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Introduction

Au Québec, la décision de placer un enfant est considérée par la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) comme une mesure d’exception qui vise idéalement la réunification. Les modifications apportées en 2007 à la LPJ stipulent que quand un enfant est retiré de son milieu et placé dans un milieu alternatif, les intervenants doivent évaluer si l’enfant peut réintégrer, ou non, son milieu familial dans des délais prescrits par la loi en fonction de son âge (MSSS, 2016). La durée totale du placement ne devrait pas excéder 12 mois si l’enfant est âgé de moins de 2 ans, 18 mois si l’enfant est âgé de 2 à 5 ans et 24 mois si l’enfant est âgé de 6 ans ou plus. Lorsqu’un risque de dérive est identifié au regard du projet de vie privilégié, c’est-à-dire la réunification, les intervenants ont le devoir de déterminer et de planifier un projet de vie alternatif. Cette « décision doit tendre à lui assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge de façon permanente » (LPJ, 2007, Article 4). Dans ces circonstances, les intervenants doivent décider de la meilleure manière d’orienter l’enfant vers un projet de vie permanent répondant le mieux à ses besoins : une adoption ; une tutelle ; un placement à long terme en famille d’accueil, dans la famille élargie ou chez un tiers significatif ; le placement jusqu’à sa majorité dans une ressource offrant des services spécifiques (MSSS, 2016, p. 3). Malgré l’importance de ce processus, les connaissances à son sujet sont très limitées.

Cet article vise à décrire le comité aviseur[1] qui est un moment clé du processus décisionnel autour de la clarification du projet de vie et du choix d’un milieu de vie permanent alternatif à la réunification, pour les situations qui concernent les jeunes enfants de 0 à 5 ans. Différents facteurs motivent l’intérêt pour cette tranche d’âge. D’abord, elle constitue l’une des étapes les plus critiques du développement de l’enfant (Lloyd et Barth, 2011). Ensuite, elle représente la catégorie des enfants placés au Québec qui sont les moins susceptibles de retourner vivre avec leur famille d’origine (Esposito et al., 2014). Enfin, elle impose aux intervenants de prendre rapidement une décision quant au projet de vie permanent de l’enfant, afin de respecter les exigences en lien avec la durée maximale de placement (Chateauneuf et al., 2020).

Que savons-nous du processus décisionnel en protection de la jeunesse ?

Le processus décisionnel est l’une des activités professionnelles les plus importantes dans le champ de la pratique du travail social en protection de la jeunesse (Johnson, 2001). Ce processus est complexe, exigeant, et se produit dans un environnement incertain (Graham, Dettlaff, Baumann et Fluke, 2015). De plus, les intervenants doivent poser un jugement professionnel alors qu’ils disposent d’informations insuffisantes ou contradictoires, de ressources limitées et agissent au sein de situations organisationnelles et politiques stressantes et exigeantes (Gambrill, 2005 ; Stokes et Schmidt, 2012). Afin de prendre des décisions, les intervenants doivent jongler avec divers mandats légaux, organisationnels, cliniques et déontologiques qui reposent sur des valeurs et des principes parfois contradictoires, en considérant à la fois les droits des enfants et ceux des parents (Tibrewal, 2002). Enfin, les différents acteurs impliqués doivent systématiquement prendre des décisions qui, grandes ou petites, marqueront la trajectoire de vie des enfants et de leur famille.

La littérature scientifique porte principalement sur les décisions visant à déterminer si l’intervention de l’État est requise pour assurer la protection de l’enfant (la rétention du signalement, l’évaluation de la situation de compromission, le retrait de l’enfant de son milieu familial) ainsi que sur la réunification. D’autres recherches s’intéressent au processus décisionnel entourant le choix d’un milieu de vie (Chateauneuf et al., 2020 ; Pösö et Laakso, 2014). Peu d’études ont examiné le processus décisionnel entourant le choix d’un milieu d’accueil au moment d’envisager un projet de vie permanent pour un enfant dont la réunification n’est pas envisageable, et cela, bien que cette décision soit lourde de conséquences tant pour l’enfant que pour sa famille.

