Liminaire[Record]

  • Cynthia Harvey

…more information

  • Cynthia Harvey
    Université du Québec à Chicoutimi

Si l’histoire de la littérature française du xixe siècle semble immuable et bien connue, avec ses grands monuments (Hugo, Balzac, Flaubert, Zola, etc.) dont personne ne discuterait la légitimité, elle occulte cependant la participation de plusieurs écrivaines, pourtant fort actives et appréciées à leur époque. La monarchie de Juillet, par exemple, voit l’émergence de nombreuses écrivaines, tant dans le milieu aristocratique (Delphine de Girardin, Marie d’Agout) que dans le milieu bourgeois (Louise Colet, Flora Tristan) et ouvrier (Élisa Mercoeur, Louise Crombach). Or, étudiées le plus souvent comme documents sociologiques (sur la condition de la femme, ses valeurs, ses perceptions), ces oeuvres se voient dénier leur intérêt littéraire. Littérature secondaire, « fleur bleue », les romans écrits par des femmes sont ou bien dénigrés, ou bien perçus comme de pâles imitations du grand roman masculin, genre considéré par certains comme la forme de la « virilité mûrie  ». Tantôt muse, tantôt correspondante, tantôt fille, l’écrivaine du xixe siècle apparaît comme l’Autre de l’Un. La critique féministe traditionnelle a bien identifié les causes de cette occultation : la littérature, qui s’est institutionnalisée au cours des xviiie et xixe siècles, est sous le pouvoir et l’influence des hommes qui dominent les différentes institutions de la société. Dans l’un de ses derniers ouvrages (La domination masculine, 1998), Pierre Bourdieu s’est intéressé au travail historique de déshistoricisation des genres sexuels. Inscrivant sa réflexion dans les sillons de la critique féministe, Bourdieu rappelle que la domination masculine est à ce point ancrée dans notre inconscient que nous ne la percevons plus, des siècles de discours androcentriques ayant réussi à instituer la supériorité de l’homme comme naturelle. Étant soumis à une convention élaborée par des hommes, les différents genres littéraires participent de cette domination masculine, ce qui contribue à orienter l’écriture de l’histoire littéraire en fonction de modèles presque exclusivement masculins. Depuis longtemps associée à l’intime (lettres, autobiographie, Mémoires, journal), au stéréotype de l’intériorité (roman psychologique), au repli sur soi, l’écriture féminine représente pourtant beaucoup plus : elle est un autre regard sur le roman et sur le monde. À l’heure d’une prise de conscience sociale et d’une prise de position des femmes dans l’espace social (par la mise sur pied de mouvements d’émancipation), la littérature des femmes du xixe siècle s’offre comme un lieu d’incubation idéologique et de recréation du monde inédit. Si la science et l’histoire portent un discours sur le monde, elles ne sauraient l’« habiter », restant toujours extérieures à leur objet, tandis que la littérature présente une suite de tentatives pour saisir l’identité humaine et ses multiples possibilités existentielles. Comme l’affirme Milan Kundera au sujet du roman, la vérité qui lui est propre permet seule une meilleure connaissance du monde. Afin d’explorer ce territoire, notre numéro propose d’interroger les rapports du personnage féminin avec les différentes institutions qui structurent autant la société que l’univers romanesque. Les différentes contributions à ce numéro permettront de penser et d’illustrer le rapport des personnages féminins ou des femmes avec les différentes institutions qui structurent l’univers romanesque ou social. Nous analyserons le rôle de la femme (auteur ou personnage) tel qu’il se reproduit, se construit ou se subvertit dans la sphère sociale ou dans les oeuvres. L’enquête s’ouvre sur deux études de l’oeuvre de George Sand, l’une des auteures du xixe siècle à trouver droit de cité dans l’histoire littéraire masculine — non sans s’attirer son lot de critiques négatives. L’analyse de son oeuvre inaugurale Indiana, qui présente les caractéristiques d’un roman d’apprentissage au féminin, sera l’occasion de montrer les possibilités limitées offertes à la jeune femme …

Appendices