résultats propose d’abord la description de l’échantillon de pères interviewés à partir des informations socio-démographiques recueillies lors de la collecte des informations. Les résultats mentionnés portent sur les services semi-formels et formels aux familles. On montre tout d’abord la perception des intervenants quant aux services qui répondraient aux besoins des pères. Ensuite, dans un but comparatif, on présente la perception des pères eux-mêmes au sujet des services dont ils auraient besoin pour les soutenir dans leur rôle de parent. Nous examinons enfin le soutien reçu par les pères de la part de leur entourage dans l’exercice de leur rôle.

Les caractéristiques des pères

Le groupe est composé de quinze pères résidant avec au moins un enfant biologique âgé de un à cinq ans. Le tableau I présente l’ensemble des informations sociodémographiques recueillies. Ces données proviennent de 14 pères, l’un des pères ayant omis de fournir ces renseignements.

Tableau I

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon des pères

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon des pères

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On constate, à la lecture de ce tableau, que l’âge moyen des pères est de 32,8 ans. Le plus jeune des pères a 26 ans et le plus âgé, 40 ans. Une forte proportion de pères de l’échantillon présente un niveau élevé de scolarité, c’est-à-dire l’équivalent d’un diplôme universitaire de premier cycle (16,6 années). Tous les pères occupent un emploi à temps complet (35 heures par semaine). La plupart d’entre eux travaillent selon un horaire de jour. Sur le plan du revenu annuel, on constate que tous les pères, sauf un, gagnent plus de 35 000 $ par année. Par ailleurs, les données sociodémographiques montrent que les pères de l’échantillon vivent en couple depuis en moyenne neuf ans et qu’ils ont un ou deux enfants (moyenne=1,5). L’âge moyen des enfants est de 2,7 ans. Le sexe des enfants se répartit assez également dans l’échantillon total (n=21).

Selon les intervenants, quels services devrait-on offrir aux pères?

Rappelons que les intervenants, de même que les pères dans un deuxième temps, doivent examiner cinq types de services et déterminer s’il s’agit d’une forme d’aide adéquate pour une population de pères. Cette section portant sur la perception des intervenants a déjà fait l’objet d’une publication. Le lecteur intéressé consultera l’article de Gaudet et Devault (2001). Nous exposons ici les grandes lignes.

Une aide à domicile

Dans un premier temps, les intervenants doivent dire si, selon eux, l’aide à domicile constitue un besoin pour les pères. Pour la majorité d’entre eux, cette forme de service qui consisterait à recevoir du soutien concret ou informationnel à la maison ne constitue pas une ressource adéquate pour répondre aux besoins des pères. Certains mentionnent que l’aide à la maison constitue une sphère plus « féminine », que les femmes veulent conserver et qui, par ailleurs, n’intéresse pas les hommes. D’autres intervenants, en particulier ceux qui travaillent auprès de pères séparés, pensent que ce soutien serait souhaitable dans la mesure où certains hommes qui ne l’ont pas fait avant leur divorce doivent faire l’apprentissage d’assumer entièrement les tâches liées à l’entretien de la maison.

Des séances d’information

La majorité des intervenants croient que des séances d’information qui porteraient par exemple sur le développement des enfants ou sur le rôle du père sont un bon moyen de donner aux pères des renseignements sur divers aspects du rôle parental. Bien que certains doutent du fait qu’une telle approche puisse intéresser tous les pères, ils jugent qu’un besoin important est à combler à cet égard chez ces derniers.

Des groupes d’entraide

Tous les intervenants interrogés, sans exception, affirment que la mise sur pied de groupes d’entraide pour les pères est pertinente. Tout en croyant aux bénéfices de cette forme d’intervention auprès des pères, certains intervenants précisent qu’il est important de laisser aux pères la liberté de décider des thèmes abordés lors des rencontres ou de mettre en place des activités susceptibles d’intéresser les pères, par exemple des activités de sports ou de loisirs.

Des lignes d’écoute

Des services téléphoniques d’écoute et de soutien visant à donner des informations, des conseils ou du soutien émotionnel sont jugés pertinents par les intervenants pour une clientèle de pères. Le caractère confidentiel de ce type de service est considéré comme un avantage. Les intervenants précisent également qu’il s’agit d’une forme de ressource qui a le potentiel de diminuer le sentiment d’isolement vécu par certains pères.