Les études portant sur le processus décisionnel en protection de l’enfance se sont principalement centrées sur l’individu et les facteurs qui exercent une influence sur la prise de décision (Benbenishty et al., 2015 ; Munro, 2008). Par ailleurs, les décisions prises dans un tel contexte sont rarement le fruit d’une prise de position individuelle. En effet, plusieurs chercheurs s’accordent sur le fait que les décisions complexes (comme celle entourant la clarification du projet de vie d’un enfant et le choix d’un milieu de vie permanent) ont tendance à se prendre collectivement (Chateauneuf et al., 2020 ; Lambert, 2012 ; Parada et al., 2007). Larrick (2016) explique que la plupart des décisions organisationnelles sont fondamentalement sociales, en ce sens qu’une multiplicité d’acteurs y participent et sont impliqués dans un jeu d’influences réciproques. Les décisions les plus lourdes de conséquences, y compris en protection de l’enfance, impliquent souvent un groupe d’intervenants qui interagissent dans le but de surmonter différents obstacles rencontrés dans le processus décisionnel, comme l’incertitude, les limitations liées aux ressources, les mandats conflictuels et les intérêts divergents (Kassebaum et Chandler, 1992). Il en est ainsi au Québec où les décisions entourant le choix d’un projet de vie permanent sont sous la responsabilité de l’intervenant affecté au suivi du dossier de l’enfant (Vargas Diaz, 2021). Ce professionnel agit en collaboration avec d’autres acteurs dans le système tels que son chef d’équipe, le reviseur impliqué dans le dossier et les personnes responsables de ressources d’accueil (Chateauneuf et al., 2020). Chateauneuf et ses collaborateurs (2020) rendent compte de la nature collective du processus décisionnel et de l’existence de certains espaces formels et informels de collectivisation qui soutiennent la prise de décision. Ces espaces dévoilent le potentiel de la collaboration interprofessionnelle pour la réflexion ainsi que le partage de la responsabilité dans le processus décisionnel. Parmi les espaces formels de prise de décision collective, le comité aviseur est central dans la clarification du projet de vie et du choix d’un milieu de vie permanent alternatif à la réunification familiale (Vargas Diaz, 2021).

Cadre théorique

L’ethnométhodologie (Coulon, 2014) est l’approche la plus appropriée pour explorer et décrire le processus décisionnel, car elle met l’accent sur l’étude des pratiques, de l’interaction et de l’action située. L’ethnométhodologie se définit comme « la recherche empirique des méthodes que les individus utilisent pour donner sens et en même temps accomplir leurs actions de tous les jours : communiquer, prendre des décisions, raisonner » (Coulon, 2014, p. 22). Elle s’intéresse aux « procédures par lesquelles les acteurs analysent les circonstances dans lesquelles ils se trouvent et conçoivent et mettent en oeuvre des modes d’action » (Heritage, 1984, p. 9). Au lieu de s’intéresser aux règles suivies par les acteurs (comme telles), l’intérêt de l’ethnométhodologie est de mettre en lumière les méthodes par lesquelles les acteurs « actualisent » ces règles. Ces méthodes deviennent alors observables et descriptibles. Les règles et les procédures sont révélées à travers les activités concrètes des individus. Autrement dit, l’observation attentive et l’analyse des processus mis en oeuvre dans les actions permettraient de mettre au jour les procédures par lesquelles les acteurs interprètent et se représentent la réalité sociale. Il sera donc capital d’observer comment les acteurs de sens commun produisent et traitent l’information dans les échanges et comment ils utilisent le langage comme ressource. En bref, la façon dont ils fabriquent un monde « raisonnable » afin de pouvoir y vivre (Coulon, 2014, p. 26-27).

Suivant cette approche, l’étude du processus décisionnel ne peut être abordée sans porter attention aux routines, considérées comme les assises de l’organisation. Les routines sont définies comme : « des schèmes répétitifs et reconnaissables d’actions interdépendantes, menées par de multiples acteurs, et menant à une prise de décision » (Feldman et Pentland, 2003, p. 95). Il apparaît pertinent de concevoir les routines organisationnelles comme des unités d’analyse offrant la possibilité de décrypter le processus décisionnel en protection de la jeunesse. En effet, l’observation des routines permet de dégager les éléments qui les composent. Cette observation doit se faire in situ, dans la quotidienneté de la pratique des acteurs, en examinant leur façon d’agir collectivement et leur manière d’interpréter et d’actualiser la réalité institutionnelle dans le processus décisionnel.

