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Depuis quelques décennies, on assiste à une transformation rapide des configurations familiales. Les changements sociaux et normatifs qui ont ponctué l’histoire récente de l’institution familiale ont favorisé l’émergence de modèles familiaux inédits, bouleversant au passage nos représentations des réseaux de parenté et des rôles parentaux. La proportion de familles biparentales dites « intactes » poursuit sa descente, se chiffrant à près de 60 % au Québec, ce qui représente un creux historique (Castagner-Giroux, Le Bourdais et Pacaut, 2016). On assiste aussi à une diversification des formes d’union, avec un déclin du mariage et une hausse de l’union libre et des unions non cohabitantes. L’avènement de la fécondation in vitro au tournant des années 1980 a quant à elle permis l’émergence de nouvelles pratiques de reproduction assistée pouvant pallier l’infertilité, telles que le don d’ovules et la gestation pour autrui (Lavoie, 2019). L’adoption internationale, qui a atteint un sommet dans les années 1990 et au début des années 2000, a contribué à la remise en question de la filiation par le sang comme seule filiation légitime (Cuthbert, Spark et Murphy, 2010). Enfin, deux femmes ou deux hommes peuvent être reconnus légalement comme parents au Québec depuis 2002, de sorte qu’un nombre croissant d’enfants grandissent au sein de familles homoparentales (Côté et Lavoie, 2018 ; Leckey, 2014). Ainsi, cette trame historique est parsemée de différents jalons qui, chacun à leur manière, tracent un fil d’enchaînements menant aux pluriparentalités contemporaines (Martial, 2019).

« Faire famille » à l’aube du 21e siècle se conjugue désormais au pluriel : recomposition familiale, adoption, placement familial, procréation assistée, polyamour et famille choisie sont autant de modalités permettant de concrétiser le désir d’enfant ou de tisser une trame relationnelle entre les personnes concernées. Cette diversité familiale s’observe tant dans la structure de la famille, sa composition et ses frontières, que dans la qualité des liens de solidarité qui unissent ses membres. Elle met aussi en lumière les réaménagements du cycle de vie familiale et l’éclatement des différents stades de développement de la famille (Dupont, 2018). Ces changements nous obligent à revoir nos manières d’analyser les réalités familiales contemporaines, mais aussi d’intervenir auprès des parents et des enfants. Or, les recherches dans le champ des études familiales demeurent encore aujourd’hui centrées sur les réalités normatives, laissant de côté des situations et des expériences familiales pourtant bien présentes dans la société (Golombok, 2015).

Les transformations de la famille et des arrangements intimes et conjugaux font aussi l’objet de débats sur la place publique. Malgré de récents projets de loi visant à réformer le droit familial et les régimes de filiation, le gouvernement québécois maintient le refus catégorique de reconnaitre quelque forme de pluriparentalité que ce soit, comme l’illustrent l’absence de reconnaissance juridique du statut de beau-parent (Goubau et Chabot, 2018 ; Saint-Jacques, 2016, 2021) ou encore le refus d’instituer une forme d’adoption sans rupture de la filiation d’origine (Ouellette et Lavallée, 2017). Les familles formées de trois parents ou plus demeurent toujours un impensé du droit québécois (Lessard, 2019), et ce, malgré l’ouverture de certaines provinces canadiennes qui reconnaissent légalement trois ou quatre parents dans les cas de projets parentaux en coparentalité planifiée, ou réalisés à l’aide d’une tierce personne (Snow, 2016). Pourtant, les recompositions familiales, l’adoption, la gestation pour autrui et le polyamour représentent autant de réalités familiales pouvant faire qu’un enfant puisse avoir, de manière simultanée ou successive au cours de sa vie, plus de deux figures parentales.

Le présent numéro thématique vise à documenter différentes facettes de la pluralité des configurations et des trajectoires familiales. Partant du principe que la diversité familiale agit comme un révélateur des normes et des pratiques sociales, les regards croisés posés sur cet objet de recherche permettent d’enrichir notre compréhension de phénomènes actuels et émergents et procurent des pistes pour améliorer les politiques et les programmes d’intervention. En guise d’introduction, nous proposons d’abord une analyse de l’évolution de l’institution familiale afin de retracer les transformations ayant ponctué son histoire contemporaine en Occident. Ce pas de recul nous semble nécessaire pour prendre la pleine mesure des changements sociaux opérés au sein de la famille et de leurs incidences sur nos représentations de la parenté, de la parentalité et des liens familiaux. Nous concluons par un survol des 11 contributions rassemblées dans le numéro et de leurs retombées pour le champ des études familiales.