Des activités pères-enfants

Tous les intervenants, qu’ils fournissent ou non des services spécifiquement destinés aux pères, s’accordent pour affirmer que les activités pères-enfants correspondent à un besoin que les intervenants devraient être en mesure de combler. La plupart d’entre eux précisent que, dans ce contexte, il est important d’adopter une orientation ludique, axée sur la pratique d’une activité sportive. Certains intervenants émettent néanmoins certaines réserves quant à la capacité de ce type d’activité de favoriser chez les pères une réflexion en profondeur sur le rôle de parent ou sur les moyens à prendre pour augmenter le bien-être de son enfant.

En résumé, les intervenants croient que le fait de recevoir de l’aide à domicile ne représente pas un besoin chez la plupart des pères. Par contre, ils perçoivent les séances d’information et les groupes d’entraide comme étant des ressources correspondant aux besoins des pères et dont ils devraient pouvoir bénéficier. Les lignes téléphoniques d’écoute constituent, du point de vue des intervenants, un moyen efficace et adapté à la population des pères. Enfin, tous les professionnels rencontrés préconisent la mise sur pied d’activités pères-enfants.

Le point de vue des pères sur les services répondant à leurs besoins

Les mêmes catégories de services sont explorées avec les pères. On demande à ces derniers si l’une ou l’autre des cinq ressources proposées les soutiendrait adéquatement dans leur rôle de parent. Nous présentons les résultats en fonction de la proportion de répondants qui se disent favorables ou non à chacune des ressources. Le lecteur doit cependant garder en mémoire que le nombre de participants à l’étude est limité (n=15) et que ces chiffres ne sont présentés qu’en tant qu’indicateurs de la tendance observée chez ce groupe de pères. Pour illustrer les résultats, on reproduit certains témoignages de pères recueillis en cours d’entrevue.

Une aide à domicile

En ce qui a trait à une aide à domicile, neuf pères sur quinze (60 %) rapportent ne pas ressentir de besoin par rapport à ce type de service. Presque tous les autres pères de l’échantillon (n=6) précisent que l’aide à domicile qu’ils souhaiteraient recevoir devrait prendre la forme de gardiennage.

Des séances d’information

Quand on demande aux pères s’ils assisteraient à des séances d’information sur des sujets liés au bien-être des enfants ou à leur rôle parental, encore une fois une assez forte majorité de pères indiquent ne pas ressentir ce besoin. Soixante-sept pour cent des pères (10 pères sur 15) ne perçoivent pas l’utilité de cette ressource. Certaines justifications fournies pour refuser la participation à des séances d’information révèlent une certaine connotation négative associée à ce type de ressource : « Ce serait bon, mais je ne suis pas ce genre de personne, j’apprends en agissant. »

Même les cinq pères qui se prononcent en faveur de ce type d’activité émettent certaines réserves, en grande partie à cause du manque de temps disponible pour y participer. Plusieurs pères, comme en témoigne le commentaire suivant, trouvent ailleurs, en particulier chez leur conjointe, des manières de combler leur besoin d’informations : « Je participerais si c’était au sujet des enfants de l’âge de mon enfant. Mais ma blonde a des livres, elle les lit et me dit ce qui se passe [chez les enfants de cet âge]. »

Des groupes d’entraide

Le type de ressource à l’égard duquel les pères de notre échantillon sont le plus réticents est le groupe d’entraide pour hommes. Une très forte proportion de 12 pères sur un total de 15 (80 %) affirment résolument ne pas avoir besoin de faire partie d’un groupe d’entraide. Pour une bonne part d’entre eux, une activité de cette nature est franchement mise de côté, en plus d’être jugée très négativement : « Parler avec un paquet de personnes, non, je n’en sens pas le besoin » ou « Non, je n’ai pas de problème de violence (rires). Franchement, je trouve que c’est du mémérage. » Tout en affirmant ne pas vouloir participer à un groupe d’entraide, certains pères ont des propos moins radicaux : « Non, peut-être qu’un jour j’en aurai besoin, mais pas pour le moment. » Chose certaine, les groupes d’entraide sont perçus comme adéquats pour des personnes qui vivent des difficultés spécifiques. En ce sens, il est intéressant de noter que même les pères qui affirment que les groupes d’entraide représentent un besoin pour eux disent qu’ils y auraient recours s’ils avaient besoin d’aide ou si leur conjointe les accompagnait. Bref, selon la perception de tous les participants, les groupes d’entraide ne représentent pas une ressource de soutien pour les pères de la population en général. Ils existent pour ceux qui éprouvent des difficultés spécifiques.

