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Le constat, tel un leitmotiv lancinant, apparaît dans nombre d’écrits depuis une bonne trentaine d’années : la représentation théâtrale s’est « émancipée [1] » et un changement de « régime » s’est produit. Ce changement a entraîné de multiples modifications, en ce qui concerne notamment la relation au spectateur qui s’est vu davantage impliqué dans l’expérience de la représentation. Mais il s’est également manifesté à travers diverses pratiques interdisciplinaires et par une forte tendance à saturer la représentation de procédures autoréflexives. De Tadeusz Kantor à Romeo Castellucci, de Claude Régy à Denis Marleau, d’Ariane Mnouchkine à Robert Lepage [2], la praxis scénique est devenue protéiforme à force de se repenser, de se déconstruire, de faire éclater ses frontières. La notion de « théâtralité », que l’on a pensée apte à cerner la spécificité de l’art du théâtre, se révèle plus que jamais fuyante [3] : en rompant avec les catégories de la modernité, l’esthétique théâtrale n’a eu de cesse de se « dé-définir » au fil du temps, en rendant caduques les catégorisations aussi bien que les critères formels et discursifs qui permettaient d’appréhender les productions du théâtre contemporain, d’en discuter la valeur et la pertinence. Sur fond de « surmodernité [4] » et sur les ruines des Grands Récits, nous pensons plus que jamais nécessaire de mettre au jour les nouvelles modalités d’une critique des oeuvres, par-delà la singularité des orientations que prennent les créateurs du théâtre contemporain. Cet enjeu est forcément de nature théorique, car il s’agit de penser le devenir de l’esthétique théâtrale, en sachant que la sensibilité présente renvoie, selon Jacques Rancière, à une idée nouvelle de l’artiste « qui voyage dans les labyrinthes et les sous-sols du monde social [5] ».

Un deuxième constat accompagne bien souvent le premier : dans son projet d’exhiber, voire d’exhausser la théâtralité, dans son incessant travail de déconstruction de l’illusion, le créateur scénique ferait « le vide de toute représentation [6]  » et exposerait les composantes de la scène dans leur « littéralité », c’est-à-dire en tant que présentes en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Opaques, ces éléments ne relèveraient plus d’une signification préméditée par le créateur et ils s’offriraient, dans leur évidence toute sensorielle, au spectateur qui s’y engage comme un archéologue appelé à déchiffrer des hiéroglyphes. Sur la scène comme en suspension, un jeu entre la représentation et la non-représentation se déploie, un curieux « jeu de langage » (Wittgenstein) que le spectateur doit investir de sa propre subjectivité. Au spectateur, désormais, reviennent le soin et la responsabilité de déterminer, de forger le/les sens de la représentation, de tirer de l’expérience théâtrale à laquelle il est convié une « idée-théâtre [7] » qui vaut pour lui seul et pour cette seule expérience. Il ne resterait plus, dès lors, qu’à se rabattre sur des points de vue partiels. L’esthétique théâtrale serait ainsi vouée à une théorisation tautologique, faute d’impératifs catégoriques.

Ce relativisme découle d’une autre tendance de la théâtrologie, dont Le théâtre postdramatique [8], brillant ouvrage qui a fait date, est emblématique. Hans-Thies Lehmann y adopte une approche synthétique en proposant un « paradigme postdramatique » dont il décrit les traits stylistiques, tout en embrassant la question de la diversité des formes à notre époque. L’essai trahit cependant son parti pris : les possibles de ce « nouveau théâtre » concernent essentiellement la technique, le médium, les formes déconstruites de la « tradition moderne », alors que le rapport [9] que ces formes, que l’on dit autoréflexives, établissent avec le monde est pour ainsi dire ignoré. Si l’on s’attarde, dans les études théâtrales actuelles, à définir de nouvelles configurations, si l’on s’attache à la nature des oeuvres, à l’observation des procédés d’hybridation et d’éclatement des formes, on y laisse souvent en plan ce que l’expérience esthétique de la représentation théâtrale donne à penser. Tout se passe comme si la question de savoir comment le théâtre est en prise sur le monde était reportée à plus tard ou tout simplement éludée. Nous ne pensons pas qu’il faille de la sorte débrayer l’esthétique théâtrale de ses points d’ancrage dans l’univers social.