Une évolution historique de la famille ponctuée de dissociations

L’histoire contemporaine de la famille en Occident est indissociable de celle des mouvements des femmes. Les travaux en sociologie de la famille montrent en effet que les luttes féministes se sont attachées pendant longtemps à affranchir les femmes de leurs fonctions reproductrices, afin qu’elles ne soient plus confinées à la sphère domestique pour y exercer un rôle maternel rigide (Descarries, 2005). « Un enfant si je veux, quand je veux » scandaient les militantes pour le droit à l’avortement et l’accès à la contraception dans les années 1960. Une décennie plus tôt, la philosophe française Simone de Beauvoir (1949) dénonçait déjà les contraintes du maternage et la famille comme cellule oppressive dans son livre Le deuxième sexe. À cette époque, la maternité était perçue comme une source d’aliénation et l’une des principales causes d’inégalités entre les genres (Descarries et Corbeil, 2002). La souveraineté des femmes sur leur corps et la légitimité de leur pouvoir décisionnel en matière de choix procréatifs étaient au coeur de leur parcours d’émancipation individuelle et collective.

Dans la foulée de ces changements sociaux, une première dissociation s’opère entre la sexualité et la procréation. Grâce entre autres à la démocratisation de la pilule contraceptive et à la libéralisation des moeurs, les relations sexuelles hétérosexuelles ne sont plus assimilées de façon univoque au devoir de fonder une famille. La reconnaissance d’une sexualité non reproductive instille dès lors l’idée de réalisation de soi dans les parcours conjugaux et parentaux (Knibiehler, 2000). La notion de « choix » s’immisce dans le discours social portant sur la famille et la maternité, soulignant par le fait même que le « devenir mère » est aussi une question de volonté. Selon Badinter (2010), cette liberté nouvelle soulève néanmoins une contradiction : « D’une part, elle a sensiblement modifié le statut de la maternité en impliquant des devoirs accrus à l’égard de l’enfant que l’on choisit de faire naître. De l’autre, mettant fin aux anciennes notions de destin et de nécessité naturelle, elle place au premier plan la notion d’épanouissement personnel » (p. 10).

L’évolution du contexte familial en Occident est aussi marquée par la précarité croissante du lien conjugal. Le temps du « démariage » analysé par Irène Théry (2007) souligne l’effritement de l’institution du mariage à partir des années 1970 comme socle unique des rapports affectifs et sexuels. « Depuis que les femmes maîtrisent leur fécondité, écrit la philosophe Élisabeth Badinter (2010, p. 31), on assiste à quatre phénomènes qui touchent tous les pays développés : un déclin de la fertilité, une hausse de l’âge moyen de la maternité, une augmentation des femmes sur le marché du travail et la diversification des modes de vie féminins. » Avec la hausse des divorces et des unions libres, le mariage comme institution patriarcale perd son hégémonie. Ces changements sociaux participent à la seconde dissociation, soit celle entre la conjugalité et la procréation.

L’idée que la famille est une construction sociale s’impose avec plus de vigueur vers la fin des années 1970, à travers la déconstruction de la primauté accordée à ses dimensions biologiques (Knibiehler, 2001). Les travaux d’Élisabeth Badinter (1980) montrent d’ailleurs que la fibre maternelle est une notion relativement nouvelle, apparue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette mise en évidence du caractère construit des rôles parentaux et la contestation de l’instinct maternel font vaciller la représentation de la relation parentale comme organique et innée, particulièrement celle de la mère (Neyrand, 2001, 2004). La maternité et la paternité ne sont plus uniquement établies par leur composante biologique, mais aussi à travers la prise en charge quotidienne de l’éducation et des soins aux enfants (Belleau, 2004).