Nous avons identifié les rencontres des comités aviseurs comme étant des moments qui constituent une étape importante dans la routine de prise de décision collective entourant le choix d’un milieu de vie permanent alternatif lorsque le retour de l’enfant dans sa famille n’est pas envisagé. En effet, selon les balises cliniques de l’établissement dans lequel s’est déroulée cette étude, les comités aviseurs sont au coeur de la démarche de clarification du projet de vie quand vient le moment d’évaluer le risque d’instabilité ou de discontinuité pour un enfant. Les différents professionnels dont l’expertise peut contribuer à l’analyse de la situation et au processus décisionnel sont convoqués à ces comités, afin d’établir conjointement et dans le délai prescrit par la LPJ, un projet de vie permanent pour celui-ci. Il faut préciser que ces comités sont convoqués systématiquement dans les situations qui impliquent des enfants de 0 à 5 ans, soit le groupe visé par cette recherche. Compte tenu du caractère interdépendant des routines, le choix des rencontres des comités aviseurs comme moments privilégiés dans la prise de décision collective permet indirectement de prendre connaissance des acteurs, des routines et d’autres éléments d’analyse en lien avec ce processus. Bien que ces rencontres se déroulent dans un cadre institutionnel, il n’y a pas de ressource formelle régissant leur planification et encadrant leur déroulement.

Méthodologie

La méthode privilégiée pour la présente recherche est l’observation de l’interaction. L’observation de l’action (ou de l’interaction) peut se définir comme « un outil de cueillette de données où le chercheur devient le témoin des comportements des individus et des pratiques au sein des groupes en séjournant sur le lieu même où ils se déroulent » (Martineau, 2005, p. 6). Elle est spécialement importante « pour l’étude des actions et des interactions entre personnes présentes dans un contexte donné » (Chapoulie, 2000, p. 7). Le mode d’observation utilisé dans cette recherche est l’observation complète, au cours de laquelle le « chercheur ne fait qu’observer et ne prend aucunement part à l’action ; bien que reconnu comme observateur, il réalise une intégration en retrait ; c’est le cas par exemple d’un chercheur qui assiste aux réunions du conseil d’administration d’une entreprise » (Martineau, 2005, p. 9). Cependant, il n’est pas possible de négliger l’influence que la présence de l’observateur et du dispositif d’enregistrement a eue sur la pratique. Par exemple, dans cette recherche, les acteurs ont souvent fait référence à l’enregistreur dans les discussions en comité et ont mentionné avoir fait attention aux mots prononcés en présence de l’enregistreur pour éviter de laisser des traces pérennes de paroles mal choisies.

Le terrain de recherche s’est déroulé de mai 2018 à juillet 2019 au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL) dans deux équipes enfance (0 à 5 ans) à l’application des mesures (AM). Les rencontres des comités aviseurs ont été observées durant une période de 9 mois (n = 15), et les discussions ont été enregistrées et retranscrites intégralement. II est important de préciser que, conformément aux principes d’ethnographie institutionnelle, le processus d’analyse de données du présent projet s’est déroulé en continu durant toute la démarche de recherche. Les données ont été systématiquement analysées afin d’organiser les éléments émergents en unités de sens, et celles-ci ont d’abord été provisoirement organisées en notes descriptives et analytiques. Puis, progressivement, les données émergentes ont été confrontées au cadre théorique, notamment à la manière dont les acteurs structurent et transposent en routine leur pratique.

Résultats

Les résultats de cette étude permettent de connaître et de décrire une routine clé du processus décisionnel : le comité aviseur.

Le comité aviseur : de quoi s’agit-il ?

Le comité aviseur est un espace décisionnel stable et structuré où sont convoqués les différents professionnels dont l’expertise peut contribuer à l’analyse de la situation et au processus décisionnel. L’objectif de ces rencontres est « d’échanger sur la situation de l’enfant, de s’auto-influencer et d’arriver à la sortie avec la même vision, la même lecture des besoins de cet enfant-là. Car nous avons seulement une partie de l’information » (adjointe).

Le comité aviseur constitue, dans une certaine mesure, une institutionnalisation de l’action. En effet, selon une réviseure interrogée qui travaille pour l’institution depuis longtemps, les comités aviseurs sont le résultat de l’institutionnalisation d’autres espaces de travail collectif qui ont été créés par les équipes pour répondre au besoin de collectiviser les visions et de partager les responsabilités entourant l’évaluation et la prise de décision. Ces réunions, qui se sont d’abord déroulées de manière plus informelle, ont été intégrées à la routine et se sont formalisées. 

Dans les observations réalisées, il y avait habituellement entre cinq et huit personnes présentes dans chaque comité aviseur. Les professionnels qui ont assisté à tous les comités étaient l’intervenant à l’application des mesures (AM), l’adjoint clinique, le réviseur, la personne-ressource adoption et le consultant. De manière variable, d’autres professionnels ont aussi été convoqués, par exemple l’intervenant à l’évaluation-orientation (EO), la personne-ressource famille d’accueil, la personne-ressource d’évaluation du milieu de vie substitut, la personne-ressource d’évaluation des compétences parentales, l’éducateur, l’avocat de l’équipe contentieux, l’adjoint à la révision, l’adjoint à l’EO, entre autres.