Des lignes d’écoute

Contrairement aux trois premiers types de ressources, majoritairement rejetés par les pères, un service téléphonique de soutien au rôle parental reçoit l’approbation de plusieurs. De fait, neuf pères (60 %) affirment que cette ressource répondrait à un besoin et qu’ils l’utiliseraient si elle existait dans leur région. La plupart des pères qui aiment l’idée de ce service disent qu’ils croient à la pertinence de cette ressource, puisque les services téléphoniques existants sont surtout axés sur la réponse aux besoins de l’enfant sur le plan de la santé physique (c’est-à-dire la « ligne info-santé » des CLSC), mais qu’aucune ressource téléphonique locale n’offre de soutien pour des questions liées au bien-être psychologique des enfants ou des adultes à titre de parents.

Les participants qui n’éprouvent pas le besoin d’utiliser un service téléphonique de soutien au rôle parental (n=6) affirment disposer de l’appui nécessaire dans leur environnement actuel, encore une fois en faisant référence à leur conjointe : « Non, ma conjointe est dans le domaine, elle a presque toutes les réponses, puis sa mère est infirmière, alors… » D’autres encore avouent ne pas vouloir demander d’aide pour des questions relatives à l’éducation des enfants : « Non, je ne suis pas quelqu’un qui va demander de l’aide. Ma conjointe, plus que moi. J’ai assez confiance en nos capacités comme parents. Je ne sais pas tout, mais j’aime mieux essayer par moi-même. »

Des activités pères-enfants

Les activités pères-enfants sont également assez populaires auprès des pères. Soixante pour cent d’entre eux (n=9) affirment que ce genre d’activités répondrait à leurs besoins en tant que parents. Cependant, des activités auxquelles participeraient seulement les pères accompagnés de leurs enfants n’apparaissent pertinentes que pour un seul père de l’échantillon. Les autres pères précisent à répétition que des activités familiales seraient plus pertinentes que des activités strictement pères-enfants : « En famille, oui, mais je ne vois pas pourquoi les femmes seraient exclues »; « Oui, pour des activités familiales, comme du sport ou des activités sociales. » Dans ce cadre, les pères privilégient nettement les activités familiales sous forme de sports ou de loisirs (p. ex. du patinage, du vélo, des pique-niques en famille).

Ces résultats suggèrent que, de façon globale, très peu de pères affirment avoir besoin de soutien de la part des organismes associés au réseau de la santé et des services sociaux ou aux ressources communautaires. La plupart des services proposés aux pères sont évalués comme ne répondant pas à un besoin chez eux. On constate que les types de ressources rejetées par les pères s’apparentent au type de soutien le plus souvent offert aux mères dans le contexte des services sociaux et communautaires, c’est-à-dire des séances d’information et des groupes d’entraide. D’ailleurs, il est intéressant de noter que, sur le plan des informations au sujet du développement de l’enfant ou du rôle parental, plusieurs pères évoquent le fait qu’ils n’ont pas à participer à ce type d’activité, car leur conjointe leur fournit déjà les informations nécessaires. Par ailleurs, la participation à des séances d’information, mais surtout à des groupes d’entraide, est évaluée assez négativement par plusieurs. Elle est associée au fait d’avoir des problèmes et, par le fait même, d’afficher une certaine vulnérabilité. Parmi les ressources préférées par les pères, on trouve un service de ligne de référence téléphonique et des activités familiales. On observe chez les pères une forte tendance à compter sur leur conjointe pour obtenir des informations et du soutien. Aussi les pères disent-ils vouloir inclure la conjointe dans les activités pères-enfants. Ils ne ressentent pas le besoin de se retrouver exclusivement entre pères. Ils précisent enfin que leur préférence va nettement à des types d’activités de sports et de loisirs.

Les intervenants et les pères ont-ils la même perception de ce qui est bon pour ces derniers?

Le tableau II résume en termes simples la comparaison des perceptions des intervenants avec celles des pères pour chacun des types de ressources proposés.

Tableau II

Perception des intervenants et des pères quant aux types de ressources qui répondent à un besoin chez les pères

Perception des intervenants et des pères quant aux types de ressources qui répondent à un besoin chez les pères

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On voit d’abord dans ce tableau que les intervenants perçoivent que les pères ont besoin de services dans une plus grande mesure que les pères eux-mêmes ne le perçoivent. Ils relèvent quatre formes de soutien, alors que les pères en nomment deux. Quant à la nature des ressources prônées pour soutenir les pères, on constate que les opinions des intervenants et des pères sont semblables pour trois des cinq ressources présentées. Ainsi, les deux groupes s’entendent pour dire que l’aide à domicile n’est pas une forme de soutien qui convient aux pères. La majorité des participants des deux groupes affirment que les seuls cas où ce soutien pourrait être utile serait en réponse à un besoin de gardiennage (selon les pères) ou de travaux ménagers (selon les intervenants).