Une troisième dissociation s’enclenche alors entre la procréation, comprise comme le point de départ du processus menant à la naissance d’un enfant, et la pratique du rôle de parent sous le prisme de la parentalité (Weber, 2013). De cette dissociation émergent de nouvelles figures parentales ; devenir parent ou endosser un rôle parental peut se faire sans donner naissance, comme c’est le cas entre autres chez les familles recomposées (Martial, 2003 ; Saint-Jacques, Drapeau, Parent et Godbout, 2012) et adoptives (Pagé et Poirier, 2015 ; Pagé, Piché, Ouellette et Poirier, 2008). Les familles homoparentales et transparentales participent quant à elles à l’éclatement des représentations de la famille dite « traditionnelle » en situant la réflexivité et l’intention au coeur de leur projet parental (Côté et Lavoie, 2020 ; Petit, Julien et Chamberland, 2018). Dès lors, l’appartenance à un groupe familial n’est plus dictée par le substrat biologique, mais plutôt investie et travaillée par les individus, ce que souligne le concept de « faire famille » du sociologue David Morgan (2011). Ce dernier propose de définir la famille par ce qu’elle fait (et non ce qu’elle est), soit les pratiques et les arrangements familiaux dans lesquels les individus s’engagent au quotidien pour construire et entretenir leurs relations.

Le développement et la diffusion des biotechnologies marquent la « génération du désir » (Knibiehler, 2000), puisque le moment de l’arrivée d’un enfant peut être planifié grâce aux techniques de reproduction. Le décalage des calendriers de procréation, c’est-à-dire la dissociation entre l’âge et la fécondité des parents provoquée par de nouvelles procédures associées à la préservation de la fertilité, remet en question « l’horloge biologique » et interroge par le fait même le rapport différencié des hommes et des femmes face au vieillissement et à la parentalité (Bühler, 2014 ; Löwy, 2009 ; Vialle, 2014). Le perfectionnement de la fécondation in vitro provoque pour la première fois une dissociation franche et nette au sein de la maternité biologique, distinguant la maternité génétique (ou ovocytaire) de la maternité gestationnelle (ou utérine).

Les avancées médicales des « bébés-éprouvette » permettent de combattre la stérilité. La grossesse de Lesley Brown et la naissance de sa fille Louise en 1978 en Grande-Bretagne constituent la preuve que les technologies de la reproduction peuvent dorénavant permettre aux femmes dites infertiles de procréer (Franklin, 2013), bouleversant au passage la « certitude maternelle » qui, jusqu’à tout récemment, jouissait d’une unité incontestable (Dhavernas Lévy, 2001). Paradoxalement, le même phénomène affirme désormais la paternité avec une conviction renouvelée grâce aux tests d’ADN (Gourarier, 2021). Les principes de droit romain – mater semper certa est (la mère est toujours certaine) à propos de la preuve irréfragable de l’identité de la mère, et pater vero est quem nuptiae demonstrant (le vrai père est défini par le mariage) validant la paternité par l’union conjugale – deviennent tous deux caducs lorsqu’ils sont confrontés aux potentialités technologiques et aux changements familiaux des trois dernières décennies. « Les ovocytes, comme le sperme, sont désormais disponibles “à l’extérieur” (du corps) et leurs qualités partagées ont d’importantes implications : la maternité et la paternité peuvent être aussi incertaines l’une que l’autre », résume l’anthropologue Marit Melhuus (2009, p. 51).

Enfin, la procréation assistée par autrui découpe la maternité et la paternité en séquences qui ne s’enchaînent pas nécessairement, permettant à plusieurs personnes d’y apporter une contribution : ovulation, procréation, grossesse, accouchement et allaitement. Si le don d’ovules a été utilisé au départ pour pallier une baisse prématurée de la réserve ovarienne, il gagne en popularité chez les femmes de 40 ans et plus dont l’infertilité est causée par l’âge (Forman, Treff et Scott, 2011). Il permet ainsi de dissocier les fonctions reproductives ovariennes et utérines et de déjouer la période de fécondité, permettant à une femme plus âgée d’être enceinte grâce aux ovules d’une femme plus jeune (Konrad, 2006). La gestation pour autrui offre quant à elle la possibilité de confier la grossesse et l’accouchement à d’autres corps tout en conservant un lien nourricier, un mouvement inversé par rapport au XIXe siècle où l’on déléguait l’allaitement des enfants à d’autres femmes (Cardi et Quagliariello, 2016). En somme, à défaut de les créer, les techniques de reproduction assistée autorisent un approfondissement des dissociations amorcées soixante ans auparavant par les luttes pour la contraception et l’avortement.

