Liminaire[Record]

  • Cécile Yapaudjian-Labat

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  • Cécile Yapaudjian-Labat
    Université d’Aix-Marseille

La question de la lecture est au coeur de la réception critique de l’oeuvre de Claude Simon depuis ses débuts. De l’ouvrage inaugural de Gérard Roubichou, intitulé Lecture de L’herbe de Claude Simon (1976), jusqu’aux Lectures allemandes (2013) récemment offertes par Irene Albers et Wolfram Nitsch, en passant par Lire Claude Simon (1995) de Patrick Longuet et L’expérience du lecteur dans les romans de Claude Simon (1997) de Christine Genin, la critique a cherché à définir le nouveau mode de lecture requis par les romans de Simon. Longtemps réputés difficiles d’accès, ceux-ci mettent effectivement à mal les ressorts de la narration classique, non pas tant pour les déconstruire, cependant, que pour révéler et sonder leur inadéquation au réel. L’écriture de Simon entraîne dès lors le lecteur dans une aventure que le romancier définit lui-même comme une errance : « Parce qu’il [mon chemin] est bien différent du chemin que suit habituellement le romancier et qui, partant d’un “commencement” aboutit à une “fin”. Le mien, il tourne et retourne sur lui-même, comme peut le faire un voyageur égaré dans une forêt, […] son trajet se recoupant fréquemment, repassant par des places déjà traversées ». De même dans le Discours de Stockholm, Simon, commentant sa manière d’écrire, en appelle à une manière de lire conséquente : son lecteur, comme lui-même, doit accepter de « progresse[r] laborieusement, [de] tâtonne[r] en aveugle, [de] s’engage[r] dans des impasses » et d’« avan[cer] toujours sur des sables mouvants ». Accepter cette errance, telle semble être la condition d’accès au « plaisir du texte », celui que seul procure, selon Roland Barthes, le « texte de jouissance : celui qui met en état de perte, celui qui déconforte (peut-être jusqu’à un certain ennui), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage ». Or, c’est bien de cela dont il s’agit avec Simon. Comme l’écrit le romancier et traducteur Claro, « [l]e lecteur qui découvre pour la première fois l’oeuvre de Claude Simon se trouve presque immédiatement confronté à un choix qu’il n’a pas besoin de résoudre : hiérarchiser mentalement les différents pans de la syntaxe ou lâcher prise et se dissoudre dans le flux de la narration ». Le jeune Simon n’a-t-il pas d’ailleurs vécu une expérience de lecture assez proche lorsqu’il découvre Proust, Joyce et Faulkner, trois auteurs essentiels pour lui et eux aussi réputés difficiles ? Quoi qu’il en soit, l’acte de lecture est indissociable, selon Simon, de celui de l’écriture. Il considère ainsi que « c’est le désir d’écrire suscité par la fascination de la chose écrite qui fait l’écrivain ». Et il en va de même aujourd’hui pour un certain nombre d’auteurs fascinés à leur tour par l’écriture simonienne, par ses images inédites, le rythme de la phrase, ample et pourtant hésitant, par le regard singulier porté sur l’Histoire comme sur le détail infime. Les articles rassemblés dans ce dossier souhaitent montrer que ce mode de lecture particulier induit par les romans de Simon renvoie plus largement à une poétique romanesque, laquelle est représentée dans l’oeuvre à travers de multiples figurations de l’activité lectrice. Dans un premier temps, les articles d’Anne-Lise Blanc, David Zemmour et Joëlle Gleize reviennent sur l’« illisibilité » des romans de Simon et tentent de définir ce qu’elle rend lisible, à travers l’activité infinie de déchiffrage qu’elle suscite. Avant d’examiner les différentes situations de lectures empêchées dans les romans de Claude Simon, Anne-Lise Blanc pose comme une « révolution du visible » l’intention, chez Simon, « de préserver …

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