En ce qui a trait aux séances d’information, la plupart des intervenants croient qu’il s’agirait d’une forme intéressante de soutien au rôle paternel. Au contraire, les pères, en majorité, se disent fort peu intéressés par ce genre de ressource. Certains pères qui soulignent la pertinence d’une telle ressource se disent dans l’impossibilité d’y participer, faute de temps. Une grande proportion des pères semblent résolument privilégier la mère de leurs enfants comme source d’information.

Par ailleurs, tous les intervenants croient à la pertinence des groupes d’entraide pour les pères. À l’opposé, presque tous les pères rejettent ce type de services, parce qu’il s’agit selon eux d’une forme de soutien qui s’adresse à des personnes vivant une forme de détresse. Si l’on décèle une certaine forme de mépris pour ce type de services dans le discours de plusieurs pères, on constate que d’autres en voient l’utilité et affirment qu’un jour ils devront peut-être y recourir s’ils se retrouvent dans le besoin.

Les intervenants et les pères ont des opinions semblables quant aux lignes d’écoute. Ils croient que ce type de soutien qui brise l’isolement tout en préservant l’anonymat constitue une ressource adéquate pour la population des pères.

Enfin, les deux groupes s’accordent également au sujet de la pertinence des activités pères-enfants ou familiales. En fait, les intervenants mettent l’accent sur le fait qu’il doit s’agir d’activités sportives pratiquées par les pères et leurs enfants, alors que les pères eux-mêmes insistent sur le caractère familial de ces activités, qui ne doivent pas concerner exclusivement le père et les enfants. Les pères rencontrés dans le cadre de cette étude ne semblent pas ressentir le besoin de se regrouper exclusivement entre hommes ou de partager avec d’autres pères des activités avec leurs enfants.

On peut affirmer que, globalement, les intervenants rencontrés dans le cadre de cette étude savent reconnaître les besoins des pères pour des ressources moins usuelles dans le contexte des services psychosociaux, comme l’aide à domicile, les lignes d’écoute et les activités sportives et de loisirs. En ce qui concerne les activités plus fréquemment mises en oeuvre dans le contexte institutionnel et communautaire, comme les séances d’information et les groupes d’entraide, les intervenants jugent que les pères en ont besoin, alors que les pères réagissent assez fortement contre ce type de ressources, jugeant qu’elles existent pour combler les besoins de personnes qui éprouvent des difficultés sérieuses. Ces informations laissent croire que les pères ne veulent pas être associés à des personnes qui ont des problèmes. L’analyse de contenu des entrevues menées avec les intervenants confirme que ces derniers sont conscients de l’importance de mettre l’accent sur la compétence et sur les forces des pères dans un contexte d’intervention. Néanmoins, il se dégage de cette même analyse que les intervenants sous-entendent également qu’il faut montrer aux pères comment établir une bonne relation avec leurs enfants. Voilà probablement pourquoi les intervenants prônent les séances d’information et les groupes d’entraide, souvent axés sur le transfert de connaissances et d’habiletés. On constate ainsi un paradoxe chez les intervenants. Selon leur conception, l’intervention auprès des pères doit simultanément mettre l’accent sur les forces des pères et orienter ceux-ci vers les bons comportements à adopter avec les enfants, approche qui relève davantage d’une orientation didactique (Gaudet et Devault, 2001). Le discours des pères au sujet des ressources de soutien reflète assez bien le fait qu’ils estiment ne pas avoir besoin de se faire dicter leur comportement ni même de se faire donner des informations au sujet du rôle de père, en tout cas par les intervenants. Ils misent davantage sur des ressources informelles comme leur partenaire de vie ou sur des ressources ponctuelles comme une ligne téléphonique. Ils préfèrent des activités ludiques comme le sport et les loisirs.

Les pères éprouvent peu le besoin de consulter des ressources formelles (services sociaux) ou semi-formelles (organismes communautaires). Nous observons déjà certains indices indiquant que les pères semblent trouver dans leur réseau informel le soutien nécessaire. La prochaine section décrit les sources de soutien présentes dans la vie des pères, de même que les types d’aide dont ces derniers bénéficient.

Les pères trouvent-ils dans leur environnement social informel de quoi combler leurs besoins ?

