Compte rendu

Poétiques du roman. Scudéry, Huet, Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du xviie siècle sur le genre romanesque, édition établie et commentée par Camille Esmein, Paris, Honoré Champion, 2004, 943 p.[Record]

  • Roxanne Roy

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  • Roxanne Roy
    Université du Québec à Rimouski

Camille Esmein a le très grand mérite de rendre accessibles, dans une édition soigneusement établie, les réflexions théoriques sur le roman au xviie siècle, restées éparses et fragmentaires jusqu’à présent. On est alors frappé par la diversité des lieux d’énonciation des discours sur le roman, les formes (débat, conversation, avertissement, préface, avis, parodie) et les supports (traité, lettre, article, péritexte, réflexion métadiscursive) qu’ils empruntent. Cet ouvrage rassemble non seulement les principaux discours sur le genre romanesque, auxquels il accorde une large part — que l’on pense à la Préface d’Ibrahim de Georges de Scudéry, au Traité de l’origine des romans de Huet et aux Sentiments sur les lettres et sur l’histoire de Du Plaisir —, mais aussi une multitude d’écrits d’auteurs sans doute moins connus, tel Guyon Guérin de Bouscal ou Jean de Pelisseri. Le lecteur consultera donc avec profit les notices qui présentent brièvement chacun des auteurs et leur oeuvre, résument le texte choisi et mettent en évidence l’originalité de la démarche et de la réflexion proposée. Quant aux textes retenus, ils s’apparentent à un dialogue entre écrivains qui se répondent, se complètent ou se contredisent, soulignant, du coup, la pluralité des conceptions sur le genre romanesque qui cohabitent tout au long du siècle. L’organisation même du volume met en relief ce refus d’une rupture brutale entre anciens et nouveaux romans. En insistant sur les périodes transitoires, Camille Esmein évite de réduire l’histoire du genre à ce lieu commun sans cesse repris par la critique : « Les petites histoires ont entièrement détruit les grands romans . » Les parties consacrées aux romans satiriques ou comiques de même qu’aux débats littéraires du Mercure galant montrent bien que le roman n’est pas passé d’un coup de baguette magique de Clélie à La princesse de Clèves. Camille Esmein retrace donc l’histoire complexe, voire polémique, d’un genre qui cherche ses fondements et ses origines afin de se légitimer, puis tente de se définir et de se codifier. Ce parcours qui va de l’apologie à la poétique, pour reprendre un des sous-titres du volume, a pour tournant les années 1660, période qui se caractérise par le changement de forme du roman qu’on qualifie alors de « nouvelle », « histoire » ou « petit roman ». Avant cette date, la théorie ressemble davantage à une défense du genre qui cherche surtout à répondre aux critiques adressées au roman, elle se pense « pour ou contre » le roman. Après 1660, on note une volonté de définir le genre et de constituer une véritable poétique du roman qui se construit essentiellement contre le roman héroïque. L’évolution du roman et de ses théories, selon la chronologie adoptée par Esmein, connaît trois temps forts. D’abord, celui du roman baroque — qu’il soit comique, tragique, réaliste, sentimental ou pastoral — s’étend de 1621 à 1639. Au cours de cette période, l’illustration du genre se fait sur le modèle des romans grecs anciens et sur le rejet des romans de chevalerie. Il s’agit, pour l’essentiel, de mettre en avant la moralité, la valeur et l’exemplarité du roman afin d’éviter les reproches que l’on adresse habituellement à ces sortes d’ouvrages. Vient ensuite le temps du roman héroïque (1641-1661) qui se caractérise par « une visée totalisante, une exigence de noblesse (sujet élevé, personnage de haute condition) et une multiplication des péripéties et personnages  ». La défense du genre au cours des décennies 1640 et 1650 est élaborée à partir d’une transposition des règles épiques au roman. L’épopée permet de valoriser le roman en lui donnant de nobles origines mais surtout d’insister sur la régularité du genre. …

Appendices