Les motifs invoqués pour la tenue des comités aviseurs sont variés, mais ceux que l’on a pu observer le plus souvent sont : le rapprochement d’une date d’audience, la fin de la durée maximale de placement, l’ajout d’un nouvel élément qui changeait la façon de voir le cas ou de choisir un milieu et le suivi d’une situation ou des accords qui avaient été discutés dans un comité aviseur précédent. Les comités tentaient de parvenir à un réalignement du projet ou à un accord entre les acteurs concernés, en vue de déterminer une action concertée à suivre, laquelle s’inscrit dans le processus décisionnel. Il a été constaté que le comité a la responsabilité de superviser le dossier, de collaborer et de négocier pour s’assurer, entre autres, de mettre en place des actions concertées visant à répondre aux besoins de la personne autorisée qui est l’intervenant à l’application des mesures.

Les grands moments dans un comité aviseur

L’observation a permis d’identifier au moins neuf moments qui structurent la discussion lors des comités aviseurs. Ces moments sont itératifs ou circulaires, car un sujet déjà abordé peut être repris pour apporter de nouveaux éléments, de sorte qu’il peut y avoir un va-et-vient constant entre ces moments durant la rencontre. En outre, ces moments qui structurent la discussion peuvent aussi se superposer – la séparation des éléments présentés vise donc seulement à mieux les décrire.

a)Encadrement du comité et mise en relation : L’adjoint clinique de l’équipe AM est responsable d’organiser les comités aviseurs et de les animer en veillant à leur bon déroulement. Lorsque tous les participants sont présents, il se présente et énonce les objectifs du comité, puis les participants font un tour de table. Dans plusieurs des comités observés, lorsque des personnes ne se connaissaient pas, elles cherchaient à entrer en contact spontanément.

b)Présentation du dossier : L’intervenant (AM ou EO, selon le cas, il y en a parfois plus d’un) et l’adjoint clinique sont les principaux acteurs à ce stade-ci, tandis que le réviseur les seconde pour apporter de l’information supplémentaire. Le profil des parents, notamment l’appréciation de leurs difficultés et de leurs forces, se construit collectivement par les acteurs en présence. Certains sont responsables de la description, tandis que d’autres participent en donnant leur vision de la situation et en fournissant des informations qui aident à clarifier ou à préciser la situation. En raison de notre intérêt pour la clarification du projet de vie et le choix du milieu de vie alternatif à la réunification, la majorité des cas présentés dans ces comités sont de situations où il y avait un risque de dérive du projet privilégié de réunification familiale, ce que les professionnels ont qualifié comme ayant un portrait « sombre ». La plupart du temps, la présentation du dossier est donc orientée de façon à illustrer et à justifier cette évaluation négative, ce qui permet de légitimer la décision d’opter pour un projet de vie alternatif. Par conséquent, la présentation porte davantage sur les faiblesses des parents que sur leurs forces. Les motifs de compromission sont souvent nommés au début de la rencontre afin de justifier la raison pour laquelle le signalement a été retenu et d’encadrer la discussion. Le motif le plus souvent évoqué est la négligence ou le risque de négligence. Par la suite, une description du portrait des parents est partagée par les intervenants. Ceux-ci présentent habituellement les difficultés des parents (p. ex. la toxicomanie, les problèmes de santé mentale, le contrôle de l’impulsivité et de l’agressivité, la présence de violence conjugale, la délinquance et l’emprisonnement) en termes de cumul et de chronicité intergénérationnelle. Les intervenants évoquent également le mode de vie à risque des parents (délinquance, prostitution, etc.) et expliquent en quoi celui-ci compromet la sécurité et le développement de l’enfant. Ils décrivent l’historique d’intervention de la DPJ dans la vie du parent et de l’enfant, en tenant compte de la gravité, de la chronicité et de la récurrence des situations problématiques. Parmi les autres facteurs discutés par les intervenants et contribuant à justifier leur choix d’un projet de vie alternatif pour l’enfant, relevons le manque de conscience des parents à l’égard du problème, leur incapacité à se mobiliser et de chercher de l’aide pour y faire face, ou encore le manque de collaboration avec les services de protection. On présente toujours le profil des parents – qui porte sur leurs compétences et leurs relations – et parfois le rapport d’évaluation des compétences, lorsque celui-ci est disponible. Les conditions du logement sont aussi mentionnées dans certains cas, principalement pour expliquer dans quelle mesure les parents offrent à l’enfant un logement qui satisfait minimalement à ses besoins, du point de vue de la sécurité et de la stabilité. Un dernier élément d’analyse abordé est le réseau de soutien formel et informel des parents. La plupart du temps, le réseau de soutien informel des parents était limité ou dysfonctionnel, ou encore les relations qu’ils entretenaient se détérioraient en raison de leur comportement. Quant au réseau de soutien formel, celui-ci s’est aussi avéré limité. Par conséquent, les réseaux de soutien des parents ont été présentés comme facteurs de risque.

