Liminaire[Record]

  • Stefania Caliandro

Penser les modes de percevoir l’art appelle à une réflexion nécessairement plurielle, déterminée d’une part par les divers sens qui, d’une manière hiérarchisée ou bien synergique, participent à la définition de l’oeuvre, dévolue d’autre part à la multiplicité des phénomènes qui, indissolublement, s’y rattachent. S’il est question ici de perceptions, d’ores et déjà au pluriel donc, c’est moins dans le but de reprendre les découvertes scientifiques expliquant notre organisation sensorielle, qu’en vue d’approfondir comment ces données physiologiques s’intègrent à l’intérieur du complexe culturel articulant le savoir humain. Les perceptions mises en jeu dans l’art et par l’art ne cessent pas, en fait, de transformer nos capacités sensibles, de les bouleverser, de les affiner, jusqu’à faire percevoir autrement ce qui nous environne. En ce sens, l’appréhension esthétique comporte, sans aucun doute, une forme d’esthésie privilégiée, où toutes les potentialités sensorielles, qu’elles soient actives ou anesthésiées en l’occurrence, se trouvent magnifiées. Implications visuelles, kinesthésiques, tactiles, auditives, etc. sont travaillées de manière à chaque fois particulière non seulement suivant les genres artistiques, les lieux de création et de réception et les époques, mais presque d’un objet esthétique à l’autre. Par-delà ces relations physiques qu’autant les artistes que les observateurs mettent en scène, les oeuvres véhiculent à maints égards des perceptions psychiques du monde et, quoique leur ancrage à des instances référentielles soit notamment brouillé par le travail artistique lui-même, leur action sur l’imaginaire personnel ou collectif ne peut que redessiner sans trêve les contours du contexte dans lequel elles s’inscrivent. À vouloir restreindre le sens du terme en dépit de son emploi figuré — en délaissant par exemple le fait de signifier par perception la « vision », la conception du monde propre à quelqu’un —, on n’est néanmoins pas à l’abri de la complexité des phénomènes qui y fusionnent. D’un point de vue génétique, qu’il s’agisse de la morphogenèse ou d’une quelconque figurativité émergente des formes — entendues, bien sûr, dans une acception générale qui rassemble leurs diverses manifestations matérielles —, la perception dévoile un devenir perpétuel, où le flux des impressions et des sensations parvient à la conscience. Si des seuils de perceptibilité paraissent ainsi se définir, cela n’exclut pas par ailleurs que des éléments d’en dessous y interviennent et influencent, en quelque sorte, la perception par des apports que l’on peut différemment dénommer comme inconscients, subconscients, subliminaux ; sans compter qu’à tout moment la focalisation perceptive peut être remise en cause et questionnée dans ses rapports entre la forme et l’informe, la figure et le fond, le central et le marginal. De cette relation complexe entre sensation et perception, participe également la typologie variée des perceptions, qui n’a pas toujours été arrêtée en un répertoire partagé. Aux perceptions relevant des cinq sens (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) s’ajoutent en fait d’autres types, dus le plus souvent à des phénomènes d’interaction (superposition ou globalisation) des perceptions précédentes ; on peut ainsi énumérer, avec des degrés d’abstraction ou de généralité variables, des perceptions thermiques, kinesthésiques, endogènes ou proprioceptives, qui peuvent se combiner en des saisies polysensorielles ou bien par synesthésie, et qui contribuent toutes à déterminer la phénoménologie des perceptions spatiales et temporelles. Cependant, la liste ne se limite pas là, si l’on retient des formes d’appréhension plus immatérielles effleurant l’ordre de l’entendement. Sans vouloir recourir à un mythique sixième sens qui échapperait à toute concrétisation, il est intéressant de noter qu’en 1805, l’idée d’un « sens intime » soulevait les questions de l’existence d’« aperceptions internes immédiates », à distinguer « de l’intuition » qui est elle-même à distinguer de « la sensation et [du] sentiment », des liens qu’entretiennent …

Appendices