Rappelons que dans cette partie de la collecte des données on demandait aux pères de nommer les personnes de leur entourage qui leur fournissent de l’aide et de préciser de quel type de soutien ils bénéficient. On examine d’abord avec le père quatre sources potentielles de soutien : la conjointe, la famille ou la belle-famille, les amis et les collègues de travail. Puis on demande de spécifier les types de soutien fournis par ces personnes à partir de quatre catégories : le soutien émotionnel, le soutien informationnel, l’accompagnement social et l’aide concrète.

Tableau III

Nombre de pères qui mentionnent chaque source et chaque type de soutien (n=15)

Nombre de pères qui mentionnent chaque source et chaque type de soutien (n=15)

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Comme on l’a pressenti dans les résultats sur les ressources semi-formelles et formelles, globalement, les pères mentionnent en priorité leur conjointe comme la source de soutien la plus présente dans leur environnement, suivie par la famille, les amis et les collègues de travail. Les types d’aide les plus souvent reçus selon la perception des pères est l’aide émotionnelle et l’information, suivies d’assez près par l’aide concrète. Nous allons examiner plus en détail les types d’aide reçus selon la source de soutien.

Soutien de la conjointe

L’aide en provenance de la conjointe est fréquente et semble revêtir une grande importance pour les pères. La conjointe offre le plus souvent une aide émotionnelle, c’est-à-dire une écoute, des encouragements. Les pères s’y réfèrent beaucoup aussi pour obtenir des informations en tout genre en ce qui a trait au bien-être et à l’éducation des enfants. Peu de pères mentionnent les mères comme source d’aide concrète, fort probablement parce qu’ils tiennent pour acquis que ce que fait la conjointe ne constitue pas une forme d’aide, mais est du ressort de ses tâches quotidiennes. Ce qui frappe dans les témoignages d’une majorité de pères au sujet du soutien apporté par les mères est le caractère de sanction à l’égard des comportements du père, comme l’illustrent ces propos : « Quand je fais quelque chose de nouveau avec (l’enfant), elle me laisse faire et elle me dit toujours : "ce que t’as fait, j’ai aimé ça, c’était bon" » ou « Quand il (l’enfant) est couché, on va s’asseoir et on va jaser. Avant la game de hockey ou entre deux périodes, des fois, on va jaser de ce qu’il a fait, pis elle va me dire : "écoute, tu le laisses pleurer, tu fais ci, tu fais ça, faut que tu fasses attention". »

On voit que la perception de l’expertise des mères dans le domaine de l’éducation des enfants est très présente. En d’autres mots, « docteur maman » n’est jamais bien loin : celle qui sait quoi faire, qui donne des conseils, qui, selon les dires des participants, « remet en question » les comportements du père, « donne une appréciation critique », dit de « faire attention », invite à la prudence (« elle a juste cinq ans ») et, en somme, se prononce sur les bonnes manières d’agir comme père. Il importe de noter que les propos des pères qui mentionnent ces attitudes des mères sont très rarement acerbes ou critiques devant cette façon de faire. Au contraire, les pères semblent accepter d’emblée, même avec bonhomie, que les mères possèdent le savoir et qu’elles peuvent donc leur dicter les comportements les plus adéquats avec les enfants.

Soutien de la famille

Environ la moitié des pères indiquent que leur famille habite dans une région éloignée, ce qui limite le soutien potentiel en provenance de cette source d’aide. Tout de même, 43 % des pères rapportent une forme d’aide ou une autre fournie par la famille ou la belle-famille. La catégorie pour laquelle la famille est mentionnée par un plus grand nombre de pères est l’aide concrète, suivie du soutien émotionnel et de l’information. La belle-famille du père, en particulier la belle-mère, est très présente, surtout pour apporter une aide concrète qui prend le plus souvent la forme de gardiennage. Les réactions de la famille à l’égard des pères qui s’occupent des enfants valent d’être signalées. Elles reflètent parfois la surprise, à d’autres moments elles suscitent des encouragements et parfois elles engendrent des conflits : « Les gens (dans la famille) ne sont pas en train de me dire : c’est pas de même. Ils me laissent faire, ils m’encouragent, ils me disent, moi j’ai essayé ça, regarde si ça peut fonctionner avec ton petit » ou « L’autre jour j’ai réprimandé [l’enfant] devant mes beaux-parents et ma belle-maman a dit : "non, c’est correct, c’est correct". Ça a fait des petites flammèches entre ma belle-mère et moi. » Certains propos témoignent des changements survenus dans les rôles parentaux et sexuels :

Mon père et ma mère ont une relation bien différente de celle que j’ai avec ma conjointe. Des fois, quand ma conjointe est partie magasiner, j’arrive chez mon père avec le sac à couches, le lunch, tout le kit. Mon père, ça le « chatouille ». Ma grand-mère, la première fois que j’allais chez eux, était toute surprise qu’un homme pouvait changer les couches, mon grand-père l’a jamais fait. Il y a personne qui chiale, mais il y a pas de soutien non plus.