Malgré le fait que les intervenants (EO et AM) présentent des éléments qui justifient leur évaluation plutôt « sombre » des situations, certains apportent des nuances en nommant, entre autres, les aspects positifs et les forces des parents. Ce sont ces acteurs qui ont le plus de chances d’avoir une position tentant d’équilibrer les aspects négatifs et positifs, et de traiter de manière concurrente le projet privilégié et le projet de vie alternatif. En outre, il est important de noter que, dans le cadre de l’intervention, l’intervenant AM et/ou EO ainsi que le réviseur demandent aux parents ce qu’ils aimeraient pour leur enfant comme projet de vie, et que ce souhait est systématiquement pris en compte dans le processus de prise de décision. Un autre aspect important à relever est la discontinuité des informations sur les cas, causée par le roulement professionnel. Dans plusieurs comités, les intervenants y font référence pour justifier leurs vides d’information.

c)Présentation de l’intervention et des services offerts : À ce moment, on décrit tous les services qui ont été offerts aux parents et aux enfants, leurs retombées, ainsi que l’attitude des parents à l’égard de ces services. Les principaux acteurs qui sont invités à se présenter sont le ou les intervenants et l’adjoint. Le réviseur et l’éducateur, dans le cas où une intervention psychoéducative a été mise en place, les secondent pour apporter des informations supplémentaires. Souvent, c’est à ce stade-ci que les autres acteurs sont invités à donner leur opinion professionnelle. On fait aussi référence aux ressources qui ont été mises en place, principalement par les intervenants EO et AM, pour soutenir le retour de l’enfant chez ses parents, ainsi qu’à l’intensité des services offerts. Une panoplie de services sont offerts aux parents et aux enfants selon les besoins identifiés. Parmi ceux-ci se trouvent des services de réadaptation, des ateliers, des références aux services spécialisés, de l’accompagnement aux services, des visites supervisées et des évaluations. Ces services ont entre autres pour objectif de favoriser le retour le plus prompt possible chez les parents. Un réviseur expliquait que lorsqu’un enfant de 0 à 5 ans est retiré de son milieu, une rencontre est organisée avec les parents pour expliquer les raisons de cette mesure et le plan d’intervention. Ils sont également informés des services qui leur seront offerts et sont avisés que leur mobilisation rapide est attendue. Après six mois, si la situation ne s’est pas améliorée et que les parents ne se sont pas mobilisés, la DPJ peut envisager un projet alternatif après une révision de la situation.

Pour qu’un portrait soit considéré comme « sombre », il faut démontrer que malgré toutes les interventions réalisées, la situation des parents est demeurée inchangée. Le maintien de certains modes de vie ou la présence d’éléments précis qui peuvent compromettre la sécurité et le développement de l’enfant sont des facteurs qui peuvent être identifiés dans ce type de portrait. La posture des parents vis-à-vis de l’intervention est discutée, à savoir s’ils sont collaborateurs, résistants ou réfractaires. Pour ce faire, des éléments comme leur manque de transparence, la non-acceptation de l’aide ou la difficulté de maintenir les acquis sont exposés par les professionnels.

Un autre élément abordé dans les comités, ce sont les modalités de contacts avec l’enfant. Par exemple, dans les cas où les visites sont supervisées, on discute des raisons de cette supervision ainsi que du degré de supervision. On prend alors en compte l’assiduité des visites, qui témoigne de la stabilité de la relation entre le parent et l’enfant, de même que le respect des modalités de visite, qui démontre, selon les participants, la motivation des parents à rester en contact avec l’enfant.