À l’évidence — il s’agit là d’un troisième constat récurrent —, les problèmes auxquels sont confrontés les théoriciens du théâtre posent un défi épistémologique de taille. Penser globalement la multiplicité des pratiques théâtrales, ne nous le cachons pas, fait courir le risque d’un aplatissement des singularités culturelles, artistiques, disciplinaires — ou, pire, celui de l’établissement d’une norme. À l’inverse, tout effort pour penser à nouveaux frais le foisonnement des pratiques peut s’égarer dans l’indifférenciation conceptuelle, car refuser de dégager des courants, des tendances, des orientations, des « jeux de langage » distincts, peut conduire au simple empilement d’objets prétendument déconstruits, voués à rester insaisissables. Peut-on espérer parvenir à ressaisir l’activité théâtrale de notre époque sans faux-fuyant, à l’instar d’un Yves Michaud dans le domaine des arts visuels — champ chaotique s’il en est un —, pour qui il est envisageable de « penser la pluralité en acceptant ses conséquences relativistes mais d’une manière conceptuellement organisée [10] » ? Faut-il, pour effectuer une saisie englobante et intelligible, multiplier les concepts, assouplir les manières de les appliquer, inventer un nouveau cadre interprétatif ? Est-il possible de dépasser aussi bien la description formaliste que le relativisme lénifiant pour s’engager dans un véritable processus de théorisation esthétique ?

Plusieurs chercheurs se sont récemment attaqués de front à cette problématique. C’est le cas de Christian Biet et Christophe Triau qui, dans un ouvrage imposant, adoptent une approche globale pour répondre à une question pour le moins ambitieuse : Qu’est-ce que le théâtre [11] ? — une question à laquelle ils continuent de réfléchir dans ce dossier en revenant sur les postures qu’adoptent certains commentateurs de la scène très contemporaine. Également, Josette Féral a réuni, dans le numéro de SubStance mentionné supra, un ensemble de textes dans lesquels sont mises en relation théâtralité et performativité. Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, pour leur part, « mett[e]nt en résonance pensée artistique et pensée scientifique [12] » lorsqu’elles observent, d’abord, « les nouvelles dynamiques narratives » du théâtre, puis l’écriture scénique — plus particulièrement le « théâtre de l’image [13] » —, en recourant à l’approche systémique et aux principes de la complexité proposés par Edgar Morin. Dans une perspective interdisciplinaire, en cherchant à dépasser les constats de la postmodernité, ces chercheurs souhaitent tous envisager l’acte théâtral dans sa globalité.

Le présent dossier, loin de prétendre résoudre tous les problèmes soulevés, se propose d’aborder un ensemble de questions afin de stimuler des recherches futures en esthétique théâtrale. Les auteurs qui y contribuent ont été invités à réfléchir aux fondamentaux de l’art du théâtre de notre époque, en veillant à en articuler les formes et les discours, ainsi qu’en tentant d’y discerner des concepts porteurs, tout en évitant l’étude de cas. Chacun des sept contributeurs s’est engagé à relancer, à poursuivre, à questionner les travaux en esthétique théâtrale contemporaine par la mise à l’épreuve de pistes exploratoires : leurs choix se sont portés sur la comparution (Christian Biet et Christophe Triau), la notion de théâtre frontal (Jean-Marie Apostolidès), le dialogisme (Hervé Guay), la mutation de la catharsis en cathartique (Catherine Naugrette), le concept d’espace vide (Liviu Dospinescu) et, enfin, le dispositif (Arnaud Rykner). Ainsi, ces études constituent-elles autant de voies d’accès à une problématisation du fait théâtral, au carrefour de l’esthétique, de l’histoire, de la dramaturgie, de la politique et de la philosophie.