Soutien des amis

Environ le tiers des pères (32 %) mentionnent les amis comme source de soutien. Il s’agit d’une proportion somme toute assez faible, compte tenu surtout du fait que la famille est éloignée pour une grande proportion des pères. Lorsqu’ils sont mentionnés, les amis constituent une source de soutien émotionnel (pour 6 pères sur 15) et d’accompagnement social (dans une même proportion). Les pères sont fort peu nombreux à citer leurs amis comme source d’information (n=3) ou d’aide concrète (n=4). On mentionne que les amis présents dans l’entourage des pères ont eux aussi des enfants et comprennent les contraintes associées à cette situation. Pour certains pères, l’opinion d’un ami apporte un autre point de vue que celui de la conjointe. Les pères qui disent recevoir de l’aide de leurs amis en semblent très satisfaits : « Les amis qui ont des enfants, c’est parfait. On se comprend. Ils comprennent qu’il faut "checker" avec la conjointe avant de faire des plans, pas parce qu’elle est le boss, mais parce que, si je pars pour une fin de semaine, elle va être toute seule avec la petite… »

Je parle à mon voisin d’en bas. Lui aussi, il a une petite de deux ans, pis des fois on parle. C’est rare que je parle de ça à mes chums, mais ça arrive. Je vais dire : je suis à bout, je sais plus quoi faire. Mais on se console vite, pis après ça, on change de sujet. On parle de nos sentiments 3 minutes, pis après on va parler de la «  game » de hockey d’hier. C’est vite fait, mais on se comprend.

Mon chum avec qui je travaille, oui. En jasant. Souvent on passe des fois 2-3 heures sans avoir de clients, fait qu’on jase. C’est avec lui que je m’ouvre le plus là-dessus (les enfants). Je le laisse pleurer plus que ma blonde. Elle trouve que je le laisse trop pleurer. Je vais en parler avec mon chum, il va dire : c’est pas grave, il faut que tu le laisses pleurer.

Soutien des collègues de travail

Seulement 10 % des pères disent recevoir du soutien des compagnons de travail. Le milieu de travail peut être occasionnellement un lieu de discussion au sujet des enfants, mais les pères insistent pour dire qu’on parle d’enfants d’une manière plutôt superficielle. D’autres pères précisent qu’ils trouvent plutôt inapproprié de demander de l’aide dans le contexte du travail, en particulier lorsqu’ils occupent une position de commande :

On ne parle pas trop des enfants, mais c’est plus à cause de ma nature. Je vais au travail, je vais au travail. Mais au niveau des valeurs, la famille arrive en premier.

ou

J’ai jamais demandé de support à mes collègues. C’est un peu dur, parce que je suis le directeur adjoint, leur patron. Je ne peux pas leur montrer de vulnérabilité ou demander de l’aide. Faut pas trop que je montre mon côté personnel au bureau pour garder l’autorité. On parle de nos enfants, mais il y a une limite. Je ne leur demanderais pas d’aide.

D’autres pères jugent qu’il est aidant d’avoir la possibilité de prendre des arrangements concrets, en particulier en ce qui regarde les horaires de travail, ou d’obtenir une journée de congé si un enfant est malade : « J’ai changé mon horaire pour aller chercher ma fille et c’est jamais remis en question parce que la majorité ont des enfants. »

Les autres sources de soutien mentionnées par les pères sont les professionnels de la santé, en particulier les médecins et surtout les pédiatres. Les pères disent recueillir certaines informations dans les livres de référence sur le développement de l’enfant ou dans des émissions de télévision sur le rôle de parent. Enfin, la gardienne ou l’éducatrice de garderie est également citée comme source de soutien.

Discussion

La discussion établit en premier lieu certaines limites inhérentes à la présente étude. Au regard des services de soutien aux pères, on se penche sur l’adéquation entre les besoins exprimés par ces derniers et l’opinion des intervenants au sujet des services semi-formels et formels à offrir aux pères. Ensuite, nous examinons les conditions qui favoriseraient une plus grande volonté des pères d’obtenir un soutien de la part du réseau des services sociaux. Cette recherche porte en effet à réfléchir sur l’organisation des services aux familles et sur la mesure dans laquelle les pères sont sollicités par ces services.