d)Lecture de l’ordonnance : La lecture des points de synthèse de la dernière ordonnance est souvent faite par l’adjoint, mais le réviseur a un rôle plus actif dans le décryptage de celle-ci et dans l’analyse de ses implications pour les acteurs concernés (l’enfant, les parents, les intervenants, etc.). Dans la plupart des situations, les ordonnances sont provisoires, ont un caractère exécutoire, et ont pour but de préciser aux parents et à la DPJ les actions à entreprendre. La DPJ reçoit des instructions à travers l’ordonnance, et les intervenants doivent ajuster leur intervention en conséquence. Dans les comités, les acteurs, notamment les intervenants qui portent le poids de l’intervention, doivent mentionner s’ils ont fait ce qui a été ordonné. Lorsque les instructions n’ont pas été exécutées, l’adjoint et le réviseur cherchent d’abord à en clarifier les raisons, pour ensuite déterminer avec l’intervenant ou l’acteur responsable de l’intervention s’il est possible ou non d’entreprendre les actions demandées. Lorsque ce n’est pas possible, ils tentent d’établir les raisons qui justifient ce constat. Finalement, la lecture de l’ordonnance sert aussi à réexaminer ce que le juge a demandé aux parents et à évaluer dans quelle mesure ils se sont conformés à ces demandes.

e)Présentation de la situation de l’enfant : Ce moment débute quand l’adjoint pose des questions comme : qui est (nom de l’enfant) ? comment va-t-il ? C’est alors qu’un autre climat s’installe. Au cours de ce moment, qui n’est pas nécessairement long, l’intervenant AM (et/ou EO) décrit la situation de l’enfant, principalement en ce qui a trait à son développement, son attachement, ses besoins ou ses défis, ses réactions et surtout celles liées aux contacts avec les parents, ainsi que son évolution dans le milieu d’accueil. Quand l’enfant est placé en famille d’accueil régulière ou en famille d’accueil de proximité, la personne-ressource famille d’accueil seconde généralement l’adjoint en rapportant les éléments observés dans ses visites ou en présentant l’information apportée par la famille d’accueil ; quand l’enfant est placé en famille d’accueil de la banque mixte, c’est la personne-ressource adoption qui joue ce rôle. De leur côté, les autres acteurs présents fournissent des informations complémentaires ou font une lecture clinique des aspects abordés.

Les principales stratégies pour évaluer la situation de l’enfant, à l’exception de l’appréciation clinique de l’intervenant AM ou EO, consistent à demander de l’information à des tiers. L’éducatrice de la garderie, les médecins (ou la lecture du dossier médical), les évaluations d’autres intervenants à travers divers instruments (p. ex. l’évaluation des compétences parentales) font partie de ces autres ressources consultées. Durant la présentation, on aborde également la question du développement de l’enfant dans différentes sphères (le langage, la marche, la propreté, la motricité, etc.). Quand les acteurs évoquent ce sujet, ils font souvent référence à la GED, c’est-à-dire un outil d’évaluation du développement de l’enfant de 0 à 5 ans qui permet de détecter les éléments du développement cognitif, moteur et socioaffectif à surveiller. Cet outil permet également d’élaborer un plan d’action pour favoriser la stimulation de l’enfant.

Certains enfants présentent aussi des défis ou des besoins particuliers, qu’ils soient congénitaux ou acquis, tels que des problèmes associés à une naissance prématurée, à la consommation de la mère pendant la grossesse, à des malformations cardiaques ou à l’anémie falciforme, entre autres. Dans ces circonstances, l’évolution des difficultés est observée et les professionnels chercheront à savoir si des traitements ou des mesures d’adaptation ont été entrepris. En ce qui concerne le développement psychoaffectif, le comité aborde la question de l’attachement et de la relation de l’enfant avec des figures significatives. En plus du type d’attachement, les acteurs s’intéressent à la qualité de la relation et à l’attitude de l’enfant envers ses parents. En lien avec ce qui précède, ils discutent des contacts de l’enfant avec ses parents ainsi que des réactions de l’enfant aux visites (p. ex. anxiété, sommeil). Cet aspect semble important, car il fournit non seulement des informations sur la relation parent-enfant, mais aussi sur les défis que représentent pour la famille d’accueil les modalités de contacts, de même que sur les éventuels enjeux à prendre en considération dans la prise de décision. Parmi toutes les informations au dossier, l’adaptation et l’évolution de l’enfant dans la famille d’accueil sont considérées comme des éléments d’analyse importants. Le fait que l’enfant évolue bien témoigne en partie de son potentiel de développement, mais aussi des capacités de la famille d’accueil à le stimuler.