Christian Biet et Christophe Triau ouvrent le dossier avec un texte aux nets accents programmatiques : « La comparution théâtrale. Pour une définition esthétique et politique de la séance ». Les deux auteurs se réclament d’emblée d’une « attitude simultanément historique, esthétique et politique » pour questionner le discours esthétique ambiant. Ils s’interrogent d’abord devant la tendance à évacuer tout horizon référentiel dans le discours esthétique, au profit d’un espace de partage où, en dernière analyse, ne resterait plus que le jeu pour lui-même. À ce schéma qui vire au solipsisme, s’ajoute la suspicion dont est entourée toute représentation qui se pose en tant que discours, fût-il clairement polyphonique. Contre cette conception autotélique du théâtre, les auteurs font valoir qu’une séance théâtrale est, qu’on le veuille ou non, une comparution, dans la mesure où elle est une mise en relation réciproque et hétérogène d’individus, en un temps et un lieu donnés, autour d’une proposition. Dans cette perspective, les catégories en usage et les classements doivent être revus en prenant acte du fait que le théâtre, par la comparution de tous devant tous, ne fait pas que témoigner, mais qu’il « fait quelque chose qui est de l’ordre du processus du jugement ». Un tel processus est une opération esthético-politique, dès lors que l’assemblée théâtrale implique la coprésence d’individus qui partagent des savoirs et qui sont, consciemment ou non, traversés par des champs de forces contradictoires. Il appartient alors au théoricien de porter son analyse vers les modalités de cette opération et leur raison d’être.

Jean-Marie Apostolidès, dans son texte sur « Le théâtre de la frontalité », part de l’avènement décisif de la perspective au xvie siècle et de sa domination de l’espace de la représentation jusqu’au xixe siècle. Il examine ensuite les modalités de son rejet par les créateurs qui lui ont préféré le regard frontal. L’auteur s’intéresse d’abord à l’apparition du « regard absolu » qui fait se différencier des conceptions de la vision soumises à un syncrétisme certain. Ce système perspectiviste de la représentation en Occident est remis en question avec la modernité théâtrale du tournant du xxe siècle et à travers ses déclinaisons plus ou moins radicales depuis lors. Les avant-gardes historiques ont joué de la sorte un rôle déterminant, par exemple, dans la disqualification du personnage doté d’une intériorité sur le modèle de la psychologie des profondeurs. L’apport d’un Isidore Isou et de son mouvement lettriste est, à cet égard, resté méconnu, alors que son théâtre présente un univers devant lequel le regard se fait instable et qui est pourtant propice à l’inclusion fusionnelle du spectateur. Dès lors, il est possible d’aborder la théâtralité actuelle en prenant conscience de l’indécidabilité d’un monde où le vrai et le faux sont interchangeables, au point où il ne saurait exister un accord collectif sur le sens à donner aux oeuvres actuelles et même à celles du passé, désormais livrées à leur appropriation par un créateur scénique.

Dans son étude prospective « Vers un dialogisme hétéromorphe », Hervé Guay explore, de son côté, les manifestations d’un nouveau dialogisme dans les pratiques théâtrales contemporaines. À l’encontre de Bahktine, à l’origine de la notion, et pour qui le texte de théâtre, dans sa forme traditionnelle, ignore le principe d’une coprésence de voix relativement autonomes, il y a lieu, selon l’auteur, de prendre en compte le dialogisme à l’oeuvre non pas tant dans le texte lui-même qu’au sein de la représentation théâtrale, dans la mesure où les échanges verbaux, prédéterminés par le dramaturge, s’inscrivent dans un ensemble spectaculaire, constitué de discours croisés. Ainsi, a-t-on assisté depuis quelques décennies à la complexification de l’énonciation théâtrale — verbale et non verbale —, alors que d’autres voix se font entendre, avec et contre celles de l’auteur et du metteur en scène. Plus encore, c’est le processus créateur du spectacle théâtral qui participe d’un dialogisme hétéromorphe en mettant à contribution diverses disciplines (musique, danse, vidéographie, arts visuels, etc.) qui sont partie prenante de la composition de l’oeuvre, et non plus de simples moyens d’appoint.

