Abstracts
Résumé
Pourquoi se référer à Dostoïevski quand on veut comprendre l’oeuvre de Némirovsky ? Cet article montre que la romancière elle-même tenait à distance son prédécesseur, redoutant d’être lue à la lumière, selon elle déformante, de ce que le lectorat français de l’époque jugeait caractéristique de Dostoïevski : l’expression de l’âme russe. Pourtant, ces « premiers » lecteurs français de Dostoïevski, qui voyaient en son oeuvre une tentative exemplaire de comprendre la vie au lieu de l’expliquer et de la juger, à la façon des moralistes, offrent une clé toujours valide pour pénétrer l’univers romanesque de Némirovsky ; car elle assume, bien qu’elle en ait, l’héritage du maître russe. En quoi consiste-t-il ? Empruntée au phénoménologue Michel Henry, la notion d’appréhension pathétique de la vie, qui remet en cause le dogme moderniste de l’impossibilité pour les individus de se connaître, et de se communiquer les uns aux autres la singularité de leur vie intérieure, permet de relier, par-delà toutes les différences, Némirovsky à Dostoïevski.
Abstract
Why refer to Dostoevsky when we seek to understand Nemirovsky’s work? This article demonstrates that the novelist herself was anxious to keep her predecessor at a distance, dreading the idea of being read in the distorted (in her view) light of what the French readership of the time deemed characteristic of Dostoevsky: the expression of the Russian soul. However, these “first” French readers of Dostoevsky, who saw in his work an exemplary attempt to understand life instead of to explain and judge it, after the fasion of moralists, offers a key that is still valid for penetrating Nemirovsky’s fictional universe; although she refuses to be identified to him, she assumes the heritage of the Russian master. What does this consist of? Borrowed from the phenomenologist Michel Henry, the notion of the pathetic apprehension of life, which questions modernist dogma concerning the impossibility for individuals to know each other and communicate to each other the singular nature of their interior life, makes it possible to link Nemirovsky to Dostoevsky despite all their differences.