Liminaire[Record]

  • Louise Frappier and
  • Anne G. Graham

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  • Louise Frappier
    Université d’Ottawa

  • Anne G. Graham
    Memorial University

La question de l’exemplarité du théâtre pose celle, fort épineuse, de la fonction de ce dernier. L’exemple sert en effet à illustrer un raisonnement ou à confirmer un discours préalable (exemplum), ou encore sert de modèle à imiter ou à fuir (exemplar). Or, dans ces deux acceptions, l’exemple vise à cautionner un savoir, que ce soit en confirmant le principe général d’un raisonnement ou en rendant sensible le principe que cet exemple représente. Dans cette perspective, comment le théâtre peut-il s’avérer exemplaire, c’est-à-dire produire un « savoir » (religieux, politique, moral) qui fasse autorité, et se voir ainsi attribuer une fonction extra-esthétique ? Jusqu’à quel point le théâtre, lorsqu’il se fait didactique, véhicule-t-il des idées, des opinions ou des principes ? Quelles relations ce théâtre, qui se veut édifiant ou instructif, entretient-il dès lors avec les autorités ? A-t-on affaire à un théâtre subversif ou propagandiste, au service d’une idéologie ? C’est à partir de ces questions que les collaborateurs de ce numéro se sont interrogés sur la dimension exemplaire du théâtre du xvie siècle, ainsi que sur les rapports qu’il entretient avec la religion, le politique et la morale. Si le théâtre de cette période se caractérise par la diversité de ses formes et la pluralité de ses influences, les articles de ce numéro portent essentiellement sur la tragédie, forme scénique particulièrement apte à proposer un enseignement. Dès sa « redécouverte », la tragédie s’est en effet vue assigner, tout comme la comédie, une fonction clairement « didascalique ». Peut-on toutefois attribuer à cette forme théâtrale un rôle éditorial, voir en elle une forme de commentaire sur l’actualité politique, analogue à celui que pouvaient proposer, par exemple, les comédies d’Aristophane ? Au xvie siècle, les idées de la Réforme se propagent rapidement, et le théâtre semble avoir été l’un de ses modes d’expression privilégiés. L’article de Katell Lavéant examine les tentatives de contrôle que les autorités impériales et locales ont voulu exercer sur le théâtre des Pays-Bas, en s’attardant sur les ordonnances proclamées dans la région de Lille qui visaient à réguler les rassemblements publics. Mais le caractère hybride du théâtre — qui peut prendre une forme orale ou écrite — semble expliquer la faible efficacité de ce dispositif juridique, qui échoua à enrayer complètement l’organisation et le déroulement de représentations religieuses à contenu polémique. Ce théâtre, de plus en plus surveillé et encadré au cours du siècle, propose, à travers la forme tragique en particulier, des intrigues construites autour d’une crise d’ordre tout à la fois politique et spirituel, comme le souligne Ruth Stawarz-Luginbühl. L’auteure montre que les dramaturges réformés ont construit, à l’orée des guerres de religion, une dramaturgie tragique reposant sur la représentation du fidèle mis à l’épreuve, représentation qu’elle examine à la lumière de l’idéal calvinien de l’homo probatus, développé dans les Sermons sur Job et les Commentaires de Calvin sur Abraham. En effet, les personnages d’Abraham, d’Esther et de David dans les tragédies de Bèze, de Rivaudeau et de Des Masures expérimentent un épisode de doute marqué par le sentiment d’un profond désespoir et la crainte d’être abandonnés de Dieu, épreuve à l’issue de laquelle ils retrouvent, par un « retournement herméneutique », la foi en la bonté et la fidélité divines. « Cette séquence probatoire », par laquelle s’élabore la figure exemplaire du croyant réformé, est située au coeur de toutes les tragédies étudiées et marque la profonde originalité de ce théâtre. Le personnage d’Abraham fait l’objet d’une analyse détaillée dans l’article d’Anne G. Graham, par le biais cette fois du modèle sénéquien. La « …

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