Avec son texte, « De la catharsis au cathartique : l’avenir d’une notion esthétique », Catherine Naugrette suit le fil des transformations et des déplacements qu’a subis la notion de catharsis depuis son exposition par Aristote jusqu’à sa résurgence dans la dramaturgie contemporaine. Elle s’intéresse moins ici au processus postmoderne de « recyclage » qu’elle ne cherche à révoquer en doute l’idée selon laquelle la modernité artistique aurait fait table rase des concepts fondateurs de l’esthétique théâtrale en Occident. Centrale dans la Poétique, la notion de catharsis se plie aux règles de la bienséance et de la morale dans les textes définissant l’esthétique classique et se voit rejetée par Hegel au profit d’une résolution rationnelle du conflit dramatique. Brecht attribue, quant à lui, une dimension psychologique à la catharsis qu’il proscrit également, y voyant un processus acritique d’identification du spectateur au personnage. Naugrette précise toutefois, en soulignant la dimension intellectuelle du concept aristotélicien, que la catharsis n’implique aucune identification psychologique, mais suscite plutôt la reconnaissance « des images fabriquées par le texte tragique et représentées au théâtre », reconnaissance qui, suscitant le plaisir, permet de rendre le monde intelligible. L’auteure repère ensuite des traces du cathartique grec dans la dramaturgie contemporaine, qui réapparaissent sous la forme des sentiments à l’origine de la catharsis : la peur et la pitié. Chez Bond et Müller, la peur crée un choc s’apparentant à celui de la tragédie grecque, tandis que ce sentiment devient, dans le théâtre contemporain, l’objet même de la représentation. Dans les productions du Groupov, de Fabrice Melquiot ou de Wajdi Mouawad, la pitié permet d’élaborer un « théâtre de la compassion » qui réinvestit l’une des fonctions de la catharsis aristotélicienne : « l’éveil du sens de l’humain [14] ». Envisagée selon une perspective historique, la notion de catharsis, nullement frappée d’obsolescence, permet donc d’éclairer plusieurs démarches contemporaines.

En vue de permettre l’appréhension d’expériences s’inscrivant dans la mouvance « désesthétisante et désémiotisante » du genre théâtral, reposant moins sur la représentation d’un système symbolique signifiant que sur la sollicitation des sens du spectateur, Liviu Dospinescu propose de mettre à l’épreuve le concept « d’espace vide » dans « Effet de présence et non-représentation dans le théâtre contemporain ». De Meyerhold à Beckett, nombreux sont les praticiens qui transforment les composantes de la représentation pour, à travers un travail d’épuration, parvenir à susciter un effet de présence, l’impression que « quelque chose » habite la scène malgré le vide qu’elle manifeste. L’expérience du spectateur, activement impliqué dans l’acte théâtral, se révèle dès lors reconfigurée selon de nouveaux modes de perception que met en oeuvre la représentation. Le concept d’espace vide, que l’auteur élabore en s’inspirant des travaux d’Eco sur la réception et de Husserl sur la « représentation vide », permet d’envisager l’action du spectateur comblant l’énonciation incomplète que peuvent constituer certaines propositions théâtrales, ou celle lors de laquelle il projette son propre vécu sur la scène lorsque la représentation provoque un blocage interprétatif. À cet égard, la technologie joue un grand rôle dans l’entreprise de créer de nouvelles expériences à travers lesquelles le spectateur « vit », en l’éprouvant sensuellement, la réalité du simulacre que constitue l’espace vide. Parmi les exemples possibles, Dospinescu se penche sur la réalité virtuelle qu’intègre au théâtre Mark Reany, de même que sur Les fantasmagories technologiques, et plus précisément sur Les aveugles, que conçoit Denis Marleau. Le spectateur se trouve immergé dans une réalité autre, est amené à se fondre dans l’expérience théâtrale, à dilater son être au sein de la représentation vide en la réalisant mentalement, en lui attribuant une signification virtuelle, née de la projection de ses « propres vécus » individuels.