Les résultats issus de cette étude doivent d’abord être nuancés à cause de ses limites. Le faible nombre de participants ne nous permet pas d’être assurés de la saturation des données. Qui plus est, malgré nos efforts pour recruter un échantillon dans des quartiers variés sur le plan socioéconomique, l’échantillon final n’est pas représentatif de la population générale. Il est nettement plus scolarisé et mieux nanti. Les pères ne sont pas représentatifs non plus de la clientèle de plusieurs intervenants interrogés. En ce sens, on ne peut conclure que les services actuels sont inadéquats, puisque les participants à la recherche ne reflètent peut-être pas le profil de la clientèle des intervenants qui forment l’échantillon de cette étude. Néanmoins, cette information n’invalide en rien les résultats de cette recherche. Les intervenants ont été recrutés dans des secteurs variés de services aux familles (CLSC, centre de loisirs, centre de la petite enfance, maisons de la famille…). Ils sont donc susceptibles d’être en contact avec des pères dans une variété de situations. De plus, plusieurs d’entre eux ont le mandat de mettre en place des services de prévention et de promotion pour toute la population. En ce sens, il est intéressant en soi de recueillir le point de vue des intervenants sur l’intervention auprès des pères, puisqu’on l’a peu fait jusqu’à maintenant. Enfin, loin de nous l’idée que les pères présentent un profil unique et qu’il existe une seule manière de les aider. Chaque intervenant interrogé dans le cadre de cette recherche a affaire à des pères qui vivent des situations particulières et pour qui il faut adapter les modes d’intervention. Ainsi, il n’existe pas une seule façon de soutenir les pères, pas plus qu’il n’existe une façon unique de soutenir les mères. Cependant, à cause de la socialisation des pères et de leur manière d’être des parents, les modes d’intervention doivent différer de l’approche utilisée auprès des mères, en tout cas pour une bonne partie des pères.

En ce qui a trait au soutien fourni par les services psychosociaux, nos résultats montrent que très peu de pères estiment avoir besoin d’y avoir recours. Parmi les services proposés, seul un service d’intervention téléphonique et la mise sur pied d’activités familiales de type sportif semblent convenir aux pères. Ces derniers manifestent une grande réticence à participer à des séances d’information ou à des groupes d’entraide, même s’ils ont de très jeunes enfants. Ces résultats contrastent avec l’opinion des intervenants, qui tous prônent la participation des pères à ces activités. En effet, à l’instar des études d’Arama (1997), de Bolté et ses collègues (2002) et de Dubeau et ses collaborateurs (1999), nos résultats confirment que les intervenants misent en priorité sur l’augmentation des connaissances et des habiletés des pères dans leur intervention auprès de cette clientèle. Ces résultats soulèvent deux questions d’importance, intimement interreliées : celle qui examine ce que veulent les hommes en matière de soutien et celle plutôt associée à ce que les intervenants croient être bénéfique pour les hommes.

Du côté du soutien souhaité par les hommes dans leur rôle parental, nous ne sommes pas les premières chercheures à constater que plusieurs pères, voire les hommes en général, montrent peu d’intérêt à participer à des groupes où l’on discute de ses problèmes personnels, de ses doutes et où l’on partage ses questionnements (Archambault, 1999; Bolté et collab., 2002; Forget, 1997). Peut-être que ce type d’activité qui appelle une interaction davantage axée sur l’expression des sentiments et sur la révélation de soi, attitudes plus souvent associées au rôle traditionnellement féminin, crée un malaise chez les hommes. Les hommes rejetteraient ces services non pas à cause du contenu, puisqu’ils admettent avoir besoin de l’information que leur fournit leur conjointe, mais à cause du mode d’intervention proposé. À ce titre, une recension canadienne des programmes d’intervention auprès des pères révèle que l’un des facteurs les plus souvent associés au succès d’une intervention est la mise sur pied d’activités orientées vers une action concrète, comme la construction d’une cabane pour les oiseaux ou l’organisation d’un match de hockey ou d’une partie de pêche avec les enfants. Ce type d’activités ludiques donne lieu à de réelles interventions « spontanées » et ponctuelles au sujet de l’éducation des enfants, de leur développement ou du rôle paternel (Bolté, Devault, St-Denis et Gaudet, 2002). Comme l’ont noté certains intervenants, le mode d’apprentissage des pères serait différent de celui des mères. Ces considérations ne sont d’ailleurs pas très éloignées des constatations que l’on fait dans le milieu scolaire au sujet des garçons qui apprennent dans l’action plutôt qu’en restant passivement assis sur une chaise de classe (Deslandes et Cloutier, 2000).