Des savoirs enracinés dans les expériences vécues

Dans le cadre de ce numéro thématique de la revue Service social, nous réunissons des contributions visant à restituer la parole et le point de vue des membres de divers réseaux familiaux, qu’il s’agisse des parents, des enfants ou de ceux devenus adultes. Ces savoirs multidisciplinaires et empiriques s’enracinent dans des expériences individuelles et conjugales, mais portent aussi sur les processus relationnels, les dynamiques et les transitions familiales. Chacun à sa façon, les 11 articles permettent de documenter la diversité familiale et les parentalités émergentes et, incidemment, d’en favoriser la reconnaissance sur les plans scientifique et social – les questions de recherche posées par les équipes de recherche et explorées à travers différentes lorgnettes théoriques permettant de mettre à jour, voire de renouveler le champ des études familiales en sciences sociales.

En guise d’amorce, les premiers articles du numéro abordent la diversité des configurations intimes et conjugales et ses enjeux sur le plan relationnel. Par l’entremise de l’expérience des beaux-parents, les chercheuses en travail social Olivia Vu et Marie-Christine Saint-Jacques mettent en lumière les enjeux que pose la question des frontières conjugales en contexte de recomposition familiale, où les partenaires doivent déterminer et négocier ensemble leurs rôles et responsabilités, ainsi que les modalités pratiques de leur organisation familiale. L’angle systémique retenu permet de situer l’expérience conjugale dans les différents sous-systèmes de la famille recomposée, et de dégager les facteurs d’influence qui contribuent à la construction des relations.

La conjugalité est souvent comprise et appréhendée sous le prisme de la monogamie, confinant dans l’ombre les modèles relationnels alternatifs comme le polyamour. La sociologue Milaine Alarie et ses collègues Morag Bosom et Ariane Hamel se penchent sur les expériences de parents investis dans des relations non monogames consensuelles, et documentent plus particulièrement les enjeux entourant le dévoilement aux enfants. À partir d’entretiens menés auprès de parents polyamoureux ou en couple ouvert, elles examinent les motifs qui sous-tendent leur choix d’intégrer ou non leurs partenaires intimes dans la vie familiale.

Au croisement des travaux sur la diversité sexuelle et le vieillissement, les chercheuses Julie Beauchamp, Line Chamberland et Hélène Carbonneau explorent dans leur article les configurations familiales, intimes et amicales des personnes aînées gaies et lesbiennes. Les aspects relationnels de la famille contemporaine sont ici illustrés entre autres par l’entremise de la « famille choisie » et de ses liens électifs, un modèle de solidarité et d’entraide familiales préconisé par les personnes homosexuelles et les couples de même sexe depuis longtemps. Ces situations invitent à élargir notre conception de la famille basée sur les liens de sang et à considérer l’ensemble des réseaux sociaux de la personne, pour inclure toutes les sources de soutien disponibles et reconnaitre leur richesse.

Les deux contributions suivantes témoignent des expériences vécues au Québec par les familles autochtones et immigrantes, et offrent ainsi l’occasion de réfléchir aux représentations culturelles des rôles parentaux et de la vie familiale. Dans une perspective en travail social visant à valoriser les savoirs autochtones, les chercheuses Christiane Guay et Lisa Ellington proposent une analyse de l’éducation des enfants chez les Innus d’Uashat mak Mani-utenam. Les récits biographiques recueillis auprès de membres de la communauté révèlent que les pratiques éducatives et de protection de l’enfance s’appuient sur des valeurs et un système de connaissances ancrés dans leur relation au territoire.

L’immigration constitue une transition qui implique une adaptation du fonctionnement individuel, mais aussi une reconfiguration des relations sociales et familiales. Considérant que les travaux sur les familles immigrantes sont souvent centrés sur la perspective des adultes, Christine Gervais et ses collègues Isabel Côté, Sophie Lampron-De Souza et Kristel Tardif-Grenier ont alors voulu recueillir la parole aux enfants récemment installés au Québec. En documentant les points de vue d’enfants et d’adolescents de 6 à 14 ans à propos des transformations des relations familiales du pays d’origine au pays d’accueil, elles peuvent dès lors cerner leurs représentations des dynamiques affectives et familiales en contexte migratoire.

