Comptes rendus

Michel Camus, Transpoétique. La main cachée entre poésie et science, Montréal, Éditions Trait d’union, coll. « Spirale », 2002, 124 p. ISBN 2 92257 283 8[Record]

  • François Mireault

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  • François Mireault
    Année francophone internationale (Université Laval)

À l’époque actuelle, les recherches interdisciplinaires se fraient un chemin dans les institutions comme dans les centres de recherches. Sont mis à contribution les divers savoirs inhérents aux sciences « dures » et aux sciences humaines, comme en témoignent les colloques internationaux où se côtoient, à titre d’exemples, poésie et cosmologie, science et conscience. Un tel décloisonnement entraîne une prolifération du sens permettant l’élaboration progressive d’un langage qui, sans gommer d’incontournables spécificités, se porte au-delà des frontières qui ont souvent délimité les sphères de la connaissance. C’est dans un tel esprit transdisciplinaire que s’inscrit d’emblée l’essai du poète et philosophe Michel Camus, décédé en 2003. Rédacteur en chef de la revue Mémoire du xxe siècle et membre du Centre international de recherches et d’études transdisciplinaires, l’auteur est connu pour ses recueils de poésie (Proverbes du silence et de l’émerveillement, L’arbre de vie du vide) ainsi que pour ses essais sur René Daumal, Adonis et Roberto Juarroz. Transpoétique, en reprenant dans leurs grandes lignes les précédents essais de l’auteur, cristallise une réflexion esthétique et éthique dont le noyau central constitue cette énigmatique « transcréation », à bien des égards redevable à la phénoménologie transcendantale husserlienne, aux travaux du physicien quantique Basarab Nicolescu et aux expériences métaphysiques, voire mystiques, de quelques poètes renommés. Camus convie donc le lecteur à se familiariser avec la voie transdisciplinaire, par delà des cultures particulières propres à la science pure et aux sciences humaines. Malgré d’indéniables divergences entre ces champs du savoir, à la lumière des découvertes modernes, les deux approches ne peuvent faire abstraction des complexes interactions entre l’univers et l’être humain. D’où la nécessité d’accéder à un autre niveau de conscience dont l’une des voies possibles est la phénoménologie transcendantale, qui se fonde sur un travail de détachement — la « réduction phénoménologique » selon Husserl — consistant à mettre entre parenthèses « tout ce qui n’est pas la source du regard intérieur » (p. 15) dans la conscience. Cette dernière s’entend dans un sens expérimental initiatique, non communicable, que peut percevoir chaque être humain. L’approche de la transcendance, en tant que niveau de réalité en discontinuité totale avec le plan naturel, s’effectue par une mort à la conscience naïve suivie d’une renaissance qui permet la compréhension de l’intersubjectivité absolue des êtres et des choses. Cette nécessité de « l’homme à venir », dans l’optique de l’auteur, fut le fruit des réflexions et expériences de quatre principaux visionnaires : Husserl, Raymond Abellio, le poète Jean Carteret et le physicien Basarab Nicolescu. Pour Carteret, le poète-métaphysicien est l’homme alchimiste qui se travaille, accédant graduellement à la connaissance de l’interdépendance universelle : le poète est « l’homme le plus troué du monde ». Dans un ordre d’idées similaire, pour Nicolescu, la science contemporaine ouvre la voie à une expérience du sacré conçu comme un silence intérieur, source d’une attitude transreligieuse et transculturelle. Le troisième chapitre concerne exclusivement la transpoétique : si l’autotransformation oriente vers l’autoconnaissance transcendantale, la poésie conserve le pouvoir de changer la vie et l’homme en dépassant la dualité entre celui-ci et l’univers par le dévoilement de forces refoulées. C’est ainsi que, pour Camus, « l’ère transdisciplinaire se présente comme monde rempli du silence de la parole poétique » (p. 11), car la transcréation s’ouvre au sens transcendantal qui traverse et dépasse le langage commun. Délivrée de l’opacité des signes, la conscience humaine devient elle-même un monde différent, infiniment ouverte à l’unité fondamentale de la connaissance par le biais d’une expérience résolument intérieure. Infiniment ouverte car la phénoménologie aboutit à un Rien, un néant plein qui, à l’instar du vide …

Appendices