S’inspirant des travaux récents d’un groupe de recherche français qui s’intéresse aux arts visuels, Arnaud Rykner, dans le dernier texte du dossier, se penche sur la question « Du dispositif et de son usage au théâtre ». La notion de dispositif a une indéniable portée, parce qu’elle permet d’articuler la malléabilité, l’éclatement et la diversité des formes contemporaines, et de penser le « processus continu et ouvert » qui fait se heurter et coexister les composantes hétérogènes de la représentation. Exacerbant d’abord l’aspect visuel du spectacle, le dispositif organise un espace où le discours, la signification demeurent en suspens et sont à construire. Non sans recouper la situation décrite par Liviu Dospinescu, le spectateur se trouve inclus dans le dispositif, avec lequel il interagit directement pour élaborer le ou les sens de la représentation. À ces caractéristiques relevant de la scénographie et de la réception, Rykner ajoute celle, symbolique, du discours que forge le dispositif, et qui prend ou non appui sur un texte. Le dispositif, ainsi, ne se contente ni d’exhiber le vide, ni d’exposer une infinité de sens possibles, ni d’imposer un sens unique : il met plutôt en question « les conditions de […] perception du monde » du spectateur, « propose de nouvelles modalités du réel » entre le vide et le plein en affichant son propre processus de signification, tout en réservant une place cardinale au spectateur. Grâce à cette seule notion, le travail fondé sur la profération de la parole d’un Claude Régy, comme celui du danseur Josef Nadj qui évince au contraire le texte pour explorer le mouvement, l’espace et la musique, peuvent être abordés à partir d’un substrat commun.

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Un grand thème s’impose sans conteste au fil des textes de ce dossier, soit la fonction primordiale que les manifestations théâtrales contemporaines attribuent au spectateur, entraîné à assumer et à développer son travail interprétatif, ou entièrement engagé dans une expérience sensorielle « extra-quotidienne ». Si cette conclusion n’a rien de radicalement nouveau, il n’en demeure pas moins que la présence soutenue du thème, au coeur même des textes proposés ici, sans concertation aucune, démontre qu’un déplacement a bel et bien été opéré, que la critique souhaite se donner les moyens de saisir : les tensions entre le texte et la représentation — ou entre l’auteur, le metteur en scène et l’acteur —, qui constituaient la prémisse du raisonnement de Dort que nous citions supra [15], concernent désormais davantage la scène et la salle, dans la mesure où l’enjeu de plusieurs des créations convoquées en exemple par les auteurs réside dans le rapport qu’entretient la représentation avec le spectateur. Les alliances multiformes entre les composantes du spectacle et le regard spectateur forgent tout autant de nouveaux modes de perception que des manières inédites de faire sens. Mais le spectateur n’a pas été uniquement présenté comme le producteur individuel du sens de l’oeuvre, qui construit son théâtre singulier en investissant la scène de sa subjectivité ; il s’inscrit dans l’ensemble collectif du public lorsqu’il assiste à la « séance » théâtrale, ou lorsqu’il retrouve « le sens de l’humain » au coeur des enjeux d’une représentation. Ainsi le théâtre récent, à travers son aventure de redéfinition perpétuelle, s’inscrit dans le contexte duquel il émerge — celui, restreint, de la représentation, comme celui plus large de la société ou du « champ théâtral » — et parvient, en renouvelant les formes, à poser sur le monde un regard critique, à le faire voir autrement, à le dire et à le mettre en question.

Les concepts abordés en ces pages embrassent toute la complexité du phénomène théâtral. Ils nous ont semblé offrir d’utiles balanciers aux chercheurs, afin de garder l’équilibre sur le fil tendu entre les deux pôles évoqués plus haut, celui d’une grille d’analyse normative et celui du relativisme facile. Les textes du présent dossier invitent à circuler, tels des funambules, entre la scène et la salle dont il importe plus que jamais de tenir compte. Il nous reste à souhaiter que, pour les chercheurs posés sur la corde raide, au dessus du vertigineux foisonnement de la création, ces prolégomènes leur inspirent de nombreux travaux sur le théâtre actuel et à venir.