Dans la plupart des cas, c’est à ce moment que le consultant a une posture plus active : il demande des précisions et peut faire une lecture de la situation à la lumière de son expertise en traduisant l’information donnée par les autres acteurs avec des concepts ou des interprétations liés principalement au développement ou à l’attachement. Il fait un lien avec l’histoire de l’enfant dans le but d’avoir une meilleure connaissance de l’enfant et de mieux évaluer ses besoins. Même si le consultant signale des éléments qui peuvent représenter un risque pour l’enfant, contribuant ainsi au portrait sombre de la situation, il essaie aussi de nuancer les interprétations inexactes ou réductrices que certains acteurs peuvent exprimer. Ce moment sert, dans plusieurs des situations observées, à exposer les répercussions pour l’enfant de son passé et de ce qu’il vit avec ses parents durant les contacts, ainsi que son potentiel d’évolution dans un milieu adéquat, dans le but de démontrer la fragilité du projet de retour et ses possibles retombées négatives sur l’enfant.

f)Discussion : Cette étape vise à établir si un projet de vie alternatif doit être envisagé et, le cas échéant, à choisir le milieu de vie de l’enfant. Ce moment sert ainsi à discuter sur la situation et à imaginer les différents scénarios possibles, surtout dans un contexte de gestion des risques à long terme. En résumé, la discussion a pour but de passer en revue les différents enjeux de la décision et ses retombées possibles. Dans la plupart des comités observés, il y avait un consensus sur les difficultés présentes et sur le fait que la réunification n’était pas envisageable, de sorte que tous étaient d’avis qu’il s’agissait d’un profil « sombre » qui nécessitait un projet alternatif. La discussion portait alors principalement sur le choix d’un milieu de vie pour l’enfant. Dans d’autres situations, des acteurs partageaient une vision commune quant au projet de vie, mais tous n’avaient pas nécessairement la même opinion par rapport au choix du milieu de vie permanent. C’est donc au moment de la discussion que les personnes-ressources concernées étaient interpellées pour discuter des différents scénarios proposés. Dans quelques rares cas, il n’y avait pas de lecture partagée de la situation et du projet de vie. La discussion était alors centrée sur le projet de vie à privilégier et secondairement, sur l’examen des choix possibles de milieu de vie.

g)Délibération : Le comité est un espace dans lequel on cherche à clarifier et à négocier une posture commune ou un compromis. À la suite de la discussion vient l’étape de la délibération, dans laquelle l’adjoint demande aux acteurs présents de prendre position sur trois sujets principaux en lien avec la situation : le projet de vie à privilégier, le choix du milieu et les stratégies à mettre en place. Il peut solliciter l’avis de tous en posant des questions telles que : « qu’en pensez-vous ? », « êtes-vous d’accord avec… ? », ou en demandant simplement un vote à main levée.

Quand la délibération ne mène pas à un consensus, les acteurs peuvent choisir une autre date de rencontre pour en discuter. Dans ce cas, les participants doivent s’entendre sur les mesures à prendre pour clarifier la situation. Ils peuvent, par exemple, convenir d’aller chercher plus d’informations ou d’orienter l’intervention d’une certaine manière afin d’observer comment les parents, l’enfant ou la famille d’accueil réagissent, etc. Quand la situation a engendré trop de tensions, ce qui est rare selon les acteurs, la décision doit passer au niveau hiérarchique supérieur, c’est-à-dire que les adjoints des parties doivent présenter le cas à la DPJ.

Il est à noter que lorsque l’on parle de décision, il ne s’agit pas d’une décision définitive sur le projet de vie de l’enfant, qui est ultimement prise par le juge, mais de la décision sur la position institutionnelle, légale et clinique concernant le projet de vie de l’enfant qui sera proposée à la cour et aux parents.

h)Recommandations : Après la délibération, l’adjoint reprend les différentes recommandations élaborées par le comité et ayant trait à l’ordonnance, soit les actions à entreprendre, les stratégies d’intervention menant à clarifier l’information et à légitimer la décision, ainsi que les points à traiter avec les familles à la table de révision. À ce stade, les acteurs, encadrés par l’adjoint, précisent le plan d’intervention prévu et les responsabilités que chacun assumera dans sa réalisation. Puisque les acteurs tiennent compte de l’incertitude entourant les situations, plusieurs recommandations sont faites en anticipant les différents scénarios possibles.

i)Préparation de l’audience : Dans la majorité des comités, une étape est consacrée à la préparation de l’audience. Le langage clinique et expérientiel est alors traduit dans un langage plus juridique, et on cherche à appuyer les visions cliniques sur des faits. Les acteurs collaborent en vue de monter « un cas béton » pour la cour. Pour ce faire, ils s’appuient sur les différentes évaluations réalisées par des professionnels qui peuvent objectiver la décision.

