Liminaire[Record]

  • Stéphanie Boulard and
  • Stella Spriet

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  • Stéphanie Boulard
    Georgia Institute of Technology

  • Stella Spriet
    University of Saskatchewan

Qu’est-ce qui anime l’écriture de Pascal Quignard ? Qu’est-ce qui fait de cette oeuvre l’une des références majeures de la littéraire française contemporaine ? Comment être à même de saisir toutes les données culturelles et intimes qu’elle brasse ? Telles sont, entre autres, les questions qui sont au coeur de ce numéro consacré à l’oeuvre de Pascal Quignard, envisagé sous l’angle de la traversée, c’est-à-dire du franchissement, du parcours d’une extrémité à l’autre de l’oeuvre. Il s’agit, comme le dit l’origine latine du mot, transversare, de « remuer en travers », de prendre les chemins de traverse de l’oeuvre, afin d’en saisir tous les échos. C’est tout autant se frayer un passage à travers un ensemble que s’ouvrir à ce qui passe par l’esprit. Pour lors, avec la traversée embarquent d’autres mots : passages, seuils, portes. Ce numéro, qui tente de saisir une partie de la pensée-vision de l’oeuvre quignardienne, est aussi une porte à plusieurs battants, qui offre, à mesure qu’elle s’ouvre, des lectures divergentes, émancipantes, constructives. Et, sans doute, il fait écho à ces mêmes questionnements que développe Pascal Quignard dans son oeuvre : la littérature comme porte ouvrant sur une autre relation au monde ; l’oeuvre comme opus incertum ; la dynamique rêve-réalité ; une réflexion sur les « frontières catégoriques », humaines, sexuelles, littéraires ; la question de la lecture et de l’écriture, et avec elle, la poétique, la rhétorique, la linguistique ; le païen, le sacré, le profane ; le diabolique dans la peinture et dans le texte, le feu et « ce qu’on allume dans le monde avec le temps ». Il en va de la composition de ce numéro comme des livres de Pascal Quignard, et nous avons choisi de laisser le lecteur libre de le traverser comme il l’entend. Tout comme pour ce liminaire, il n’y a pas d’ordre préétabli : les textes sont offerts à la méditation du lecteur et à l’errance de la lecture comme de la pensée. Il s’agit ainsi de suivre les cheminements et entrelacs de la lecture et de l’écriture, de prendre des chemins de traverse, et de suivre ce que prône l’oeuvre de Pascal Quignard inlassablement : se laisser aller au désarçonné, faire place à de nouveaux passages, chercher de nouvelles configurations, déjouer les règles et les ordres, et se vouer à la dynamique d’insubordination. Lire Pascal Quignard, alors, c’est bien sûr s’interroger, en dialogue avec l’oeuvre du pseudo-Longin, sur le dépassement des limites et sur le foudroiement. Gilles Declercq, dans les pages qui suivent, met justement au jour une poétique de l’art quignardien en s’appuyant sur les différents traités à travers lesquels Pascal Quignard tente d’appréhender la notion de sublime. Il montre ensuite les prolongements de cette réflexion sur la pratique même de l’auteur et développe l’idée d’une forme-sens, en étudiant le travail effectué sur les fragments et en analysant le laconisme défini comme un style soustractif. L’idée qui sous-tend cette réflexion est que, malgré les apparentes ruptures, il apparaît toujours une ligature plus profonde. À considérer la perspective adoptée par Gaspard Turin, il s’agit de « plonger du bord de la langue » pour questionner les limites de la phrase quignardienne à partir de certaines formes récurrentes : brachylogies, asyndètes, fragments… Son article dresse une cartographie des formes disjonctives et choisit de questionner le surgissement paradoxal de l’imprévisibilité ou de l’indécidable dans cette oeuvre, en en montrant toute la maîtrise. Il y a en effet une esthétique quignardienne, des choix formels précis et une rhétorique qui ne doivent rien au hasard et à l’indécidable, tout comme il y a une ontologie propre au …

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