Si la famille est le premier espace de socialisation et d’éducation pour les enfants, elle participe aussi à leur construction identitaire. De manière distincte et originale, deux articles du numéro se penchent sur la question des origines et celle de la transmission au moment du passage à la vie adulte. Les psychologues Caroline Baret et Sophie Gilbert s’intéressent aux influences de l’histoire infantile et sociale sur le devenir parent de jeunes en situation de précarité. Dans une perspective psychodynamique, les enjeux psychiques de la parentalisation sont analysés dans le but de mieux soutenir et accompagner les jeunes qui deviennent parents en contexte d’adversité.

Pour sa part, la chercheuse en travail social Johanne Thomson-Sweeny contribue aux savoirs sur l’adoption internationale en documentant une réalité nouvelle provoquée par les technologies de la communication, soit les contacts établis entre les personnes adoptées et leur famille d’origine par l’entremise des réseaux socionumériques tels que Facebook. L’article porte sur les motivations, les difficultés vécues et le soutien reçu chez les adultes adoptés ayant vécu une telle situation, permettant de mieux comprendre les bouleversements occasionnés par ce type de retrouvailles qui surviennent à l’extérieur du champ d’action des instances gouvernementales.

La question de la socialisation au sein des familles, plus particulièrement sur le plan des rapports sociaux de genre, est retenue comme angle d’analyse privilégié dans deux contributions. L’article d’Agnès Badou et ses collègues Géraud Ahouandjinou et Ornheilia Zounon porte sur la paternité précoce au Bénin. L’équipe y problématise la question de la prévention à l’aune de la gestion différentielle de la sexualité adolescente qui prévaut dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. De son côté, la chercheuse Anne-Sophie Ruest-Paquette propose une analyse de la socialisation de genre dans les familles ontariennes au Canada, à partir des récits rétrospectifs de jeunes femmes d’ascendance canadienne-française. L’analyse narrative de ces récits permet de déceler les normes de genre traditionnelles transmises par les parents et véhiculées par des idéologies culturelles et institutionnelles dominantes.

Au-delà des recherches positivistes et quantitatives visant à décrire ou à expliquer certains phénomènes familiaux, les approches inductives et interprétatives représentent une avenue féconde pour cerner la pluralisation des expériences vécues par les familles, consolidant par le fait même l’arrimage des modèles d’intervention avec leurs besoins. Comme l’argumentent Lawrence Ganong et Marilyn Coleman (2014), la recherche qualitative recèle différents apports et potentialités pour documenter les dynamiques et les relations familiales : recueillir le point de vue subjectif de chaque membre de la famille et le trianguler avec les autres, observer les interactions et les contextualiser avec nuance et précision et donner une voix aux familles marginalisées, notamment.

Puisant dans une expertise commune et partagée en travail social, l’article d’Amilie Dorval, Karine Croteau et Julie Noël retrace les choix méthodologiques ayant présidé à la construction de trois démarches de recherche originales dans le domaine de la protection de l’enfance. Les chercheuses démontrent que le récit de vie comme méthode de recherche recèle une pertinence scientifique et sociale pour recueillir la parole des parents d’enfants suivis en protection de la jeunesse. En outre, donner une voix à ces parents et la restituer dans les travaux de recherche s’inscrit selon elles dans une visée émancipatrice cohérente avec les valeurs du travail social.

Enfin, les considérations épistémologiques de la recherche sur les réalités familiales soulèvent plusieurs questionnements, notamment lorsque les expériences concernent des personnes et des groupes marginalisés ou en situation d’exclusion. Selon Allen (2000), les méthodologies déployées dans les recherches familiales et les postures préconisées pour recueillir des paroles peu entendues dans la sphère publique ne peuvent faire l’économie d’une réflexivité soutenue. À ce sujet, la sociologue Marianne Chbat propose une analyse de la position située en recherche sociale, à travers les enjeux méthodologiques et éthiques rencontrés dans le cadre d’une étude comparative portant sur les maternités lesbiennes au Québec, en France et en Suisse. Dans une perspective résolument féministe et intersectionnelle, la chercheuse nous engage dans une réflexion critique sur la contribution des personnes directement concernées dans la production de connaissances.