Dans certains comités, il y a des acteurs qui posent la question : qui est le juge ? Les participants mentionnent que le jugement professionnel des juges, leurs préférences ou leurs positions semblent influencer leur prise de décision. Certains ont la réputation d’être pro-familles et de privilégier systématiquement les contacts, alors que d’autres semblent très sensibles aux besoins et aux réactions des enfants ou des familles d’accueil. C’est pourquoi, dans certains cas, il y a une tendance à préparer l’audience en fonction de la position connue du juge.

Discussion

Les résultats ont permis de décrire les comités aviseurs, ces espaces collectifs de prise de décision autour du projet de vie alternatif à la réunification. Les comités aviseurs représentent la nature interactive et collective du processus décisionnel. Dans ces espaces, les visions individuelles viennent se confronter les unes aux autres. Chacun apporte l’information dont il dispose, son opinion professionnelle de la situation et les émotions qu’il ressent par rapport à celle-ci. Les comités offrent aux acteurs impliqués un espace de construction de sens partagé et intersubjectif qui favorise l’analyse de la situation à partir des informations que chacun apporte. Lambert (2012) rend aussi compte de cet aspect en soulignant l’importance de l’interaction dans le processus décisionnel et la manière dont les « professionnels sont “interinfluencés” par la lecture de leurs collègues, ce qui les amène à réfléchir, enrichir, bonifier ou encore modifier leur propre point de vue » (p. 150). Les résultats montrent également l’importance de l’interaction avec d’autres acteurs externes à l’institution tels que les parents, les enfants, les familles d’accueil et les juges. Ces derniers jouent un rôle fondamental dans le processus de décision, non seulement parce qu’ils ont le dernier mot sur le projet de vie de l’enfant, mais aussi parce qu’ils influencent le processus par le biais de l’ordonnance.

Il semble qu’il serait très difficile pour les acteurs concernés d’assumer la responsabilité de prendre individuellement, seul, la décision d’orienter un enfant vers un projet de vie permanent alternatif. Cette décision implique un haut degré d’incertitude et une gestion des risques à moyen et à long terme, tant pour l’enfant et sa famille que pour les intervenants. Le comité aviseur permet aux acteurs impliqués de faire face à l’incertitude, à la complexité et à la responsabilité inhérentes à la prise de décision. Cette réflexion commune ne se réduit pas à la somme des visions individuelles. Il s’agit au contraire d’une négociation qui permet, à chaque pas, de trouver des angles d’analyse différents, ouvrant de nouvelles possibilités et favorisant la réflexivité. Certains auteurs partagent l’idée que la collectivisation du processus décisionnel, que ce soit par le biais de la supervision ou celui de la délibération, permet généralement d’éviter une réponse précipitée et minimaliste. Un tel processus de coconstruction permet aussi de colliger les points de vue de différents acteurs pour élaborer un récit complet et cohérent de la situation (Saltiel, 2016). La prise de décision collective favorise le rassemblement d’une multiplicité de visions qui permet, d’une part, d’avoir une représentation plus complète de la situation et, d’autre part, de traiter plus d’éléments et d’une manière plus approfondie (Larrick, 2016).

Il faut également considérer que la fonction des acteurs dans le processus décisionnel est largement déterminée par la place qu’ils occupent dans l’institution et le rôle qu’ils jouent dans le comité, lesquels influencent la façon dont ils prennent position. Ainsi, les acteurs apportent non seulement leurs expériences, leurs opinions professionnelles et leurs visions personnelles, mais aussi une perspective qui est attribuable à la place qu’ils occupent au sein de l’institution. Par exemple, un réviseur ayant un rôle actif dans la conformité de l’intervention sur le plan juridique n’a pas la même vision qu’un consultant qui donne une expertise psychologique clinique, ou qu’un intervenant qui est responsable de l’intervention auprès de l’enfant et des parents.

Lorsqu’on comprend l’importance de l’interaction pour donner un sens à la pratique et les bienfaits d’une prise de décision collective et délibérative, il apparaît souhaitable de repenser la manière d’organiser le travail et de générer les conditions favorables à la mise en oeuvre d’espaces de réflexivité tels que les supervisions cliniques et les rencontres de discussion (comme le comité aviseur). Cette recherche invite également à réfléchir sur la manière de favoriser la collaboration entre les différents services internes et externes à l’organisation, tels que le tribunal, qui joue un rôle fondamental dans le processus décisionnel.