Liminaire[Record]

  • Claude La Charité

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  • Claude La Charité
    Université du Québec à Rimouski

L’Ancien Régime a favorisé l’apparition d’un nouveau modèle culturel et littéraire fondé sur la sociabilité, au coeur duquel s’inscrivaient les femmes en tant que mécènes, salonnières, inspiratrices, mais aussi en tant que poétesses, écrivaines, mémorialistes, épistolières. À telle enseigne que, dans la geste gigantale de Rabelais, Gargantua (pour résumer l’esprit de la Renaissance) écrira à son fils que même les « femmes et filles ont aspiré à ceste louange et manne celeste de bonne doctrine  » rendue possible par la restitution des bonnes lettres. Malgré cette floraison sans précédent de vocations littéraires féminines, l’inscription du sujet (sans égard au sexe) dans la pratique littéraire ne va pas alors sans poser de difficulté : à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un sujet féminin. Cette difficulté tient à l’absence des femmes de la pratique rhétorique pendant toute l’Antiquité et l’essentiel du Moyen Âge . Les quelques exceptions à cette règle (recensées par Quintilien et Valère-Maxime) se justifient par des circonstances exceptionnelles, par exemple la célèbre matrone Hortensia plaidant la cause des matrones, ou sont stigmatisées comme des aberrations, telles l’androgyne Maesia de Sentinum ou Afrania dont le nom est devenu synonyme d’effronterie féminine. À cette quasi-absence de pratique féminine du discours correspond une aporie sur le plan théorique. L’impasse des traités de rhétorique sur la parole féminine peut être résumée laconiquement par le célèbre adage « vir bonus dicendi peritus », où c’est précisément l’homme de bien (au sens sexué du terme) qui est habile à la parole. L’émergence du sujet féminin, parallèle à la naissance de la subjectivité selon la thèse déjà centenaire de Burkhardt, a donc dû composer avec ce legs de la tradition, en multipliant les solutions obliques et les stratégies d’évitement. Dans ce contexte de multiplication des prises de parole publiques par des femmes en France aux xvie et xviie siècles, se pose la question de l’ethos féminin, entendu comme la « construction du moi parlant opéré à travers le discours  ». Alors qu’il est encore inconvenant pour les femmes, traditionnellement confinées à la sphère domestique, de prendre la parole publiquement, il convient de considérer les visées et les modalités rhétoriques qui particularisent la mise en scène de personnages féminins prenant la parole au « je ». Afin d’assurer la légitimité de leurs « publications » et de conférer une autorité à leur voix, les femmes écrivains doivent recourir à divers artifices rhétoriques, depuis l’invocation de la « muliebre debilité » chez Hélisenne de Crenne jusqu’à la posture revendicatrice de Marie de Gournay. Il reste à se demander si les textes affichant des personae féminines fictives répondent à des finalités semblables : par exemple, pourquoi recourt-on à des figures archétypales comme la femme adultère ou la bohémienne ? Et quelles modulations rhétoriques de la voix féminine ces fictions appellent-elles ? Si l’ethos dans la littérature française de la Renaissance a fait l’objet de quelques recherches, comme en témoignent notamment le dossier de la revue Réforme Humanisme Renaissance  ou les actes du colloque Èthos et pathos. Le statut du sujet rhétorique , on ne recense en revanche aucune étude portant spécifiquement sur l’ethos féminin pour cette période charnière de l’accès des femmes à l’écriture, des guerres de Religion (1560-1598) au règne personnel de Louis XIV (1661-1715). Ce dossier réunit le premier collectif sur cette problématique, en examinant quelles représentations de soi s’élaborent dans les textes composés par des femmes et comment celles-ci participent à la dynamique des oeuvres mettant en scène des personnages féminins. Les sept articles qui suivent sont classés selon un ordre essentiellement chronologique fondé sur les dates de rédaction ou de …

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