Du côté de l’attitude des intervenants envers les pères, Dulac (2001) suggère que le problème de la participation des hommes aux mécanismes d’aide instaurés par les services sociaux ne relève pas seulement des hommes eux-mêmes, mais qu’il est lié aux attentes des intervenants quant aux comportements des prestataires de ces services. Il existerait « une corrélation positive entre les représentations négatives des intervenants de la santé et la non-utilisation des services sociaux par les hommes » (Larose, 2000, dans Dulac, 2001, p. 62). Il faut dire que les hommes que côtoient les intervenants ont plus de chance d’être ceux qui sont en situation de crise (suicidaire, de rupture conjugale) ou qui sont dirigés pour de l’aide par le système judiciaire (par exemple pour un problème de violence conjugale). Ces situations peuvent engendrer des comportements auxquels les intervenants sociaux, en fait le plus souvent des intervenantes, n’ont pas l’habitude de répondre. Connaissant mieux les manières de réagir des femmes, les intervenantes n’ont peut-être pas autant d’aisance à intervenir auprès d’hommes en crise (Dulac, 2001). Mais cette logique va plus loin qu’une expression différente de la douleur ou de la frustration avec laquelle les intervenantes auraient de la difficulté. Il s’agit simplement d’une manière de penser les services et d’offrir du soutien. Non seulement les activités devraient se faire sur un mode différent, plus actif, mais elles devraient se centrer sur les forces des pères. Or, la croyance en l’expertise des mères dans l’éducation des enfants n’est peut-être pas l’apanage des pères eux-mêmes. Les intervenantes, une majorité de femmes, croient peut-être elles aussi que ce sont les mères qui ont le monopole de la connaissance dans le domaine. Il est alors logique de vouloir soutenir les pères à l’aide d’une approche didactique.

Il y a lieu de penser que l’on doit transformer l’offre de service du réseau de la santé et des services sociaux de manière à répondre adéquatement aux besoins des hommes et des pères et à leur manière d’accepter de l’aide. Une première avenue à explorer consiste tout simplement à sensibiliser les intervenants à l’importance de la présence des pères auprès des enfants et de leur contribution à leur bien-être (Dubeau et collab., 1999). Une autre avenue, confirmée par cette étude, est d’instaurer d’autres modes de soutien plus ponctuels, par exemple une ligne téléphonique ou même un site Internet, facile d’accès, qui offrirait un soutien spécifique, précis et anonyme. Il semble que la volonté des pères de participer à des activités dans lesquelles « on bouge » va demander quelques ajustements aux intervenants. Les intervenants interviewés dans cette étude se montrent d’ailleurs tout à fait conscients de ce besoin. Les interventions de type psychothérapie de groupe devront parfois se transformer en randonnées de plein air! Enfin, le problème de la participation des pères dans les services n’est probablement pas étranger à la manière de recruter les pères actuellement. Selon des spécialistes de l’intervention auprès des pères, le recrutement de cette clientèle exige des efforts particuliers qui demandent qu’on sorte de son bureau et qu’on aille à la rencontre des pères dans leur milieu de vie (le centre de loisirs, le café du coin, le parc, voire le milieu de travail) (Bolté et collab., 2002).

Cette recherche confirme également que les conjointes sont un élément déterminant dans l’engagement paternel (Turcotte et collab., 2001), ici par l’importance qu’accordent les pères à leur soutien. Les pères dépendent beaucoup de leur conjointe pour recevoir un soutien émotionnel et informationnel lié à leur rôle de père. D’autres études confirment l’importance de la conjointe comme source de soutien dans l’environnement social des hommes (voir Devault et Bouchard, 1996). Nous sommes portées à penser que les pères, malgré leur niveau de scolarité et leur revenu élevés, croient fermement en l’expertise des mères dans le domaine de l’éducation et du développement des enfants. Le jeune âge des enfants de notre échantillon renforce probablement cette perception. Même si cet état de fait ne semble pas embêter les pères outre mesure, il reste qu’il les empêche peut-être de faire confiance à leur propre manière d’interagir avec leurs enfants et de prendre conscience de leurs propres forces dans ce rôle. Si les pères bénéficient de services adaptés à leurs besoins et à leurs façons de faire, ils disposeront d’un plus large éventail de possibilités pour être soutenus dans leur rôle et seront moins dépourvus si le soutien de la conjointe vient à faire défaut. Aussi, avec la vie active que mènent un nombre imposant de familles qui doivent concilier travail et vie familiale, une plus grande confiance des pères en leurs propres capacités et des services adaptés allégeront non seulement le fardeau actuellement porté par les mères, mais contribueront à la naissance de « docteur papa »!